La conquête du pays sous les ordres de Josué

 

Josué, le fils de Noun, déjà mentionné aux débuts de la conquête de la Terre Promise, par l'expédition au pays de Canaan, a été désigné par Moïse comme son successeur, dans le Deutéronome, au moment où Moïse faisait ses adieux au peuple qu'il avait mené pendant quarante ans dans le désert.

Puis Moïse vint adresser ces paroles à tout Israël : J'ai aujourd'hui cent vingt ans, je ne suis plus capable de tenir ma place, et le Seigneur m'a dit : Tu ne passeras pas ce Jourdain que voici ! C'est le Seigneur ton Dieu qui va passer devant toi, c'est lui qui exterminera ces nations de devant toi et les dépossédera. Et c'est Josué qui va passer devant toi comme le Seigneur te l'a dit... Puis Moïse appela Josué et devant tout Israël, il lui dit : Sois courageux et résistant, car c'est toi qui entreras avec ce peuple dans ce pays que le Seigneur a juré à leurs pères de leur donner, c'est toi qui les feras hériter de ce pays. C'est le Seigneur qui marche devant toi, c'est lui qui fera avec toi, il ne te délaissera pas, il ne t'abandonnera pas ; ne crains pas, ne te laisse pas abattre... (Dt. 31, 1-3, 7-9)

Après la mort de Moïse, toujours dans le livre du Deutéronome, le peuple accepte l'autorité de Josué : Les fils d'Israël pleurèrent Moïse dans les steppes de Moab pendant trente jours. Puis les jours de pleurs pour le deuil de Moïse s'achevèrent. Josué, fils de Noun, était rempli d'esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains, et les fils d'Israël l'écoutèrent pour agir suivant les ordres que le Seigneur avait donnés à Moïse (Dt. 34 7-8).

Le livre qui porte le nom de Josué, même si ce dernier n'en est évidemment pas l'auteur, retrouve la diversité de sources qui a caractérisé le Pentateuque, à tel point que certains exégètes à la suite de Wellhausen finissent par se demander s'il ne conviendrait pas de penser plus avantageusement d'Hexateuque. C'est l'opinion à laquelle se rattache von Rad, dans sa Théologie de l'Ancien Testament. Mais une orientation nouvelle a été donnée par les travaux de Alt et de Noth qui tiennent non seulement à une fidélité à la critique littéraire mais aussi à l'archéologie et à l'histoire des traditions. Il semble à ces auteurs qu'il faille rattacher le livre de Josué à la tradition deutéronomiste qui se poursuit jusqu'au livre des Rois, qui aurait donc finalement composé ce livre qu'après 587, à la lumière du Deutéronome. La tradition sacerdotale se serait contentée d'y apporter quelques additions et retouches.

Ce livre rapporte la conquête de Canaan en donnant l'impression que celle-ci fut facile et rapide, même si les données de l'histoire permettent plutôt de penser que ce n'est que très progressivement que les tribus ont réussi à s'infiltrer dans ce qui sera leur pays : la conquête s'est étendue sur une très longue période, mais elle est perçue par le rédacteur du livre comme un événement providentiel qui concrétise l'alliance de Dieu avec son peuple. En réalité, c'est le moment de cette conquête qui peut être perçu comme providentiel. Les grandes puissances ont perdu de leur importance : les Hittites et les Egyptiens ont cessé de se battre, les Assyriens ne constituent pas encore un danger pour Israël et les Philistins, peuple de la mer, ne manifesteront leur hostilité qu'au temps des Juges. Le rédacteur définitif du livre a poussé à l'extrême la vision de la grandeur du pays afin de souligner l'importance de l'héritage reçu de Dieu qu'Israël a dilapidé au cours de son histoire.

Le plan du livre présente d'abord la conquête (Jos. 1 à 12), le partage du pays entre les tribus (Jos. 13 à 21), puis le renouvellement de l'alliance à Sichem (Jos. 22 à 24). Le livre commence par l'investiture de Josué afin de signifier le lien qui l'unit au dernier livre de la Torah :

Il arriva qu'après la mort de Moïse, le serviteur du Seigneur, le Seigneur dit à l'auxiliaire de Moïse, Josué, fils de Noun : Moïse, mon serviteur, est mort, maintenant donc, lève-toi, traverse le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne, aux fils d'Israël. Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous l'ai donné comme je l'ai dit à Moïse, depuis le désert et le Liban que voici jusqu'au grand fleuve, l'Euphrate, tout le pays des Hittites, et jusqu'à la grande Mer, au soleil couchant, ce sera votre territoire. Personne ne pourra te résister tout au long de ta vie. Comme j'étais avec Moïse, je serai avec toi, je ne te ferai pas défaut, je ne t'abandonnerai pas. Sois fort et courageux car c'est toi qui donnera en héritage à ce peuple le pays que j'ai juré à leurs pères de leur donner. Oui, sois fort et très courageux, veille à agir selon toute la Loi que t'a prescrite Moïse, mon serviteur. Ne t'en écarte pas ni à droite ni à gauche afin de réussir partout où tu iras. Ce Livre de la Loi ne s'éloignera pas de ta bouche, tu le murmureras jour et nuit afin de veiller à agir selon tout ce qui s'y trouve écrit, alors tu réussiras. Ne te l'ai-je pas prescrit : sois fort et courageux. Ne tremble pas, ne t'effraie pas, car le Seigneur ton Dieu sera avec toi partout où tu iras (Jos. 1, 1-9).

Ce prologue relie donc l'oeuvre que Josué est appelé à accomplir à celle de Moïse, serviteur de Dieu par excellence, tandis que Josué n'est que l'auxiliaire de Moïse. C'est néanmoins lui qui décidera la conquête en donnant les premiers ordres pour passer le Jourdain aux différentes tribus qui les acceptent et renouvellent leur attachement à Dieu, promettant, sous peine de mort, d'accomplir ce que Josué leur commandera.

La première mission que Josué confie s'apparente d'une part à de l'espionnage et d'autre part à l'exaltation de la foi d'une femme qui connaît l'action de Dieu en faveur de son peuple. Alors que Moïse avait envoyé des explorateurs en terre de Canaan à partir de Cadès, Josué envoie secrètement deux hommes qui parviennent facilement dans Jéricho où ils sont accueillis dans la maison d'une prostituée nommée Rahab. Flavius Josèphe et la tradition du Targum en font plutôt une aubergiste, tout en soulignant également sa foi et son dévouement à le cause des fils d'Israël. Le roi de Jéricho, ayant appris la présence d'étrangers chez Rahab, lui envoie dire de les livrer puisqu'il les soupçonne d'espionnage. Rahab, convaincue de la puissance du Dieu d'Israël qui e fait sortir son peuple d'Egypte et qui leur a donné la victoire sur les rois des pays d'au-delà du Jourdain : Je sais que le Seigneur vous a donné le pays, que l'épouvante s'est abattue sur nous et que tous les habitants du pays ont tremblé devant vous car nous avons entendu dire que le Seigneur a séché devant vous la mer des Joncs lors de votre sortie d'Egypte et ce que vous avez fait aux rois des Amorites au-delà du Jourdain, que vous avez voués à l'interdit. Nous l'avons entendu et notre courage a fondu, chacun a le souffle coupé devant vous, car le Seigneur votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre (Jos. 2, 8-11).

Rahab les cache sous les tiges de lin étalées pour séchage sur sa terrasse et lance les enquêteurs sur une fausse piste, prétextant que ces hommes ont déjà quitté sa maison. Elle fait fuir les deux hommes dans une direction différente de celle qu'elle avait indiquée à leurs poursuivants, après leur avoir demandé pour elle et les siens la vie sauve lorsque les Israélites pénétreront dans la ville. In signe leur est proposé par les explorateurs : un cordon écarlate à la fenêtre. Le rapport qu'ils feront à Josué est résolument optimiste : Vraiment le Seigneur a livré tout le pays entre nos mains et même tous les habitants du pays ont tremble devant nous (Jos. 2, 20).

La promesse de protection de la famille de Rahab sera tenue lors de la prise de Jéricho. La tradition talmudique rapporte que Josué épousera Rahab. Dans leur descendance on trouverait des prophètes tels que Jérémie et Ezéchiel et l'évangéliste Matthieu la mentionne même dans la généalogie de Jésus (Mt. 1, 5), selon lui, Rahab aurait été la mère de Booz qui épousa Ruth, et devenant ainsi l'aïeule du roi David, ancêtre du Christ. Le stratagème de la fuite par la fenêtre sera utilisé ultérieurement au profit du roi David et à celui de Paul...

Avant d'entrer en Terre promise le peuple doit traverser le Jourdain. Ce sera un événement religieux rappelant le passage de la Mer Rouge, lors de la sortie d'Egypte : le peuple marche en procession derrière l'arche d'alliance, les eaux du fleuve s'arrêtent en amont dés que les porteurs de l'arche y trempent les pieds, et elles se dressent comme un mur, le peuple traverse le Jourdain à pied sec. Quand le peuple a traversé les eaux reprennent leur cours normal et les fils d'Israël établissent leur campement à Guilgal, reconnaissant que c'est bien le Seigneur qui les a conduits jusqu'en Terre promise : le passage du Jourdain s'inscrit ainsi sous le signe de l'alliance, alliance qui sera marquée par la circoncision des fils d'Israël. Celle-ci n'avait pas été pratiquée pendant les quarante années de séjour dans le désert. En effet, elle nécessite plusieurs jours d'immobilisation, ce qui aurait été incompatible avec les incertitudes de la progression ou des haltes dans le désert... Le fait de procéder à cette circoncision paraît politiquement inopportun puisqu'il pouvait paraître nécessaire de combattre immédiatement et d'entrer à Jéricho par la force des armes. Cet arrêt jusqu'à la complète guérison signifie que c'est de Dieu seul que dépend la victoire sur les ennemis et que c'est par leur obéissance que les fils d'Israël expriment la reconnaissance de l'alliance. L'alliance est encore marquée par une célébration solennelle de la Pâque. Et cette célébration se fait alors que les Israélites peuvent profiter des produits du pays : 

Les fils d'Israël campèrent à Guilgal et firent la Pâque au quatorzième jour du mois, le soir, dans les steppes de Jéricho. Et ils y mangèrent des produits du pays, le lendemain de la Pâque, des pains sans levain et des épis grillés en ce jour même. Et la manne cessa le lendemain quand ils eurent mangé des produits du pays. Il n'y eut plus de manne pour les fils d'Israël qui mangèrent de la production du pays de Canaan cette année-là (Jos. 5, 10-12).

La conquête effective commence par un nouveau signe miraculeux, ou du moins par une vision de Josué : le chef de l'armée céleste lui apparaît, l'épée dégainée à la main. Ce signe montre que la victoire sur les ennemis ne revient pas au génie militaire de Josué mais qu'elle revient h Dieu seul. Cet envoyé du Seigneur révèle â Josué que la terre qu'il foule est sainte ; l'ordre qui lui est donné de se déchausser rappelle nettement le même ordre qui fut donné à Moise lors de la manifestation de Dieu au Sinaï, dans le buisson ardent. La prise de Jéricho pourra alors commencée : elle se traduit par une véritable liturgie guerrière : 

Jéricho était fermée et enfermée â cause des fils d'Israël : nul ne sortait et nul n'entrait. Le Seigneur dit à Josué : vois, je t'ai livré Jéricho et son roi, ses hommes valides. Et vous, tous les hommes de guerre, vous tournerez autour de la ville, faisant le tour de la ville une fois ; ainsi feras-tu six jours durant. Sept prêtres porteront les sept cors de bélier devant l'arche. Le septième jour, vous tournerez autour de la ville sept fois et les prêtres sonneront du cor. Quand retentira la corne de bélier, quand vous entendrez le son du cor, tout le peuple poussera une grande clameur, le rempart de la ville tombera sur place et le peuple montera chacun devant soi (Jos. 6, 1-5).

La ville de Jéricho, ville des Palmiers, était bien défendue par des murailles épaisses. Et selon les indications données par Dieu à Josué, une impressionnante procession s'effectue autour de la ville pendant sept jours : sept prêtres portant le "chofar" (trompe faite dans une corne de bélier dans laquelle on souffle et qui produit un mugissement quelque peu effrayant) précédent l'arche d'alliance, et le peuple suit. Pendent six jours, on fait chaque fois un tour de la ville, le septième jour, on fait sept fois le tour et au dernier tour au son du chofar se joint la clameur du peuple : les murailles s'écroulent. Les fouilles effectuées à Jéricho montrent que les murs de la ville se sont effondrés vers l'extérieur, alors que sous la poussée des béliers - dans une ville normalement assaillie, c'est vers l'intérieur qu'ils tombent. II y a donc eu vraisemblablement un tremblement de terre, ce qui manifesterait ainsi le caractère surnaturel de l'événement : c'est Dieu qui agit dans la prise de la ville. Aussi, à part la famille de Rahab, la ville est vouée à l'anathème :

La ville sera vouée à l'interdit pour le Seigneur, elle et tout ce qui s'y trouve. Seule, Rahab, la prostituée vivra, elle et tous ceux qui seront avec elle dans la maison, car elle e caché les messagers que nous avions envoyés. Quant à vous, prenez bien garde à l'interdit de peur que, ayant voué la ville à l'interdit, vous ne preniez de ce qui est interdit, que vous ne rendiez interdit le camp d'Israël et que vous ne lui portiez malheur. Tout l'argent, l'or et les objets de bronze et de fer, tout cela sera consacré au Seigneur et entrera dans le trésor du Seigneur... Ils vouèrent à l'interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l'homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l'âne, les passent tous au tranchant de l'épée (Jos. 6, 17...21).

La ville se trouve soumise à une malédiction qui fait que Dieu détruit tout ce qui s'y trouve : l'homme ne doit rien garder pour lui mais tout consacrer au véritable vainqueur. Ce rite était pratiqué aussi par d'autres peuples. Selon la tradition deutéronomique, l'interdit ne fut que rarement appliqué de manière absolue : généralement, les Israélites pouvaient garder le bétail des villes conquises, la mise à mort des habitants vise à éviter la contamination avec les cultes idolâtriques (ce fut une prescription théorique rarement appliquée même lors de la conquête). Par rapport à cette loi, le clan de Rahab constitue une exception que le rédacteur justifie en invoquant la foi de cette femme et l'aide qu'elle a apportée à Israël. La ville de Jéricho fut incendiée, ce dont on trouve également des traces dans les fouilles qui manifestent qu'elle a été brûlée en pleine activité. Josué interdit alors par serment de rebâtir la ville :

Josué fit prononcer ce serment : Maudit soit devant le Seigneur l'homme qui se lèvera pour rebâtir cette ville. C'est au prix de son aîné qu'il l'établira, au prix de son cadet qu'il en fixera les portes (Jos. 6, 26). Cette parole se trouve accomplie dans le premier livre des Rois : De son temps (celui d'Akhab, roi d'Israël), Hiel de Béthel fortifia Jéricho : au prix d'Aviram, son fils premier-né, il en posa les fondations, et au prix de Segouv, son cadet, il en fixe les portes, selon la parole que le Seigneur avait dite par l'intermédiaire de Josué, fils de Noun (1 R. 16, 34).

Jéricho a cessé d'être une ville fortifiée, mais son site était toujours habité. Sa reconstruction devait protéger la frontière orientale contre les poussées des Moabites. La mort des deux fils du constructeur soulève alors deux interprétations : ou bien Hiel aurait sacrifié et enseveli ses fils sous les fondements des murs et des portes de Jéricho, mais une telle pratique n'est pas attestée avec certitude en Canaan, ou bien leur mort fut naturelle et puisqu'elle coïncidait avec le période des travaux, on y aurait vu la réalisation de la parole prophétique de Josué.

Commencée avec un tel succès, la conquête pouvait sembler alors facile eux enfants d'Israël. Mais tel ne fut pas le cas, en raison d'une violation de la loi de l'interdit. Une première expédition contre la ville de Aï se solde par un échec malgré les renseignements favorables rapportés par des explorateurs. Les miracles de Dieu ne s'accomplissent pas de manière automatique, ils impliquent une obéissance absolue aux ordres reçus et la violation de l'interdit prononcé contre Jéricho impliquera cette première défaite : les hommes de Aï massacrent les attaquants et le courage des fils d'Israël "fondit et coula comme de l'eau" (Jos. 7, 5).

Le rédacteur a soin de montrer une nouvelle fois que Josué se situe bien dans la lignée de Moïse, puisqu'il lui fait accomplir des gestes et prononcer de paroles qui ne sont pas sans rappeler les interventions de Moïse auprès de Dieu pour que celui-ci prenne pitié de son peuple à la nuque raide. Josué accomplit des rites de purification qui s'apparentent au rituel du deuil : déchirer ses vêtements, tomber la face contre terre, se jeter de la poussière sur la tête. Pendant cette liturgie pénitentielle, Josué plaide la cause de son peuple en reprenant les arguments de Moise pendant le séjour dans le désert : 

Ah ! Seigneur Dieu, pourquoi as-tu poussé ce peuple a traversé le Jourdain ? Est-ce pour nous livrer à la main de l'Amorite et nous faire périr ? Si encore nous avions décidé de nous établir au-delà du Jourdain : Je t'en prie, Seigneur, que dirai-je maintenant qu'Israël a tourné le dos devant ses ennemis ? Les Cananéens et tous les habitants du pays l'apprendront, ils se tourneront contre nous et ils retrancheront notre nom du pays. Que pourras-tu faire alors pour ton grand nom ? Le Seigneur dit à Josué : Lève-toi ! Pourquoi tombes-tu sur ta face ? Israël a péché : oui, ils ont transgressé mon alliance, celle que je leur avais prescrite ; oui, ils ont pris de ce qui était interdit, ils en ont même volé, camouflé, mis dans leurs affaires. Les fils d'Israël ne pourront pas faire face à leurs ennemis, ils tourneront le dos devant leurs ennemis, car ils sont frappés d'interdit. Je cesserai d'être avec vous si vous ne supprimez pas l'interdit qui est au milieu de vous (Jos. 7, 7-12).

Une mise en scène avec tirage au sort révèle le nom du coupable qui est lapidé et brûlé. Alors Dieu revint de sa colère et permit la prise de la ville de Aï grâce à une ruse de guerre : les Israélites se répartissent en deux groupes. Le premier groupe, Josué en tête, se charge d'attirer les troupes loin de la ville en simulant la fuite tandis que le second groupe les prenait a revers. La villa de Aï (dont le nom signifie : tas de pierres ou ruines) est brûlée et ses habitants massacrés. Contrairement à ce qui a été ordonné peur Jéricho, le peuple est autorisé à prendre comme butin le bétail et les dépouilles de la ville. Ensuite, bien que cela ne soit pas mentionné explicitement dans le livre de Josué, le peuple se dirige vers Sichem (qui ne sera sans doute que simplement neutralisée), C'est sur cette montagne que se déroulent des rites religieux : érection d'un autel pour y offrir des holocaustes et des sacrifices de paix, copie sur de la pierre de la Loi, lecture solennelle de toutes les paroles de Dieu, bénédiction du peuple. Tout cela réalise l'ordre reçu de Dieu par Moïse : Quand le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays où tu entres pour en prendre possession, alors tu placeras la bénédiction sur le mont Garizim et la malédiction sur le mont Ebal - c'est au-delà du Jourdain, au bout de la route du couchant dans le pays du Cananéen qui habite dans la Araba, en face du Guilgal, à côté des chênes de Moré. Car vous allez passer le Jourdain pour aller prendre possession du pays que le Seigneur votre Dieu vous donne : vous en prendrez possession et vous y habiterez Et vous veillerez à mettre en pratique toutes les lois et les coutumes que je mets devant vous aujourd'hui (Dt. 11 28-32).

Après les victoires de Jéricho et de Aï, les ennemis d'Israël se coalisent. Par ruse, les Gabaonites obtiennent de Josué un traité, qui leur permet d'échapper à l'extermination après la découverte de leur stratagème. Ils devront fendre le bois et puiser l'eau pour la communauté. C'est Adonisédeq, roi de Jérusalem, qui prend l'initiative d'une coalition contre Israël pour se venger des Gabaonites. C'est la première fois dans la Bible (Jos. 10, i) que le nom de Jérusalem se trouve mentionné : la ville restera sous la domination des Cananéens jusqu'à l'époque de David qui en fera sa capitale. Josué triomphe de cette coalition, mais c'est la puissance de Dieu qui agit pour lui permettre de triompher de ses ennemis : Or tandis qu'ils fuyaient devant Israël et qu'ils se trouvaient dans la descente de Beth-Horôn, le Seigneur lança des cieux contre eux de grosses pierres jusqu'à Azéqua et ils moururent. Plus nombreux furent ceux qui moururent par les pierres de grêle que ceux que les fils d'Israël tuèrent par l'épée. Alors Josué parla au Seigneur en ce jour où le Seigneur avait livré les Amorites aux fils d'Israël et dit en présence d'Israël : Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Lune, sur la vallée d'Ayyalon ! Et le soleil s'arrêta et la lune s'immobilisa jusqu'à ce que la nation se fût vengée de ses ennemis. Cela n'est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le soleil s'immobilisa au milieu des cieux et il ne se hâta pas de se coucher pendant près d'un jour entier. Ni avant ni après, il n'y eut de jour comparable à ce jour où le seigneur obéit à un homme, car le Seigneur combattait pour Israël (Jos. 10, 11-15).

Pour célébrer la victoire de Josué, le rédacteur utilise une exaltation poétique, bien plus qu'il ne souligne un miracle proprement dit qui aurait arrêté le cours des astres. Tout ce qu'il cherche à montrer, en utilisant un extrait du "Livre du Juste" (recueil de poèmes inconnus mises à part deux citations dans les livres bibliques), c'est que Dieu combat pour Israël. La conquête du pays peut alors se poursuivre.

Josué a été fidèle au mandat divin transmis par Moïse et le douzième chapitre du livre de Josué dresse la liste de tous les rois vaincus pendant cette conquête. Alors qu'il est devenu "vieux et avancé en âge", Josué reçoit l'ordre de Dieu de procéder au partage du pays entre les tribus d'Israël. Les tribus de Ruben, de Gad, et la demi-tribu de Manassé ont déjà un territoire à l'est du Jourdain. A l'ouest, un premier partage fixe le territoire de Juda et de Caleb, d'Ephraïm et de Manassé. A Silo, après une inspection du reste du pays, les sept autres tribus reçoivent leur part. Pour terminer cette partition du pays, le rédacteur souligne l'accomplissement des promesses : Le Seigneur donna à Israël tout le pays qu'il avait juré de donner à leurs pères, ils en prirent possession et s'y établirent. Le Seigneur leur accordé le repos de tous côtés, selon ce qu'il avait promis à leurs pères. Aucun de tous leurs ennemis ne put tenir devant eux : le Seigneur leur livre tous leurs ennemis. De toutes les excellentes paroles qu'avait dites le Seigneur à la maison d'Israël, pas une seule ne faillit ; toutes s'accomplirent (Jos. 21 49-45.).

Josué donne alors congé aux tribus transjordaniennes qui érigent un autel sur les bords du Jourdain, en mémorial de leur appartenance au peuple d'Israël installé en Cisjordanie. Suivent alors les dernières recommandations de Josué, son testament :

Je suis vieux et avancé en âge. Vous-mêmes, vous avez vu tout ce que le Seigneur votre Dieu a fait contre toutes ces nations à cause de vous, car c'est le Seigneur votre Dieu qui a combattu pour vous. Voyez, j'ai fait échoir en héritage pour vos tribus ces nations qui subsistent ainsi que toutes les nations que j'ai abattues depuis le Jourdain jusqu'à la grande Mer au soleil couchant. Le Seigneur votre Dieu lui-même les repousse à cause de vous et les dépossède devant vous de sorte que vous prendrez possession de leur pays, comme le Seigneur votre Dieu vous l'a dit. Soyez donc très forts et veillez à agir selon tout ce qui est écrit dans le livre de la Loi de Moïse, sans vous en écarter ni à droite ni à gauche. N'entrez pas chez ces nations qui subsistent auprès de vous, ne faites pas mémoire du nom de leurs dieux, ne jurez pas par eux, ne les servez pas et ne vous prosternez pas devant eux... Prenez donc bien garde à vous-mêmes : aimez le Seigneur votre Dieu. Mais si vous vous détournez et vous vous attachez au reste des nations qui subsistent auprès de vous, si vous contractez des mariages avec elles, si vous allez chez elles et qu'elles viennent chez vous, sachez bien que le Seigneur votre Dieu ne continuera pas de déposséder ces nations devant vous ; elles seront pour vous un filet et un piège, un fouet contre vos flancs et des épines dans vos yeux jusqu'à ce que vous disparaissiez de cette bonne terre que vous a donnée le Seigneur votre Dieu. Voici que je m'en vais aujourd'hui comme s'en va toute chose terrestre, mais vous, reconnaissez de tout votre coeur et de tout votre être que pas une parole n'a failli de toutes ces excellentes paroles qu'avait dites le Seigneur votre Dieu. Tout vous est arrivé, il n'est pas une seul de ces paroles qui ait failli... Si vous transgressez l'alliance du Seigneur votre Dieu alliance qu'il vous a prescrite, et si vous allez servir d'autres dieux et vous prosterner devant eux, la colère du Seigneur s'enflammera contre vous et vous disparaîtrez rapidement du bon pays qu'il vous a donné (Jos 23, 2...16.).

Le rédacteur fait percevoir que la profession de foi d'Israël est liée à la possession de la terre : demeurer dans la terre promise par Dieu aux ancêtres est le signe de la fidélité du peuple à son Dieu qui conduit l'histoire, mais, paradoxalement, le déroulement de l'histoire dépend de la fidélité de l'homme. C'est toujours Dieu qui agit en fidélité à l'alliance conclue, mais c'est l'homme qui peut rompre cette alliance en se mêlant aux nations païennes (par des mariages) ou en servant leurs dieux. Dans ce cas, de graves menaces pèsent sur Israël. Ces exhortations sont suivies d'une réunion solennelle de l'ensemble du peuple à Sichem pour un renouvellement de l'alliance :

Josué réunit toutes les tribus d'Israël à Sichem et il convoqua les anciens d'Israël, ses chefs, ses Juges et ses fonctionnaires : ils se présentèrent devant Dieu. Josué dit à tout le peuple : Ainsi parle le Seigneur, Dieu d'Israël. C'est de l'autre côté du fleuve qu'ont habité autrefois Térah, père d'Abraham et père de Nahor, et ils servaient d'autres dieux. Je pris votre père Abraham de l'autre côté du fleuve et je le conduisis à travers tout le pays de Canaan, je multipliai sa postérité et je lui donnais Isaac. Je donnai à Isaac Jacob et Esaü et je donnai en possession à Esaü la montagne de Seïr. Mais Jacob et ses fils descendirent en Egypte. Puis j'envoyai Moïse et Aaron et je frappai l'Egypte par mes actions au milieu d'elle, ensuite je vous fis sortir. J'ai fait sortir vos pères d'Egypte et vous êtes arrivés jusqu'à la mer. Les Egyptiens ont poursuivi vos pères jusqu'à la Mer des Joncs avec des chars et des cavaliers. Vos pères crièrent vers le Seigneur qui plaça des ténèbres entre vous et les Egyptiens, il fit venir sur eux la mer qui les recouvrit. Vos yeux ont vu ce que j'ai fait à l'Egypte. Vous avez habité dans le désert pendant de longs jours. Je vous ai emmenés au pays des Amorites qui habitent au-delà du Jourdain, mais ils vous firent la guerre. Je vous les livrai et vous avez pris possession de leur pays, je les ai supprimés devant vous. Balaq, fils de Cippor, roi de Moab, surgit pour faire la guerre à Israël. Il envoya chercher Balaam, fils de Béor, afin de vous maudire. Mais je ne voulus pas écouter Balaam, il dut vous bénir et je vous délivrai de sa main. Vous avez traversé le Jourdain et vous êtes arrivés à Jéricho. Les maîtres de Jéricho vous firent la guerre... mais je vous les livrai... Je vous ai donné un pays où tu n'avais pas peiné, des villes que vous n'aviez pas bâties et dans lesquelles vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n'aviez pas plantés et vous en mangez les fruits !Maintenant donc, craignez le Seigneur et servez-le avec intégrité et fidélité. Ecartez les dieux qu'ont servi vos pères de l'autre côté du fleuve et en Egypte et servez le Seigneur. Mais s'il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir, soit les dieux qu'ont servis vos pères lorsqu'ils étaient au-delà du fleuve, soit les dieux des Amorites dans le pays desquels vous habitez. Moi et ma maison, nous servirons le Seigneur. Le peuple répondit : Loin de nous la pensée d'abandonner le Seigneur pour servir d'autres dieux ! Car c'est le Seigneur qui est notre Dieu, lui qui nous a fait monter, nous et nos pères, du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Il a opéré sous nos yeux les grands signes que voici : il nous a gardés tout au long du chemin que nous avons parcouru et parmi tous les peuples au lieu desquels nous avons passé. Le Seigneur a chassé devant nous tous les peuples... Nous aussi, nous servirons le Seigneur, car c'est lui qui est notre Dieu. Josué dit au peuple : vous ne pourrez pas servir le Seigneur, car c'est un Dieu saint, c'est un Dieu jaloux qui ne supportera pas vos révoltes et vos péchés. Lorsque vous abandonnerez le Seigneur et servirez les dieux étrangers, il se tournera contre vous pour vous faire du mal, il vous consumera après vous avoir fait du bien. Le peuple dit à Josué : Non, car nous servirons le Seigneur ! Josué dit au peuple : vous êtes témoins contre vous-mêmes que c'est vous qui avez choisi le Seigneur pour le servir. Ils répondirent : Nous en sommes témoins. - Maintenant donc, écartez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous et inclinez votre coeur vers le Seigneur, Dieu d'Israël. Le peuple répondit à Josué : nous servirons le Seigneur, notre Dieu, nous obéirons à sa voix. Josué conclut une alliance avec le peuple en ce jour-là, il lui imposa des lois et des coutumes à Sichem. Josué écrivit ces paroles dans le livre de la Loi de Dieu. Il prit une grande pierre qu'il fit dresser là, sous le chêne dans le sanctuaire du Seigneur. Josué dit à tout le peuple : Voici, cette pierre servira de témoignage contre nous, car elle a entendu tous les propos du Seigneur lorsqu'il a parlé avec nous, elle servira de témoignage contre vous, de peur que vous ne déceviez votre Dieu (Jos. 24, 1-27).

Dieu a accompli ses promesses, au peuple de tenir ses engagements dans la crainte, l'obéissance et le service de Dieu, en excluant toute forme d'idolâtrie. Car c'est là que réside l'éternelle tentation d'Israël, tentation à laquelle il ne saura pas toujours résister au cours de son histoire... L'oeuvre de Josué est terminée : Il a réparti les tribus d'Israël sur toute l'étendue du territoire occupé, il a organisé la vie politique et religieuse du pays en une fédération des tribus. Toutefois, l'histoire profane donne à penser que les tribus ne se sont infiltrées en Canaan que très lentement : la conquête a été longue. Chaque tribu vit de manière indépendante sur le sol qu'elle occupe en abandonnant peu à peu la vie nomade pour se sédentariser. La constitution politique était assez faible. Un seul point les unissait : leur histoire commune, fondée sur la reconnaissance d'un même Dieu qui avait libéré tout le peuple de la servitude. Chaque village formait une communauté Indépendante, dirigée par les anciens qui réglaient les problèmes qui pouvaient se faire jour entre les différents membres. Parfois une personnalité plus remarquable peut faire respecter son autorité sur une région plus vaste en rappelant a fidélité à YHWH au moment où les fils d'Israël se tournaient volontiers vers les cultes des dieux locaux, comme Baal et Astarté : ce sera l'oeuvre des Juges.

Josué meurt à cent dix ans et il est enterré dans la ville qu'il avait reçue en partage. C'est à cette même époque que meurt le prêtre Eléazar, le fils d'Aaron et l'associé de Josué. Le livre de Josué mentionne alors le fait que les ossements de Joseph sont également enterrés dans la terre promise : Quant aux ossements de Joseph que les fils d'Israël avaient emportés d'Egypte, on les ensevelit à Sichem, dans la portion de champ que Jacob avait achetée pour cent pièces d'argent aux fils de Hamor, père de Sichem ; ces ossements entrèrent dans l'héritage des fils de Joseph. (Jos. 24, 32).

La pièce de terre que Jacob avait achetée est ainsi présentée comme la préfiguration de la conquête de la terre promise. Et la ville de Sichem jouera un rôle de premier plan dans la suite de l'histoire d'Israël.