La ville sainte de Jérusalem

 

Jérusalem est la ville la plus remarquable du monde. Depuis des millénaires, les hommes y habitent. Même aux temps les plus éloignés, dès avant Abraham, la ville était considérée comme un lieu saint, puisque, parmi tous les rois cananéens, seuls ceux de cette ville ajoutaient "sédech" (saint ou sage) à leur nom. Ainsi Melchisédech, roi de Salem, qui rencontre Abraham. On interprète souvent ce texte comme la première allusion à la ville de Jérusalem, bien que sa rédaction soit vraisemblablement postexilique :

C'est Melchisédech, roi de Salem, qui fournit du pain et du vin. Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut, et il bénit Abram, en disant : Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui crée le ciel et la terre. Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires entre tes mains. Abram lui donna la dîme de tout (Gen. 14, 17-20).

Pendant que les descendants d'Abraham sont installés en Egypte, après l'installation de Joseph comme vice-roi de ce pays, le pharaon étend sa puissance sur des territoires cananéens et le roi d'Urusalim (Jérusalem) est vassal de l'Egypte : il se plaint amèrement à son suzerain que des nomades (Habiru) venus de l'Est ravagent son pays. Dans ces nomades, on s'accorde à reconnaître des Hébreux, plus ou moins apparentés au clan issu d'Abraham. Ces circonstances amenèrent le pharaon à prendre des mesures de rétorsion à l'écart des Sémites, particulièrement les fils d'Israël installés dans le pays. C'est alors que prend place la grande aventure de Moïse, il conduit les Israélites hors de la maison de servitude jusqu'à la terre promise jadis à Abraham. Des clans peuvent alors s'installer au pays de Canaan, sans connaître la solidarité et l'unité nationales. C'est ce qu'exprime le Livres des Juges. Sous l'autorité des chefs de clan, l'installation des fils d'Israël au pays de Canaan se consolide, même s'il reste des enclaves cananéennes dans le pays, ainsi Jérusalem, habitée par les Jébusites. Sans cesse menacés par les Philistins, peuple en pleine expansion, les Israélites demandèrent à Samuel de leur choisir un roi afin de leur éviter tout assujettissement aux ennemis. Le règne de Saül peut apparaître comme un régime de transition entre les Juges et le règne de David. Le pouvoir de Saül sera simplement celui d'un chef de guerre : il n'exercera pas un réel gouvernement, ce qui sera fait avec David qui occupera une place centrale dans la littérature biblique.

Le règne de David se situe aux environs de l'an 1000, et à partir de ce temps, la chronologie de l'histoire d'Israël va être assez précise. David inaugure son règne par la prise de la ville des Jébusites, Jérusalem, dont il fait sa capitale :

Le roi et ses hommes marchèrent sur Jérusalem contre le Jébusite qui habitait le pays. On dit à David : Tu n'entreras ici qu'en écartant les aveugles et les boiteux. C'était pour dire : David n'entrera pas ici. David s'empara de la forteresse de Sion, c'est la Cité de David. David dit ce jour-là : Quiconque veut frapper le Jébusite doit atteindre le canal. Quant aux aveugles et aux boiteux, ils dégoûtent David. C'est pourquoi l'on dit : Aveugle et boiteux n'entreront pas dans la Maison. David s'installa dans la forteresse et il l'appela Cité de David (2 Sam. 5, 6-9).

Cette ville qui n'a encore joué aucun rôle dans l'histoire d'Israël, est située sur l'éperon rocheux de l'Ophel, bordée par les vallées du Cédron, du Tyropéon et du Hinnon. Elle n'offre qu'un site défensif médiocre, mais elle a l'avantage d'être alimentée par la source du Gihon, à laquelle on accède par un tunnel creusé dans le roc. David prend la ville par ruse en empruntant ce tunnel. Il fait refaire les fortifications et s'y établit. Il y fait revenir l'arche d'alliance qui contenait les tables de la Loi, il dans se joie devant cette arche qui symbolisait l'alliance de Dieu avec son peuple, il se promet même de bâtir un Temple pour abriter cette arche :

Or lorsque le roi fut installé dans sa maison et que le Seigneur lui eut accordé du repos alentour en écartant tous es ennemis, le roi dit au prophète Natan : Tu vois, je suis installé dans une maison de cèdre, tandis que l'arche de Dieu est installée au milieu d'une tente de toile. Natan dit au roi : Tout ce que tu as l'intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi. Or cette nuit-là, la parole du Seigneur fut adressée à Natan en ces termes : Va dire à mon serviteur David : Ainsi parle le Seigneur : Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que je m'y installe ? Car je ne me suis pas installé dans une maison depuis le jour où j'ai fait monter d'Egypte les fils d'Israël et jusqu'à ce jour : je cheminais sous une tente et à l'abri d'une demeure. Pendant tout le temps où j'ai cheminé avec les fils d'Israël, ai-je adressé un seul mot à l'un des chefs que j'avais établis pour paître Israël mon peuple pour dire : Pourquoi ne m'avez-vous pas bâti une maison de cèdre ? Maintenant donc, tu parleras ainsi à mon serviteur David : Ainsi parle le Seigneur, le Tout-Puissant : C'est moi qui t'ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu deviennes le chef d'Israël, mon peuple. J'ai été avec toi partout où tu es allé, j'ai détruit tous tes ennemis devant toi. Je te ferai un nom aussi grand que le nom des grands de la terre. je fixerai un lieu à Israël, mon peuple, je l'implanterai et il demeurera à sa place. Il ne tremblera plus et des criminels ne recommenceront plus à l'opprimer comme jadis et comme depuis le jour où j'ai établi des juges sur Israël mon peuple. je t'ai donné du repos en écartant tous tes ennemis. Et le Seigneur t'annonce que le Seigneur te fera une maison. Lorsque tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j'élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de toi-même, j'établirai fermement sa royauté. C'est lui qui bâtira une maison pour mon nom et j'établirai son trône royal, je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. S'il commet une faute, je le corrigerai en me servant d'hommes pour bâton et d'humains pour le frapper. Mais ma fidélité ne s'écartera point de lui, comme je l'ai écartée de Saül, que j'ai écarté devant moi et devant toi. ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi. C'est selon toutes ces paroles et selon toute cette vision que Natan parla à David (2 Sam. 7, 1-17).

En ramenant l'arche à Jérusalem, David prenait non pas seulement une décision politique : il transformait sa victoire en fait religieux, instaurant une métropole religieuse dans sa capitale. Mais ce n'est pas David qui établira une maison, un Temple pour Dieu, c'est Dieu lui-même qui bâtira une maison, une dynastie pour son serviteur David. Et ce n'est que son fils Salomon qui construira le Temple. Ce récit met en lumière la gratuité du don de Dieu en faveur de David et de sa lignée, mais aussi le fait que, malgré ses succès, David n'a pas eu le temps de réaliser toutes ses intentions.

Salomon règne de 970 à 933, il fortifie le grand Israël inauguré par David puisqu'il tenait à continuer son oeuvre. Au fondateur succède un législateur : Salomon centralise la vie politique et religieuse autour du Temple dont il commence l'édification pour remplacer tous les sanctuaires du pays. Mais, en raison de ses mariages avec des princesses étrangères, mariages commandés par la raison d'Etat, il permet le rétablissement de sanctuaires païens qui contaminent la pureté du culte dû au Dieu unique. cela aura pour conséquence le schisme religieux et national après sa mort.

A la fin du règne de Salomon, Dieu est devenu un dieu national et non plus le Dieu unique : l'unité des tribus s'en ressent. Une rébellion, à la mort de Salomon en 932, entraîne la division en deux royaumes, celui d'Israël regroupant dix tribus et celui de Juda avec les deux tribus fidèles à la dynastie davidique. le royaume d'Israël occupe le nord et le centre du pays : il sera d'une grande instabilité politique, alors que le royaume de Juda qui occupe le sud, avec la ville de Jérusalem, maintiendra la dynastie de David, même si les conflits avec les puissances voisines finissent par ruiner son prestige.

L'infidélité à Dieu fut présentée comme la cause de la ruine du royaume du nord. Assujetti à l'Assyrie et sous l'impulsion égyptienne, Israël se révolta. La riposte ne se fit pas attendre, il ne restait à Israël qu'à payer le prix de sa faute, la défaite et l'exil. Samarie, la capitale, résista avec l'énergie du désespoir pendant trois ans avant de tomber aux mains de Sargon II qui déporta en Assyrie les meilleurs éléments de la population, la noblesse et les citoyens les plus riches. Le royaume fut réorganisé en provinces assyriennes. L'histoire de Juda est plus calme : la maison de David ne manqua jamais d'héritier, et les querelles de succession sont assez exceptionnelles. Ce royaume ne se situe pas sur un axe militaire et peut être tranquille, ne jouant aucun rôle politique important.

Sous le règne d'Achaz (736-716), l'Assyrie intervient pourtant dans les affaires de Juda qui perd son indépendance. Achaz est séduit par le religion assyrienne, allant jusqu'à offrir en sacrifice son propre fils du feu du dieu Moloch. Une apostasie presque générale fait oublier la Torah : la fidélité au Dieu unique ne subsiste que dans des cercles restreints où l'on conserve les traditions prophétiques. Profitant d'un déclin de l'Assyrie, un roi de Juda, Josias (640-609) entreprend une réforme, après la découverte, en 622, dans le Temple du code de l'alliance, décrivant les châtiments devant frapper l'apostasie. Un programme religieux inspire son règne : un seul Dieu, une seule Loi, un seul temple. Mais le pouvoir politique en Orient change de maître : Babylone prend la place de l'Assyrie et Josias en profite pour tenter d'assurer l'autonomie nationale. Il peut affirmer son indépendance au moment du déclin de l'Assyrie. Mais, à la chute de cet empire, au lieu de garder sa neutralité face à Babylone et à l'Egypte, il tente de barrer la route aux Egyptiens marchant sur Babylone, il périt sur le champ de bataille à Meggido, c'est la fin de l'indépendance de Juda.

Le royaume est alors placé successivement sous la dépendance de l'une ou de l'autre puissance. La mort de Josias a remis en question son oeuvre : à quoi bon être fidèle à Dieu si cela ne sert à rien ? Sous Joiakîn (598-597), Nabuchodonosor, reprenant à son compte les ambitions de l'Assyrie, investit Jérusalem en 598 : le roi se rend à condition que la capitale soit épargnée : c'est la première déportation pour la noblesse, mais le souverain babylonien fait preuve de modération, permettant à Juda de conserver une monarchie semi-indépendante et vassale. Sédécias (597-586), trompé par les promesse égyptiennes et encouragé par les faux prophètes, se rebella : après un siège de deux ans, Nabuchodonosor prit Jérusalem et la rasa. L'élite de la population est emmenée en exil en 586. Juda cesse d'exister en tant qu'état souverain, il est réduit à l'état de colonie, et il partage le sort d'Israël : la captivité.

C'est pendant l'exil à Babylone que le message prophétique retentit avec intensité, faisant de Jérusalem le centre de la méditation du peuple et de son espoir. Jérusalem sera un pôle d'attraction pour toutes les nations qui verront et pourront reconnaître la puissance du Dieu d'Israël : Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière, la gloire du Seigneur sur toi s'est levée... Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton aurore. Porte tes regards alentour et vois : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi, tes fils vont arriver du lointain et tes filles sont tenues solidement sur la hanche. Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton coeur frémira et se dilatera car vers toi sera détournée l'opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu'à toi (Es. 60, 1-5).

Si les nations affluent vers Jérusalem, ce n'est pas pour y découvrir une métropole temporelle à laquelle elles seraient soumises politiquement, mais bien parce que Dieu va y manifester sa gloire. la visée du prophète n'est pas temporelle, mais eschatologique : tous les peuples qui sont plongés dans l'obscurité vont connaître la lumière de Dieu manifestée à Jérusalem, car des ténèbres Dieu fait jaillir la lumière.

Dans la pensée juive de l'époque, Jérusalem avait une double signification. C'était la capitale nationale, le signe de l'unité du pays. Elle représentait aussi le peuple d'Israël tout entier. Mais, comme capitale religieuse, comme lieu choisi par Dieu, elle signifiait la présence de Dieu au milieu de son peuple et au milieu des hommes, elle était le symbole du peuple nouveau qui devait recevoir le salut de Dieu. C'est à ce titre que les puissants et les rois de ce monde se tournent vers la Jérusalem nouvelle, qui ne sera pas seulement la ville reconstruite par les rescapés de l'exil, mais le Cité sainte, signe de l'unité du peuple humain réconcilié avec Dieu présent dans sa ville et qui lui assure sa sainteté et son caractère sacré.

Les gens amèneront tous vos frères de toutes les nations en offrande au Seigneur, à cheval, en char, en litière, à dos de mulet et sur des palanquins, jusqu'à ma montagne sainte, dit le Seigneur, tout comme les fils d'Israël amèneront l'offrande sur des plats purifiés, à la Maison du Seigneur. Et même parmi eux je prendrai des prêtres, des lévites, dit le Seigneur. Oui, comme les cieux nouveaux et la terre nouvelle que je fais restent fermes devant moi - oracle du Seigneur - ainsi resteront fermes votre descendance et votre nom. Et il adviendra que de nouvelle lune en nouvelle lune, et de sabbat en sabbat, toute chair viendra se prosterner devant moi, dit le Seigneur (Es. 66, 20-23).

Cette conclusion résume la vision eschatologique : des cieux nouveaux et une terre nouvelle, le rassemblement de toutes les nations et la subsistance éternelle de la race des fils d'Israël, auxquels viennent s'adjoindre tous les étrangers qui reconnaissent que la gloire du Seigneur habite Jérusalem. ces étrangers apportent des offrandes pour le Temple nouveau, la Maison de prières pour toutes les nations. Et même la prêtrise ne sera plus l'apanage exclusif de ceux qui appartiennent à la tribu de Lévi : ils seront les médiateurs entre Dieu et les hommes, par la seule volonté de Dieu, et sans ascendance sacerdotale reconnue par la tradition juive.

Le sixième siècle marque un tournant dans l'histoire du Proche Orient. Avec l'installation des Perses en 538 commence une période de mille ans dominés par des pouvoirs non sémitiques. L'exil s'achève théoriquement avec la conquête de Babylone par Cyrus de Perse, et la nation juive bénéficie de sa clémence : il permet aux exilés de rentrer à Jérusalem. Aussitôt quarante deux mille d'entre eux prennent le chemin du retour. Malgré l'opposition des occupants du pays, la reconstruction du Temple s'achève au printemps 515. Le second Temple n'a pas la splendeur du premier, et Jérusalem est une ville ouverte, ses murailles ne sont pas reconstruites.

En 458, Esdras revient à Jérusalem avec environ cinq mille personnes. En 445, Néhémie revient à son tour avec une escorte afin de relever les murs de la capitale de Juda. C'est dans ce cadre de restauration nationale que le judaïsme s'organise autour de la Loi. La Judée est un territoire politiquement insignifiant, mais son influence grandit rapidement : l'Etat théocratique donne une nouvelle direction à l'histoire. Les pays dans lesquels les juifs sont dispersés, surtout en Babylonie et en Egypte, renouent avec Jérusalem, dans le respect de la Torah et des traditions.

La Judée cesse d'être sous l'influence orientale en 333, quand le conquérant macédonien Alexandre le Grand pénètre en Asie et prend possession de la Palestine. Ce n'est pas un conquérant ordinaire voulant imposer son pouvoir : il cherche davantage à répandre la civilisation grecque, sans croire à l'hellénisation par la force. Se considérant comme l'héritier légitime de la Perse, il continue d'accorder aux peuples qu'il soumet les privilèges que leur avaient accordés ses prédécesseurs. Ainsi les juifs peuvent observer leur mode de vie et leur religion. En 320, trois ans après la mort d'Alexandre, Ptolémée qui a pris possession de l'Egypte domine la Palestine. Des milliers de juifs s'établissent en Egypte, soit comme émigrants volontaires, attirés par la civilisation grecque favorisée par les Ptolémées, soit comme mercenaires ou prisonniers de guerre. En tout cas, l'hellénisation est rapide.

La tranquillité connue sous les Ptolémées cesse vers 275 quand les Séleucides grecs, profitant de la dissolution de l'empire d'Alexandre, cherchent à conquérir la Palestine qui devient pendant près d'un siècle un champ de bataille pour les armées rivales. En 198, le pays est dominé par les Séleucides qui laissent aux juifs une certaine autonomie, confirmant les droits et privilèges qu'ils avaient eux sous la domination égyptienne. Ainsi, les successeurs d'Alexandre, tant les Séleucides que les Ptolémées, pratiquent la tolérance à l'égard de la Palestine. L'hellénisation se fait sans heurt dans le sacerdoce et l'aristocratie, mais certains fervents se révoltent, à la suite de Juda Maccabée, en 167.

Un siècle plus tard, profitant des troubles dans la succession des Hasmonéens, descendants des Maccabées, Rome intervient. Pompée prend en mains les affaires de Judée. C'est à ces circonstances qu'Hérode le Grand doit sa fortune. En 39, il se rend à Rome pour se faire couronner roi des juifs. Homme d'état, il fut aussi un grand bâtisseur, faisant aménager le port de Césarée, se lançant dans de grands travaux, particulièrement la restauration du Temple. A sa mort, en l'an 4 avant l'ère chrétienne, la succession est difficile. Rome intervient de nouveau et partage son royaume entre ses fils. L'un d'eux, Archélaüs, qui s'était vu attribuer la Judée, sera exilé par l'empereur en l'an 6, et la Judée sera désormais gouvernée par des procurateurs romains. A l'époque de Jésus, Jérusalem était donc sous la domination romaine.

L'agitation politique ne cessa pas, elle dégénéra même en une véritable révolte qui conduisit à une première guerre juive (66-73), marquée par la destruction du Temple. En 69, Vespasien, proclamé empereur de Rome par ses troupes, décide d'en finir avec l'insurrection juive. Il envoie son fils Titus avec mission de mener à leur terme les opérations en Palestine. Après plusieurs mois de siège, Jérusalem tombe en 70 : les juifs sont vendus comme esclaves, le Temple est incendié, la fonction de grand-prêtre est supprimée puisqu'il n'y a plus de sacrifices possibles, le sanhédrin, tribunal religieux, est également supprimé. Ramenant à Rome ses trophées, dont un rouleau de la Torah et le chandelier à sept branches, Titus était malgré tout hanté par la crainte d'une nouvelle insurrection. La guerre se rallume en effet sous Hadrien (132-135). La nation juive fut écrasée et Jérusalem, rebaptisée Aelia Capitolina, fut interdite aux juifs. Au seul jour anniversaire de la destruction du Temple, ils furent autorisés à venir pleurer près du Mur occidental du Temple, encore resté debout, ce mur qui fut longtemps appelé "mur des lamentations". Bien que reconstruite, Jérusalem est une ville insignifiante à l'écart des grands courants commerciaux.

Il lui faudra attendre le règne de Constantin, à partir de 313, pour qu'elle retrouve sa place de métropole religieuse, grâce à la paix qu'il offre aux chrétiens, faisant détruire les sanctuaires païens pour élever des lieux de culte chrétiens, au Golgotha, au Sépulcre et au mont des Oliviers. Les successeurs de Constantin couvrirent la Palestine de fondations religieuses. Jérusalem et la Palestine devenaient le lieu de rassemblement des chrétiens. Cette période de prospérité devait s'éteindre avec l'arrivée en 542 des Parthes qui envahissent la Syrie et saccagent Antioche. En 613, ils obtiennent le ralliement des juifs et des samaritains, et le 20 mai 614, Jérusalem tombait entre leurs mains : les églises furent incendiées, la population massacrée et les survivants pris comme esclaves.

A cette même époque surgit un nouveau prophète en Orient, Mahomet qui affirme prêcher dans toute sa pureté le Dieu révélé à Abraham et Jésus, que les juifs et les chrétiens défiguraient. A sa mort, il laisse quelques fidèles et rien ne permet de penser que leur irrésistible expansion allait bouleverser cette région. Jérusalem, Al Qouds, était le lieu de l'ascension nocturne du prophète Mahomet, qui avait rencontré Abraham, Moïse et Jésus sur le Rocher du mont Moriah, avant d'être élevé au septième ciel.

Le mont Moriah est le lieu présumé où Abraham s'apprêtait à offrir son fils unique en sacrifice à YHWH. La tradition veut donc que ce sacrifice eut lieu au sommet du mont Moriah, au lieu même où Dieu modela l'homme avec la poussière du sol. Ce serait le centre de la terre, le nombril du monde. Et c'est en direction de ce mont que pendant des milliers d'années les juifs, quelle que soit leur résidence, se tournaient pour prier. C'est aussi vers ce mont qu'au début de l'Islam, Mahomet recommandait à ses fidèles de se tourner pour prier, car il y fut enlevé mystiquement pour contempler le trône divin. En rompant avec la religion des juifs qui le méprisaient, il invitera ses fidèles à ne plus se tourner vers Jérusalem, mais vers La Mekke qui devient dès lors le point focal de l'islam.

Le mont Moriah se trouverait sous la coupole du Rocher, actuellement haut-lieu de l'islam. Là s'élevait le Temple de Salomon, détruit en 587 par les troupes de Nabuchodonosor. le parvis est celui du Temple d'Hérode ravagé par les troupes de Titus lors de la chute de Jérusalem. En 638, quand les musulmans s'emparent de la ville, ils découvrent que les légionnaires avaient transformé le parvis en dépôt d'ordures, ils y rétablissent le culte, car, selon la tradition, c'est de là que Mahomet monta au ciel : Loué soit celui qui, la nuit, emporta son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée lointaine dont nous avons béni le pourtour. Et ceci pour lui montrer certains de nos signes (Coran 17, 1).

La Mosquée lointaine peut désigner symboliquement le paradis, mais c'est, semble-t-il, plus vraisemblablement l'emplacement du Temple de Jérusalem. La Mosquée El Aqsa, sur l'esplanade du Temple, serait le lieu le plus éloigné où se serait rendu le prophète Mahomet. Cette mosquée fut détruite et rénovée bien des fois, il ne reste que peu de choses de l'édifice primitif qui recouvrait à peu près exactement le palais du roi Salomon.

Les rois latins de Jérusalem s'y sont installés avant de céder la place aux chevaliers du Temple. La mosquée sert à la prière publique et peut accueillir de grandes foules pour les cérémonies. Abdoullah, roi de Jordanie, y fut assassiné le 20 juillet 1951, alors que son petit-fils, Hussein, échappa miraculeusement à la mort, grâce à la décoration qu'il portait à la poitrine. On voit encore l'impact des balles sur une colonne... De chaque côté de l'espace sacré, des colonnes jumelées portent des traces d'usure caractéristique : quiconque ne peut passer entre ces colonnes, affirme la légende, ne pourra être admis au paradis. L'usure prouve que de nombreux candidats au ciel ont essayé de voir su leur corpulence leur permettait le passage...

Le Dôme du Rocher, de forme octogonale, que l'on appelle parfois la Mosquée d'Omar, est considéré comme l'une des merveilles du monde. Le dôme est visible de partout avec ses couleurs éclatantes et le scintillement de ses ors. A l'intérieur, la lumière est douce en raison de la combinaison des vitraux. Aucune représentation animale ou humaine n'y apparaît, mais uniquement des motifs géométriques et floraux, ainsi que des caractères d'écriture calligraphiée chantant la gloire de Dieu. Une balustrade en bois entoure le rocher qui, selon la légende, voulut suivre Mahomet lors de son voyage vers le ciel, mais en fut empêché par l'ange Gabriel qui y laissa l'empreinte de sa main. Chaque jour, le rocher est aspergé d'un mélange aromatique pour que les fidèles qui s'en approchent puissent sentir le parfum du paradis... Une petite urne renferme deux poils de la barbe de Mahomet. Au-dessous de ce rocher, une grotte, dans laquelle devait s'écouler le sang des victimes offertes en sacrifice ou l'eau des ablutions, est appelée grotte des âmes par les musulmans, et elle n'est ouverte qu'une fois par an, le vingt-septième jour du mois de Ramadan. C'est là que, selon la foi islamique, toutes les âmes se retrouveront au jour du jugement.

Omar (634-644), le deuxième calife, successeur, se rendit à Jérusalem, il fait nettoyer l'emplacement du Rocher et ordonne la construction de la mosquée El Aqsa (la Mosquée éloignée). Chrétiens et juifs étaient respectés en tant que fidèles du Livre par la dynastie des Ommeyades qui firent appel à des artistes grecs pour décorer les premiers monuments de l'Islam, qui s'inspirent des grandes basiliques byzantines. Sous les Abbassides, successeurs des Ommeyades, les pèlerins peuvent encore voyager en Terre Sainte dans de bonnes conditions de sécurité, mais en évitant tout prosélytisme. En 807, Charlemagne se voir même reconnaître une sorte de protectorat sur les lieux saints chrétiens. Et en 810, la coupe de l'Anastasis est restaurée, différents lieux de culte et d'hébergement sont édifiés.

La situation se dégrade à la fin du dixième siècle. En 966, des fanatiques incendient l'Anastasis. En 1009, le calife fait détruire des églises, parmi lesquelles le saint Sépulcre. Trois tremblements de terre (1016, 1033, 1068) ravagent la Palestine. L'aggravation des relations entre chrétiens et musulmans contribue à développer en Europe la notion de croisade, d'intervention militaire pour libérer les lieux saints. Jérusalem est conquise en 1098, et Godefroy de Bouillon est intronisé "Avoué du saint Sépulcre", le 212 juillet 1099, avec une simple couronne de paille. Il meurt le 18 juillet 1100, on place son sarcophage sous le Calvaire. Baudouin, frère de Godefroy, vient se faire couronne roi à Bethléem, le jour de Noël 1100. Néanmoins, la situation reste toujours précaire pour les chrétiens : les pèlerins ne faisaient qu'un passage plus ou moins long en Palestine. L'appel à des moines soldats devenait une nécessité pour assurer la sécurité et la protection des grands itinéraires et des places fortes.

En 1170, le royaume franc de Palestine se trouve affaibli, à la suite d'un violente tremblement de terre. Face à cet état diminué se dresse Youssouf ibn Aiyub, plus connu sous son surnom de Salah as-Dîn (Rectitude de la foi) ou Saladin, qui met à profit la guerre civile suscitée en Palestine par la division des factions en présence à Damas : il se fait accueillir comme un libérateur. La situation du royaume de Jérusalem devenait de plus en plus précaire. Le 4 juillet 1187, l'armée franque est massacrée par les troupes musulmanes, et le 2 octobre, la bannière de Saladin flottait sur Jérusalem qui ne sera jamais plus reprise par les francs. La perte des lieux saints déclenche une nouvelle croisade à laquelle prirent part Richard Coeur de Lion et Frédéric Barberousse (qui se noya en Asie Mineure). En 1191, Richard reprend Acre mais échoue devant Jérusalem. Un siècle plus tard, Acre est reprise par les musulmans : les derniers débris de l'empire latin d'Orient disparaissaient...

Jérusalem se trouve alors peuplée de théologiens musulmans. Toutefois, en 1327, les franciscains obtiennent la garde du saint Sépulcre, de Bethléem et du tombeau de la Vierge, inaugurant ainsi la Custodie de Terre Sainte, mais les chrétiens ne peuvent pas entrer librement au Sépulcre, ils doivent acquitter un tribut au sultan...

Malgré une éphémère renaissance sous Soliman le Magnifique (1520-1566), Jérusalem connaît le déclin, abandonnée par les Occidentaux. Il faut attendre le dix-huitième siècle pour que reprennent les voyages vers l'Orient, avec le désir de renouer avec les sources de la civilisation : la Grèce pour la culture classique et Jérusalem pour la foi chrétienne.

Le gouvernement russe fut reconnu en 1774 comme le protecteur des chrétiens orthodoxes de l'empire ottoman. A la fin du dix-neuvième siècle, Alexandre III fit édifier, sur les pentes du mont des Oliviers, l'Eglise sainte Marie-Madeleine. Guillaume II, soucieux de manifester l'influence prussienne hors d'Europe, s'intéressa aussi à l'empire ottoman. Pour lui permettre d'entrer à cheval, lors de sa visite à Jérusalem, on abattit un mur voisin de la porte de Jaffa. Un terrain fut alors offert aux catholiques allemands qui y fondèrent le monastère bénédictin de la Dormition.

Lors de la première guerre mondiale, l'empire ottoman s'effondre. Les accords de paix de San Remo, en juillet 1920, confièrent un mandat aux Français sur le Liban et la Syrie, et un mandat aux Britanniques sur la Palestine et sur l'émirat de Transjordanie. Jérusalem devient la capitale administrative de ce territoire : la ville est gérée par un conseil municipal, composé de six juifs et de six arabes (quatre musulmans et deux chrétiens), le maire étant choisi parmi les notables arabes. La ville connaît alors un afflux de population. En 1917, alors que les Britanniques berçaient les arabes de promesses, le ministre des affaires étrangères, Lord Baldfour écrivait : Le gouvernement de sa majesté britannique envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et fera tous ses efforts pour favoriser l'accomplissement de ce dessein, étant entendu qu'il ne sera rien fait qui puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-juives existant en Palestine ni aux droits et aux statuts politiques dont jouissent les juifs dans les autres pays.

Les colons juifs commencent à venir s'installer en Palestine, dès avant la seconde guerre mondiale. Après la victoire des alliés, c'est l'afflux des réfugiés. Le 29 novembre 1947, la résolution 189 des Nations Unies décidait la partition de la Palestine en deux Etats et l'internationalisation de Jérusalem. Le 14 mai 1948, ben Gourion proclamait l'établissement de l'Etat d'Israël que les pays arabes refusent de reconnaître. Le 15 mai, la légion arabe attaque. Le cesse-le-feu du 3 avril 1949 sépare Jérusalem du nord au sud, depuis la porte de Mandelbaum jusqu'au mont du Mauvais Conseil, la vieille ville et les lieux saints restant au pouvoir de la Jordanie. Le 28 juin 1967, après la guerre des six jours, Israël occupe la Cisjordanie et décide l'annexion de Jérusalem-Est. En 1980, Jérusalem est proclamée "capitale éternelle de l'Etat d'Israël".