En guise de conclusion…

 

 

La Bible chrétienne est le résultat d’un long processus de sélection[1] des textes. S’il était déjà bien avancé dans les premiers siècles, il ne s’est achevé que tardivement : il faut attendre le seizième siècle pour que les catholiques disposent d’un inventaire des livres de la Bible faisant autorité, le dix-septième siècle pour les orthodoxes et ce n’est qu’au dix-neuvième siècle que le contenu de la Bible protestante sera véritablement stabilisé. « Evangile » est un terme issu du grec « euaggelion », signifiant « bonne nouvelle ». Les évangiles[2] rapportent la « bonne nouvelle » que constitue la venue de Jésus. Ces écrits relatent la vie et l'enseignement du Christ, par ceux qui sont considérés comme des témoins directs de ses faits et gestes. Le christianisme, dès ses origines, se présente pourtant sous la forme d'un ensemble de communautés étonnamment diverses. Ainsi, loin d'offrir une image unifiée de la religion chrétienne, les apocryphes introduisent à sa diversité doctrinale, mais aussi mythologique et linguistique.

A qui se plonge dans la littérature apocryphe, ces œuvres peuvent réserver une cruelle déception. Certains apocryphes prétendent apprendre au lecteur des faits sur Jésus : l'un rapporte un enseignement ésotérique qu'il aurait confié à un disciple particulier, un autre transcrit le récit que deux ressuscités auraient fait de sa visite aux enfers… S'il ne faut pas attendre des apocryphes la découverte de secrets ou de révélations cachées sur Jésus et ses disciples[3], ils permettent de se faire une idée sur les représentations que les chrétiens de divers lieux et de divers temps se sont faites de la figure de Jésus... Ils témoignent de leurs questions et des réponses qu'ils ont données sur la nature du Christ, sur les liens du christianisme avec le judaïsme et la culture romaine.

Au sein de l'extraordinaire foisonnement de textes, le choix de l'Église ancienne fut difficile. L'Apocalypse de Jean a bien failli ne pas être retenue dans le canon. Quant au Pasteur d'Hermas, il a manqué de peu d'y entrer. Il n'y a aucune différence intrinsèque entre écrits canoniques et apocryphes. Le Nouveau Testament résulte du choix que les autorités ecclésiastiques ont opéré parmi des dizaines de textes pour fixer un corpus de référence. D'autres œuvres, non retenues, continuèrent à alimenter la piété, au point d’être à la source de traditions encore vivaces. Ces textes ont traversé l’histoire de la pensée et de la foi chrétienne depuis leur rédaction, recueillant les traditions orales des premières communautés chrétiennes. Ils témoignent de la forte impression produite sur la conscience des fidèles par l’événement qui venait de se produire et dont ils étaient presque les contemporains.

Oublier les apocryphes équivaudrait à nier tout un pan de la culture occidentale, aussi bien dans l’iconographie[4] que dans la littérature[5]. Ces textes sont une partie intégrante de la mémoire collective, alors que nos contemporains sont obligés de reconnaître de plus en plus de lacunes dans la connaissance qu’ils peuvent avoir de l’histoire religieuse.

Il ne faut pas attendre de ces Evangiles beaucoup d’informations historiographiques[6], mais leur existence en marge des livres sacrés oblige à demander pourquoi avoir introduit dans le corpus biblique, certains écrits et en avoir écarté d’autres. Dans les textes considérés comme apocryphes, la pensée n’est pas cristallisée, les événements n’ont pas l’architecture des évangiles canoniques. Ils dépassent la mesure ; tout y est plus abrupt, plus élémentaire ; les traits sont grossis… Ils ne sont pas l’œuvre de théologiens savants. Plusieurs, parmi ces livres, ont été reconnus par l’Eglise, comme inspirés, mais ils n’ont jamais bénéficié du crédit des textes que le christianisme a intronisés comme Ecriture sainte. Certains pensent qu’il faut que les fidèles les lisent, car ils sont très importants pour comprendre les enjeux[7] religieux et idéologiques des premiers siècles. D’autres affirment le contraire… même si la franchise très directe du Nouveau Testament apocryphe soutient la discrétion réfléchie du Nouveau Testament canonique. Pour parler à l’intelligence comme le font les canoniques, il fallait que les apocryphes puissent s’adresser à l’imagination.

 


[1] Au cours de cette sélection, des textes ont été mis de côté, ou n’ont jamais été pris en compte. C’est cette littérature que l’on appelle « apocryphe ».

[2] Il y a quatre Evangiles dit « canoniques », c'est-à-dire reconnus comme faisant foi par les lois du droit canon (droit issu de l’Eglise) : ceux de Matthieu, de Marc et de Luc sont dits synoptiques, car ils ont une forme et un contenu très proches ; celui de Jean, d'une écriture différente, a été qualifié d'évangile spirituel par Clément d'Alexandrie.

[3] Certains apocryphes reflètent des traditions contemporaines d'une partie de ce qui est devenu le Nouveau Testament. Ils constituent pour les historiens comme pour les biblistes une voie d'accès, même si elle est peu exploitée, à des traditions chrétiennes des origines. Pas plus que les évangiles canoniques, ils ne donnent accès à la vérité historique sur Jésus et sur ses apôtres. Ils transmettent plutôt des éclairages sur la vie et sur les croyances des premières communautés de chrétiens.

[4] vitraux des cathédrales et fresques des églises romanes, icônes byzantines…

[5] L'Enfer de Dante ou certaines pages de Flaubert, par exemple, deviendraient incompréhensibles.

[6] D’un point de vue purement esthétique, les textes apocryphes ne manquent pas de charme ; il émane d’eux une fraîcheur qui fait parfois défaut aux écrits canoniques, d’un ton plus grave, plus austère, soucieux de concilier théologie et foi populaire.

[7] C’est pourquoi ils ont inspiré l’iconographie ainsi que des croyances médiévales en certaines légendes, comme l’épopée du Graal qui est issue des Actes de Pilate, appelé aussi Evangile de Nicodème. Ils sont plus riches en détails, plus pittoresques ; les écrits sont plus étendus, moins fragmentaires, la trame dramatique est plus élaborée... Ce qui est sûr, c’est l’intérêt inestimable de ces écrits pour la connaissance du christianisme primitif dans sa profondeur.