Vicissitudes de l'histoire d'un peuple

 

Histoire et religion se compénètrent

L'histoire et la religion d'Israël sont inséparables. Son histoire est, en réalité, un phénomène d'importance mineure, si on la compare au tableau complexe de l'histoire du Proche-Orient antique. En effet, mis à part, les règnes de David et de Salomon, le pays d'Israël n'a jamais connu un statut politique indépendant : il n'a pu maintenir son autonomie totale que pendant une très courte période. Pourtant, ce petit peuple a joué un rôle important dans l'histoire antique, non pas en raison de ses prétentions territoriales mais plutôt parce qu'il occupait un territoire sur lequel les grandes puissances de l'époque exercèrent leur influence.

Le berceau de la civilisation fut ce qu'il est convenu d'appeler le Croissant fertile, c'est-à-dire ces terres qui s'étendent de la vallée du Nil à l'ouest, avec la ville de Memphis, jusqu'à l'extrémité orientale de la Basse-Mésopotamie, avec la ville d'Ur. Au nord, la ville d'Harran constitue le sommet de ce Croissant qui se déploie ensuite sur la bande côtière de la Palestine et de la Syrie. C'est sur ces terres que, dès le Néolithique, les hommes dirent leurs premières expériences de vie sédentaire et d'habitations fixes. Jusque là, c'est-à-dire jusqu'au quatrième millénaire avant notre ère, le développement culturel avait été à peu près uniforme sur toute l'étendue du Croissant Fertile. Alors, les deux extrémités se mettent à dépasser la partie centrale : les deux fleuves, le Nil et l'Euphrate, fournissent la fertilité nécessaire à toutes les formes de richesses.

C'est au début du troisième millénaire que naissent les grands empires égyptien et babylonien. Entre eux, des échanges s'établissent qui vont commander toute l'histoire du Proche-Orient. Sur la voie de jonction entre ces deux grands empires se situe la Palestine, qui, selon les circonstances politiques, bénéficiera ou souffrira de ces zones d'influence et de leur civilisation. La formation de la religion juive s'est faite dans ce contexte socio-politique qu'il ne faudrait pas négliger.

Israël n'eut guère d'influence politique en face de ces deux empires. En revanche, il obtient une influence religieuse considérable. C'est de ce peuple que sont nées les grandes religions monothéistes que sont le judaïsme et le christianisme, et indirectement il a contribué à l'évènement d'une troisième grande religion, l'islam. De plus, la religion a certainement contribué à l'unification du peuple : elle n'occupait pas simplement une place particulière au milieu des facteurs politiques, économiques ou sociaux, elle permettait surtout à toutes les activités humaines de se découvrir une signification. Ainsi, le mode de vie d'Israël est toujours exprimé en terme de projet divin sur le peuple : ce projet lui permet de donner du sens et d'expliquer les événements, particulièrement en période de crise. L'histoire d'Israël ne peut se comprendre que dans sa religion, et, d'autre part, ses idées théologiques ont sans cesse conduit la marche des événements de son histoire.

L'histoire commence à Sumer

Les Sumériens peuvent être considérés comme les créateurs de la civilisation en Basse-Mésopotamie, bien qu'ils aient constitué jusqu'au début du vingtième siècle un peuple pratiquement oublié... Il y a six mille ans, des hommes ont créé une première forme de civilisation sur les rives du Tigre et de l'Euphrate, dans cette région qui porte facilement le nom grec de Mésopotamie, c'est-à-dire "le pays entre les deux fleuves". Tout porte à croire que leur civilisation n'a pas été importée d'ailleurs, mais qu'elle s'est formée sur place. Ces hommes de Sumer ont formé le premier peuple qui ait laissé des documents écrits. C'est chez eux que les archéologues ont découvert les plus anciens documents écrits que nous possédions de toute l'humanité, et ces mêmes archéologues se demandent s'il ne faut pas les considérer comme les inventeurs de l'écriture. Pour effectuer leurs relations commerciales avec leurs voisins, ils en sont venus à imaginer d'écrire sur de l'argile, et les plus anciens documents retrouvés, dans les ruines de la ville d'Uruk, sont des tablettes pictographiques, difficiles à déchiffrer, mais qu'on imagine être des aide-mémoires administratifs. Au cours des siècles, ils améliorèrent et perfectionnèrent leur technique de l'écriture, pour l'assouplir progressivement de la traduction des images à de petits éléments qui ont perdu toute ressemblance avec les images primitives. De cette façon est née l'écriture cunéiforme, en forme de clou (du latin, cuneus : clou), elle comprend environ cinq cents signes formés par l'agencement des quatre éléments de base : clou horizontal, clou vertical, clou oblique et double clou. Grâce à cette symbolisation, il devenait possible de fixer par écrit, sur des tablettes d'argiles, toutes les créations littéraires qui étaient jusqu'alors transmises par la seule voie orale.

Par les mythes et récits légendaires qu'ils ont ainsi légués à la postérité, les Sumériens ont eux-mêmes présenté les structures principales de leur société et de leur civilisation.

Les Sémites entrent dans l'Histoire

A l'époque classique de Sumer, à l'heure où cette région et sa civilisation atteignaient leur apogée, des Sémites, les Akkadiens commençaient à se sédentariser, cohabitant d'abord pacifiquement avec les premiers occupants de la Basse-Mésopotamie. Leur présence est attestée dans les textes sumériens eux-mêmes, signe qu'entre ces deux peuples existait une compénétration de pensée et de culture qui devait s'accentuer avec le temps. Les Sémites entraient dans l'Histoire avec les Akkadiens qui avaient certainement suivi un courant migrateur avant de venir s'installer sur les rives du Tigre et de l'Euphrate. Leur infiltration progressive a modifié la composition ethnique de la région où ils se sont installés, notamment dans la proximité de la ville de Kish, et où ils vivaient en harmonie avec les premiers occupants du sol.

Le triomphe des Akkadiens leur permet d'imposer leur propre langue, qu'ils avaient conservée malgré leur assimilation à la culture sumérienne, tout en utilisant pour écrire les caractères cunéiformes. Dans cet empire, une immense activité littéraire se développe, dont il reste de nombreux témoignages, notamment dans le domaine religieux. Les Akkadiens adoptèrent le panthéon sumérien, en lui ajoutant leurs dieux : on reconnaît principalement leur influence dans le culte rendu à la lune, au soleil, à la foudre. Ils n'apportent pas une civilisation vraiment nouvelle et originale, puisque aucun changement n'est véritablement notoire. Les Sémites s'étaient mis à l'école des Sumériens pendant de nombreux siècles, et ils avaient fini par leur devenir semblables.

Le clan d'Abraham

Au moment de la chute de Sumer, se trouvait sur place une famille de nomades araméens. Son premier point d'attache avait été vraisemblablement Harran, et c'est vers cette première ville que ce clan repartit, à la suite de Térah, son chef, le père d'Abram. Térah était le descendant du fils aîné de Noé, Sem, d'où le nom attribué à ce clan, les Sémites. Il entreprit la grande migration à la suite de la chute de la ville d'Ur entre les mains des Elamites. Il prit donc la tête d'un groupe de réfugiés : Il prit son fils Abram, son petit-fils Loth, fils de Hâran, et sa bru, Saraï, femme d'Abram, qui sortirent avec eux d'Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan. Ils gagnèrent Harran où ils habitèrent (Gen. 11, 31).

Térah mourut à Harran, et la position de chef de la tribu revint naturellement à son fils aîné, Abram. Celui-ci avait des idées différentes de celles de son père. Si Térah, comme la plupart des hommes de son temps, était polythéiste, il n'en était pas de même pour son fils, qui brisa avec l'idolâtrie et se mit au service d'un dieu unique, qu'il désigne sous le nom de El, et qu'il considère comme le créateur du ciel et de la terre. Toute l'histoire d'Abraham sera une marche, et particulièrement une marche spirituelle à la découverte du Dieu unique, au cours de la longue migration qui le conduisit d'Ur, à proximité du Golfe Persique, jusqu'à Hébron, à proximité de la Mer Morte.

A la différence des Sumériens et des Akkadiens qui avaient des tendances monolâtriques, le Dieu d'Abraham n'est pas une divinité locale ou un dieu qui aurait une certaine supériorité sur les autres divinités des différentes cités : il est le seul et unique Dieu, en dehors duquel il n'en est point d'autre. Ce n'est pas une divinité de la nature, comme Shemesh, dieu du soleil à Babylone, ou comme Sin, dieu lunaire d'Ur et d'Harran. Le Dieu d'Abraham est personnel, il a des relations d'intimité avec son fidèle, à qui il donne un nom nouveau :

Abram avait quatre-vingt-dix-neuf ans quand le Seigneur lui apparut et lui dit : C'est moi, le Dieu puissant. Marche en ma présence et sois intègre. Je veux te faire don de mon alliance entre toi et moi, je te ferai proliférer à l'extrême. Dieu parla avec lui et dit : Pour moi : voici mon alliance avec toi, tu deviendras le père d'une multitude de nations. On ne t'appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te donnerai de devenir le père d'une multitude de nations et je te rendrai fécond à l'extrême, je ferai que tu donnes naissance à des nations et des rois sortiront de toi (Gen. 17, 1-6).

Abraham s'arracha du milieu païen d'Harran et reprit la migration entreprise par son père, il partit vers Canaan et traversa la Jourdain. C'est là qu'il reçut, ainsi que sa famille, le nom d'Hébreu, car il venait de "l'autre côté du fleuve" selon une étymologie populaire. Mais il est également possible de faire dériver ce terme de la tribu nomade des Habiru qui apparurent en Asie occidentale au cours du deuxième millénaire. Après un court séjour en Egypte, Abraham s'installa à Hébron, dans la plaine de Mambré. Dieu fit de nouveau alliance avec lui, celle-ci s'accompagnant d'un signe inscrit dans la chair, la circoncision des mâles. Pour répondre à l'appel de Dieu, Abraham a donc quitté son pays et il s'est installé dans le pays choisi par Dieu pour ce qui sera bientôt son peuple. Mais Abraham s'interroge sur l'existence de ce peuple, car il n'a aucune descendance. Sur les conseils de sa femme, il eut d'abord un fils de sa servante Agar. Celui-ci, Ismaël, est considéré comme l'ancêtre des musulmans.

Mais Ismaël n'était pas destiné à être l'héritier de la promesse divine. Celui qui héritera de la promesse sera le fils de sa femme, Isaac, dont la naissance est annoncée par la visite mystérieuse de trois personnages à Abraham : 

Le Seigneur apparut à Abraham aux chênes de Mambré, alors qu'il était assis à l'entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. Il leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui. A leur vue, il courut de l'entrée de la tente à leur rencontre, se prosterna à terre et dit : Mon Seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, veuille ne pas passer loin de ton serviteur. Qu'on apporte un peu d'eau pour vous laver les pieds, et reposez-vous sous cet arbre. Je vais apporter un morceau de pain pour vous réconfortez avant que vous alliez plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur. Ils répondirent : Fais comme tu l'as dit. Abraham se hâta vers la Tente pour dire à Sara : Vite ! Pétris trois mesures de fleur de farine et fais des galettes. Et il courut au troupeau en prendre un veau bien tendre. Il le donna au garçon qui se hâta de l'apprêter. Il prit du caillé, du lait et le veau préparé qu'il plaça devant eux. Il se tenait sous l'arbre, debout près d'eux. Ils mangèrent et lui dirent : Où est Sara, ta femme ? Il répondit : Là, sous la tente. Le Seigneur reprit : Je dois revenir au temps du renouveau, et voici que ta femme aura un fils (Gen. 18, 1-10).

Abraham et Sara auront donc un fils qu'ils appelleront Isaac, dont le nom signifie : Dieu a souri. L'avenir semble bien assuré désormais, mais Abraham croit comprendre que Dieu lui demande de sacrifier son fils :

Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il dit : Abraham ! Celui-ci répondit : Me voici ! Dieu dit : Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et tu l'offriras en sacrifice sur la montagne que je t'indiquerai. Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois pour le sacrifice et se mit en route vers le pays que Dieu lui avait indiqué. Le troisième jour, Abraham, levant la tête, vit l'endroit de loin. Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne. Moi et l'enfant nous irons jusque là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous. Abraham prit le bois pour le sacrifice et le chargea sur Isaac, il prit le feu et le couteau, et tous deux s'en allèrent ensemble. Isaac interrogea soin père Abraham : Mon père ! Eh bien, mon fils ? Isaac reprit : Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? Abraham répondit : Dieu saura bien trouver l'agneau pour l'holocauste, mon fils. Ils arrivèrent à l'endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y éleva l'autel et disposa le bois, lia son fils et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. L'ange du Seigneur l'appela du haut du ciel et dit : Abraham ! Il répondit : Me voici ! L'ange dit : Ne porte pas la main sur l'enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu, tu ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique. Abraham leva les yeux et vit un bélier qui s'était pris les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils. Du ciel, l'ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham : Je le jure par moi-même, déclare le Seigneur, parce que tu as fait cela, parce que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance tiendra les places fortes de tes ennemis (Gen. 22, 1-17).

L'image qu'il est possible de se faire d'Abraham est sans doute celle d'un cheik oriental traversant le pays avec l'ensemble de ses biens, tentes, troupeaux, bergers, épouse et concubines... La famine le poussa en Egypte pour un court séjour, mais il revint dans le pays de Canaan, car cette région l'avait séduit, et c'est là qu'il avait fait l'expérience du Dieu fidèle. Toutefois il estimait sa culture supérieure à celle des Cananéens, aussi envoya-t-il son serviteur dans son pays d'origine afin qu'il y trouve une femme pour son fils. A la mort de son père, Isaac devint le chef de la tribu. Sa personnalité est moins marquante que celle d'Abraham, dont il continua l'oeuvre. Dieu lui renouvela son alliance par la circoncision, signe rituel de consécration à Dieu et aussi désormais signe de l'appartenance à la nation abrahamique. Après Isaac, Jacob, son fils, hérita de la promesse faite à Abraham. Il dut s'expatrier pour avoir extorqué la bénédiction paternelle à son aîné, Esaü. En quittant le pays d'Abraham et d'Isaac, pour partir vers Harran, il passa une nuit à Louz et il eut un songe, d'inspiration divine :

Jacob sortit de Béer-Sheva et partit pour Harran. Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et coucha en ce lieu. Il eut un songe : voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel, des anges de Dieu y montaient et y descendaient. Voici que le Seigneur se tenait près de lui et dit : Je suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l'ouest, à l'est, au nord et au sud. En toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que j'aie accompli ce que j'ai dit. Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria : Vraiment, c'est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas ! Il eut peur et s'écria : Que ce lieu est redoutable ! Il n'est autre que la maison de Dieu, c'est la porte du ciel. Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet. Il appela ce lieu Béthel, c'est-à-dire Maison de Dieu, mais auparavant le nom de la ville était Louz (Gen. 28, 10-19).

Après avoir vécu auprès de son oncle Laban et avoir épousé Léa puis Rachel, Jacob décide de rentrer au pays de ses ancêtres. Avant de franchir la frontière de ce pays, il dut lutter tout une nuit contre un ange. C'est alors qu'il reçut un nouveau nom, celui d'Israël, dont l'étymologie signifie : il a été fort contre Dieu. 

Cette nuit-là, Jacob se leva, il prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabboq. Il leur fit traverser le torrent et il fit passer aussi tout ce qui lui appartenait. Jacob resta seul. Or quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. L'homme, voyant qu'il ne pouvait pas le vaincre, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat. L'homme dit : Lâche-moi, car l'aurore est levée. Jacob répondit : Je ne te lâcherai que si tu me bénis. L'homme lui demanda : Quel est ton nom ? - Je m'appelle Jacob. - On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, parce que tu as lutté contre Dieu comme on lutte contre les hommes, et tu as vaincu. Jacob lui fit cette demande : Révèle-moi ton nom, je t'en prie. Il répondit : Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Et à cet endroit, il le bénit. Jacob appela ce lieu Penouël, ce qui signifie : Face de Dieu, car il disait : J'ai vu Dieu face à face, et j'ai eu la vie sauve. Au lever du soleil, il traversa le torrent à Penouël. Il resta boiteux de la hanche (Gen. 32, 23-32).

Le nom d'Israël que Jacob reçut après ce combat mystérieux avec l'ange de Dieu devait remplacer progressivement celui d'Hébreux par lequel étaient désignés les descendants d'Abraham.

L'installation dans la Terre Promise

Jacob eut douze fils qui furent les ancêtres des douze tribus d'Israël. Un des plus jeunes, Joseph, fut vendu par ses frères à des marchands d'esclaves qui l'emmenèrent en Egypte.

Profitant de circonstances favorables, Joseph accéda à la position de vice-roi de l'Egypte. C'est là que sa famille, chassée d'Hébron par une famine, vint le retrouver. Elle devint un peuple nombreux et puissant jusqu'au moment où la politique égyptienne changea et où Israël fut réduit en esclavage. C'est toute cette histoire des origines du peuple qui constitue l'antique profession de foi, telle qu'elle est rapportée au livre du Deutéronome :Mon père était un araméen errant. Il est descendu en Egypte, où il a vécu en émigré avec le petit nombre de gens qui l'accompagnaient. Là, il est devenu une nation grande, puissante et nombreuse. Mais les Egyptiens nous ont maltraités, ils nous ont mis dans la pauvreté, ils nous ont imposé une dure servitude. Alors, nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères, et le Seigneur a entendu notre voix ; il a vu que nous étions pauvres, malheureux, opprimés. Le Seigneur nous a fait sortir d'Egypte par sa main forte et son bras étendu, par une grande terreur, des signes et des prodiges ; il nous a fait arriver en ce lieu et il nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel (Dt. 26, 5-9).

A un moment critique de son histoire, le peuple qui s'était plus ou moins détourné du Dieu de ses pères, pour ne plus se soucier que de sa propre croissance et de son pouvoir, se retourne vers Dieu, le Dieu de ses pères, qui va le sauver de l'oppression et de la servitude d'Egypte. Le libérateur national fut Moïse, fils adoptif d'une princesse égyptienne, mais fils d'une femme des Hébreux qui, pour le sauver de la condamnation de mort qui pesait sur chaque enfant mâle naissant parmi les Hébreux, décida de l'exposer sur le fleuve, dans une corbeille de roseaux, espérant qu'il obtiendrait la faveur de la princesse égyptienne qui venait se baigner régulièrement à cet endroit.

Moïse n'oublia jamais ses origines, malgré son éducation à la cour du pharaon, et il prit le parti des siens contre leurs maîtres. Contraint à l'exil pour avoir assassiné un contremaître égyptien. Moise se réfugia au pays de Madian. Et, un jour qu'il faisait paître le troupeau de son beau-père dans le désert du Sinaï. Dieu se révéla à lui sous le nom de YHWH, en s'identifiant au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Il lui ordonna de retourner en Egypte pour libérer le peuple de sa servitude et le conduire en Terre Promise, le pays de Canaan.

Ayant fait sortir Israël du pays d'Egypte, Moïse le conduisit vers le Sinaï, où il lui donna une constitution législative, une Loi, la Torah. Celle-ci est un enseignement qui concerne toute la vie du peuple, tant dans sa religion que dans sa politique, tant dans la vie collective que dans l'existence individuelle. Elle vise à faire d'Israël un peuple saint, c'est-à-dire un peuple consacré à Dieu et donc séparé des autres, qui étaient vouées à l'idolâtrie et à des pratiques dégradantes, comme les sacrifices humains.

Pourtant, après l'épisode du Sinaï, le peuple n'était pas encore prêt à entrer dans le pays que Dieu avait promis, car ce peuple était encore empreint d'une mentalité d'esclave. Et, d'autre part, le pays n'était pas prêt à recevoir des hommes libres : Canaan était encore sous l'influence de l'Egypte. Aussi Israël vécut-il longuement dans le désert, le temps qu'il fallut à la génération sortie d'Egypte pour disparaître. C'était un peuple nouveau qui pouvait entrer dans ce pays, sous la conduite de Josué, le successeur de Moïse.

Josué répartit les tribus d'Israël sur toute l'étendue du territoire occupé et il organisa la vie politique et religieuse du peuple en une confédération de tribus.

Mais, à la mort de Josué, les tribus se divisèrent et l'influence des dieux étrangers se fit sentir. Des chefs, appelés Juges, essayèrent de redresser la situation, ramenant le peuple du culte de YHWH. Samuel, le dernier Juge, avait ainsi solidement établi ce culte à Siloé, abolissant pour un moment le culte de Baal dans le Nord du pays.

Mais le peuple en vint à réclamer un roi, à l'image des rois voisins, c'est-à-dire un homme qui aurait droit de vie et de mort sur ses sujets. Après avoir longuement hésité, Samuel proposa une constitution démocratique, la première de l'histoire, et un roi Saül. Mais celui-ci ne répondit pas aux espoirs placés en lui.

Son successeur, David, inaugura une période de prospérité pour Israël, avec la prise de Jérusalem, dont il fit sa capitale, sur les pentes du mont Sion. Salomon, son fils, continua son oeuvre, il centralisa la vie politique et religieuse autour du Temple de Jérusalem dont il commença l'édification pour remplacer tous les sanctuaires du pays. Pourtant, les mariages de Salomon avec des princesses étrangères, commandés par la raison d'Etat, le conduisirent à permettre le rétablissement des sanctuaires païens qui contaminèrent la pureté du culte rendu au Dieu unique.

Décadence et exil

A la fin du règne de Salomon, YHWH était devenu un simple dieu national et non plus le Dieu unique : l'unité des douze tribus s'en ressentit. Et une rébellion des tribus du Nord, après la mort de Salomon (932), entraîna la division en deux royaumes, celui d'Israël au Nord, regroupant dix tribus dirigées par Jéroboam, et celui de Juda au Sud, avec deux tribus fidèles à la dynastie davidique et dirigées par Roboam, fils de Salomon.

Ce schisme politique a des répercussions religieuses. Jéroboam institue des sanctuaires à Dan et à Béthel, en y faisant élever des veaux d'or, qu'il considère non pas comme des idoles, mais comme des images du Dieu unique. C'était une façon de se concilier les masses peu éclairées d'origine cananéenne. Seulement ce royaume sera toujours d'une grande instabilité politique, alors que le royaume de Juda maintiendra la dynastie de David, même si des conflits avec les puissances voisines finissent peu à peu par ruiner son prestige.

C'est dans ce contexte troublé que va s'inaugurer le mouvement prophétique. En Israël, Elie, brûlant d'un zèle jaloux pour YHWH, entreprit de lutter contre la dynastie de Jéroboam et pour le retour au culte du Dieu unique, qui est juste pour toutes les nations. La prédication des prophètes, ainsi commencée, devait se continuer sans trêve mais elle ne fut guère entendue. Et l'infidélité à YHWH fut présentée comme la cause de la ruine fatale du royaume : assujetti à l'Assyrie, Israël, sous l'impulsion de l'Egypte se révolta. La riposte ne se fait pas attendre : la capitale, Samarie, tombe aux mains de Sargon II (721). Celui-ci déporte la population et la remplace par des colons étrangers qui, mêlés aux derniers restes d'Israël, formèrent un peuple semi-idolâtre, les Samaritains. Le royaume du Nord quittait la scène de l'histoire. Et le nom d'Israël cesse de s'appliquer à ce royaume pour désigner tous les descendants du patriarche éparpillés dans le monde.

Dans le royaume de Juda, les premiers successeurs de Salomon consolidèrent la dynastie, en s'appuyant sur le respect dû à la Torah et sur le culte organisé dans le Temple. Il y eut certes des fluctuations religieuses, et au milieu du huitième siècle la décadence s'est accentuée. Cependant, la chute de Samarie inquiète les esprits ; aussi le roi Ezéchias entreprend-il une réforme religieuse, en centralisant toute la vie politique et religieuse autour du Temple. Malgré cela la puissance assyrienne finit par amputer le royaume de Juda ; une apostasie presque générale fait oublier la Torah, et la fidélité à YHWH ne subsiste que dans des cercles restreints, où l'on conserve les traditions prophétiques.

Profitant d'un déclin de l'Assyrie, un roi de Juda, Josias, entreprend une nouvelle réforme, en s'appuyant sur la découverte du code d'alliance dans le Temple, en 622. Un programme religieux inspire son règne : un seul Dieu. YHWH, une seule Loi, la Torah, un seul Temple, Jérusalem. Mais le pouvoir politique en Orient change de maître. Babylone prend la place de l'Assyrie : Josias en profite pour tenter d'assurer l'indépendance nationale. Alors qu'il barrait la route aux troupes égyptiennes, il périt dans la bataille de Meggido, en 609. Sa mort remet en question son oeuvre : à quoi bon être fidèle à Dieu si cela ne sert à rien ?

Nabuchodonosor, reprenant les ambitions de l'Assyrie, investit Jérusalem une première fois en 598, il déporte le roi, l'aristocratie et le clergé. Une révolte, fomentée par les partisans de l'Egypte, entraîne le sac de Jérusalem : toute l'élite de la population est emmenée en exil en 586. Juda partageait le sort d'Israël : la captivité. Mais les déportés de Juda ne se mêlèrent pas à leurs vainqueurs. Sous l'influence de Jérémie, ces déportés en Babylonie vont être amenés à purifier leurs conceptions religieuses. Le châtiment imposé par Dieu à son peuple commence à faire réfléchir : les menaces des prophètes se sont réalisées, il est temps d'écouter leur voix et de se convertir. Grâce à ce travail intérieur, un peuple nouveau prend naissance : les Juifs qui, partout où ils s'installeront, seront porteurs d'un message nouveau, le judaïsme.

Les exilés reviennent au pays

La Perse ayant pris la relève de Babylone, la nation juive bénéficie de la clémence de Cyrus. En 538, il permet aux exilés de rentrer à Jérusalem. Peu de juifs profitent de cette faveur, préférant rester là où ils s'étaient créé des conditions de vie favorables plutôt que de rentrer dans un pays qu'ils ne connaissaient plus. Cinquante mille d'entre eux reviennent à Jérusalem, et, malgré quelques oppositions des occupants du pays, la reconstruction du Temple s'achève au printemps 515. Le second Temple n'a pas la splendeur du premier ; de plus, Jérusalem demeure une ville ouverte : les murailles ne sont pas reconstruites.

En 458, Esdras revient à Jérusalem avec environ cinq mille personnes : il commence par interdire les mariages mixtes, afin de ne pas souiller la race sainte. C'est de cette époque que date, dans le judaïsme, le refus de tels mariages, bien qu'ils ne soient pas interdits par la Torah et même si cette mesure n'est pas approuvée par tous. En 445, Néhémie revient à son tour, avec une escorte, afin de relever les murs de la capitale de Juda. C'est dans ce cadre de restauration nationale que le judaïsme s'organise de façon positive, autour de la Loi. Certes, l'Etat de la Judée était un territoire politiquement insignifiant, mais son influence grandit rapidement : l'Etat théocratique allait donner une nouvelle direction à l'histoire juive.

Les pays dans lesquels les Juifs étaient dispersés, particulièrement en Babylonie et en Egypte, renouent avec la communauté de Jérusalem, dans le respect de la Torah et des traditions ancestrales. Des maîtres, docteurs de la Loi, se mettent à enseigner la Torah à tout le peuple : ils codifient ainsi la vie sociale de toute la communauté Juive, tant dans le territoire de la Judée que dans le reste du monde. Pour cela, ils enseignent dans les synagogues et dans les écoles pour faire entrer la Loi dans le coeur et dans l'esprit de tout le peuple, afin d'en sanctifier toute l'existence.

Le judaïsme et l'influence de la Grèce

La Judée cesse d'être sous la domination perse en 333, lorsque le conquérant Alexandre le Grand pénètre en Asie et occupe la Palestine. Les contacts avec l'hellénisme se multiplient dans ce pays aussi bien que dans la Dispersion (Diaspora) juive à travers le monde méditerranéen, si bien qu'en 280 la communauté juive d'Alexandrie jugea nécessaire de donner aux Juifs de langue grecque une traduction des Ecritures. Ce fut la version de la Bible hébraïque, connue sous le nom de Bible des Septante, en souvenir des soixante-douze anciens qui travaillèrent à cette traduction. Destinée aux Juifs qui ne parlaient plus la langue hébraïque, cette Bible servit à faire connaître le judaïsme au monde païen, ce qui lui amena beaucoup de sympathisants (prosélytes) dans toutes les classes sociales.

Les successeurs d'Alexandre que ce soit les Séleucides de Syrie, ou que ce soit les Ptolèmèes d'Egypte, pratiquent la tolérance à l'égard de la Palestine. L'hellénisation du judaïsme se fera sans heurt dans le sacerdoce et l'aristocratie, mais certains fervents se révoltèrent à la suite de Juda Maccabée. A partir de 167, Cela permettra au Judaïsme de se définir dans la distinction de l'hellénisme. Cette crise lui donnera l'occasion d'une purification et l'affermira dans sa vocation particulière à l'égard du monde d'alors.

La mise à sac de Jérusalem et le triomphe de Rome

Un siècle plus tard, profitant des troubles dans la succession des Hasmonéens, descendants des Maccabées, Rome intervient. Pompée prend en mains les affaires de Judée. C'est à ces circonstances que Hérode le Grand doit sa fortune. En 39, il se rend à Rome pour se faire couronner roi des Juifs. Homme d'état, ce fut aussi un grand bâtisseur : il fait aménager le port de Césarée et se lance dans de grands travaux de construction, particulièrement la restauration du Temple. A sa mort, en l'an 4 avant notre ère, la succession est difficile : Rome intervient et partage son royaume entre ses fils. L'un d'eux qui s'était vu attribuer la province de Judée, Archélaüs, sera exilé par l'empereur en l'an 6, et la Judée sera dès lors gouvernée par des procurateurs romains.

L'agitation politique ne cessera pas, elle dégénère même en véritable révolte, qui conduit à une première guerre juive (66-73), marquée par la destruction du Temple en 70. Ramenant à Rome ses trophées, dont un rouleau de la Torah et la menorah, le chandelier à sept branches du Temple, Titus était, malgré tout, hanté par la crainte d'une nouvelle insurrection. La guerre se ralluma sous Hadrien (132-135).

La nation juive fut écrasée, et Jérusalem, baptisée Aelia Capitolina, fut interdite aux Juifs. Au seul Jour anniversaire de la destruction du Temple, ils furent autorisés à venir pleurer près du Mur occidental du Temple, encore resté debout : ce mur fut donc longtemps appelé "Murs des lamentations" ou "Mur des pleurs".

Le judaïsme devenait une religion en dehors d'une organisation politique : c'en était fait du royaume, de la cité plus ou moins théocratique. L'ère de la spiritualisation commençait, et jusqu'à la création de l'Etat d'Israël, en 1948, le voeu pieux de tout Juif orthodoxe était de fêter la Pâque "l'an prochain à Jérusalem". Devant désormais survivre en dehors de la Palestine, le judaïsme s'appuiera sur les différents courants de la tradition demeurés vivants pendant le premier siècle.