Préhistoire de la culture proche-orientale

 

L'histoire et la religion d'Israël sont inséparables. Son histoire est, en réalité, un phénomène d'importance mineure, si on la compare au tableau complexe de l'histoire du Proche-Orient antique. En effet, mis à part, les règnes de David et de Salomon, le pays d'Israël n'a jamais connu un statut politique indépendant : il n'a pu maintenir son autonomie totale que pendant une très courte période. Pourtant, ce petit peuple a joué un rôle important dans l'histoire antique, non pas en raison de ses prétentions territoriales mais plutôt parce qu'il occupait un territoire sur lequel les puissances de l'époque exercèrent leur influence.

Le berceau de la civilisation fut ce qu'il est convenu d'appeler le Croissant fertile, c'est-à-dire ces terres qui s'étendent de la vallée du Nil à l'ouest, avec la ville de Memphis, jusqu'à l'extrémité orientale de la Basse-Mésopotamie, avec la ville d'Ur. Au nord, la ville d'Harran constitue le sommet de ce Croissant qui se déploie ensuite sur la bande côtière de la Palestine et de la Syrie.

C'est sur ces terres que, dès le Néolithique, les hommes dirent leurs premières expériences de vie sédentaire et d'habitations fixes. Jusque là, c'est-à-dire jusqu'au quatrième millénaire avant notre ère, le développement culturel avait été à peu près uniforme sur toute l'étendue du Croissant Fertile.

Alors, les deux extrémités se mettent à dépasser la partie centrale : les deux fleuves, le Nil et l'Euphrate, fournissent la fertilité nécessaire à toutes les formes de richesses. Et au début du troisième millénaire naissent les grands empires égyptien et babylonien. Entre eux, des échanges s'établissent qui vont commander toute l'histoire du Proche-Orient.

Sur la voie de jonction entre ces deux grands empires se situe la Palestine. Selon les circonstances politiques, elle bénéficiera ou souffrira de ces zones d'influence et de leur civilisation. La formation de la religion juive s'est faire dans ce contexte socio-politique qu'il ne faudrait pas négliger. Israël n'eut guère d'influence politique en face de ces deux empires. En revanche, il obtient une influence religieuse considérable. C'est de ce peuple que sont nées les grandes religions monothéistes. Et la religion a certainement contribué à l'unification du peuple : elle n'occupait pas simplement une place particulière au milieu des facteurs politiques, économiques ou sociaux, elle permettait surtout à toutes les activités humaines de se découvrir une signification.

Ainsi, le mode de vie d'Israël est toujours exprimé en terme de projet divin sur le peuple : ce projet lui permet de donner du sens et d'expliquer les événements, particulièrement en période de crise. L'histoire d'Israël ne peut se comprendre que dans sa religion, et, d'autre part, ses idées théologiques ont sans cesse conduit la marche des événements de son histoire.

L'histoire commence à Sumer

Les Sumériens peuvent être considérés comme les créateurs de la civilisation en Basse-Mésopotamie, bien qu'ils aient constitué jusqu'au début du vingtième siècle un peuple pratiquement oublié... Il y a six mille ans, des hommes ont créé une première forme de civilisation sur les rives du Tigre et de l'Euphrate, dans cette région qui porte facilement le nom grec de Mésopotamie, c'est-à-dire « le pays entre les deux fleuves ». Tout porte à croire que leur civilisation n'a pas été importée d'ailleurs, mais qu'elle s'est formée sur place, dans la région de ces hommes qui étaient nommés « les têtes noires », en raison vraisemblablement de leur race à peau brune, hommes venus, estime-t-on généralement, du Nord-Est de l'Inde. Ces hommes de Sumer ont formé le premier peuple qui ait laissé des documents écrits. C'est chez eux que les archéologues ont découvert les plus anciens documents écrits que nous possédions de toute l'humanité, et ces mêmes archéologues se demandent s'il ne faut pas les considérer comme les inventeurs de l'écriture.

Exercés au travail de l'agriculture, ils ne tardent pas à commercialiser avec leurs voisins moins favorisés qu'eux, échangeant leur superflu de nourriture contre des terres à bâtir présentes dans les carrières de leurs voisins. C'est ainsi qu'il est possible de constater que les vestiges des constructions sumériennes allient les briques d'argiles à la pierre. Car ils étaient bâtisseurs autant qu'agriculteurs. Utilisant l'argile des alluvions qu'ils faisaient sécher au soleil, ils fabriquèrent des briques pour édifier des maisons de plus en plus importantes, selon leur état de prospérité. Ils construisirent aussi des embarcations, en s'aidant des roseaux qu'ils tressaient et qu'ils recouvraient de peaux et de poix. C'est l'utilisation de ces bateaux qui leur permit d'entrer en relation avec leurs voisins et d'effectuer leurs premières démarches commerciales.

Afin de favoriser ces dernières, ils en sont venus à imaginer d'écrire sur de l'argile, et les plus anciens documents retrouvés, dans les ruines de la ville d'Uruk, sont des tablettes pictographiques, difficiles à déchiffrer, mais qu'on pense être des aides-mémoires administratifs. Au cours des siècles, ils améliorèrent et perfectionnèrent leur technique de l'écriture. Ils se limitèrent d'abord à traduire des images ou des représentations dans un type d'écriture pictographique ou idéographique. Puis, ils ont cherché à traduire les sons de la langue. Ainsi, dans le courant d'un troisième millénaire, l'écriture s'assouplit progressivement : les signes sont décomposés en de petits éléments qui ont perdu toute ressemblance avec les images primitives.

C'est ainsi qu'est née l'écriture cunéiforme, en forme de clou (du latin, cuneus : clou), elle comprend environ cinq cents signes, formés par l'agencement des quatre éléments de base : clou horizontal, clou vertical, clou oblique, double clou... Grâce à cette symbolisation, il devenait possible de fixer par écrit, sur des tablettes d'argiles, toutes les créations littéraires qui étaient jusqu'alors transmises par la seule voie orale.

Par les mythes et récits légendaires qu'ils ont ainsi légués à la postérité, les Sumériens ont eux-mêmes présenté les structures principales de leur société et de leur civilisation. Ils ont appliqué au monde divin les réalités qui constituaient leur existence concrète. La cité était théocratique, régie par le dieu qui la possédait, elle et les terres qui l'entouraient. Le chef de la ville était le représentant du dieu sur la terre, et il se présentait donc avant tout comme un chef religieux. La prééminence, dans la cité, revenait aux prêtres, les servants de la divinité. Toutes les tâches afférentes au culte étaient réservées aux prêtres : le travail sur les terres appartenant au temple, la tenue des entrepôts, l'échange des vivres contre les différents matériaux pouvant servir à la construction et à l'embellissement du temple et des chapelles bâties en l'honneur de la divinité. De plus, les prêtres avaient une fonction de sagesse, ils enseignaient dans les sanctuaires, ils exerçaient la médecine, ils avaient des fonctions judiciaires pour régler les différends entre les hommes.

Dans les cités sumériennes, il n'y avait donc pas de rois, les grands-prêtres exerçant cette fonction de gouvernement en même temps que leurs fonctions sacerdotales. Mais, quand les villes grandirent, la charge devenait trop importante pour le grand-prêtre. La fonction de gouvernement fut alors confiée à un membre du clergé choisi pour sa sagesse et son habileté. Progressivement, cette forme de royauté fut sensée être détenue par une sorte d'élection divine : elle serait descendue du ciel au commencement des temps. Toute l'activité politique et religieuse des chefs de la cité consistait à organiser la ville selon les desseins divins de façon à faire du monde terrestre le pendant du monde céleste. La vie quotidienne du souverain était conçue comme la réplique de la vie quotidienne du dieu de la cité.

Rapidement, sous le coup d'influences politiques entre les cités proches, la religion sumérienne s'est transformée en un polythéisme au panthéon largement fourni. Et bien que telle ou telle dynastie d'une cité sumérienne arrivât parfois à exercer un pouvoir éphémère sur l'ensemble du territoire, aucune ne put jamais arriver à réaliser l'unification totale en une sorte de premier empire.

Les Sémites entrent dans l'Histoire

A l'époque classique de Sumer, à l'heure où cette région et sa civilisation atteignaient leur apogée, des Sémites, les Akkadiens commençaient à se sédentariser, cohabitant d'abord pacifiquement avec les premiers occupants de la Basse-Mésopotamie. Leur présence est attestée dans les textes sumériens eux-mêmes, signe qu'entre ces deux peuples existait une compénétration de pensée et de culture qui devait s'accentuer avec le temps.

Les Sémites entraient dans l'Histoire avec les Akkadiens qui avaient certainement suivi un courant migrateur avant de venir s'installer sur les rives du Tigre et de l'Euphrate. Leur infiltration progressive a modifié la composition ethnique de la région où ils se sont installés, notamment dans la proximité de la ville de Kish, et où ils vivaient en harmonie avec les habitants.

Vers 2300, un Sémite, d'origine humble, renverse le roi sumérien dont il était l'échanson, il fonde une ville, Agadé, dont il se proclame roi. Sargon venait d'inaugurer une grande oeuvre politique : la constitution du premier empire digne de ce nom dans toute l'histoire de l'humanité. Il n'était sans doute pas le premier aventurier à conquérir un trône, ni le premier à étendre son pouvoir sur des territoires importants, mais il est le premier à fonder une dynastie qui poursuivra son oeuvre pendant un siècle. Par des documents historiques, nous savons qu'il n'appartenait pas à la race royale, mais qu'il était attaché à la cour du roi de Kish.

La légende a fait de lui un enfant naturel, exposé par sa mère sur le fleuve dans une corbeille de roseaux, recueilli et élevé par un jardinier au coeur compatissant. Dans les récits épiques, il est présenté au faîte de sa puissance, exerçant une puissance absolue sur le monde entier. Sous sa conduite, en effet, les Akkadiens vont achever la conquête de la Babylonie, il soumet Elam et les régions voisines, il remonte l'Euphrate, conquiert jusqu'à la Syrie et le Liban. Des documents témoignent également de son activité d'expansion dans la vallée de l'Indus.

Ses fils et petits-fils lui succèdent, poursuivant ses exploits militaires. Ces nouveaux rois donnèrent à la culture sumérienne qu'ils font leur une expression nouvelle, en déplaçant le pouvoir central : le centre de tout gouvernement n'est plus le temple du dieu, mais le palais du roi, lequel s'attribue des prérogatives divines. De plus, leur triomphe leur permet d'imposer leur propre langue, qu'ils avaient conservée malgré leur assimilation à la culture sumérienne, tout en utilisant pour écrire les caractères cunéiformes.

Dans cet empire, une immense activité littéraire se développe, dont il reste de nombreux témoignages, notamment dans le domaine religieux. Les Akkadiens adoptèrent le panthéon sumérien, en lui ajoutant leurs dieux : on reconnaît leur influence dans le culte rendu à la lune, au soleil, à la foudre. Ils n'apportent pas une civilisation vraiment nouvelle et originale, puisque aucun changement n'est véritablement notoire.

Les Sémites s'étaient mis à l'école des Sumériens pendant de nombreux siècles, et ils avaient fini par leur devenir semblables. Les successeurs du petit-fils de Sargon vont laisser l'empire sombrer dans l'anarchie et l'émiettement.

L'histoire du temps d'Abraham évoque le roi Hammourabi. Au vingt-deuxième siècle avant l'ère chrétienne, les Aryens, venus du Nord, ébranlent l'équilibre des peuples de Mésopotamie. Pour leur résister, les Amoréens (qui occupaient la région de la Syrie actuelle) recherchent une unité avec la région mésopotamienne. Le plus important roi amoréen est Hammourabi, qui fut vraisemblablement contemporain d'Abraham. Ce roi est connu par ses décisions d'équité, qu'il prit dans la quarantième année de son règne et qu'il fit graver sur une stèle, conservée au Musée du Louvre. Il est l'auteur d'une sorte de révolution religieuse tendant à instaurer le culte d'un dieu unique, Mardouk, remplaçant toutes les divinités locales. Cent ans après Hammourabi, les Aryens, appelés aussi Hittites, saccagent la Babylonie : Ur, par exemple, voit ses murs rasés et ses habitants déportés...

Une comparaison de pactes d'Etats de l'ancien Orient, en particulier hittites des XIV et XIIIèmes siècles, avec des textes de l'Ancien testament a mis en lumière tant de similitudes qu'il doit exister une parenté entre ces traités d'Etat du grand roi avec ses vassaux d'une part et les explications que l'alliance de YHWH avec Israël rencontre dans certains textes bibliques d'autre part. Il est permis de parler, à propos de certains textes, de formules d'alliance dans laquelle les éléments de ces traités d'Etat reparaissent trait pour trait, ou librement appliqués aux conditions israélites. Le schéma de ces traités consiste en :

- un préambule

- une préhistoire

- une déclaration fondamentale

- des dispositions de détail

- l'invocation des dieux comme témoins (dans la Bible, c'est le point le plus modifié)

- des bénédictions et des malédictions.

La découverte en 1901 du code de Hammourabi, roi de Babylone vers 1750 avant Jésus-Christ, a permis de comprendre de manière plus précise la structure de l'alliance dans le Proche-Orient, particulièrement en Israël.

Le terme d'alliance avait une signification politico-religieuse : engagement pris entre deux personnes ou deux groupes humains, représentés par leurs chefs. Il y a alliance quand il faut renouer ou asseoir une relation entre deux personnes ou deux groupes après une période d'hostilité. Ainsi, parler d'alliance, c'est déjà supposer qu'on peut la rompre ou qu'elle a été rompue, c'est aussi poser la possibilité d'un renouvellement de l'accord entre les deux parties.

Le code de Hammourabi est un texte gravé sur un bloc de pierre d'une hauteur de deux mètres vingt-cinq, conservé au musée du Louvre. Sur la partie supérieure de cette stèle, le roi se tient devant le dieu de justice, Shamash. Celui-ci, assis sur un trône, dicte ses lois au roi. Le souverain devra faire se lever le soleil de justice, en supprimant le méchant et le pervers, en empêchant le fort d'écraser le faible.

Ce code comporte deux cent quatre-vingts articles qui définissent les règles de vie pour les grandes classes de la société, à savoir les nobles, les roturiers et les esclaves. Cependant, l'état babylonien était organisé avant Hammourabi, il était régi par le droit coutumier. Ce roi n'a fait que regrouper toutes les lois du droit coutumier, en les révisant et en les améliorant. Si ces règles sont gravées sur la pierre, c'est pour que chacun, et en particulier le juge, puisse savoir quels sont les droits des uns et des autres. Ce code est constitué comme un recueil d'arrêts de justice dont les juges pouvaient s'inspirer librement, en respectant les traditions locales de telle ou telle partie de l'empire unifié par ce souverain. Depuis la découverte du code de Hammourabi, on a retrouvé de nombreux textes législatifs de l'Orient antique, ce qui a permis de comprendre la structure de l'alliance pour Israël. Les différents traités législatifs adoptent un schéma comparable :

- présentation du suzerain : nom et titre

- résumé de ses rapports avec son vassal

- stipulations adressées au vassal, notamment sur la conduite qu'il doit adopter envers son suzerain

- stipulation éventuelle de l'endroit où le traité doit être conservé

- invocation aux dieux des contractants pour qu'ils soient les témoins de l'acte, mais ils ne sont pas partie prenante de l'engagement

- liste de bénédictions ou de malédictions en cas de respect ou de rupture de l'alliance.

La conclusion du traité se fait par le serment du vassal et parfois celui du suzerain. Les contractants se retrouvent autour d'un repas de paix. Ces éléments des codes législatifs se retrouvent dans les alliances entre Dieu et son peuple.

Dieu se présente toujours avec ses titres au moment de conclure une alliance, avec Abraham, avec Moïse... Un résumé de l'histoire des relations entre Dieu et son serviteur dans le domaine de la conduite morale ou religieuse de son peuple, avec aussi la manière de se souvenir de l'alliance. Pour l'ancêtre Noé, le signe de l'alliance sera l'arc-en-ciel, pour le patriarche Abraham, le signe sera la circoncision des mâles, pour le peuple en exode, le signe des tables de la Loi sera conservé dans l'arche de l'alliance.

Il est pratiquement impossible d'attribuer une date historique à la conclusion de l'alliance entre YHWH et son peuple, car l'alliance se répète et doit se renouveler régulièrement dans toute l'histoire du peuple, même si celui-ci se réfère sans cesse à une alliance unique. La Bible présente une pluralité d'alliances, bâties sur le modèle d'une alliance unique, attestant l'unicité de celle-ci dans la pluralité. C'est la lecture même des textes bibliques qui peut permettre de saisir l'importance de la notion même d'alliance depuis l'époque des patriarches jusqu'à la nouvelle alliance en Jésus-Christ.