En marche vers la liberté

 

Clan par clan, tribu par tribu, les Hébreux commencèrent, après la première Pâque, une très longue marche, avec leurs troupeaux et tous leurs biens. La Bible ne donne guère de détails sur le système social des Hébreux d'Egypte, juste avant ce qui allait être la première grande libération nationale, mais il est plus que probable qu'il devait y avoir un cadre d'organisation de base, selon les clans et les tribus, même si les descendants de Jacob-Israël n'étaient pas dispersés dans la terre d'Egypte. Même s'ils étaient considérés comme des esclaves d'Etat, il semble qu'ils n'étaient pas tout le temps asservis au travail, mais que les autorités pouvaient demander à n'importe quel moment une main d'oeuvre gratuite à la communauté : tout dépendait de la volonté ou du caprice du Pharaon.

On comprend alors pourquoi Moïse et son frère Aaron cherchaient à gagner la confiance des chefs de clan pour convaincre l'ensemble des tribus que leur temps d'esclavage touchait à sa fin. Mais les chefs des tribus eux-mêmes restaient sceptiques, car ils connaissaient trop bien les humeurs changeantes du Pharaon. Il fallut la multiplicité des signes de Dieu pour les convaincre et accepter le dessein de Dieu que Moïse leur expliquait par l'intermédiaire de son frère.

Le Pharaon fut encore plus difficile à convaincre. Il n'était pas question, pour lui, de laisser s'échapper une main d'oeuvre servile, car un tel droit constituerait un précédent dangereux dans l'histoire : n'importe quel groupe d'esclaves pourrait alors revendiquer le même droit, bouleversant totalement le système social de l'Egypte.

Il fallut les dix plaies pour que le Pharaon, affligé lui aussi du chagrin qui frappait toute la population égyptienne, consente à laisser partir le peuple hébreu, le jour de la première Pâque.

La première étape de cette grande évasion conduisit le peuple à Sukkot avant de poursuivre la route en bordure du désert. YHWH les accompagnait sous la forme d'une colonne de nuée pendant le jour pour leur indiquer la route et sous la forme d'une colonne de feu pour les éclairer pendant la nuit. Puis les Hébreux se dirigèrent vers la mer des Roseaux, c'est là qu'ils connurent leur première expérience de triomphe face aux Egyptiens qui s'étaient lancés à leur poursuite. Les descendants d'Israël traversèrent en toute hâte le lit desséché de la mer. Voyant que les eaux avaient laissé la place à une terre assez ferme pour que les fuyards ne s'enfoncent pas, leurs poursuivants égyptiens s'engagèrent immédiatement à leur poursuite. Mais si le sol était assez résistant pour qu'on y puisse marcher, il s'avéra trop mou pour résister aux chars de guerre égyptiens, qui s'enfoncèrent dans la vase, alors que la mer refluait déjà, jetant la panique et la mort dans le camp égyptien.

Après cette victoire, la route de la mer celle qui longe la Méditerranée et qui relie l'Egypte à Damas, pouvait s'ouvrir devant les Israélites... Mais l'Egypte contrôlait le territoire de Canaan, et gagner rapidement une province soumise au contrôle de Pharaon aurait conduit le peuple dans un piège. C'est pourquoi le peuple se tourna vers le Sud, pour rejoindre le désert du Sinaï.

Quand les Israélites virent les Egyptiens morts sur la grève, ils entonnèrent des cantiques d'action de grâce en l'honneur de YHWH, leur moral était au plus haut, ils avaient une pleine confiance en Moïse. Mais cela ne dura guère : en traversant le désert de Sin, ils furent confrontés au grave problème du milieu désertique, celui du manque d'eau. A Mara, ils ne purent trouver qu'une eau amère qu'il leur était impossible de boire, et ils se mirent à murmurer contre Moïse. C'est ainsi que tout se déroulera pendant toute la période de l'Exode ; le peuple réagit sans cesse aux caprices du sort. Quand tout va bien, il a pleine confiance en Moïse, mais quand la chance tourne, c'est le désespoir et la révolte. Cela peut se comprendre au regard de l'origine de ce peuple, il était fait de gens simples, nés dans l'esclavage et qui se trouvaient arrachés à leurs habitudes, une vie pas toujours agréable mais quand même régulière, pour devenir des nomades affrontés à une vie pleine d'imprévu et de danger. Certes ils étaient libérés de la dure servitude et de la bastonnade, mais que pouvait signifier une liberté dans un désert, de chaleur et de froid, de faim et de soif, avec la hantise d'être attaqués par des bandes de nomades pillards ? Les belles promesses de Moïse ne remplissaient pas les ventres vides ni les gosiers desséchés.

Après Mara, Moïse conduisit son peuple vers Elim, une oasis aux douze sources et aux multiples palmiers. C'est là que les tribus d'Israël campèrent. L'étape suivante devait les conduire dans le désert de Sin, où le peuple se trouva à court de vivres. Et les récriminations recommencèrent.

Ils partirent d'Elim et toute la communauté des fils d'Israël arriva au désert de Sin, entre Elim et le Sinaï, le quinzième jour du deuxième mois après leur sortie du pays d'Egypte. Dans le désert, toute la communauté des fils d'Israël murmura contre Moïse et Aaron. Les fils d'Israël leur dirent : Ah ! si nous étions morts de la main du Seigneur au pays d'Egypte, quand nous étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée. Le Seigneur dit à Moise : Du haut du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour la ration quotidienne, afin que je le mette à l'épreuve ; marchera-t-il ou non selon ma loi ? Le sixième jour, quand ils prépareront ce qu'ils auront rapporté, ils en auront deux fois plus que la récolte de chaque jour... J'ai entendu les murmures des fils d'Israël. Parle-leur ainsi : Au crépuscule, vous mangerez de la viande, le matin, vous vous rassasierez de pain et vous connaîtrez que c'est moi le Seigneur, votre Dieu. Le soir même, les cailles montèrent et elles recouvrirent le camp, et le matin, une couche de rosée entourait le camp. La couche de rosée se leva, il y avait quelque chose de fin, de crissant, quelque chose de fin tel du givre sur la terre. Les fils d'Israël regardèrent et se dirent l'un à l'autre : Man hou ? Qu'est-ce que c'est ? car ils ne savaient pas ce que c'était. Moïse leur dit : C'est le pain que le Seigneur vous donne à manger (Ex. 16, 1-15).

Poussant plus loin, le peuple arriva à Réphidim, et l'eau vint encore à manquer. Toutes leurs récriminations finirent par exaspérer Moïse à tel point qu'il en appela à YHWH :

Que dois-je faire pour ce peuple ? Encore un peu, ils vont me lapider. Le Seigneur dit à Moïse : Passe devant le peuple, prends avec toi quelques anciens d'Israël, le bâton dont tu as frappé le fleuve, prends-le en main et va. Je vais me tenir devant toi, là, sur le rocher, en Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l'eau et le peuple boira. Moïse fit ainsi, aux yeux des anciens d'Israël. Il appela ce lieu du nom de Massa et Mériba, Epreuve et Querelle, à cause de la querelle des fils d'Israël, et parce qu'ils mirent le Seigneur à l'épreuve en disant : Le Seigneur est-il avec nous, oui ou non ? (Ex. 17, 4-7).

C'est aussi à Réphidim que les Israélites, sans préparation militaire et sans expérience, durent affronter les Amalécites, bandes de nomades pillards qui parcouraient le Sinaï et les déserts d'Arabie pour détrousser les caravanes de marchands. C'est à l'occasion de cette bataille qu'est mentionné pour la première fois le nom de Josué, fils de Noun, qui va prendre la succession de Moïse, après la mort de ce dernier. C'est Josué, jeune homme vaillant et décidé, sans doute un chef de clan, qui prit la direction des opérations militaires et qui, grâce à l'intercession de Moïse auprès de Dieu, réussit à mettre les Amalécites en déroute sur le champ de bataille.

Puis les Israélites purent reprendre leur route vers le mont Sinaï, encore appelé le mont Horeb, à l'endroit où Moïse avait reçu la révélation de Dieu, alors qu'il gardait les troupeaux de son beau-père, Jéthro. Aucun érudit n'est capable d'identifier avec précision le mont Sinaï, ou Djebel Moussa, même si une ancienne tradition chrétienne fait de ce sommet désolé le lieu où Moïse reçut les dix paroles de Dieu. Au quatrième siècle après Jésus-Christ, pour marquer ce qu'on croyait être le lieu du buisson ardent, l'empereur Constantin fit ériger une chapelle et une tour pour abriter les ermites. Au sixième siècle, Justinien ajouta un complexe monastique et entoura l'ensemble d'un grand mur de granit. Plusieurs siècles plus tard, le bâtiment fut connu sous le nom de monastère de Sainte Catherine.