Le don de la Loi au Sinaï

 

Enfin le peuple d'Israël arriva aux abords du mont Sinaï, la montagne de Dieu...

Le troisième mois après leur sortie du pays d'Egypte, aujourd'hui même les fils d'Israël arrivèrent au désert du Sinaï. Ils partirent de Réphidim, arrivèrent au désert du Sinaï et campèrent dans le désert. Israël campa ici, face à la montagne, mais Moïse monta vers Dieu. Le Seigneur l'appela de la montagne en disant : Tu diras ceci à la maison de Jacob et tu transmettras cet enseignement aux fils d'Israël. Vous avez vu vous-mêmes ce que j'ai fait à l'Egypte, comment je vous ai portés sur des ailes d'aigle et vous ai fait arriver jusqu'à moi. Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples, puisque c'est à moi qu'appartient toute la terre. Et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte. Telles sont les paroles que tu diras aux fils d'Israël. Moïse vint, et il appela tous les anciens du peuple et leur exposa toutes ces paroles, ce que le Seigneur lui avait ordonné. Tout le peuple répondit, unanime : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique. Et Moïse rapporta au Seigneur les paroles du peuple... Or, le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d'un cor très puissant. Dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. Le mont Sinaï n'était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu, sa fumée monta, comme le fumée d'une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s'amplifia. Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre (Ex. 19, 1-19).

Puis Moïse gravit la montagne, tandis que le peuple restait au pied du mont Sinaï. C'est alors qu'il reçut le Décalogue, les dix Paroles de Dieu, improprement appelées les commandements. Les commandements sont au nombre de dix, mais ils ne sont pas numérotés dans la Bible. Des traditions différentes, qui subsistent encore aujourd'hui, offrent des manières différentes de compter :

- la tradition juive regarde le préambule comme étant le premier commandement : ordre de croire en l'existence de Dieu,

- la tradition catholique réunit en un seul commandement les deux prescriptions relatives aux autres dieux et aux images, mais divise en deux le dernier commandement concernant la convoitise,

- une tradition plus ancienne, adoptée par les orthodoxes, les réformés et par certains catholiques, considère que les ordres concernant les autres dieux et les images sont deux commandements et gardent l'unité du commandement relatif à la convoitise.

On est frappé par le caractère négatif de la presque totalité des commandements. Il faut néanmoins remarquer que la formulation négative est peut-être plus positive qu'il n'y paraît au premier abord : elle est plus universelle qu'une simple affirmation. Quand on donne un ordre, toutes les autres possibilités sont exclues, tandis que lorsque l'on pose une interdiction, toutes les autres possibilités sont ouvertes. Pourtant, c'est une déclaration positive qui ouvre le Décalogue, conservé dans le livre de l'Exode et celui du Deutéronome, sous des formes légèrement différentes.

Dieu prononça toutes ces paroles : C'est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d'idoles... Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c'est moi le Seigneur, ton Dieu... Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu, car le Seigneur n'acquitte pas celui qui prononce son nom à tort. Que du jour du sabbat, on fasse un mémorial, en le tenant pour sacré. Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, mais le septième jour, c'est le sabbat du Seigneur, ton Dieu. Tu ne te feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l'émigré que tu as dans tes villes. Car en six jours, le Seigneur a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, mais il s'est reposé le septième jour. C'est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l'a consacré. Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d'adultère. Tu ne commettras pas de rapt. Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain. Tu n'auras pas de visées sur la femme de ton prochain, si sur son serviteur, sa servante, ni rien qui appartienne à ton prochain (Ex. 20, 1-17).

Il a dit : C'est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d'idoles, rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c'est moi le Seigneur, ton Dieu, un Dieu jaloux poursuivant la faute des pères chez les fils et sur trois et quatre générations, s'ils me haïssent, mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations, si elles m'aiment et gardent mes commandements. Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu, car le Seigneur n'acquitte pas celui qui prononce son nom à tort. Qu'on garde le jour du sabbat, en le tenant pour sacré. Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, mais le septième jour, c'est le sabbat du Seigneur, ton Dieu. Tu ne te feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton boeuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes ou l'émigré que tu as dans tes villes, afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi. Tu te souviendras qu'au pays d'Egypte tu étais esclave et que le Seigneur t'a fait sortir d'une main forte et d'un bras étendu : c'est pourquoi le Seigneur ton Dieu t'a ordonné de pratiquer le jour du sabbat. Honore ton père et ta mère, comme le Seigneur ton Dieu te l'a ordonné, afin que tes jours se prolongent et que tu sois heureux sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d'adultère. Tu ne commettras pas de rapt. Tu ne témoigneras pas à tort contre ton prochain. Tu n'auras pas de visées sur la femme de ton prochain, tu ne convoiteras ni la maison de ton prochain, ni ses champs, son serviteur, sa servante, son boeuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton prochain (Dt. 5, 6-21).

L'affirmation de l'unicité absolue de Dieu constitue le noyau de tout le judaïsme, et par suite du christianisme, et même de l'islam. Pour exprimer cette unité, il suffirait de reprendre l'hymne à Dieu que tous les fidèles juifs disent au début de la prière du matin :

Maître de l'univers, tu as régné avant que rien ne fut créé. Quand par ta volonté, tout fut créé, ta royauté fut proclamée. Quand tout aura pris fin, seul, sublime, tu régneras. En gloire, tu fus, tu es et tu seras. Tu es unique et sans second à te comparer ou à t'associer. Sans commencement et sans fin, à toi, la puissance et la domination...

Le maître de l'univers, Dieu des patriarches et de Moïse, Créateur de tout ce qui existe est le Dieu de tous les hommes et il n'en est pas d'autre que lui. L'idée d'unité est un concept très élaboré de l'esprit humain. En effet, il se distingue des autres par son abstraction la plus complète. Et il paraît assez étrange que ce soit un peuple de nomades, sans instruction et sans culture, un peuple qui ne connaîtra pas une civilisation de type analytique et philosophique, qui se soit trouvé à l'origine de la découverte de l'unicité de Dieu. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour justifier cette découverte par un peuple si peu enclin à la recherche spéculative. Certains pensent que le monothéisme serait une excroissance des polythéismes voisins : les peuples qui entouraient Israël et sur qui ils exerçaient une influence aussi bien religieuse que politique adoraient une multitude de dieux, dans des panthéons hiérarchisés, mais ils reconnaissaient aussi un dieu supérieur qui dirigeait le monde. C'était un dieu cosmique qui réglait le sort des dieux et des hommes. Israël aurait adopté la pensée religieuse de Babylone et de l'Egypte pour se forger son idée de l'unité divine. Une seconde hypothèse fait de l'unicité non pas le résultat d'une vision cosmique de l'univers, mais le résultat d'une conception nationale de la religion : le Dieu d'Israël n'aurait été qu'un Dieu parmi les autres, la religion n'aurait été qu'une monolâtrie qui se serait particularisée pour devenir le culte du Dieu plus grand que tous les autres, puis celui du Dieu unique auprès duquel les autres dieux ne sont que néant, du Dieu unique de tous les hommes dont il est le créateur. Ces hypothèses posent l'unité de Dieu comme le résultat d'une très longue évolution.

Le judaïsme récuse ces hypothèses pour affirmer l'unité de Dieu en dehors de tout lien avec l'univers matériel, en dehors de tout lien avec une histoire qui retracerait le destin des dieux de l'humanité. Dieu est Esprit, personne ne peut le voir, même s'il se révèle aux yeux des hommes dans la splendeur de sa création. Un profond fossé existe entre les cultes polythéistes et le monothéisme hébreu qui insiste sur le caractère spirituel de Dieu, qui récuse les aspects mythologiques des divinités étrangères. C'est le sentiment du caractère personnel de Dieu qui excita la colère des prophètes contre toute forme d'idolâtrie. Pour le judaïsme, c'est le Dieu, dont le nom a été révélé à Moïse, qui s'est manifesté aux patriarches et qui commença avec eux l'histoire de l'ensemble du peuple. Les rédacteurs de la Genèse, par exemple, estiment que le Dieu qui s'est révélé aux Pères était YHWH. Ceci ne peut surprendre, car à l'époque où ils rédigent leur texte YHWH était le Dieu unique en Israël, et il était normal qu'ils le considèrent comme le Dieu de leurs ancêtres. Ainsi le nom de YHWH est-il fréquemment noté à côté d'autres noms divins composés de El. Un petit passage de la Genèse contient une véritable collection de noms divins : Par la force de l'Indomptable de Jacob, par le nom du Pasteur, la Pierre d'Israël, par El, ton Père, qu'il te vienne en aide, par le Dieu Puissance (El Shaddaï), qu'il te bénisse (Gen. 49, 24-25).

Comme Dieu personnel, El est attesté aux quinzième et quatorzième siècles à Ougarit, où il occupe le premier rang de tous les dieux. Mais c'est dans les cunéiformes du troisième millénaire que, pour la première fois, on rencontre le mot 'El', employé de deux manières différentes, soit comme nom commun devant le nom d'un dieu (El Enlil, le dieu Enlil), soit comme nom propre (El est grand). Chez les patriarches, et parmi les peuples avec lesquels ils furent davantage en relation, il y a certainement eu un double niveau de croyances religieuses et d'attitudes. D'une part, ils reconnaissaient une divinité nationale et même internationale, dont l'autorité s'étendait sur un horizon de plus en plus large : c'était un dieu lointain, le dieu des cieux qui dominait les autres dieux et les hommes. A ce type de dieu appartenaient Mardouk, du panthéon babylonien, El, le dieu suprême du panthéon cananéen, et YHWH, le dieu du peuple d'Israël. D'autre part, il y avait le dieu tribal, le dieu du clan, le dieu du père de tel ou tel individu de la famille ; plus tard, il sera le dieu des pères, soit la divinité de la totalité d'un clan descendant d'un même père. C'est avec cette divinité que l'on entretenait des rapports intimes : elle se manifestait directement à son peuple. Et c'est dans cette représentation du dieu tribal que la notion d'alliance entre Dieu et son fidèle a pu s'élaborer dans la conscience d'Israël, de façon de plus en plus marquée. Le culte rendu au dieu de la tribu n'entrait sans doute pas en concurrence avec le culte réservé au dieu suprême, les deux cultes étaient complémentaires, l'homme pouvait reconnaître en son dieu personnel le Dieu suprême et transcendant. Il cherchait alors à le rencontrer dans son intimité.

A mesure que YHWH devenait le seul et unique Dieu pour un peuple d'Israël unique, les deux types de divinités se sont confondus et identifiés en un seul Dieu transcendant, maître de l'univers, qui a établi sa royauté avant la création du monde et qui la fera durer jusqu'à la fin des temps. Dans les temps anciens de la religion d'Israël, les patriarches n'étaient pas polythéistes au sens où ils auraient adoré de nombreuses divinités. Mais, polythéistes, ils l'étaient à leur manière, sur un plan pratique et non pas sur un plan théorique. Ils n'ont certainement pas établi de différences entre les noms et les représentations de Dieu. Les ancêtres du peuple d'Israël ont sans doute adopté un monothéisme très souple, avec plusieurs variantes de nomination pour un même Dieu. Et le culte final de YHWH fut simplement le terme d'un processus lent et complexe qui devait aboutir à l'unification des tribus en une nation unique. En fait, c'est la centralisation du culte rendu par les différentes tribus d'Israël qui a contribué à faire de YHWH l'unique Dieu national, lequel présida au rassemblement et à l'unification du peuple.

Le Dieu d'Israël est transcendant et souverain. Ce sont ces deux caractères qui le définissent dans la Bible. YHWH est son nom, lequel est lu Adonaï, le Seigneur, afin de préserver à ce nom divin le caractère sacré que les Ecritures lui attribuent. Chaque fois que le tétragramme divin apparaît dans le texte biblique, le lecteur lui substitue immédiatement le terme de Adonaï. Le nom sacré ne pouvait être prononcé qu'une fois par an à Jérusalem, le jour du Grand Pardon, mais, depuis la destruction du Temple, en l'an 70 de l'ère chrétienne, la véritable prononciation s'est perdue, sans aucune chance d'être retrouvée.

1. L'unicité absolue de Dieu

C'est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir d'Egypte, de la maison de servitude.

C'est le Seigneur Dieu qui parle, celui qui a délivré Israël de la captivité en Egypte et qui s'est manifesté par ses actions. Il rappelle sa présence au milieu de son peuple. Cela conduit pratiquement à refuser le don du Décalogue comme l'octroi pur et simple d'une charte juridique. Tous les commandements découlent presque nécessairement de cette affirmation du préambule du Décalogue.

Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi.

Cette formule ne semble pourtant pas indiquer la négation des autres dieux, au contraire, elle paraît même impliquer l'existence des autres dieux. Dieu ne tolère cependant aucun rival en face de lui. Toute l'histoire d'Israël montre la tentation toujours renouvelée, du peuple à se détourner de l'unique Dieu pour se tourner vers d'autres dieux.

2. L'interdiction des idoles

Tu ne te feras pas d'idoles... Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c'est moi le Seigneur ton Dieu...

L'interdiction porte sur les images ou les représentations que l'homme peut se faire de Dieu à partir des éléments de la nature. Dieu peut très bien se manifester par des phénomènes naturels, mais il n'appartient pas à l'homme de le représenter d'une manière ou d'une autre à partir des objets de la nature. De même, il est interdit au peuple d'Israël de vénérer les dieux étrangers. C'est le caractère de jalousie de Dieu qui punit les pères sur leurs descendants, mais aussi qui pardonne. La grâce de Dieu ne peut pas se mesurer par rapport à la puissance limitée du péché.

3. Le respect du nom de Dieu

Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu, car le Seigneur n'acquitte pas celui qui prononce son nom à tort.

Prononcer ou prendre le nom de quelqu'un, dans la pensée sémitique, c'est littéralement s'emparer de sa personne afin d'en faire ce que l'on veut. Le nom de Dieu ne doit pas être invoqué de manière magique ou dans des formules de malédiction, mais il est possible de faire usage du nom de Dieu dans les bénédictions.

4. L'obligation du sabbat

L'ordre de respecter le sabbat a un caractère rituel qui n'apparaît dans aucun autre commandement. C'est la seule fête religieuse d'obligation. Sanctifier le sabbat, c'est le mettre à part, c'est le consacrer à Dieu à qui tout appartient. Les motivations du respect de ce jour sont différentes dans l'Exode et dans le Deutéronome. Mais l'ordre s'applique à tous, y compris au bétail et à l'étranger qui est admis dans la communauté du peuple : tous doivent avoir la possibilité de célébrer ce jour.

Les grandes variantes entre l'Exode et le Deutéronome viennent surtout de la compréhension de ce jour du sabbat, le jour par excellence, jour du rappel de la création du monde, mais aussi jour de la création du peuple. Aussi dans le cadre de la vie sociale, le respect du sabbat est un commandement très important. Dieu s'est reposé le septième jour de toute la création qu'il avait faite. Le sabbat est fait pour libérer l'homme qui peut ainsi prendre du recul par rapport à la vie trépidante du monde. C'est aussi le rappel de la libération d'Egypte et il devient ainsi le signe de toute forme de libération. En observant le sabbat, Israël est le peuple consacré à Dieu qui restera fidèle à son alliance.

5. Le respect des parents

Honore ton père et ta mère. Le verbe qui indique l'honneur à accorder aux parents implique, en hébreu, l'idée de poids, il signifie : donner de l'importance, glorifier de la gloire qui revient à Dieu. Il s'agit plus que d'un simple devoir d'assistance envers les parents : ils ont une situation privilégiée d'instruments et d'images de Dieu. Dieu est père du peuple, mais il a pour ce peuple un coeur de mère, comme le souligneront les prophètes. Pour donner davantage de poids à cette parole, c'est le seul commandement qui est assorti d'une promesse, celle d'avoir de longs jours et d'être heureux sur la terre promise.

6. L'interdiction du meurtre

Tu ne commettras pas de meurtre. Ce commandement garantit la vie des membres de la communauté des enfants d'Israël contre toutes les atteintes illégale, mais son caractère absolu n'exclut cependant pas des châtiments exemplaires, comme la peine de mort ou la guerre. Le respect dû à la vie humaine vient du fait que toute vie est une image de la vie de Dieu.

7. L'interdiction de l'adultère

Tu ne commettras pas d'adultère. Cet ordre est valable quelle que soit la législation matrimoniale, y compris les cas de polygamie reconnus dans la pratique de l'Ancien Testament. L'adultère était puni de mort.

8. L'interdiction du vol

Tu ne commettras pas de rapt. Cette interdiction porte aussi bien sur les personnes que sur les biens, ce en quoi elle revêt un caractère absolu qui s'exprime alors dans des règles sociales : honnêteté du commerce, équité dans le salaire à verser aux ouvriers et dans le prêt à intérêt. Cette règle a un fondement théologique très important : Dieu est le seul vrai propriétaire de tous les biens du monde, et l'homme n'est qu'un gérant. En conséquence, porter atteinte aux biens des autres, c'est s'attaquer aux biens mêmes de Dieu.

9. L'interdiction du faux témoignage

Tu ne témoigneras pas faussement (à tort) contre ton prochain. Au sens premier, cette interdiction vise le témoignage devant les tribunaux : il est lié à la vie sociale du peuple, notamment dans ses actions de justice pour la défense de l'honneur de chaque membre du peuple, bien avant que dans un second sens il vise à la condamnation directe du mensonge.

10. L'interdiction de la convoitise

Ce dixième commandement présente des nuances selon les deux lectures proposées par les livres de l'Exode et du Deutéronome. Tandis que les autres commandements visent des actes précis dirigés contre les autres, celui-ci vise uniquement les intentions de la conscience personnelle : c'est l'attitude elle-même qui est condamnée bien avant les actes concrets. La convoitise, telle qu'elle est pensée par le terme hébreu, suppose déjà l'accomplissement de l'acte lui-même. Le péché commence par le désir, dans la disposition spirituelle à l'égard du prochain.

En observant les commandements, Israël se constitue comme un peuple consacré à Dieu qui restera fidèle. Dieu nourrit son peuple dans la traversée du désert, par la manne, preuve qu'il est un Dieu qui s'intéresse à ce qui fait le coeur de l'existence. Mais l'alliance de Dieu avec son peuple n'est pas un phénomène unique dans l'histoire d'Israël : elle sera sans cesse renouvelée, et il est même fait mention du caractère obligatoire de ce renouvellement, dès le texte du Deutéronome : chaque fidèle doit être conscient que c'est avec lui personnellement que Dieu fait alliance. Chaque père de famille doit alors transmettre l'intégralité des paroles de Dieu aux générations qui le suivent pour que ces paroles soient vivantes dans le coeur et dans l'esprit de ses enfants et petits-enfants après lui.

Il suffit de s'arrêter quelques instants à la lecture d'un texte, celui d'un discours attribué à Moïse dans le cadre de la révélation de Dieu sur le mont Sinaï. Dans sa brièveté, ce discours rassemble de très nombreuses données.

- Dieu se manifeste à son peuple dans le cadre d'une histoire (passé - présent - avenir).

- Il devient le Dieu de tout le peuple (Dieu des patriarches ou des pères - Dieu de Moïse - votre ou notre Dieu).

- Les commandements représentent la charte même de l'alliance, la Parole de Dieu se concrétise dans la possession d'un territoire précis où le peuple pourra vivre, en pratiquant les commandements et en rappelant à tous ses descendants les actes de Dieu pour son peuple au désert.

Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique : ainsi vous vivrez et vous entrerez en possession du pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. Vous n'ajouterez rien aux paroles des commandements que je vous donne et vous n'enlèverez rien afin de garder les commandements du Seigneur votre Dieu que je vous donne. Vous avez vu de vos yeux ce que le Seigneur a fait à Baal-Péor : tous ceux qui avaient suivi le Baal de Péor, le Seigneur ton Dieu les a exterminés du milieu de toi, tandis que vous, les partisans du Seigneur votre Dieu, vous êtes tous en vie aujourd'hui. Voyez, je vous apprends les lois et les coutumes comme le Seigneur mon Dieu me l'a ordonné pour que vous les mettiez en pratique quand vous serez dans le pays où vous allez entrer pour en prendre possession. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique : c'est ce qui vous rendra sages et intelligents aux yeux des peuples qui entendront toutes ces lois. Ils diront : cette nation ne peut être qu'un peuple sage et intelligent. En effet, quelle grande nation a des dieux qui s'approchent d'elle comme le Seigneur notre Dieu le fait chaque fois que nous l'appelons ? Et quelle grande nation a des lois et des coutumes aussi justes que toute cette loi que je mets devant vous aujourd'hui ? Mais prends garde à toi, garde-toi d'oublier les choses que tu as vues de tes yeux. Durant toute ta vie, qu'elles ne sortent pas de ton coeur. Tu les feras connaître à tes fils et à tes petits fils (Dt. 4, 1-9).

En disposant structurellement ce texte biblique, il est facile de repérer qu'il s'articule autour d'une double invitation :invitation à écouter les commandements et invitation à les faire connaître, en tant qu'ils sont les conditions de l'action salvifique du Seigneur Dieu.

Il ne suffit pas d'écouter ce que dit le Seigneur, il faut mettre en pratique ce qui a été annoncé de génération en génération : celui qui écoute le Seigneur doit transmettre au peuple tout entier les dires de Dieu.

Le verset 5 de ce texte : « Voyez, je vous apprends les lois et les coutumes comme le Seigneur mon Dieu me l'a ordonné pour que vous les mettiez en pratique... » est particulièrement signifiant pour exprimer la transmission de la foi en l'alliance. Il est signifiant puisqu'il indique un déplacement temporel :

- un présent : "je vous apprends" reçoit son sens

- d'un passé : "le Seigneur mon Dieu me l'a ordonné", en vue

- d'un avenir : "pour que vous les mettiez en pratique".

Ce déplacement temporel est également remarquable par le déplacement des sujets :

- "le Seigneur mon Dieu" a ordonné

- "je" est celui qui enseigne dans le présent

- "vous" sera celui qui mettre en pratique.

L'absence de sujet, clairement défini dans le présent et dans l'avenir, montre que ce discours est toujours susceptible d'être repris, d'être replacé dans la bouche de tout homme qui enseigne la Loi, de tout père qui enseigne à ses fils et à ses petits-fils. L'élément stable de tout discours sur l'alliance, c'est "le Seigneur mon Dieu" qui est toujours présent en vue d'un acte que les hommes réaliseront d'eux-mêmes, dans le cas précis : l'entrée dans un pays.

Le Dieu qui se révèle, qui se manifeste aux hommes, n'est pas un Dieu construit abstraitement par quelque métaphysicien, il est un Dieu qui se donne à connaître aux hommes et qui, dans une mesure plus que certain, se livre à eux pour qu'ils le fassent connaître. Le destin même du Dieu d'Israël se trouve ainsi remis entre les mains des croyants : il se fait connaître, mais aussitôt il se retire, car c'est à l'homme qu'il revient de faire connaître Dieu en rappelant les actions qu'il a accomplies. Il y a donc une amplification de la révélation : l'événement fondateur s'éloigne dans le temps, puisque les générations se succèdent, mais l'enseignement demeure dans la permanence de la tradition.

Aucune tradition antique n'a insisté sur la relation de Dieu avec l'homme autant qu'Israël. Dieu n'est plus l'inaccessible, mais celui avec qui l'homme peut travailler. Dès lors, l'homme devient celui qui achève la création divine, en suivant son alliance et sa Loi. Pour des hommes libérés de la servitude, il ne s'agit pas seulement de pratiquer des actes de justice, il s'agit surtout de participer à l'oeuvre de Dieu dans le monde. Puisque Dieu a libéré son peuple, il revient à ce dernier de faire connaître tout ce que YHWH a fait. L'enseignement des merveilles de Dieu est la condition du renouvellement de l'alliance d'une génération à l'autre. Le but de l'éducation, c'est d'instituer un rapport entre l'homme et la sainteté de Dieu, afin de faire comprendre à l'homme pécheur qu'il n'est vraiment libre, vraiment autonome que parce qu'il est soumis à son Créateur.

En observant les commandements, Israël se constitue comme un peuple consacré à Dieu qui restera fidèle. Dieu nourrit son peuple dans la traversée du désert, par la manne, preuve qu'il est un Dieu qui s'intéresse à ce qui fait le coeur de l'existence humaine. La question de la survie dans les conditions les plus éprouvantes de la sécheresse ou du désert, conduit finalement tout homme à se poser la même question : Dieu est-il avec nous ?

Mais si Dieu nourrit son peuple, il l'invite également à répondre à une autre question, tout aussi fondamentale pour l'alliance de Dieu et du peuple : l'homme est-il avec Dieu ? En effet, même après l'épisode du Sinaï, le peuple n'était pas encore prêt à entrer dans le pays que Dieu avait promis de lui donner, car il était encore empreint d'une mentalité d'esclaves.

De plus, il ne suffit pas d'écouter ce que dit le Seigneur, il faut le mettre en pratique et l'annoncer aux générations futures, ainsi le propre de la tradition d'Israël ne se trouve pas simplement situé dans un code législatif, mais bien davantage dans la lecture des événements de l'histoire du peuple comme l'accomplissement du dessein de Dieu dans le cadre de son alliance... Si les actions mises en rapport avec l'accomplissement des commandements ne sont plus les mêmes (car l'histoire n'est pas répétition mais progression), leur rattachement à l'alliance perdure : la foi d'Israël en l'alliance est immuable bien que les manifestations extérieures changent de génération en génération. La spécificité même de l'alliance est de demeurer identique à elle-même dans la succession des événements comme dans la suite des générations. En un certain sens, l'alliance est un signe de la transcendance de Dieu. La grandeur de Dieu, c'est de se lier à la condition humaine : il entre en relation avec l'homme, il prend le parti pour son fidèle. Ce qui fait la grandeur de Dieu, c'est cette dimension de relation qu'il établit entre lui et l'homme, en engageant sa propre fidélité. L'Eternel est entré dans le temps en devenant le partenaire de l'homme, en agissant pour lui tout au long de son histoire.

Mais pendant que Moïse se trouvait sur la montagne de Dieu, le peuple se livrait déjà à l'impiété.

C'est au bout de quarante jours et de quarante nuits que le Seigneur m'a donné les deux tables de pierre, les tables de l'alliance. Alors le Seigneur m'a dit : Lève-toi, descends tout de suite d'ici, car ton peuple s'est corrompu, ce peuple que tu as fait sortir d'Egypte, ils n'ont pas tardé à s'écarter du chemin que je leur avais prescrit, ils se sont fabriqué une statue de métal fondu. Et le Seigneur m'a dit : Je vois ce peuple, eh bien ! C'est un peuple à la nuque raide. Laisse-moi faire, je vais les exterminer, mais je ferai sortir de toi une nation plus puissante et plus nombreuse qu'eux. Je me suis tourné pour descendre de la montagne, cette montagne tout embrasée, en tenant de mes deux mains les deux tables de l'alliance, et j'ai vu : vous aviez péché contre le Seigneur votre Dieu en fabriquant un veau de métal fondu. Vous n'aviez pas tardé à vous écarter du chemin que le Seigneur vous avait prescrit. Alors, j'ai saisi les deux tables, je les ai jetées de mes deux mains, et je les ai brisées sous vos yeux... Je suis tombé la face à terre devant le Seigneur, car le Seigneur avait parlé de vous exterminer et j'ai dit : Seigneur Dieu, ne détruis pas ton peuple, ton héritage que tu as racheté dans ta grandeur et que tu as fait sortir d'Egypte par la force de ta main. Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob, ne fais pas attention à l'obstination de ce peuple, à son impiété, à son péché. Qu'on ne dise pas dans le pays dont tu nous as fait sortir : le Seigneur n'était pas capable de les faire entrer dans le pays qu'il leur avait promis et il les haïssait, c'est pourquoi il les a fait sortir pour les faire mourir au désert. C'est pourtant ton peuple, ton héritage que tu as fait sortir par ta grande force et ton bras étendu (Dt. 9, 11-20).

Malgré les murmures et les refus de son peuple, YHWH lui pardonne et Moïse reçoit une nouvelle fois le texte des paroles de Dieu, qui seront gravées sur la pierre et enfermées dans l'arche d'alliance qui accompagnera désormais les enfants d'Israël dans leurs pérégrinations.