Autour du lac

 

 

Le Mont des Béatitudes

Dès le début de sa vie publique, Jésus a manifesté qu'il était un homme libre. Il commence sa prédication devant la foule venue de tous les territoires d'Israël et des pays limitrophes et païens, par la proclamation des Béatitudes, c'est ce qui est appelé, depuis saint Augustin, le Sermon sur la montagne, où Jésus présente la loi-cadre de son Royaume.

Sur les pentes d'une colline qui domine le lac de Tibériade, Jésus enseigna souvent la foule de ceux qui le suivaient. Ce Sermon sur la Montagne a impressionné non seulement ceux qui ont décidé de le suivre, mais aussi des hommes de tous bords et qui ne vivent pas nécessairement les valeurs chrétiennes.

A la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s'assit et ses disciples s'approchèrent de lui. Et prenant la parole, il les enseignait : Heureux les pauvres de coeur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils auront la terre en partage ! Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde ! Heureux les coeurs purs : ils verront Dieu ! Heureux ceux qui font oeuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédé (Mt. 5, 1-12).

Mais qu'est-ce que le bonheur ? Pour un juif, marqué par ses ancêtres nomades, est heureux celui qui peut marcher. Etre heureux, c'est le contraire d'être installé dans la réussite sociale, le confort, la célébrité et même l'amour. Marcher, c'est le terme qui exprime le bonheur dont Dieu rêve pour son peuple. L'homme heureux, c'est celui qui va de l'avant, c'est celui qui consent à progresser. Aussi conviendrait-il de remplacer le terme "heureux" par "en marche", "en avant". Ceux qui sont proclamés heureux sont ceux qui dans le monde semblent bien être placés du côté des perdants.

La version des béatitudes rapportées par Luc est beaucoup plus tranchante, beaucoup plus dure que celle de Matthieu : quatre bénédictions suivies de quatre malédictions :

Alors, levant les yeux sur ses disciples, Jésus dit : Heureux, vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez, vous rirez. Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent et qu'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là, bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel, c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes. Mais malheureux, vous les riches, vous tenez votre récompense. Malheureux, vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim. Malheureux, vous qui riez maintenant, vous serez dans le deuil et vous pleurerez. Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous, c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes (Lc. 6, 20-26).

Tabgha

Tabgha est la corruption d'un terme grec : Heptapegon (heptapegon, signifiant les sept sources). Ces sources fournissaient une eau sulfureuse susceptible de traiter les maladies de peau. La tradition chrétienne a voulu commémorer en ce lieu la multiplication des pains.

D'après les évangiles, la multiplication des pains aurait plutôt eu lieu sur la rive orientale du lac, mais, dès les premiers siècles, pour éviter un surcroît de fatigue aux pèlerins, on situa l'emplacement de ce miracle sur la rive occidentale. Des fouilles entreprises en 1932 mirent en évidence une basilique byzantine du quatrième ou du cinquième siècle et dont les mosaïques sont parmi les plus belles du pays. Elles représentent la flore et la faune des environs du lac. Près de l'autel, une mosaïque, d'un style différent, représente deux poissons qui entourent un panier de pains marqués d'une croix. Ces mosaïques montrent combien la multiplication des pains avait impressionné les premiers chrétiens, elle les avait tellement impressionnés que l'évangéliste Marc rapporte deux récits de ce miracle :

Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné. Il leur dit : Vous autres, venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu. Car il y avait beaucoup de monde qui venait et repartait, et eux n'avaient pas même le temps de manger. Ils partirent en barque vers un lieu désert, à l'écart. Les gens les virent s'éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses. Puis, comme il était déjà tard, ses disciples s'approchèrent de lui pour lui dire : L'endroit est désert et il est déjà tard. Renvoie-les, qu'ils aillent dans les hameaux et les villages des environs s'acheter de quoi manger. Mais il leur répondit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Ils lui disent : Faut-il aller acheter pour deux cents pièces d'argent de pains et leur donner à manger ? Il leur dit : Combien avez-vous de pains ? Allez voir ! Ayant vérifié, ils disent : Cinq et deux poissons. Et il leur commanda d'installer tout le monde par groupes sur l'herbe verte. Ils s'étendirent par rangées de cent et de cinquante. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et levant son regard vers le ciel, il prononça la bénédiction, rompit les pains et il les donnait aux disciples pour qu'ils les offrent aux gens. Il partagea aussi les deux poissons entre tous. Ils mangèrent tous et furent rassasiés. Et l'on emporta les morceaux qui remplissaient douze paniers, et aussi ce qui restait des poissons. Ceux qui avaient mangé les pains étaient cinq mille hommes (Mc. 6, 30-44).

En ces jours-là, comme il y avait de nouveau une grande foule et qu'elle n'avait pas de quoi manger, Jésus appelle ses disciples et leur dit : J'ai pitié de cette foule, car voilà déjà trois jours qu'ils restent auprès de moi et ils n'ont pas de quoi manger. Si je les renvoie chez eux à jeun, ils vont défaillir en chemin, et il y en a qui sont venus de loin. Ses disciples lui répondirent : Où trouver de quoi les rassasier de pains ici dans un désert ? Il leur demandait : Combien avez-vous de pains ? Sept, dirent-ils. Et il ordonne à la foule de s'étendre par terre. Puis il prit les sept pains et, après avoir rendu grâce, il les rompit et il les donnait à ses disciples pour qu'ils les offrent. Et ils les offrirent à la foule. Il y avait aussi quelques petits poissons. Jésus prononça sur eux la bénédiction et dit de les offrir également. Ils mangèrent et furent rassasiés. Et l'on emporta les morceaux qui restaient : sept corbeilles. Or ils étaient environ quatre mille. Puis Jésus les renvoya, et aussitôt il monta dans la barque avec ses disciples et se rendit dans la région de Dalmanoutha (Mc. 8, 1-10).

Ce qui est assez exceptionnel, c'est que cette multiplication des pains n'ait eu aucun effet sur les foules. Celles-ci ne sont pas dans l'admiration, comme dans le cas de la guérison du paralytique de Capharnaüm (2, 12), elles ne cherchent pas à faire de Jésus leur roi comme dans l'évangile selon Jean (6, 15). De plus, ce miracle n'a pas été compris par les disciples, ainsi que Marc le souligne lui-même un peu plus loin :

Les disciples avaient oublié de prendre des pains et n'en avaient qu'un seul avec eux dans la barque. Jésus leur faisait cette recommandation : Attention, prenez garde au levain des Pharisiens et à celui d'Hérode. Ils se mirent à discuter entre eux parce qu'ils n'avaient pas de pains. Jésus s'en aperçoit et leur dit : Pourquoi discutez-vous parce que vous n'avez pas de pains ? Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le coeur endurci ? Vous avez des yeux : ne voyez-vous pas ? Vous avec des oreilles : n'entendez-vous pas ? Ne vous rappelez-vous pas, quand j'ai rompu les cinq pains pour les cinq mille hommes, combien de paniers pleins de morceaux vous avez emportés ? Ils lui disent : Douze. Et quand j'ai rompu les sept pains pour les quatre mille hommes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ? Ils disent : Sept. Et il leur disait : Ne comprenez-vous pas encore ? (Mc. 8, 14-21).

A Tabgha, également, près du lac, on voit encore les poteaux auxquels on attachait les barques, ainsi que des marches qui descendent dans l'eau. Une nuit, après la résurrection, Pierre et les autres disciples avaient pêché sans rien prendre. Ils s'en revenaient de mauvaise humeur quand un étranger leur crie de jeter une nouvelle fois les filets. Ils le font et ramènent une énorme quantité de poissons. Ils reconnaissent alors Jésus :

Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment les choses se passèrent. Simon Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble. Simon Pierre dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous allons avec toi. Ils sortirent et montèrent dans la marque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien. C'était déjà le matin lorsque Jésus vint se placer sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui. Il leur dit : Eh, les enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ? Non, lui répondirent-ils. Il leur dit : Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener. Le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur ! Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer. Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poisson ; en fait, ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ. Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain. Jésus leur dit : Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre. Simon Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. Jésus leur dit : Venez déjeuner. Aucun des disciples n'osait lui poser la question : Qui es-tu ? Mais ils savaient bien que c'était le Seigneur. Alors, Jésus vient, il prend le pain et le leur donne, il fit de même avec le poisson. Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts (Jn. 21, 1-14).

Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre :

Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? Il répondit : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime, et Jésus lui dit alors : Pais mes agneaux. Une seconde fois, Jésus lui dit : Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? Il répondit : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. Jésus dit : Sois le berger de mes brebis. Une troisième fois, il dit : Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : M'aimes-tu ? Et il reprit : Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. Et Jésus lui dit : Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais, lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas. Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu, et sur cette parole, il ajouta : Suis-moi (Jn. 21, 15-19).

Faut-il y voir un repas eucharistique, puisque Jean ne rapporte pas de récit de la Cène ? En considérant les récits synoptiques, il ne peut plus être question d'eucharistie célébrée par Jésus après la résurrection, tout étant accompli. Mais il faut découvrir dans ce récit son aspect symbolique. Il s'agit de pain, mais il s'agit aussi de poisson. Et le terme grec employé (ichtus) est l'anagramme du Christ : Iésous Xristos Theou Uos Soter. Le symbole du poisson exprime le Christ, lui qui nourrit personnellement ses disciples après leur travail.

Capharnaüm

Capharnaüm était une cité peuplée au temps de Jésus, au carrefour de plusieurs routes, notamment la route romaine de la Mer, la Via Maris, qui allait de la Méditerranée à Damas. La cité était donc connue sous l'occupation romaine, et Flavius Josèphe la décrit comme un site très fertile. C'était un village de peu d'importance politique, mais il avait certainement une importance économique comme centre de fabrication et de commercialisation des pressoirs pour toute la Galilée, c'était de plus un village de pêcheurs, sur les bords du lac de Galilée. Du fait de sa situation au carrefour des nations, ce village avait donc une relative importance, mais dépourvu d'enceintes et de défenses naturelles, il ne participa pas à la révolte contre les Romains, si bien que le tracé de ses constructions est demeuré le même pendant des siècles. Le lieu était habité au début de l'ère chrétienne, et il semble que juifs et chrétiens vivaient en harmonie les uns avec les autres...

Ce village était visité par les premiers pèlerins de Terre Sainte qui signalent la présence de deux constructions importantes : la maison-basilique de Pierre et une synagogue en pierres taillées, à laquelle on accède par de nombreuses marches. Capharnaüm est l'un des lieux les plus cités dans l'ensemble des évangiles. Jésus y vint de Nazareth, à la frontière des tribus de Zabulon et de Nephtali.

Puis, abandonnant Nazareth, il (Jésus) vint habiter Capharnaüm, au bord de la mer, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le prophète Esaïe : Terre de Zabulon, terre de Nephtali, route de la mer, pays au-delà du Jourdain, Galilée des Nations ! Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort, une lumière s'est levée. A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : Convertissez-vous, le Règne des cieux s'est approché (Mt. 4, 13-17).

Ce que confirme, à sa manière, l'évangéliste Marc :

Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Evangile de Dieu et disait : Le temps est accompli et le Règne de Dieu s'est approché. Convertissez-vous et croyez à l'Evangile (Mc. 1, 14-15).

C'est à Capharnaüm que Jésus appela ses premiers disciples : les pêcheurs, Simon-Pierre, André et les fils de Zébédée, auxquels il est possible d'adjoindre Lévi (ou Matthieu), le collecteur d'impôts.

Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter le filet dans la mer. C'étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent. Avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, en train d'arranger leurs filets. Aussitôt, il les appela. Et laissant dans la barque leur père Zébédée avec les ouvriers, ils partirent à sa suite (Mc. 1, 16-20). Jésus s'en alla de nouveau au bord de la mer. Toute la foule venait à lui, et il les enseignait. En passant, il vit Lévi, le fils d'Alphée, assis au bureau des taxes. Il lui dit : Suis-moi. Il se leva et il le suivit (Mc. 2, 13-14).

La réponse des premiers disciples peut paraître dans l'évangile selon saint Marc d'une très grande naïveté. Comment des hommes ont-ils pu abandonner leur situation, d'un instant à l'autre, pour suivre celui qui n'est encore qu'un inconnu ? On pourrait les accuser de légèreté. D'ailleurs, les autres évangélistes vont présenter des versions assez différentes de leur vocation. Ainsi, pour Luc, la vocation de Pierre se situe après la guérison de sa belle-mère, après une pêche miraculeuse et de plus, la barque de Pierre servira encore dans la vie publique de Jésus. Jésus indiqua à Pierre comment trouver une pièce d'argent dans la gueule d'un poisson pour payer les collecteurs d'impôts et de taxes pour le Temple : 

Comme ils étaient arrivés à Capharnaüm, ceux qui perçoivent les didrachmes s'avancèrent vers Pierre et lui dirent : Est-ce que votre maître ne paie pas les didrachmes ? Si, dit-il. Quand Pierre fut arrivé à la maison, Jésus, prenant les devants, lui dit : Quel est ton avis, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôt ? De leurs fils ou des étrangers ? Et comme il répondait : Des étrangers, Jésus lui dit : Par conséquent, les fils sont libres. Toutefois, pour ne pas causer la chute de ces gens-là, va à la mer, jette l'hameçon, saisis le premier poisson qui mordra, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère. Prends-le et donne-le leur, pour moi et pour toi (Mt. 17, 24-27).

L'évangéliste Jean présente les premiers disciples (qui ne sont pas exactement les mêmes que chez Marc) comme les disciples du Baptiste. Ils ont appris à connaître Jésus en fréquentant le Baptiste. Et, de surcroît, ce sont eux qui prennent l'initiative de suivre Jésus :

Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples. Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : Voici l'Agneau de Dieu. Les deux disciples écoutèrent cette parole et suivirent Jésus. Alors Jésus se retourna et voyant qu'ils s'étaient mis à le suivre, il leur dit : Que cherchez-vous ? (Jn. 1, 35-38).

Jésus enseigna et manifesta son autorité dans la synagogue de Capharnaüm. Il habita la maison de Pierre, dont il guérit la belle-mère.

Ils pénétrèrent dans Capharnaüm et dès le jour du sabbat, entré dans la synagogue, Jésus enseignait. Ils étaient frappés de son enseignement car il enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes. Justement, il y avait dans leur synagogue un homme possédé d'un esprit impur. Il s'écria : De quoi te mêles-tu Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. Jésus le menaça : Tais-toi ! et sors de cet homme ! L'esprit impur le secoua avec violence en poussant un grand cri. Ils furent tous tellement saisis qu'ils se demandaient les uns aux autres : Qu'est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau, plein d'autorité : il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent. Et sa renommée se répandit aussitôt partout dans toute la région de Galilée. Juste en sortant de la synagogue, ils allèrent avec Jacques et Jean dans la maison de Simon et d'André. Or la belle-mère de Simon était couchée, elle avait de la fièvre. Aussitôt on parle d'elle à Jésus. Il s'approcha et la fit lever en lui prenant la main, la fièvre la quitta et elle se mit à les servir. Le soir venu, après le coucher du soleil, on se mit à lui amener tous les malades et les démoniaques. La ville entière était rassemblée à la porte. Il guérit de nombreux malades souffrant de maux de toutes sortes et il chassa de nombreux démons ; et il ne laissait pas parler les démons parce que ceux-ci le connaissaient. Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s'en alla dans un lieu désert, là, il priait. Simon se mit à sa recherche, ainsi que ses compagnons et ils le trouvèrent. Ils lui disent : Tout le monde te cherche. Et il leur dit : Allons ailleurs dans les bourgs voisins pour que j'y proclame l'Evangile car c'est pour cela que je suis sorti. Et il alla par toute la Galilée, il prêchait dans leurs synagogues et il chassait les démons (Mc. 1, 21-39).

La chronologie des faits nous échappe, bien que l'évangéliste ait voulu rassembler tous ces événements en une seule journée. Jésus enseigne en homme qui a autorité et non pas comme les scribes qui se contentent de commenter l'Ecriture. Sa parole est efficace. Sa présence fait exploser l'esprit démoniaque qui saisit que Jésus ne vient pas lui déclarer la guerre, mais lui signifier qu'il a perdu cette guerre. Il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre toutes les affirmations absolues : tous les malades et les démoniaques, la ville entière... Jésus ne guérissait pas tous les malades, il exigeait un minimum de foi : pour le juif de l'époque, la maladie est toujours d'origine démoniaque, et dont toute guérison va prendre la forme d'un exorcisme, d'une lutte et d'une victoire sur Satan et ses démons. Ceux-ci connaissent l'identité de Jésus, ils sont plus perspicaces que les hommes, ils reconnaissent leur adversaire, même si leur cri n'est pas un acte de foi, mais la manifestation de leur peur.

En regardant la disposition des ruines des constructions de l'époque, on comprend pourquoi les amis d'un paralytique durent percer le toit (en branches de palmier) pour amener cet homme en présence de Jésus : 

Quelques jours après, Jésus rentra à Capharnaüm, et l'on apprit qu'il était à la maison. Et tant de monde s'y rassembla qu'il n'y avait plus de place, pas même devant la porte. Et il leur annonçait la Parole. Arrivent des gens qui lui amènent un paralysé porté par quatre hommes. Et comme ils ne pouvaient pas l'amener à cause de la foule, ils ont découvert le toit au-dessus de l'endroit où il était, et faisant une ouverture, ils descendent le brancard sur lequel le paralysé était couché (Mc. 2, 1-4).

En quittant Capharnaüm, Jésus condamna la ville et ses voisines pour leur incrédulité et leur refus d'entendre ses appels à la conversion. On lui reprochait particulièrement ses mauvaises fréquentations : 

Le voici à table dans sa maison, et beaucoup de collecteurs d'impôts et de pécheurs avaient pris place avec Jésus et ses disciples, car il y avait beaucoup de monde et même des scribes pharisiens le suivaient. Ceux-ci voyant qu'il mangeait avec les pécheurs et les collecteurs d'impôts disaient : Quoi ? Il mange avec les collecteurs d'impôts et les pécheurs ? Jésus, qui avait entendu, leur dit : Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades ; je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs (Mc. 2, 15-17).

On lui reprochait également ses gestes de miséricorde le jour du sabbat :

Il entra de nouveau dans une synagogue, il y avait là un homme qui avait la main paralysée. Ils observaient Jésus pour voir s'il le guérirait le jour du sabbat. C'était pour l'accuser. Jésus dit à l'homme qui avait la main paralysée : Lève-toi, viens au milieu. Et il leur dit : Ce qui est permis le jour du sabbat, est-ce de faire le bien ou de faire le mal, de sauver un être vivant ou de le tuer ? Mais eux se taisaient. Promenant sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur coeur, il dit à cet homme : Etends la main. Il l'étendit et sa main fut guérie. Une fois sortis, les Pharisiens tinrent conseil avec les Hérodiens contre Jésus sur les moyens de le faire périr (Mc. 3, 1-6).

La condamnation de Jésus sera terrible : 

Alors il se mit à invectiver contre les villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu'elles ne s'étaient pas converties. Malheureuse es-tu, Chorazin ! Malheureuse es-tu, Bethsaïda ! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et la cendre, elles se seraient converties. Oui, je vous le déclare, au jour du Jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous. Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu'au ciel ? Tu descendras au séjour des morts ! Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd'hui. Aussi bien, je vous le déclare, au jour du Jugement, le pays de Sodome sera traité avec moins de rigueur que toi (Mt. 11, 20-24).

Au quatrième siècle, la population de Capharnaüm est presque entièrement juive. Une communauté chrétienne s'y établit vers 352 pour construire une église sur la maison de Pierre.

L'existence de cette communauté est attestée par une inscription araméenne du cinquième siècle. Alors, la maison de Pierre subsistait, comme le souligne le témoignage d'une pèlerine espagnole : A Capharnaüm, la maison du prince des apôtres est devenue une église. Les murs de cette maison sont restés jusqu'aujourd'hui tels qu'ils étaient. Et au sixième siècle, un pèlerin italien note : Nous sommes arrivés à Capharnaüm dans la maison du bienheureux Pierre, laquelle est à présent une basilique.

De cette époque, il ne reste que des ruines, dont la plus impressionnante est celle de la synagogue, découverte par Robinson en 1838 et reconnue comme celle de Capharnaüm par Wilson en 1865. En 1894, les Franciscains achètent le site pour le protéger du pillage. Il est exploré en 1905 par Kohl et Watzinger, fouillé en 1921 par Orfali, partiellement reconstruit en 1925. Les Franciscains reprirent les fouilles en 1968. Et les données anciennes sont confirmées par ces fouilles archéologiques. La synagogue s'élève sur une plate-forme artificielle dans la partie élevée du centre ville, répondant aux prescriptions talmudiques : Une synagogue doit être plus haute que les autres édifices. Toute ville dont les toits sont plus hauts que la synagogue finira par être détruite.

Il n'y a pas d'esplanade face à cette synagogue, car le secteur était très peuplé. On a cru que cette synagogue avait été édifiée par le centurion dont Jésus guérit le serviteur à la demande des juifs :

 Quand Jésus eut achevé tout son discours devant le peuple, il entra dans Capharnaüm. Un centurion avait un esclave malade sur le point de mourir qu'il appréciait beaucoup. Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques notables des juifs pour le prier de venir sauver son esclave. Arrivés près de Jésus, ceux-ci le suppliaient instamment et disaient : Il mérite que tu lui accordes cela, car il aime notre nation et c'est lui qui nous a bâti la synagogue. Jésus faisait route avec eux et déjà il n'était plus très loin de la maison quand le centurion envoya des amis pour lui dire : Seigneur, ne te donne pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C'est pour cela aussi que je ne me suis pas jugé moi-même autorisé à venir jusqu'à toi, mais dis seulement un mot et que mon serviteur soit guéri. Ainsi moi, je suis placé sous une autorité, avec des soldats sous mes ordres, et je dis à l'un : Va, et il va, à un autre : Viens, et il vient, et à mon esclave : Fais ceci, et il le fait. En entendant ces mots, Jésus fut plein d'admiration pour lui ; il se tourna vers la foule qui le suivait et dit : Je vous le déclare, même en Israël, je n'ai pas trouvé une telle foi. Et de retour à la maison, les envoyés trouvèrent l'esclave en bonne santé (Lc. 7, 1-10).

La présence de symboles romains retrouvés sur des pierres sculptées, au milieu d'emblèmes juifs comme la ménora, le shofar, l'étoile de David, le palmier, ou l'arche d'alliance (en forme de temple ionique) pourrait permettre d'étayer cette interprétation. Capharnaüm possédait un poste de douane et une petite garnison de l'armée romaine, composée sans doute de mercenaires venus de tout l'empire. Il n'est pas certain que ce centurion soit lui-même un romain, au sens de citoyen romain à part entière, il n'est sûrement pas juif non plus, même s'il a fait bâtir une synagogue dans la ville. En tout cas, c'est un homme pour lequel les habitants de la ville ont de l'estime, même s'il représente la puissance d'occupation.

S'il n'est pas juif, ce centurion fait certainement partie de ces païens "craignant Dieu" dont parlent les Actes des Apôtres : n'a-t-il pas fait reconstruire la synagogue comme d'autres païens l'ont fait à la même époque en Egypte ou en Phrygie ? Il aime la nation juive, se plaisent à souligner ceux qui avaient été envoyés dans la première délégation. Il connaît peut-être également les Ecritures : n'aurait-il pas été capable de reconnaître dans les signes opérés par Jésus Celui que les prophètes avaient annoncé ?

Il est légitime de penser que la construction existant au temps de Jésus était beaucoup plus modeste que celle dont on peut encore actuellement admirer les ruines. L'archéologie tend à prouver que les restes de la synagogue montrent qu'elle est plus tardive. Néanmoins, comme on rebâtissait un édifice religieux sur les ruines de l'édifice précédent, il se peut que l'emplacement ait été conservé et que les ruines indiquent l'endroit de la synagogue connue par Jésus lors de son séjour à Capharnaüm.

Cette synagogue est la plus élaborée de toute la Galilée. Elle était considérée, jusqu'à une époque récente, comme un exemple du type primitif de telles constructions, mais on la considère actuellement plutôt comme le type de construction galiléenne, sans qu'on puisse en préciser la datation. Le bâtiment, orienté nord-sud, construit sur une plate-forme, est en pierres calcaires, ce qui contraste harmonieusement avec les maisons en pierres basaltiques. Construite sur une hauteur de deux étages, la synagogue mesure vingt mètres de long, et comporte un atrium vers l'est. La façade est ornée d'un pignon en forme d'arche. Trois portes permettent l'accès à la synagogue, qui comporte une large nef, séparée de deux ailes étroites par des rangées de colonne. Une autre rangée de colonnes faisant face à l'entrée rejoint les rangées longitudinales, ce qui constitue la spécificité de ce type de construction. Le long des ailes se trouvent des gradins. Mais aucune place ne semble avoir été réservée pour la protection des rouleaux de la Torah. La synagogue est remarquable pour son ornementation de pierres richement décorées, plantes stylisées, fruits, motifs géométriques, animaux ou symboles mythologiques... L'architecture et la décoration permettent de dater l'édifice de la fin du deuxième ou du début du troisième siècle.

A la période byzantine revient une église octogonale, ornée d'un sol en mosaïque multicolore, qui est supposée située sur la maison de Pierre. En 1968, des fouilles à proximité de cette église ont permis de découvrir des maisons du premier siècle, maisons qui devaient servir de lieu de culte pour les premières communautés chrétiennes...

Le lac de Galilée

La rive nord-ouest du lac de Tibériade connut la plus grande partie du ministère galiléen de Jésus. D'ailleurs, certains de ses disciples étaient originaires du lac. Pierre et André étaient originaires de Capharnaüm où Matthieu, le publicain, tenait l'octroi, tandis que Jacques, Jean et Philippe étaient de Bethsaïde. Le ministère de Jésus, sur les bords du lac, commence immédiatement par une prédication de l'Evangile et par un appel à la conversion.

Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Evangile de Dieu et disait : Le temps est accompli et le Règne de Dieu s'est approché : convertissez-vous et croyez à l'Evangile (Mc. 1, 14-15). En un certain sens, Jésus ne fait que reprendre l'enseignement de Jean le Baptiste qui vient d'être arrêté sur ordre du roi Hérode, mais il donne à la prédication du Baptiste une orientation nouvelle. Jean proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés, Jésus proclame l'Evangile de Dieu et il invite les hommes à faire un acte de foi personnel, au-delà de leur conversion personnelle. Et c'est dans ce cadre qu'il appelle ses premiers disciples, et particulièrement Simon-Pierre, dont la barque servira pendant la vie publique de Jésus.

Or, un jour, la foule se serrait contre lui à l'écoute de la parole de Dieu, il se tenait au bord du lac de Gennésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac, les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets. Il monta dans l'une des barques, qui appartenait à Simon et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d'avancer un peu, puis il s'assit et de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : Avance en eau profonde et jetez vos filets pour attraper du poisson. Simon répondit : Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre, mais sur ta parole, je vais jeter les filets. Ils le firent et capturèrent une très grande quantité de poisons, leurs filets se déchiraient. Ils firent signe à leurs camarades de l'autre barque de venir les aider, ceux-ci vinrent et ils remplient les deux barques au point qu'elles enfonçaient. A cette vue, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant : Seigneur, éloigne toi de moi car je suis un pécheur. C'est que l'effroi l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris, de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon : Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à capturer. Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent (5, 1-11).

Simon et ses amis sont impressionnés par Jésus parce qu'ils sont les témoins et les acteurs de cette pêche miraculeuse. Ils obéissent sans réticences à Jésus, même si Simon a pu d'abord exprimer quelques doutes... Les prédicateurs itinérants ne manquaient pas en Galilée à cette époque, mais ils n'avaient sans doute pas la même autorité que Jésus. Sa seule parole est suivie d'effet ! Tout en ignorant ce qui allait leur arriver, Simon et ses amis laissent tout et suivent Jésus.

Avec ses amis pêcheurs, ceux qu'il avait appelés comme disciples, ceux qu'il avait choisis pour en faire ses apôtres, Jésus traversera souvent le lac de Tibériade, se retirant aussi souvent à l'écart sur les collines sauvages pour y prier. L'eau du lac est calme d'ordinaire, mais la tempête peut se lever et le transformer en mer démontée et rugissante.

Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit : Passons sur l'autre rive. Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus dans la barque où il se trouvait et il y avait d'autres barques avec lui. Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se jetaient sur la barque, au point que déjà la barque se remplissait. Et lui, à l'arrière, sur le coussin, dormait. Ils le réveillent et lui disent : Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : Silence ! Tais-toi ! Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n'avez pas encore de foi ? Ils furent saisis d'une grande crainte, et ils se disaient entre eux : Qui donc est-il pour que même le vent et la mer lui obéissent ? (Mc. 4, 35-41).

Cette tempête est l'occasion pour Jésus d'insister sur la nécessité de la foi pour qui veut être son disciple. Ses amis, avec la mentalité de leur époque, croient que le domaine des eaux est dominé par le Mauvais, ce qui justifie leur peur de périr et de tomber par le fait entre les mains du Mauvais. La présence de Jésus déclenche un déchaînement des forces mauvaises. La mer, c'est le lieu du chaos initial. Bien qu'habitant auprès d'une Mer importante, ces hommes n'étaient pas des navigateurs, ils se contentaient du lac, appelé improprement mer. Ses disciples sont saisis d'une grande crainte, d'une peur véritable, comme la peur devant un naufrage et non pas devant le fait d'être mis en présence d'une réalité divine : c'est Dieu seul qui peut dominer les vents et les tempêtes. Et Jésus se trouve provoqué à l'action. Il remporte une victoire : il menace et fait taire. Désormais la question que se poseront ses disciples sera celle de son identité : Jésus est comme Dieu. Et de ce fait, ils trahissent leur foi monothéiste.

La puissance sur les éléments déchaînés manifeste l'action divine en Jésus. Selon la conviction biblique, Dieu seul peut commander à la mer, c'est lui seul qui fait le partage des eaux, au moment de l'exode comme au moment de la création, c'est lui seul qui peut exorciser la puissance infernale de l'abîme. Jésus manifeste alors le caractère principal de sa divinité, mais les disciples ne peuvent pas le comprendre sans trahir leur foi ancestrale, sans être infidèles à la foi monothéiste. Pour eux, en bons juifs, il est impossible d'attribuer la divinité à Jésus : adorer un homme est inconcevable. La question restera donc toujours posée : Qui donc est-il ? La même énigme se présentera aux disciples en voyant Jésus marcher sur cette mer de Galilée.

Aussitôt Jésus obligea ses disciples à remonter dans la barque et à le précéder sur l'autre rive, vers Bethsaïda, pendant que lui-même renvoyait la foule. Après l'avoir congédiée, il partit dans la montagne pour prier. Le soir venu, la barque était au milieu de la mer, et lui, seul, à terre. Voyant qu'ils se battaient à ramer contre le vent qui leur était contraire, vers la fin de la nuit, il vient vers eux en marchant sur la mer, et il allait les dépasser. En le voyant marcher sur la mer, ils crurent que c'était un fantôme et ils poussèrent des cris. Car ils le virent tous et ils furent affolés. Mais lui aussitôt leur parla, il leur dit : Confiance, c'est moi, n'ayez pas peur. Il monta près d'eux dans la barque et le vent tomba. Ils étaient extrêmement bouleversés. En effet, ils n'avaient rien compris à l'affaire des pains, leur coeur était endurci (Mc. 6, 45-52).

C'est Matthieu qui précise le désir de Pierre de rejoindre Jésus : 

En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent affolés : C'est un fantôme, disaient-ils, et, de peur, ils poussèrent des cris. Mais Jésus leur parla : Confiance, c'est moi, n'ayez pas peur ! Pierre lui dit : Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. Viens, lui dit-il. Et Pierre, descendu de la barque marcha sur les eaux et alla vers Jésus. Mais remarquant le vent, il eut peur et, commençant à couler, il s'écria : Seigneur, sauve-moi ! Aussitôt Jésus, tendant la main, le saisit en lui disant : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? Et quand ils furent dans la barque, le vent tomba. Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui et lui dirent : Vraiment, tu es le Fils de Dieu (Mt. 14, 26-33).

La marche de Pierre sur les eaux est très instructive pour tout disciple : il veut suivre Jésus et il lui arrive souvent de manquer de confiance. Il n'ose jamais risquer totalement ses pas dans les traces du maître. Il pense que toute tentative pour essayer de le suivre dans chacun de ses gestes serait nécessairement vouée à l'échec. C'est un peu la façon de penser des autres disciples qui ont préféré rester dans la barque : Jésus seul, pensaient-ils, pouvait être capable de marcher sur les eaux.

La province du Nord, la Galilée, est particulièrement fertile et verdoyante. Son pôle d'attraction est certainement le lac de Tibériade qui a été décrit par Flavius Josèphe :

Le lac de Gennésareth prend son nom de la terre qui l'environne. Sa longueur est de cent stades, sa largeur de quarante, et il n'y a point de rivières ni même de fontaines qui soient plus tranquilles. Son eau est très bonne à boire et très facile à puiser, parce qu'il n'y a sur son rivage qu'un gravie fort doux. Elle est si froide qu'elle ne perd pas même sa froideur lorsque ceux du pays, selon leur coutume, la mettent au soleil pour l'échauffer durant les plus grandes chaleurs de l'été. Il y a quantité de diverses sortes de poissons qui ne se rencontrent point ailleurs. Le Jourdain traverse ce lac par le milieu. Il semble qu'il prend sa source à Panion. Mais la vérité est qu'il vient par-dessous terre d'une autre source nommée Phiale, distance de cent vingt stades de Césarée (de Philippe), du côté de main droite et proche du chemin par où l'on va à la Trachonitide. Elle est si ronde que c'est ce qui lui a fait donner le nom de Phiale. Elle remplit toujours si également son bassin qu'on ne la voit jamais ni diminuer ni s'accroître. On avait toujours ignoré jusqu'à Hérode le Tétrarque que cette fontaine fût la source du Jourdain. Mais ce prince y ayant fait jeter de la paille, on trouva après cette paille dans la source de Panion, d'où l'on ne doutait pas auparavant que ce fleuve ne procédât. Cette source de Panion est naturellement fort belle, mais la magnificence du roi Agrippa l'a encore embellie. Après que le Jourdain, qui semble avoir pris là son commencement, a traversé les marais fangeux du lac de Séméchonite, et continué son cours durent cent vingt autres stades, il passe au-dessous de la ville de Juliade à travers le lac de Gennésareth, d'où après avoir encore coulé durant un long espace dans le désert, il se rend dans le lac Asphaltite.

La terre qui environne le lac de Gennésareth et qui porte le même nom est également admirable par sa beauté et sa fécondité. Il n'y a point de plantes que la nature ne la rende capable de porter, ni rien que l'art et le travail de ceux qui l'habitent ne contribuent pour faire qu'un tel avantage ne leur soit inutile. L'air est si tempéré qu'il est propre à toutes sortes de fruits. On y voit en grande quantité des noyers, qui sont des arbres qui se plaisent dans les climats les plus froids, et ceux qui ont besoin de chaleur, comme les figuiers et les oliviers, n'y rencontrent pas moins ce qu'ils désirent, en sorte qu'il semble que la nature, par un effort de son amour pour ce beau pays, prend plaisir d'allier les choses contraires, et que, par une agréable contestation, toutes les saisons favorisent à l'envie cette heureuse terre, car elle ne produit pas seulement tant d'excellents fruits, mais ils s'y conservent si longtemps que l'on y mange durant six mois des raisons et des figues et d'autres fruits durant toute l'année. Outre cette température de l'air, on y voit couler les eaux d'une source très abondante qui porte le nom de Capernaüm, que quelques-uns croient être une petite branche du Nil, parce que l'on y trouve des poissons semblables au coracin d'Alexandrie, qui ne se voir nulle part que là et dans ce grand fleuve.

Le lac est encore appelé mer de Kinnéreth, en raison de sa forme qui rappelle celle d'un kinnor (sorte de lyre ancienne). Le niveau de ses eaux est de 210 mètres au-dessous du niveau de la mer. Il mesure 21 kilomètres de long du nord au sud et sa plus grande largeur est de 12 kilomètres, la profondeur de ses eaux se situe entre 40 et 50 mètres.

Hérode Antipas donna le nom de l'empereur Tibère à la ville qu'il fonda sur les bords de ce lac, en 18 après Jésus-Christ, pour en faire la capitale de la Galilée. Tibériade était une ville païenne, les riches romains aimaient venir y prendre les eaux aux sources thermales chaudes dont les propriétés curatives étaient connues. Les juifs dédaignaient cette ville, ce qui explique le peu de place qu'elle occupe dans les évangiles. Au moment de la première guerre juive, Flavius Josèphe la fit fortifier. Après la chute de Jérusalem, le Sanhédrin, d'abord émigré à Jamnia, sur la route de Beer-Shéba, vient s'installer à Tibériade, créant une école talmudique importante. C'est là que vit le jour la Mishna vers 200 de l'ère chrétienne, le Talmud de Jérusalem au quatrième siècle. Au sixième, on y inventa un système de ponctuation qui devait servir à vocaliser les textes hébreux : c'est la naissance de l'alphabet massorétique de Tibériade.

A la faveur d'un hiver sans pluie, le niveau des eaux du lac ayant baissé fortement, une embarcation du premier siècle fut découverte en janvier 1986 par deux archéologues amateurs, entre le kibboutz Ginossar et le village de Migdal (nom actuel de Magdala). La barque, du début de l'ère chrétienne a été utilisée pour la pêche et le transport entre les villages situés sur les bords de ce lac. Cette barque mesure 8,20 mètres de long et 2,35 mètres de large. Elle est en réparation et en conservation dans la piscine du kibboutz.

Magdala

Sur les rives occidentales du lac de Tibériade, on peut découvrir Magdala, ville dont Marie la pécheresse était originaire et qui se repentit avant de se tenir près de la croix et d'être la première à reconnaître le Christ ressuscité : 

Jésus faisait route à travers villes et villages. Il proclamait et annonçait la bonne nouvelle du Règne de Dieu. Les douze étaient avec lui et aussi des femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies : Marie dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, l'intendant d'Hérode, Suzanne et beaucoup d'autres qui les aidaient de leurs biens (Lc. 8, 1-3).

Au premier siècle, Magdala était une ville plus importante que le modeste village de pêcheurs actuel de Migdal. Flavius Josèphe qui y résida la fit fortifier avant de passer aux romains. Les 40000 habitants de l'époque s'y trouvaient débordés par de nombreux arrivants venus des régions limitrophes qui avaient choisi cette ville comme centre de ralliement. Quand Titus s'en empara, il ne laissa d'autre choix aux étrangers que de se rendre à Tibériade. Là, il les rassemble dans le stade, fait massacrer les "inutiles" (environ 1200 personnes), il choisit 6000 jeunes gens robustes qu'il envoie à Néron pour percer l'isthme de Corinthe (le projet de percement de ce canal, conçu par Néron, n'a abouti qu'en 1893 !), et vend le reste de la population comme esclaves. Flavius Josèphe, qui rapporte l'événement, imagine les eaux du lac rouges de sang et l'odeur des cadavres pourrissant sur ses rives ne traduit plus guère la douceur de vivre qu'il dépeignait pour cette région des bords du lac.