Les évangiles du Nouveau Testament

 

et les autres…

 

 

Tout d’abord, il faut se souvenir que les Évangiles[1] constituent la principale composante du Nouveau Testament. Ils présentent la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, ils rapportent également sa prédication et son enseignement[2].

Mais de nombreux textes ont raconté la prédication du Christ dans les décennies qui ont suivi la crucifixion. De ces textes se sont dégagés quatre évangiles principaux[3], écrits ou traduits en grec, langue la plus parlée autour du bassin méditerranéen aux premiers siècles[4]. Les autres ont été qualifiés d’apocryphes[5], ils ont été écrits, pour la plupart, au deuxième siècle, ils ont été très en vogue au Moyen Âge du fait de leurs aspects pittoresques[6]. L'ensemble de la rédaction de ces textes s'étale sur des siècles. Certains sont très probablement aussi anciens que les évangiles[7]. D'autres ne sont que du cinquième ou du sixième siècle. L'étude de ces documents est particulièrement instructive. On y trouve des textes religieux et philosophiques, et en particulier des évangiles inconnus, plus ou moins proches des évangiles canoniques. L’Eglise, dès ses origines, s’est méfiée des « faux docteurs » qui se glissent dans les communautés pour corrompre la foi, ce sont des « esprits trompeurs, hypocrites, menteurs, charlatans, ignorants, orgueilleux, impies, Antéchrists… ». Le conseil donné dans la lettre adressée aux Hébreux : « Ne vous laissez pas égarer par des doctrines diverses et étrangères » commandera le destin des apocryphes. L’Eglise ne supporte pas la prolifération des écrits intitulés « évangiles » qui sont primitivement appelés les « évangiles étrangers », « L’Eglise possède quatre Evangiles, l’hérésie en possède une multitude » écrit Origène dans son Homélie sur Luc.

Clément d’Alexandrie n’a pas bon de prononcer l’anathème contre des productions de ce genre, auxquelles il empruntait, tel trait caractéristique, mais qu’il distinguait pourtant des publications authentiquées par l’Eglise. Ainsi dès la fin du deuxième siècle, la notion d’apocryphe du Nouveau Testament tendait à prenait des contours définis. Cela ne veut pas dire que les premiers apocryphes datent seulement de cette époque. Plusieurs à ce moment, avaient déjà une assez longue existence ; certains avaient déjà été utilisés, sans arrière pensée par des auteurs ecclésiastiques.

Les apocryphes du Nouveau Testament ressemblent souvent aux livres du Nouveau Testament au point de prétendre faire partie de leur rang. Ils n’ont pas été reconnus par l’Eglise, mais ils ont influencé considérablement la tradition chrétienne et certains d’entre eux sont considérés comme inspirés. La plupart ne sont connus de nous que par leur titre, leur existence étant mentionnée par les Pères de l’Eglise dans leur lutte contre les nombreux courants hérétiques ou hétérodoxes qui pullulaient aux débuts de l’ère chrétienne.

Les évangiles apocryphes comptent notamment : l'évangile de Thomas, présenté comme un recueil des paroles du Christ, l'évangile de Marie-Madeleine, le protévangile de Jacques, l'évangile de Pierre, l'évangile de Philippe... Plus étonnant, il existe aussi un évangile de Ponce Pilate, qui serait en réalité un rapport rendant compte de la crucifixion de Jésus. On a même trouvé un évangile de Judas ! Enfin, il existe encore des extraits d'évangiles dont on ne connaît pas les auteurs.

Certains d’entre eux ont continué à circuler et à être lus. Plusieurs fêtes liturgiques y ont trouvé leur origine[8]. D’autres textes ont disparu avec les communautés qui les lisaient et qui, pour des raisons diverses, se sont fait progressivement marginalisées. D’autres textes[9] encore n’ont pas été retrouvés et ne le seront peut-être jamais. S’ils sont cachés, ce n’est pas par les institutions ecclésiastiques, mais par les sables du désert, d’où seule la chance les sortira, ou dans les innombrables manuscrits conservés par les bibliothèques, qui n’ont pas encore été tous déchiffrés.

Les Evangiles apocryphes[10] présentent des images du Christ souvent différentes de celles qu’on connaît, comme le Jésus « initiateur ésotérique »[11], ou racontent des épisodes légendaires peu conciliables avec le message d’amour du christianisme[12]… Mais ils contiennent parfois certaines parts de vérité[13], assimilées par la tradition de l’Eglise, mais dont la distinction revient au Magistère institué, qui dispose des éléments nécessaires pour distinguer la vérité de la fable. Car il revient à l’Eglise de transmettre et gérer le patrimoine du Christ dont elle est héritière. Elle révèle ce qu’elle sait être bon et ne cherche pas à cacher des vérités qui devraient maintenir l’humanité dans l’ignorance pour qu’elle seule puisse dominer le monde.

Il faut donc reconnaître la place importante que ces textes occupent dans la culture occidentale et, en particulier, dans la culture religieuse, aussi bien en Occident que dans les Eglises d'Orient, même si ces écrits ont été souvent taxés d'hérésie : tendances gnostiques, interprétations hétérodoxes de la personne du Christ, etc…

C’est au dix-neuvième siècle que l’on commença à s'occuper de la littérature apocryphe chrétienne, notamment dans les Eglises issues de la Réforme , avec comme premier souci celui de savoir si ces textes ne remontaient pas à une source ancienne des Evangiles. Mais très vite on découvrit qu’il s'agissait de témoignages tardifs, n'ayant pas la valeur spirituelle, ni la beauté, ni la limpidité, ni la grâce, ni la clarté des textes canoniques. Aujourd'hui, on finit par reconnaître que ces textes ne sont ni plus fantastiques, ni plus extraordinaires ni moins limpides que certains textes évangéliques.

Pendant plus d’un siècle, chrétiens comme non-chrétiens ont été fascinés par le rêve que quelque part, enfouis dans une grotte ou perdus dans une ancienne bibliothèque, pourrait se trouver un document qui prouverait une fois pour toute la vérité sur Jésus, son enseignement et sa mission[14]. Il convient donc de s’entendre sur ce que peut être un écrit apocryphe, ce qu’il peut contenir, en référence avec les autres textes canoniques[15], et découvrir sa place dans la littérature chrétienne. Ce que nous appelons le « Nouveau Testament » est une collection de vingt-sept livres, au départ non sacrés, dont la liste mit longtemps à se fixer.

Nous ne possédons pas et nous ne posséderons jamais les premiers recueils de paroles et de gestes de Jésus. Nous n'en connaissons pas plus la date de rédaction. Les Evangiles, du point de vue chronologique, ne sont pas les premiers écrits chrétiens ; ce sont les lettres de Paul, la plus ancienne étant la 1ère lettre aux Thessaloniciens. Dans l'état actuel de la recherche, la plupart des spécialistes s'accordent pour dater l'Evangile de Marc aux environs de 70 (peu avant ou peu après la prise de Jérusalem par les Romains), les Evangiles de Matthieu et de Luc vers 85 et celui de Jean vers 95.

Luc, compagnon de Paul dans ses voyages, a dû rédiger son œuvre en deux volumes (Évangile et Actes) dans les années 60-62. Il a terminé les Actes très peu avant la mort de Paul que son livre ignore. Matthieu doit avoir écrit un ou deux ans plus tard. Son auteur a été témoin de l’excommunication des chrétiens et c'est pourquoi il veut les rassurer : même exclus, ils sont le véritable Israël. La figure qu’il laisse de Pierre semble suggérer qu’il a connu sa fin. Mais, et cela vaut aussi pour Luc, il ne pouvait pas écrire comme il l’a fait s’il avait connu la destruction de Jérusalem et du Temple en l’an 70. Marc, secrétaire de Pierre, après avoir été l’assistant de Paul, semble avoir écrit un peu plus tard. Disciple et traducteur de Pierre, il a consigné par écrit ce que Pierre prêchait. De fait, une lecture attentive montre que Marc a été témoin des persécutions romaines, mais sans doute pas encore de la ruine de Jérusalem. L’évangile de Jean est plus tardif. On s’accorde pour dire qu’il l’a terminé dans les années 90-95.

L'Evangile de Jean[16] est très différent des trois autres, que l'on appelle « Synoptiques » parce que leur ressemblance est telle qu'on peut les lire d'un seul regard. Effectivement ils se ressemblent, mais il y a des différences notables[17]. L'hypothèse la plus communément admise serait que l'Evangile de Marc aurait servi de source commune, qu'une autre source aurait servi de complément à Matthieu et à Luc et que Luc aurait disposé d'une source particulière. Ce qui est sûr, c'est que, dès la première moitié du deuxième siècle, il existe des témoignages irréfutables de l'existence des textes évangéliques tels que nous les connaissons.

Les premières traditions chrétiennes eurent pour contenu la prédication des apôtres après la résurrection de Jésus. Ils s’appuyaient sur les Ecritures juives[18] lues au cours de la prière synagogale et que les premiers chrétiens interprétaient comme annonçant la mort et la résurrection du Christ. De plus, les apôtres rappelaient les faits, paroles et gestes de leur maître, pour en garder soigneusement le souvenir. Après sa conversion sur la route de Damas, Paul fonde des Eglises et, de 50 et à sa mort, il entretient avec elles une correspondance. Comme les disciples de la première heure commençaient à disparaître et qu’on ne voulait rien perdre de leur témoignage, on mit par écrit les traditions dont ils étaient garants. C’est ainsi que les écrits évangéliques virent le jour, le premier rédigé étant celui de Marc écrit aux alentours des années 70. Avec ces récits et les lettres de Paul, une littérature chrétienne prenait corps mais qui ne bénéficiait pas encore d’un statut d’Ecriture comme c’était le cas des Ecritures juives.


[1] Nous ne possédons pas et nous ne posséderons jamais les premiers recueils de paroles et de gestes de Jésus. Nous n'en connaissons pas plus la date de rédaction. Les Evangiles, du point de vue chronologique, ne sont pas les premiers écrits chrétiens ; ce sont les lettres de Paul, la plus ancienne étant la première lettre aux Thessaloniciens. Il faut se souvenir également que les évangiles ne sont pas des « vies de Jésus » telles que nous concevons les biographies aujourd'hui. Ils sont des témoignages, divers, de la foi des premières communautés chrétiennes. Chaque auteur écrit pour une communauté bien précise, avec ses questions, son vécu ; l'auteur organise son récit avec un plan différent suivant le message qu'il veut faire passer. L'Eglise, d'ailleurs, n'a jamais accepté de rassembler en un seul ces quatre livres.

[2] Dans l'état actuel de la recherche, la plupart des spécialistes s'accordent pour dater l'Evangile de Marc aux environs de 70 (peu avant ou peu après la prise de Jérusalem par les Romains), les Evangiles de Matthieu et de Luc vers 85 et celui de Jean vers 95. L 'hypothèse la plus communément admise, mais pas entièrement satisfaisante, serait que l'Evangile de Marc aurait servi de source commune, qu'une autre source aurait servi de complément à Matthieu et à Luc et que Luc aurait disposé d'une source particulière.

[3] Le concile de Florence, au quinzième siècle, a reconnu comme seuls valides ces quatre Évangiles écrits peu après la mort du Christ et qualifiés de « canoniques » (du mot grec kanon, désignant un roseau qui servait d’étalon de mesure, et qui par extension est compris comme une norme), les opposant aux autres textes, dits « apocryphes » (d'un mot grec qui signifie caché). Pendant longtemps la distinction entre textes canoniques et textes apocryphes avait été très incertaine. On a des manuscrits où furent recopiés à la fois des textes canoniques et des textes apocryphes. Ces derniers étaient donc lus. Certaines formules de la liturgie encore utilisées (par exemple le « lux perpetua in aeternum » du requiem) sont tirées de textes apocryphes. De plus, quand les fidèles entraient dans une église, ils entendaient lire les évangiles ou les épitres ; mais les représentations figurées qu'ils voyaient dans l'architecture, dans les statues, dans les peintures et les vitraux, étaient souvent tirées des apocryphes.

[4] Tous les textes du Nouveau Testament nous sont parvenus en grec, la langue commune (la « koïnè ») de tout le bassin méditerranéen de l'époque, qui jouait le même rôle que l'anglais aujourd'hui. Les textes des Evangiles ont-ils été écrits directement en grec ? La question ne se pose pas pour Luc dont le grec est la langue maternelle. Il ne semble pas que les textes de Marc et de Jean soient des traductions, malgré de nombreuses tournures sémitiques, le grec n'étant pas leur langue maternelle. Par contre, des écrivains du deuxième siècle, Papias et Irénée, affirment que Matthieu a été écrit en « langue hébraïque », c'est-à-dire en araméen, langue sémitique proche de l'hébreu, qui était la langue maternelle de Jésus. Un certain nombre de scientifiques actuels mettent en doute ces affirmations. Quoi qu'il en soit, on n'a trouvé nulle part un manuscrit hébreu de Matthieu.

[5] Aucun Évangile canonique (même pas celui de Jean selon la critique moderne) n’est daté après 100 et aucun texte apocryphe n’est daté avant cette année. Tous les apocryphes puisent dans les Évangiles canoniques ou supposent leur existence ; aucun évangile canonique ne puise dans un évangile apocryphe ou présuppose son existence. Les textes apocryphes ont été écartés « car ils étaient difficilement conciliables avec ce que Constantin voulait avoir comme doctrine politique. 

[6] C’est par eux, par exemple que l’on apprend la présence d'un bœuf et d'un âne dans la crèche qui recueillit l'enfant Jésus ! Les textes apocryphes ont ainsi alimenté pendant des siècles l'imaginaire chrétien.

[7] Un certain nombre de lettres et d’Evangile pseudépigraphiques (empruntant le nom de quelqu’un d’autre) circulaient dans les églises en même temps que les écrits des apôtres. Mais la plupart des Evangiles apocryphes étaient en copte et avait cours en Egypte parmi des groupes gnostiques. Selon l’Encyclopedia Britannica : « Tous les apocryphes du NT sont pseudépigraphes… Les mouvements hérétiques gnostiques et montanistes ont produit un grand nombre de pseudépigraphes du Nouveau Testament. L’apparition de ces nombreux écrits a provoqué le processus de canonisation des livres saints au sein de la jeune église chrétienne ». 

[8] par exemple les fêtes de la Nativité de Marie, celle de sainte Anne, la mère de Marie, ou des apôtres…

[9] La plupart des documents que nous avons, même très anciens, ne sont que des copies. Au début de l'ère chrétienne, la technique de support a changé : on est passé des « rouleaux », longues bandes de papyrus que l'on déroulait, aux « codex » constitués comme aujourd'hui de feuillets reliés permettant de tourner les pages. Qu'ils soient authentiques ou non, ces textes fournissent des informations et des détails supplémentaires sur la vie de Jésus et des premiers chrétiens. Cette source n'étant pas garantie, il n'est pas certain qu'ils soient toujours fiables. Il est en fait très difficile de se prononcer sur leur authenticité et leur paternité. La diversité de leur contenu témoigne de la disparité dogmatique des premières communautés chrétiennes. On peut supposer que lorsque la Bible canonique a été officialisée, plusieurs monastères n'ayant plus l'utilité de ces documents, les aient abandonnés ou cachés.

[10] Qu'ils soient authentiques ou non, ces textes fournissent des informations et des détails supplémentaires sur la vie de Jésus et des premiers chrétiens. Cette source n'étant pas garantie, il n'est pas certain qu'ils soient toujours fiables. Il est difficile de se prononcer sur leur authenticité et leur paternité. La diversité de leur contenu témoigne de la disparité dogmatique des premières communautés chrétiennes.

[11] de l’Evangile dit selon Thomas.

[12] Dans l’Evangile de l’enfance de Thomas, Jésus enfant fait mourir un autre enfant qui l’avait heurté…

[13] Les évangiles apocryphes ressemblent aussi aux Targums juifs (développement libre du texte biblique) quand ils proviennent de groupes nazaréens comme les Ebionites.

[14] De quelle nature serait cette vérité, cela variait selon l’ attitude de l’individu à l’origine de cette spéculation : Jésus aurait pu se révéler le fils de Dieu ou un imposteur, un rebelle politique ou une victime d’espoirs mal orientés, mais quelque part, cette vérité finale devrait être trouvée.

[15] Etymologiquement, le mot « canon » semble provenir du terme grec canon qui signifie « mesure ». Avec le temps, canon s’est converti en critère de la vérité d’une affirmation ou mesure, norme ou règle de quelque chose.

[16] Le manuscrit le plus ancien de l'évangile que nous possédons est un fragment de papyrus de 6 x 9 centimètres , où l'on peut lire cinq versets du chapitre 18 de Jean. Il a été découvert en Egypte et est date de la première moitié du deuxième siècle (quarante ou cinquante ans après la date de composition communément admise).

[17] Structure différente, épisodes ou paraboles présents dans l'un et pas dans l'autre (seul Luc rapporte l'histoire de Zachée ou la parabole de l'enfant prodigue…).

[18] Pour mémoire, la composition exacte de la Bible juive n’était pas fixée au début du premier siècle. Mais on s’entendait sur la liste des principaux rouleaux qui la constituaient à savoir les cinq rouleaux de la Loi ou Torah, les rouleaux des grands et petits prophètes, et celui des psaumes.