L'évangile arabe de l'enfance

Le livre des miracles de notre Seigneur,

Maître et Sauveur Jésus-Christ.

 

Les auteurs des Evangiles de l'Enfance[1] ont voulu écrire sur l'enfance de Jésus, de façon à ce que l'enfant Dieu manifeste sa divinité soit à l'école, soit à l'atelier, soit avec ses camarades, par des manifestations d'une puissance capricieuse et aveugle. Leurs textes ont pour but de nous renseigner sur la période de l'enfance et de la jeunesse de Jésus entre la Nativité et le Baptême du Jourdain. Les nombreux détails qu’ils rapportent n'ont de toute évidence aucune valeur historique. Les prodiges de l'enfant Jésus commencent avec l'affirmation de sa véritable identité et de sa mission dès le berceau. Puis les prodiges succèdent aux prodiges : guérisons miraculeuses de la part de Marie ou de Jésus, nombreux exorcismes de démons, intelligence précoce et « extraordinaire » de Jésus qui n'a nul besoin d'apprendre puisqu'il se montre plus savant que son maître.

Puisque les Évangiles canoniques sont avares de détails sur les trois premières décennies de la vie de Jésus, avant le début de son ministère public, et pour répondre aux attentes des fidèles en comblant les lacunes, dès les premiers siècles du christianisme, ont été rédigés en Orient, des textes racontant de manière détaillée et imaginative les activités de l'enfant Jésus, présenté comme coléreux, prétentieux et violent[2]. L’Evangile du pseudo-Thomas est censé raconter l’enfance du Christ. On y raconte que l’enfant Jésus, alors qu’il joue, crée des moineaux vivants à partir d’argile, et frappe à mort un petit enfant qui avait couru et s’était jeté contre son épaule. On montre un Jésus apprenti charpentier étirant des poutres de bois comme des élastiques et faisant étalage de toute une gamme de pouvoirs magiques sans but réel. L’auteur de l’Evangile arabe de l’Enfance[3] a également utilisé le Protévangile de Jacques et l’Evangile de l’Enfance de Thomas.

Nous avons trouvé (ceci) dans le livre de Josèphe, le grand prêtre qui existait tu temps du Christ, - d'aucuns ont dit que c'était Caïphe - il affirme donc que Jésus parla, étant au berceau, et qu'il dit à sa mère : Je suis Jésus, le fils de Dieu, le Verbe, que vous avez enfanté, comme vous l'avait annoncé l'ange Gabriel, et mon Père m'a envoyé pour sauver le monde…

Quand furent accomplis les jours de la circoncision, c'est-à-dire le huitième jour, la loi obligeait de circoncire l'enfant. On le circoncit dans la caverne. La vieille femme israélite prit le morceau de peau - d'autres disent qu'elle prit le cordon ombilical - et le mit dans une fiole d'huile de nard ancien. Elle avait un fils, parfumeur de son état ; elle lui en fit don, lui disant : Gardez-vous de vendre cette fiole de nard parfumé, quand bien même on vous en offrirait trois cents deniers. C'est celle fiole que Marie la pécheresse acheta et répandit sur la tête de Notre Seigneur Jésus-Christ et sur ses pieds, qu'elle essuya ensuite avec les cheveux de sa tête. Dix jours s'étant écoulés, ils emmenèrent l'enfant à Jérusalem ; et, quarante jours après sa naissance, ils l'introduisirent dans le temple en présence du Seigneur et offrirent pour le racheter les sacrifices prescrits dans la loi de Moïse, à savoir : Tout enfant mâle premier-né sera réputé consacré à Dieu.

Le vieillard Syméon le vit brillant comme une colonne de lumière, tandis que sa mère la vierge Marie le portait dans ses bras, toute joyeuse. Les anges tournés vers lui l'entouraient comme d'un cercle et lui rendaient gloire, pareils à la garde qui entoure le roi. Syméon se dirigea en hâte vers sainte Marie ; il étendit les mains vers elle, et dit au Seigneur Christ : Maintenant, Seigneur, congédiez en paix votre serviteur, selon votre parole ; car mes yeux ont vu l'œuvre de votre clémence, que vous avez préparée pour le salut de toutes les nations, pour servir de lumières à toutes les races, et pour la gloire d'Israël votre peuple. Anne la prophétesse fut aussi témoin de ce spectacle ; et elle s'approcha pour rendre grâces à Dieu et proclamer sainte Marie bienheureuse. 

L'Évangile arabe de l'Enfance parle des mages comme étant des rois. Ils seraient même accompagnés d'une large escorte, et auraient déposé leurs couronnes devant l'enfant Jésus. L'Évangile arménien de l'Enfance fait des mages trois rois, « fils des rois de la Perse  ». Il est à peu près impossible de préciser d'où sont venus les mages. L'Evangile selon Matthieu les fait venir d'Orient. En tous cas il n'y avait de mages qu'en Perse, en Médie, peut-être en Assyrie et en Chaldée, pays qui faisaient alors partie de l'empire des Parthes. Or ces pays sont tous à l'Est ou au Nord-Est de la Palestine.

Le livre arménien de l’enfance donne également son interprétation des origines des mages :

Un ange du Seigneur s'en fut en hâte au Pays des Perses, prévenir les rois mages d'aller adorer l'enfant nouveau-né. Et ceux-ci, après avoir été guidés par l'étoile pendant neuf mois, arrivèrent à destination au moment où la Vierge devenait mère. Car, en ce temps-là, le royaume des Perses l'emportait par sa puissance et ses victoires sur tous les rois qui existaient dans les pays d'Orient. Et ceux qui étaient les rois des Mages étaient trois frères : le premier, Melkon, qui régnait sur les Perses ; le second Balthasar, qui régnait sur les Indiens, et le troisième, Gaspar, qui possédait les pays des Arabes. S'étant réunis sur l'ordre de Dieu, ils arrivèrent au moment où la Vierge devenait mère. Ils avaient pressé leur marche et se trouvèrent là au temps précis de la naissance de Jésus. Cette nuit-même un ange gardien fut envoyé en Perse. Il apparut aux gens du pays sous la forme d'une étoile très brillante, qui illumina toute la terre des Perses. Or, comme le 25 du premier kanoun - fête de la Nativité du Christ - il y avait une grande fête chez tous les Perses adorateurs du feu et des étoiles, tous les Mages, en pompeux appareil, célébraient magnifiquement leur solennité, quand tout à coup une vive lumière éclata sur leurs têtes. Laissant là leurs rois, leurs festins, leurs réjouissances et quittant leurs demeures, ils sortirent pour jouir du spectacle. Ils virent qu'une étoile ardente s'était levée sur la Perse. Par son éclat, elle ressemblait à un grand soleil. Et leurs rois dirent aux prêtres en leur langue : « Quel est ce signe que nous voyons ? » Et, comme par divination, ils dirent: « Le roi des rois est né, le dieu des dieux, la lumière émanée de la lumière. Et voici que l’un des dieux est venu nous annoncer sa naissance, pour que nous allions lui offrir des présents et l’adorer. » Tous alors, chefs, magistrats, généraux, se levèrent et dirent à leurs prêtres : « Quels présents convient-il que nous emportions ? » Et les prêtres leur dirent : « De l’or, de la myrrhe et de l’encens ». Alors trois rois, fils des rois de la Perse , prirent, comme par une disposition mystérieuse, l’un trois livres de myrrhe, l’autre trois livres d’or, et un autre enfin, trois livres d’encens. Ils étaient parés de leurs ornements précieux, tiare en tête et leur trésor dans les mains. Au chant du coq, ils quittèrent leur pays, avec neuf hommes qui les accompagnaient, et ils se mirent en route, précédés par l’étoile qui leur était apparue.

Les Pères de l’Eglise disent que ces mages étaient trois[4]. Un traité attribué à Bède le Vénérable, au début du huitième siècle nomme les mages Melchior, Balthasar et Gaspard. Ce sont ces appellations qui ont prévalu. L'Evangile dit qu'ils vinrent adorer le roi des Juifs parce qu'ils avaient vu son étoile en Orient. C'est la preuve qu'ils attendaient le signe qui devait accompagner la naissance du Sauveur[5]. Il est douteux qu'ils soient parvenus à Bethléem treize jours après la Nativité , comme le croit saint Augustin. Ils durent arriver après la présentation de Jésus au Temple, car l'hostilité d'Hérode, allumée par la démarche des mages, aurait rendu cette présentation pour le moins difficile.

Dans la suite, les mages, de retour dans leur pays, furent baptisés par saint Thomas et prêchèrent l'Evangile avec lui. Enfin une légende du douzième siècle rapporte que les reliques des mages auraient été trouvées en Perse par sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, et auraient été transportées à Constantinople, puis à Milan à la fin du cinquième siècle et, de là, à Cologne sous l'empereur Barberousse, en 1163.

Quant à Hérode, lorsqu'il vit que les mages s'attardaient loin de lui et qu'ils ne revenaient pas, il convoqua les prêtres et les sages et leur dit : Apprenez-moi où naîtra le Messie. Ils lui dirent : A Bethléem de Juda. Et il se mit à songer au moyen de tuer le Seigneur Jésus-Christ. Alors l'ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit : Lève-toi, prends l'enfant et sa mère et pars pour la terre d'Égypte. Il se leva donc, au chant du coq, et se mit en route.

Tandis qu'il songeait en lui-même comment s'accomplirait son voyage, l'aurore survint, et il se trouvait avoir parcouru la moitié de la route. Au lever du jour il était à proximité d'un gros village. Or il y avait là une idole, avec toutes les autres idoles et divinités des Égyptiens. Un prêtre résidait auprès de cette idole pour la servir. Et chaque fois que le démon de céans parlait par la bouche de cette idole, le prêtre transmettait cet oracle au peuple de l'Égypte et de ses différentes provinces. Ce prêtre avait un fils âgé de trois ans, qui était possédé de plusieurs démons. Il disait et débitait toutes sortes de choses. Lorsque les démons s'emparaient de lui, il déchirait ses vêtements, demeurait nu et assaillait les gens à coups de pierres. Dans ce village, il y avait un hôpital, sous le vocable de cette idole.

Or quand sainte Marie et Joseph arrivèrent en ce village et furent descendus à cet hôpital, les gens du pays ressentiront une épouvante extrême. Tous les chefs et les prêtres des idoles se réunirent auprès de l'idole en question et lui dirent : Qu'est-ce que ce bouleversement et cette secousse qui se sont produits dans notre pays ? L'idole leur répondit en disant : Un dieu caché est présent ici ; c'est lui qui est le Dieu véritable et il n'y en a pas d'autre que lui à servir, car il est vraiment le Fils de Dieu. A la nouvelle de son approche, cette terre s'est émue ; quand il y descendit, elle trembla et fut secouée. Nous redoutons extrêmement la violence de son attaque. Au même instant, l'idole s'abattit, et sa chute fit accourir tout le peuple d'Égypte et d'ailleurs.

Le fils du prêtre fut atteint de son accident habituel. Il entra dans l'hôpital tandis que Joseph et sainte Marie s'y trouvaient. Tout le monde les avait abandonnés en fuyant. Dame sainte Marie venait de laver les langes du Seigneur Christ, et les avait tendus sur le mur. Le jeune possédé survint et prit l'un de ces langes et le posa sur sa tête. Au même instant, les démons, prenant la fuite, commencèrent à sortir de sa bouche, pareils à des corbeaux et à des serpents et, sur l'heure, l'enfant fut guéri par l'ordre du Seigneur Christ. Il se mit à louer et à remercier le Seigneur, qui l'avait guéri

Son père, l'ayant trouvé en santé, lui dit : Que vous est-il donc advenu, mon enfant, et comment avez-vous été guéri ? Il lui dit : Quand le démon m'eut terrassé, j'allai à l'hôpital. Là, je trouvai une noble femme avec un enfant. Elle venait de lui laver ses langes et les avait déposés sur le mur. J'en ai pris un, je l'ai mis sur ma tête et les démons me quittant se sont enfuis. Son père, transporté d'allégresse à son sujet, lui dit : Mon enfant, il est bien possible que ce petit garçon soit le fils du Dieu vivant, qui a créé les cieux et la terre. Car au moment où il a passé chez nous, l'idole s'est brisée, tous les dieux sont tombés et ont été mis à néant par la force de sa puissance…

Partis de là, ils arrivèrent dans une terre déserte, et ils apprirent qu'elle n'était pas sûre. Joseph et sainte Marie eurent l'idée de traverser ce pays durant la nuit. Tandis qu'ils cheminaient, ils aperçurent, sur leur route, deux brigands qui dormaient, et avec eux se trouvait toute une bande d'autres brigands leurs compagnons, qui dormaient également. Ces deux brigands qu'ils venaient de rencontrer étaient Titus et Dumachus. Titus dit à Dumachus : Laisse à ces gens le chemin libre pour qu'ils passent, et que nos compagnons ne les remarquent pas ! Dumachus n'y consentit pas. Titus lui dit : Je te donne quarante drachmes, et prends ceci comme gage. Et il lui présenta la ceinture qu'il avait aux reins, pour le décider à se taire et à ne dire mot. Quand Dame Marie vit la belle conduite de ce brigand[6] envers eux, elle lui dit : Le Seigneur Dieu vous protégera de sa droite et il vous accordera le pardon de vos péchés. Le Seigneur Jésus prit la parole et dit à sa mère : O ma mère, dans trente ans, les Juifs me crucifieront en la ville de Jérusalem et, avec moi, ils crucifieront ces deux brigands, Titus à ma droite et Dumachus à ma gauche ; et, après ce jour, Titus me précédera dans le paradis. Elle lui dit : Que cela vous soit épargné, mon fils !...

De là, ils descendirent à Misr. Ils virent Pharaon et demeurèrent dans le pays de Misr durant trois ans. Et le Seigneur Jésus accomplit dans le pays de Misr nombre de miracles qui ne sont pas écrits dans l'évangile de l'enfance ni dans l'évangile complet.

Après trois ans, il repartit et revint de Misr. Et lorsqu'ils atteignirent la terre de Judée, Joseph craignit d'y passer. Apprenant qu'Hérode était mort et que son fils Archélaüs lui avait succédé comme roi du pays, il craignit d'aller dans la terre de Judée. L'ange du seigneur lui apparut alors et lui dit : Joseph, passez dans la ville de Nazareth et restez-y…

Il y avait aussi dans ce pays une femme qui avait un fils possédé du démon. Il s'appelait Judas. Chaque fois qu'il était assailli par le démon, il mordait tous ceux qui l'approchaient, et s'il ne trouvait personne à sa portée, il se mordait les mains et les autres membres. Lorsque la mère de ce malheureux eut entendu parler de sainte Marie et de son fils Jésus, elle se leva et emportant Judas, elle l'amena chez Dame Marie. Or Jacques et José avaient emporté le Seigneur Jésus, alors petit enfant, pour aller jouer avec les autres enfants.

Quand ils furent sortis de la maison, ils s'assirent et le Seigneur Jésus avec eux. Judas, le possédé survint et s'assit à la droite de Jésus. Le démon l'ayant assailli à son ordinaire, il voulut mordre le Seigneur Jésus. Il ne le put, mais il frappa Jésus au côté droit. Le Seigneur Jésus se mit à pleurer et, à l'instant même, le démon sortit précipitamment du petit garçon sous la forme d'un chien enragé. Ce garçon qui frappa Jésus et de qui le démon sortit sous la forme d'un chien, c'est Judas l'Iscariote qui livra Jésus aux Juifs ; et le côté où Judas le frappa est celui même que les Juifs percèrent d'une lance.

Un jour, après que Jésus ait accompli sa septième année, il jouait avec ses petits camarades, c'est à dire des enfants de son âge. Ils s'amusaient avec de l'argile[7], et en faisaient des figurines représentant des ânes, des bœufs, des oiseaux, etc. Chacun d'eux se montrait fier de son habileté et se vantait de son ouvrage. Et le seigneur Jésus dit aux garçons : Ces figurines que j'ai faites, je vais leur ordonner de marcher. Les petits garçons lui dirent : Serais-tu donc le fils du Créateur ? Et le Seigneur Jésus commanda à ces figurines de marcher, et aussitôt elles se mirent à sauter. Puis il les rappela, et elles revinrent. Et Jésus avait fait des figurines représentant des oiseaux et des petits moineaux. Il leur ordonna de voler, elles volèrent, de se poser, et elles se posèrent sur ses mains. Il leur donna à manger, et elles mangèrent ; à boire, et elles burent. Les petits garçons s'en furent raconter le fait à leurs parents. Ceux-ci leur dirent : Enfants, ne fréquentez plus celui-là, c'est un magicien. Gardez-vous de lui, ne l'approchez plus et dorénavant ne jouez plus avec lui.

Un jour que le Seigneur Jésus se promenait et s'amusait avec les petits garçons, il passa par l'atelier d'un teinturier qui s'appelait Salem. Or ce teinturier avait, dans son atelier, beaucoup d'habits appartenant aux gens de la ville, et qu'il se proposait de teindre. Etant entré dans l'atelier du teinturier, le Seigneur Jésus prit tous ces habits et les jeta dans une cuve d'indigo. Quand Salem le teinturier revint et qu'il vit tous ces habits gâtés, il se mit à crier à forte voix, et s'en prenant au Seigneur Jésus il lui dit : Que m'as-tu fait là, Jésus fils de Marie ! Tu m’attires des affronts de tous les gens de la ville. Chacun d'eux voulait une couleur à sa convenance, et toi, tu es venu et tu as gâté tout l'ouvrage. Le Seigneur Jésus lui dit : Tous les habits auxquels vous voudrez une autre couleur, je la changerai. Et au même instant, le Seigneur Jésus se mit à retirer de la cuve les habits, chacun, jusqu'au dernier, avec la couleur que le teinturier souhaitait. Et les Juifs, à la vue de ce miracle et de ce prodige, rendirent gloire à Dieu.

Joseph prenait Jésus avec lui, et circulait dans toute la ville ; car il arrivait que les gens l'appellent, à cause de son métier, pour qu'il leur fasse des portes, des seaux à traire, des sièges ou des coffres. Le Seigneur Jésus l'accompagnait partout où il allait, et chaque fois que Joseph, dans son travail, avait besoin d'allonger ou de raccourcir quelque chose, de l'élargir ou de le rétrécir, que ce soit d'une coudée ou d'un empan, le Seigneur Jésus étendait la main vers l'objet, et la chose se trouvait comme Joseph la souhaitait, sans qu'il eut besoin d'y mettre la main, car Joseph n'était pas habile dans le métier de charpentier…

Un jour, le Seigneur Jésus était sorti par les rues. Ayant vu des enfants qui s'étaient réunis pour jouer, il s'attacha à leurs pas. Mais les garçons, lorsqu'ils l'eurent vu, se cachèrent à son approche. Arrivé près de la porte d'une maison, le Seigneur Jésus y aperçut des femmes et leur demanda où ces garçons s'en étaient allés. Ces femmes lui dirent : Il n'y en a pas un seul ici. Il leur dit : Et ceux que voila, dans le four, qui sont-ils ? Les femmes lui dirent : Ce sont des boucs de trois ans. Et le Seigneur Jésus de s'écrier : Boucs, sortez ici, auprès de votre berger ! Et les garçons sortirent sous la forme de chevreaux, et se mirent à sauter autour de lui. Témoins de ce spectacle, les femmes furent saisies d'admiration et prises de frayeur : elles coururent se prosterner en suppliantes devant le Seigneur Jésus et lui dirent : O notre Seigneur, Jésus fils de Marie ! C'est vous qui êtes en vérité le bon berger d'Israël. Ayez pitié de vos servantes qui sont en votre présence, et qui n'ont pas douté. O notre Seigneur, vous n'êtes venu que pour guérir, et non pour faire périr ! Le Seigneur Jésus leur répondit : Les enfants d'Israël sont parmi les peuples sur le même rang que les nègres. Les femmes lui dirent : Seigneur, vous savez toutes choses, et rien ne vous est caché. Maintenant, nous vous prions et nous demandons de votre bonté que vous rendiez à ces garçons, vos serviteurs, leur condition première. Et le Seigneur Jésus dit : Accourez par ici, les enfants, et allons jouer ! Et au même instant, les chevreaux reprirent leur forme et furent changés en petits garçons, sous les yeux de ces femmes… 

Sur ces entrefaites, voici que des gens s'approchèrent avec un petit garçon qu'ils transportaient. Ce petit garçon était parti avec d'autres dans la montagne pour en rapporter du bois. Dans la montagne, il trouva un nid de perdrix. Il étendit la main pour y prendre des œufs. Un serpent venimeux, qui se trouvait au milieu du nid, le mordit. Il cria au secours. Et quand ses compagnons arrivèrent, il était gisant à terre, comme un mort. Les gens de sa famille survinrent et l'emportèrent pour l'emmener en ville.

Lorsqu'ils atteignirent l'endroit où le Seigneur Jésus se trouvait faisant le personnage de roi, avec les petits garçons autour de lui, pareils à ses serviteurs, ces derniers accoururent au devant de celui qui avait été mordu, et ils dirent à ses proches : avancez, et saluez le roi. Ceux-ci refusèrent d'y aller, à cause du chagrin qu'ils éprouvaient. Alors les petits garçons les entraînèrent de force et malgré eux. Lorsque ces gens arrivèrent auprès du Seigneur Jésus, il leur dit : Pourquoi portez-vous ce petit garçon ? Ils lui dirent : Un serpent l'a mordu. Le Seigneur Jésus dit aux enfants : Venez avec nous pour tuer ce serpent. Les parents du petit garçon dirent : Laissez-nous aller, car notre fils est sur le point de mourir. Les garçons dirent : N'entendez-vous pas que le roi a dit : Allons tuer le serpent, vous qui refusez d'obéir ? Et sans autre permission, ils emmenèrent la monture.

Quand on fut arrivé près du nid, le Seigneur Jésus dit aux enfants : Est-ce ici que se trouve le serpent ? Ils répondirent : Oui. Alors le Seigneur Jésus appela le serpent, qui sortit sans retard en s'inclinant devant lui. Il lui dit : Va sucer le venin que tu as injecté à ce garçon ! Et le serpent se traîna vers ce dernier et lui reprit, en suçant, tout son venin. Alors, le Seigneur Jésus le maudit, et aussitôt le serpent creva. Jésus passa sa main sur le petit qui se trouva guéri. Et comme il se mettait à pleurer, le Seigneur Jésus lui dit : Ne pleure pas, bientôt tu seras mon disciple. C'est Simon le Zélote, dont parle l'Evangile.

Un jour, Dame sainte Marie dit au Seigneur Jésus : Mon enfant, va me chercher de l'eau au puits. Lorsqu'il y fut allé pour en rapporter l'eau, et qu'il eut rempli sa cruche, celle ci, pleine comme elle était, tomba et se brisa. Le Seigneur Jésus étendit son châle, y recueillit l'eau et l'apporta à sa mère dans le châle. Sainte Marie l'ayant aperçu, en fut dans l'admiration. Et tout ce qu'elle voyait, elle le gardait et le renfermait dans son cœur.

Un jour encore, le Seigneur Jésus se trouvait près d'un canal d'irrigation[8]. Avec lui se trouvait d'autres jeunes garçons. Ils avaient aussi fait de petits bassins, et le Seigneur Jésus, avec de l'argile, avait façonné douze petits oiseaux qu'il avait rangé sur le rebord de son bassin, trois de chaque côté. Ce jour était un samedi. Survint le fils de Hanan le juif, et les voyant ainsi, il leur dit avec colère et aigreur : Le jour du shabbat, vous pétrissez de l'argile ! Et s'étant élancé, il détruisit leurs bassins. Quand au Seigneur Jésus, il battit des mains vers les oiseaux qu'il avait façonnés, et ils s'envolèrent en piaillant. Le fils de Hanan vint aussi faire une brèche dans le bassin du Seigneur Jésus, et l'eau s'échappa. Le Seigneur Jésus lui dit : Que ta vie se dessèche, comme s'est desséchée cette eau ! Et à l'instant même, l'enfant fut frappé de paralysie.

Un jour aussi, le Seigneur Jésus faisait route avec Joseph. Il rencontra un garçon qui courait. Celui-ci heurta le Seigneur Jésus qui tomba. Jésus lui dit : Comme tu m'as jeté à terre, ainsi tu t'abattras toi-même pour ne plus te relever. Et au même instant, l'enfant s'abattit et mourut[9]

Du point de vue de l'histoire, l'enfance et la jeunesse de Jésus restent obscures. Dans les évangiles canoniques, le récit de Jésus à douze ans dans le Temple est propre à Luc. Il marque une étape de la vie de Jésus. L'enfant, dit-il, « croissait et se fortifiait. Il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui ». Il sait déjà qu'il n'est pas un enfant comme les autres. Mais il n'est pas encore parvenu à sa maturité, car Luc dit qu'ensuite « Jésus croissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes ». Jésus est non seulement vrai Dieu mais aussi vrai homme, et il devient homme aussi par son enfance. L’évangile apocryphe de l’enfance va donc également donner de petits détails complémentaires.

Quand il fut âgé de douze ans, ils montèrent avec lui à Jérusalem pour la fête. Et quand la fête fut terminée, ils repartirent. Quant au Seigneur Jésus, il se sépara d'eux et resta dans le Temple parmi les Prêtres, les Anciens et les Docteurs d'Israël, les questionnant et leur répondant sur des points de doctrine. Il dit : Le Messie, de qui est-il fils ? Ils lui dirent : De David. Il leur dit : Pourquoi alors, sous l'inspiration, l'appelle-t-il son Seigneur quand il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur Assieds-toi à ma droite pour que j'abaisse tes ennemis sous les pas de tes pieds ? Et le plus ancien des Docteurs lui dit en réponse : As-tu lu les saints Livres ?  Jésus lui dit : Les Livres, et le contenu des Livres, l'explication de ces Livres, de la Torah , des lois et des mystères qui sont dans les livres des prophètes, choses inaccessibles à la raison d'une créature. Et ce Docteur lui dit : Pour moi, jusqu'à présent, je n'ai pas atteint ni ne connais par ouï-dire un pareil savoir. Que pensez-vous qu'il adviendra de cet enfant ?...

Et tandis qu'ils échangeaient ces propos et d'autres semblables, survint Dame sainte Marie qui errait à sa recherche avec Joseph depuis trois jours. Elle l'aperçut qui se tenait assis parmi les Docteurs, les interrogeant et leur répondant. Et sainte Marie lui dit : Mon fils, pourquoi nous as-tu traité de la sorte ? Voici que ton père et moi, nous te cherchons, avec beaucoup de lassitude ! Il leur dit : Pourquoi me cherchez-vous ? Ne savez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? Eux ne comprirent pas la parole qu'il leur avait dite. Et les Docteurs dirent : Est-ce là votre fils, Marie ? Elle dit : Oui. Ils lui dirent : Heureuse êtes-vous, ô Marie, d'une telle maternité ! Et le Seigneur Jésus fit route avec eux jusqu'à Nazareth, et il leur obéissait en toutes choses. Sa mère conservait en son cœur toutes ces paroles. Et le Seigneur Jésus croissait en taille, en sagesse et en grâce devant Dieu et les hommes.

A partir de ce jour, il commença à cacher ses prodiges, ses mystères et ses paraboles. Et il se conforma aux prescriptions de la Torah jusqu'à l'achèvement de sa trentième année, où le Père le manifesta dans le Jourdain, par la voix qui criait du ciel : Voici mon fils chéri, en qui je me suis complu, tandis que l'Esprit-Saint lui rendait témoignage, sous la forme d'une colombe blanche.

Dans la suite des évangiles de l’enfance, les trente deux chapitres de l’Histoire de Joseph le charpentier[10] évoquent dans une première partie l’ascendance de Jésus, sa naissance et quelques événements de sa prime jeunesse. La deuxième partie est consacrée à la maladie, la mort et l’ensevelissement de Joseph. Le narrateur est Jésus lui-même. Il parle aux apôtres réunis autour de lui sur le mont des Oliviers. Parlant de sa mère, Jésus l’appelle affectueusement : « Marie, ma chère mère », « Marie, la vierge, ma mère ». Il s’étend sur le premier mariage de Joseph, qui donna à celui-ci quatre garçons et deux filles. Lorsque Joseph prit Marie dans sa maison, elle y trouva le petit Jacques dans la tristesse de l’orphelin. Elle se mit à le choyer ; c’est pour cette raison qu’elle fut appelée Marie mère de Jacques ». De sa conception, Jésus parle en ces termes : « Or, dans la quatorzième année de son âge, je vins de ma propre volonté, et j’entrai en elle, moi, Jésus, votre vie ». La mort de Joseph survint à l’âge de cent onze ans alors que Jésus avait dix-huit ans. Sur son lit de mort, Joseph se plaint amèrement de son manque de compréhension de l’incarnation : « Je ne connaissais pas, Seigneur, et je ne comprends pas le mystère de votre conception déconcertante. Ô mon Seigneur, n’était l’ordonnance de ce mystère, je ne croirais pas en vous ni à votre conception sainte, en rendant gloire à celle qui vous a enfanté, à Marie la Vierge bénie ». Marie rejoint son fils au chevet de Joseph et, attristée, s’entend dire : « Ô ma mère chérie, la mort est la souveraine de l’humanité ! Vous-même, il faut que vous mouriez comme tout homme. Mais votre mort ne sera pas une mort, mais une vie éternelle et sans fin ». 

Le caractère qui semble autobiographique de ce récit livre un portrait très humain de Marie et révèle un rapport touchant entre mère et fils.


[1] L’Evangile de Thomas (Philosophe Israélite), qui existe en deux rédactions grecques, une latine, et une syriaque d'ailleurs fortement divergentes), ainsi que l'Evangile arabe de l'enfance, dont on n'a connu le texte qu’en arabe.

[2] Pour cette raison, l'Église, en Occident, a fermement déconseillé la lecture des Évangiles de l'Enfance.

[3] De même que l’Evangile arménien de l’Enfance, l’Evangile arabe est vraisemblablement dépendant d’un archétype syrien qui peut dater du cinquième ou du sixième siècle.

[4] Cette fixation a été inspirée par le nombre des présents offerts. Mais d'après les traditions syrienne et arménienne ils étaient douze. Sur certains monuments on voit deux mages, sur d'autres quatre, parfois huit.

[5] L'astronome Képler a montré, dans deux écrits, que l'an 747 de Rome, qui paraît être la date vraie de la naissance de Jésus, on a vu en conjonction, aux mois de juin, d'août et de décembre, les planètes Saturne et Jupiter dans le signe des Poissons et que, l'année suivante, Mars est venu se joindre à ces planètes aux mois de février et de mars.

[6] Les évangiles canoniques ne disent presque rien sur les deux criminels, Luc seul leur donne des rôles spécifiques, qui ont permis de distinguer un « bon » et un « mauvais » larrons. La tradition plus tardive a donné différents noms aux deux malfaiteurs (Joathas et Maggatras, Zoatham et Camma, Titus et Dumachus, Dysmas et Gestas). La plupart de ces noms sont aujourd'hui oubliés, mais quelques lecteurs se souviennent encore du bon larron comme « Dysmas ». Sous ce nom, le calendrier liturgique romain lui a attribué un jour de fête, le 25 mars, autrefois considéré comme le jour de la crucifixion de Jésus, mais aujourd'hui comme la fête de l’annoncciation. La légende, trouvée dans ce texte apocryphe, raconte que lorsque la Sainte Famille s'enfuyait en Égypte, deux voleurs l'attaquèrent. Cependant, un s'arrêta immédiatement quand il vit les larmes jaillissant des yeux de Marie. C'étaient ces mêmes voleurs qui sont crucifiés avec Jésus. Celui qui est ému par les larmes de Marie était le bon larron à la droite de Jésus.

[7] L’Evangile du Pseudo-Thomas rapporte quant à lui : « Ensuite, ayant pris de la terre glaise, il pétrit douze petits moineaux. C'était un jour de sabbat ; une volée de gamins jouaient avec lui. Un Juif, voyant à quoi s'occupait Jésus ce jour-là, s'empressa de tout rapporter à Joseph son père. "Dis, ton fils est près de la rivière; il a pris de l'argile et il a façonné douze moineaux. Il se moque du sabbat !" Joseph se rendit sur les lieux. Dès qu'il aperçut son fils, il le gronda: "Pourquoi te livres-tu à des activités interdites le jour du sabbat ?" Mais Jésus frappa dans ses mains et cria aux moineaux " Partez ! " Les oisillons déployèrent leurs ailes et s'envolèrent en pépiant. Sidérés, les Juifs s'en allèrent conter à leurs chefs ce que Jésus avait accompli sous leurs yeux ».

[8] On retrouve cet épisode dans l’Evangile du pseudo-Thomas. « Ce petit enfant Jésus, âgé de cinq ans, jouait, après un orage, au bord d'une rivière. Il dirigeait des ruisselets dans des fossés et cette eau redevenait aussitôt limpide, obéissant à sa moindre parole. Ensuite, ayant pris de la terre glaise, il pétrit douze petits moineaux. C'était un jour de sabbat ; une volée de gamins jouait avec lui. Un Juif, voyant à quoi s'occupait Jésus ce jour-là, s'empressa de tout rapporter à Joseph son père. Dis, ton fils est près de la rivière ; il a pris de l'argile et a façonné douze moineaux. Il se moque du sabbat ! Joseph se rendit sur les lieux. Dès qu'il aperçut son fils, il le gronda : Pourquoi te livres-tu à des activités interdites le jour du sabbat ? Mais Jésus frappa dans ses mains et cria aux moineaux Partez ! Les oisillons déployèrent leurs ailes et s'envolèrent en pépiant. Sidérés, les Juifs s'en allèrent conter à leurs chefs ce que Jésus avait accompli sous leurs yeux ».

[9] On retrouve également cet épisode dans l’Evangile du pseudo-Thomas. « Cependant, le fils d'Anne le scribe, qui se trouvait là, avec Jésus, saisit une branche de saule et dispersa les eaux drainées par Jésus. Ce que voyant, Jésus se fâcha, et lui dit : Méchant ! Impie ! Insensé ! Quel mal te faisaient mes canaux et cette eau ? Eh bien, maintenant, deviens comme un arbre sec, et ne porte plus ni feuille, ni racine, ni fruit. Aussitôt l'enfant se dessécha, des pieds à la tête. Et Jésus s'en retourna chez Joseph. Les parents de l'enfant desséché vinrent ramasser leur fils, pleurant sur sa jeunesse. Ils l'apportèrent à Joseph et ils le blâmaient d'avoir un fils capable de ces miracles-là ».

[10] L’évangile du pseudo-Thomas raconte un épisode pour montrer la participation de Jésus aux travaux de son père : « Son père était charpentier et il fabriquait en ce temps-là des charrues et des jougs. Un riche le chargea de lui faire un lit. Il se trouva que l'une des pièces était plus courte que l'autre, et Joseph était bien contrarié. Mais Jésus dit à son père : Pose les planches à terre, et reste à ta place si tu veux les rendre égales. Joseph fit comme l'enfant avait dit. Et Jésus se mit à l'autre bout, saisit l'élément le plus court et en l'étirant, lui donna la même longueur que l'autre, sous les yeux admiratifs de Joseph ! Celui-ci prit son fils dans ses bras, le couvrit de baisers et dit : Je suis heureux que Dieu m'ait donné cet enfant ! ».