Jésus, fondateur du christianisme

 

Il nous faut prendre parti sur Jésus, un homme de son époque, pleinement  homme. Il est aussi le Christ, Fils de Dieu, pleinement Dieu.

Être chrétien

Nous nous appelons chrétiens parce que nous croyons en Jésus-Christ et que nous voulons vivre, avec son aide, selon sa parole et son exemple. Qu'est-ce qui fait l'identité du chrétien ? On peut appeler chrétien tout homme qui, dans sa pensée et dans son action, se réfère directement et explicitement à Jésus-Christ, non pas seulement comme à une personne du passé historique, mais comme à une personne toujours agissante, comme à une personne susceptible d'apporter une lumière définitive sur le sens de la vie, sur le sens de la mort.

Quand on interroge des chrétiens sur leur identité, ils répondent souvent d'une manière banale, vague ou sentimentale. Est chrétien celui qui veut l'amour, la justice, le bien... Mais c'est aussi ce que veulent beaucoup de non-chrétiens. Et il arrive même que, dans la pratique, ces derniers soient souvent plus efficaces que les chrétiens.

Le terme chrétien n'est pas un terme d'origine chrétienne. Les disciples se désignaient entre eux sous le nom de "frères", de "disciples", de "ceux qui suivent la Voie", de "saints". Mais c'est dans des milieux non-chrétiens que ce concept a été formé. Est chrétien le partisan, l'adepte du Christ. C'est à Antioche que "pour la première fois, le nom de chrétiens fut donné aux disciples" (Ac. 11, 26). L'apparition de ce terme manifeste que l'Eglise d'Antioche n'est plus considérée comme une sorte de secte juive, mais comme un groupe religieux nouveau qui se réclame explicitement et définitivement du Christ.

Mais il faut aussi se rappeler que ce terme n'est pas, à l'origine, un terme honorifique. C'est plutôt un sobriquet insultant à l'égard de ceux qui considèrent que Jésus est le Christ. Accepter d'être reconnu comme chrétien, c'était accepter le mépris, l'insulte, la persécution et donc parfois la mort.

Aujourd'hui, le terme de chrétien n'est plus aussi méprisé, du moins dans la civilisation occidentale. Mais il convient toujours de le rattacher étroitement à la personne de Jésus-Christ, mort et ressuscité. Ne peut être chrétien que celui qui accepte de parcourir totalement le même chemin que Jésus, en allant donc aussi jusqu'à accepter la mort.

Comment montrer que nous sommes chrétiens ? La réponse à cette question a été donnée par Jésus lui-même à la demande d'un maître de la Loi qui l'interrogeait pour savoir quel était le plus grand commandement dans toute cette Loi de Moïse. C'était un sujet très controversé parmi les théologiens de l'époque. La synagogue ancienne avait tiré de la Torah six cent treize préceptes (deux cent quarante huit commandements et trois cent soixante cinq interdictions). Et les docteurs de la Loi se demandaient s'il n'y avait pas un commandement qui pouvait englober tous les autres. Rabbi Hillel (20 avant Jésus-Christ) avait donné ce principe de base : "Ce que tu ne voudrais pas qu'il t'arrive, ne le fais pas non plus à ton prochain. C'est là toute la Loi, le reste n'est qu'explication".

A l'interrogation du légiste, Jésus rappelle ce qu'il y a dans la Loi : aimer Dieu, aimer le prochain. On croirait entendre Jésus réciter une leçon de catéchisme juif... C'est que l'amour de Dieu et l'amour des autres ne sont pas des nouveautés, puisque la Loi de Moïse ne les avait pas négligés. La nouveauté, c'est que Jésus rassemble ces deux commandements, ils constituent dès lors la norme selon laquelle tous les autres peuvent et doivent être interprétés et appréciés. De plus, il n'y a pas d'exigence divine qui aille à l'encontre de l'intérêt pour le prochain. Il n'y a pas de devoir plus fondamental pour l'homme que de respecter et d'aimer l'homme, son semblable.

Et toute la théologie de l'Eglise primitive sera de montrer que celui qui affirme aimer Dieu sans aimer son frère est un menteur. Être chrétien, ce n'est pas seulement aimer Dieu, c'est aussi aimer l'homme, mais pas seulement à la manière des philanthropes. Nous montrons que nous sommes chrétiens en prenant pour ligne de conduite celle de Jésus-Christ, celle du don total de soi : "Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits". Cette parole sur le grain de blé est très éclairante pour celui qui veut suivre le Christ. La vie du grain de blé semble s'achever lorsqu'il est mis en terre, alors que c'est à ce moment précis qu'il prend sa véritable dimension, c'est à ce moment-là qu'il existe vraiment.

Selon l'étymologie, exister, c'est sortir de soi pour devenir autre, se situer hors de soi-même. L'existence véritable est une sortie de soi pour devenir autre. A la suite du Christ, selon le modèle du grain de blé, le chrétien est toujours appelé à mourir à lui-même pour devenir autre et pour porter du fruit. Ce qu'il importe de faire, pour tout chrétien, c'est de calquer son existence sur celle du Christ Jésus, lui qui n'a pas cherché à faire sa volonté, mais qui s'est fait obéissant au Père, obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. Au jour de son baptême, le nouveau chrétien est plongé dans la mort avec le Christ pour ressusciter avec lui dans une vie nouvelle. Mais ce qui lui est alors donné, c'est le gage d'une promesse : le chrétien doit réaliser ce qu'il est appelé à devenir. Et ce qu'il lui importe donc de vivre, c'est d'effectuer chaque jour le passage de la mort à la vie...

Historicité de Jésus de Nazareth

Il est pratiquement impossible de retracer une histoire de Jésus, car les évangiles ne sont pas des livres d'histoire, mais des témoignages sur son existence et son message. De plus, ces témoignages ont subi l'influence de l'interprétation des communautés chrétiennes dans lesquelles ils ont été rédigés.

Il n'existe pas d'autre personnage historique qui ait exercé une influence comparable à celle de ce prophète galiléen, nommé Jésus de Nazareth, puisque son influence se fait sentir encore aujourd'hui après vingt siècles, même chez ceux qui se disent non-chrétiens. Ceux-ci, même s'ils sont adversaires de la religion sous toutes ses formes, reconnaissent que Jésus a été un personnage hors du commun et que son message a marqué l'ensemble de l'humanité, bien que sa prédication n'ait duré que quelques années et que sa mort fut ignominieuse. Et pourtant, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, cet homme n'a laissé aucun écrit. Il s'est contenté de proclamer dans son pays la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu.

Les évangiles, seule source d'information sur sa vie, ne se présentent même pas comme des biographies, mais comme des témoignages de foi des premières communautés. L'historien se trouve alors singulièrement dépourvu quand il entreprend de retracer ou de décrire ce que fut son existence.

Une question se pose avec une certaine acuité chez ceux qui s'opposent le plus violemment à la foi chrétienne : y a-t-il eu à l'origine du christianisme une personnalité réelle, celle de Jésus, ou bien l'histoire évangélique n'est-elle que la traduction d'un mythe et Jésus n'a-t-il eu de réalité que dans l'imagination et le coeur de ses adorateurs ? Ce n'est pas une question nouvelle, puisqu'elle s'est posée à partir du dix-huitième siècle... tout comme peu de temps après on s'interrogeait sur l'existence de Napoléon, en se demandant s'il n'était pas qu'un mythe, qu'une histoire légendaire.

C'est au début du vingtième siècle que la discussion sur l'historicité de Jésus s'est amplifiée, parce que les matériaux évangéliques ne permettaient pas d'écrire une vie de Jésus et que les témoignages non-chrétiens concernant Jésus de Nazareth sont peu nombreux.

L'histoire de Jésus n'est consignée ni dans les actes officiels ni dans les annales de l'empire romain, ni dans aucun ouvrage d'histoire juive, et il n'a guère été pris en considération par l'histoire mondiale.

Il fait son entrée dans l'histoire profane à l'occasion d'un échange de notes administrative. Gaius Plinius Secundus, généralement appelé Pline le Jeune, légat en Bithynie, écrit à l'empereur, vers 112, pour lui faire part de quelques-uns de ses problèmes. Il a comme soucis importants des grèves, des scandales municipaux et une morosité politique. Il constate également un grand malaise religieux : les temples sont désertés, dans quelques-uns même, le culte a cessé. Cela a conduit à une crise agricole, puisqu'il n'y a plus d'acheteurs pour les animaux destinés aux sacrifices. Tout cela est imputable, selon les informateurs de Pline, aux chrétiens qui forment une société secrète et qui manquent certainement de loyauté envers l'empire romain.

Cette lettre est importante pour connaître l'Eglise ancienne, mais c'est certainement des adversaires des chrétiens (donc des gens qui ont eu affaire à ceux-ci) que le gouverneur de Bithynie tire ses informations. Il demandait des instructions au sujet de "chrétiens" qu'une lettre anonyme avait dénoncés.

J'ai l'habitude, Seigneur, de vous consulter, sur mes doutes. Voici la règle que j'ai suivie à l'égard de ceux qui ont été déférés à mon tribunal comme chrétiens. Toute leur faute ou toute leur erreur s'était bornée à se réunir habituellement à date fixe, avant le lever du jour et de chanter entre eux un hymne à Christ comme a un dieu, et de s'engager par serment (non, comme il semble que Pline s'y attendait, à quelque crime, mais) à observer la loi morale : ne pas commettre de vol, de violence, d'adultère, de ne pas manquer à leur parole, ne pas nier un dépôt réclamé... Ils se retrouvaient pour prendre ensemble un repas, mais un repas ordinaire et innocent. A ceux qui avouaient, je l'ai demandé une deuxième et une troisième fois, en les menaçant de supplice. Ceux qui persévéraient, je les ai fait exécuter. Ceux qui niaient être chrétiens ou l'avoir été, s'ils invoquaient les dieux selon la formule que je leur dictais et sacrifiaient par l'encens et par le vin devant ton image que j'avais fait apporter à cette intention avec les statues des divinités, si, en outre, ils blasphémaient le Christ - toutes choses qu'il est, dit-on, impossible d'obtenir de ceux qui sont vraiment chrétiens, j'ai pensé qu'il fallait les relâcher. Ce n'est pas seulement à travers les villes, mais aussi à travers les villages et les campagnes que s'est répandue la contagion de cette superstition. Je crois pourtant qu'il est possible de l'enrayer et de la guérir.

Trajan répond de ne pas tenir compte des dénonciations anonymes et de punir ceux qui s'obstineraient à s'affirmer chrétiens.

Il ne faut pas rechercher les chrétiens. Mais s'ils sont dénoncés et convaincus, qu'on les châtie. Pourtant, si quelqu'un nie être chrétien et le prouve en sacrifiant aux dieux, qu'il obtienne le pardon.

La lettre de Pline n'est pas la seule source non chrétienne à désigner "Christ". Trois ou quatre ans plus tard, Tacite écrit ses Annales, il dit que Néron était soupçonné d'être l'instigateur de l'incendie de Rome en 64. Pour faire taire les rumeurs, la police romaine avait recherché un bouc émissaire. Elle en trouva un dans un groupe de personnes connues sous le nom de chrétiens, qui étaient méprisées par la populace à cause de leur conduite scandaleuse à ses yeux. Aussi un certain nombre de chrétiens furent-ils torturés et condamnés à mort.

Néron produisit comme inculpés... des gens détestés pour leurs turpitudes, que La foule appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que, sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce-Pilate avait livré au supplice. Réprimée sur le moment, cette exécrable superstition perçait de nouveau, non seulement en Judée où le mouvement avait pris naissance, mais encore à Rome où tout ce qu'il y a d'infâme et de honteux afflue et trouve des sectateurs...

Tacite ne semble pas croire au bien-fondé de l'accusation portée contre les chrétiens, mais il n'hésite par à les présenter comme des ennemis déclarés de la société romaine. Il nomme le Christ comme fondateur de ce mouvement et donne des renseignements historiques qui reprennent les évangiles : Tibère et Ponce-Pilate.

Malheureusement la mort du fondateur n'avait pas stoppé le mouvement, et à l'époque de l'incendie de Rome, soit une trentaine d'année après sa mort, les partisans de cette superstition étaient devenus une multitude immense. Mais Tacite n'aurait-il pas utilisé des documents d'origine chrétienne, en recourant par exemple à des témoignages de croyants inculpés, conservés dans des rapports de police ?

Nous savons que Ponce-Pilate fut préfet de Judée de 26 à 36. Son nom, Pontius Pilatus, est gravé sur une pierre qui fut réemployée dans la construction du théâtre de Césarée Maritime, et qui a été redécouverte en 1961. Mais il n'est resté aucune trace de sa correspondance avec le pouvoir central. Philon d'Alexandrie attribue à Pilate des violences, des cruautés, des rapines, des exécutions sans jugement préalable. Ainsi, Pilate passa outre la sensibilité juive en voulant exposer des enseignes militaires dans le Temple de Jérusalem, et il fallut que l'empereur lui-même s'en mêle pour le faire céder. Pour financer l'aqueduc qui devait amener l'eau à Césarée, il voulut puiser dans le Trésor du Temple, cet incident tourna à l'émeute et s'acheva dans la violence. Pilate fut révoqué en 36 par Vitellius, légat de Syrie, et envoyé à Rome pour se justifier devant l'empereur d'avoir maté dans le sang une manifestation messianique samaritaine : des gens s'étaient rassemblés, à l'appel d'un prophète exalté, dans l'intention de gravir le mont Garizim, pour y découvrir les vases sacrés cachés depuis les premiers temps de l'occupation de Canaan par les Hébreux... Pilate fut condamné par Caligula soit à l'exil soit à la mort...

Vers l'an 120, dans sa Vie des douze Césars, Suétone écrit la vie de Néron. Dans une série de mesures prises par l'empereur, il note : On livra au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse. Et, dans la vie de Claude, on peut lire : Comme les juifs se soulevaient continuellement, à l'instigation d'un certain Chrestos, il les chassa de Rome.

Dans tout cela, il n'y a rien de très précis concernant Jésus qui mourut sous Ponce-Pilate. Mais un fait est capital : dans la deuxième décennie du deuxième siècle, les autorités impériales connaissent les chrétiens comme un mouvement spécifique, et elles ont eu affaire à eux déjà sous Néron. Trois témoins romains font mention du Christ, ce qui empêche de mettre en doute son existence historique.

Indirectement, les textes juifs du Talmud établissent également qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute son existence. Une tradition antérieure à l'an 200, venue du traité du Sanhédrin, dans le Talmud de Babylone, indique :

A la veille de la fête de la Pâque, on pendit Jésus. Quarante jours auparavant, le héraut avait proclamé : il est conduit dehors pour être lapidé, car il a pratiqué la magie et séduit Israël et l'a rendu apostat. Celui qui a quelque chose à dire pour sa défense, qu'il vienne et le dise. Comme rien n'avait été avancé pour sa défense, on le pendit à la veille de la fête de la Pâque.

Pour poursuivre l'enquête, on peut apporter un autre document juif. Vers 93, Flavius Josèphe mentionne le Christ dans deux passages de son livre, les Antiquités juives. Le premier rapporte la condamnation et l'exécution de Jacques, le frère de Jésus, et le second parle de Jésus comme d'un sage dont beaucoup de juifs et de non-juifs sont devenus les disciples, croyant qu'il était le Messie :

A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel, car il accomplissait des choses prodigieuses. Maître de gens qui étaient disposés à faire bon accueil aux doctrines de bon aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les juifs et jusque parmi les hellènes. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l'eut condamné à la croix, ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent pas de l'aimer, parce qu'il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l'avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles à son sujet. De nos jours ne s'est pas tarie la lignée de ceux qu'à cause de lui on appelle chrétiens.

Les examens littéraires et les critiques des historiens laissent cependant à penser que ce passage ne peut pas être de la main de Flavius Josèphe, parce qu'il souligne trop la pensée chrétienne.

Si c'est en langue hébraïque ou araméenne, et si c'est très probablement à Jérusalem qu'est née la première littérature concernant Jésus, depuis lors, il n'y a guère eu de littérature juive concernant Jésus, venant des descendants à qui le prophète de Nazareth avait pou s'adresser. Quelques lignes dans toute la littérature non-chrétienne, c'est tout ce que nous pouvons savoir de Jésus de l'extérieur. Le seul intérêt qu'il est possible de trouver dans ces témoignages non-chrétiens, c'est que même les plus ardents détracteurs de la prédication du Nazaréen n'ont jamais mis en doute son existence historique, ce qui sera fait par les critiques les plus tendancieux de l'époque moderne... Mais ceux qui ont entendu parler de ce prophète galiléen considèrent toujours son arrivée sur la scène publique comme un événement quelconque, sans grande importance.

On aurait tort de penser que les seules sources non-chrétiennes ont une valeur probante. Les textes du Nouveau Testament permettent aussi d'affirmer, sans la moindre hésitation, l'existence historique de Jésus, même si les premières communautés chrétiennes n'ont pas cherché à mettre en valeur le rôle historique mondial que pouvait avoir celui en qui des hommes mettaient leur foi, au point de mourir pour son nom au lieu de le renier.

Pour connaître Jésus de Nazareth, il faut accepter de franchir le pas de la foi et de s'en remettre au témoignage que les premiers chrétiens ont porté sur lui. Les lettres de l'apôtre Paul, qui sont facilement datables, permettent d'affirmer un fait qu'aucune communauté chrétienne n'aurait inventé d'elle-même : Jésus est mort pendu à une croix, cela vraisemblablement le vendredi 7 avril 30 (cette date est très vraisemblable, quoique pas entièrement certaine, d'autres années sont possibles, entre 29 et 33). Cette mort est loin d'être une "mort noble" pour le fondateur d'une religion ! En effet, il y a un texte terrible dans la Loi de Moïse concernant ce châtiment : l'homme ayant en lui un péché passible de mort, qui aura été mis à mort et que l'on aura pendu à un arbre : un pendu est une malédiction de Dieu (Dt. 21, 23).

A partir du milieu du deuxième siècle, les chrétiens se définissent eux-mêmes de la manière suivante :

Autrefois, nous prenions plaisir à la débauche, aujourd'hui la chasteté fait nos délices. Nous pratiquions la magie, aujourd'hui, nous sommes consacrés au Dieu bon et non engendré. Nous étions avides d'argent, aujourd'hui, nous mettons en commun ce que nous possédons, nous partageons avec quiconque est dans le besoin. Les haines, les meurtres nous opposaient les uns aux autres, la différence des moeurs ne nous permettait par de recevoir l'étranger dans notre maison. Aujourd'hui, après la venue du Christ, nous vivons ensemble, nous prions pour nos ennemis, nous cherchons à gagner nos injustes persécuteurs, afin que ceux qui auront vécu conformément à la sublime doctrine du Christ puissent espérer les mêmes récompenses de Dieu, le Maître du monde (Justin, vers 150).

Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays ni par le langage, ni par les vêtements... Ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie leur est une terre étrangère... Ils sont dans la chair mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lis établies et leur manière de vivre l'emporte en perfection sur les lois. Ils aiment tous les hommes et tous les persécutent... Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre... On les persécute et ils bénissent. Châtiés, ils sont dans la joie comme s'ils naissaient à la vie. En un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde (Épître à Diognète, fin du deuxième siècle).

Des témoignages non-chrétiens et chrétiens dignes de foi attestent l'existence de Jésus de Nazareth. Ce sont les documents chrétiens qui sont les plus nombreux pour affirmer qu'un personnage historique réel se trouve derrière toute la tradition évangélique.

Ainsi encore, aux environs de l'an 200, mourut à Lyon saint Irénée, qui était évêque de cette ville, et donc l'un des hommes les plus marquants de cette cité. Une de ses lettres, adressée à son ami Florinus, nous est parvenue. A celui qu'il avait perdu de vue depuis un certain temps, Irénée rappelle des souvenirs de vie étudiante en Asie Mineure, évoquant leurs études auprès de Polycarpe, évêque de Smyrne, qui mourut aux environs de 155, alors qu'il était âgé de plus de quatre-vingt cinq ans. Il se souvient que le vieillard Polycarpe les entretenait de "Jean, le disciple du Seigneur", qu'il avait personnellement connu bien des années auparavant. Irénée n'aurait pas fait ce témoignage sans avoir la certitude que son ami pouvait évoquer les mêmes souvenirs. Donc, aux environs de l'an 200, un homme était en mesure d'évoquer Jésus par l'intermédiaire d'un maître qui avait connu personnellement un des disciples de ce Jésus...

En 1970, un dominicain, le père Bro demandait à un certain nombre de personnalités d'exprimer par écrit leur réponse à la question : "Pour vous, qui est Jésus-Christ ?" C'était la même question que Jésus avait déjà posée à ceux qui étaient devenus ses disciples. Parmi les réponses qu'il reçut et qu'il publia, celle de Roger Garaudy est intéressante, dans la mesure où elle retrace en quelques lignes tout ce qu'il est possible de connaître sur ce prophète que les chrétiens considèrent comme le Fils de Dieu fait homme :

Environ sous le règne de Tibère, nul ne sait exactement où ni quand, un personnage dont on ignore le nom a ouvert une brèche dans l'horizon des hommes. ce n'était sans doute ni un philosophe ni un tribun, mais il a dû vivre de telle manière que toute sa vie signifiait : chacun peut, à chaque instant, commencer un nouvel avenir. Des dizaines, des centaines peut-être de conteurs populaires ont chanté cette bonne nouvelle. Nous en connaissons trois ou quatre. Le choc qu'ils avaient reçu, ils l'ont exprimé avec les images des simples gens, des humiliés, des offensés, des meurtris, quand ils rêvent que tout est devenu possible : l'aveugle qui se met à voir, le paralytique qui se met à marcher, les affamés du désert qui reçoivent du pain, la prostituée qui se réveille une femme, cet enfant mort qui recommence à vivre. Pour crier jusqu'au bout la bonne nouvelle, il fallait que lui-même, par sa résurrection, annonce que toutes les limites ont été vaincues, même la limite suprême, la mort. Tel ou tel érudit peut contester chaque fait de cette existence, mais cela ne change rien à une certitude qui change la vie. Un brasier a été allumé. Il prouve l'étincelle ou la flambée première qui lui a donné naissance. Ce brasier, ce fut d'abord une levée de gueux, sans quoi, de Néron à Dioclétien, "l'establishment" ne les aurait pas frappé si fort. Chez cet homme, l'amour devait être militant, subversif, sans quoi, lui, le premier, n'aurait pas été crucifié. Toutes les sagesses, jusque là, méditaient sur le destin, sur la nécessité confondue avec la raison. Il a montré leur folie. lui, le contraire du destin. Lui, la liberté, la création, la vie. Lui qui a défatalisé l'histoire. Il accomplissait les promesses des héros et des martyrs du grand éveil de la liberté. Pas seulement les espérances d'Isaïe ou les colères d'Ezéchiel. Prométhée était désenchaîné, Antigone désemmurée. Ces chaînes et ces murs, images mythiques du destin, tombaient devant lui en poussière. Tous les dieux étaient morts et l'homme commençait. C'était comme une nouvelle naissance de l'homme. Je regarde cette croix qui en est le symbole, et je rêve à tous ceux qui ont élargi la brèche : de Jean de la Croix qui nous apprend, à force de n'avoir rien, à découvrir le tout, à Karl Marx qui nous a montré comment on peut changer le monde, à Van Gogh, et à tous ceux qui nous ont fait prendre conscience que l'homme est trop grand pour se suffire à lui-même. Vous les receleurs de la grande espérance que nous a volée Constantin, rendez-le nous ! Sa vie et sa mort sont à nous aussi, à tous ceux pour qui elle a un sens. A nous tous qui avons appris de lui que l'homme est créé créateur. Pouvoir de créer, attribut divin de l'homme, elle est là, mon hostie de présence réelle chaque fois que quelque chose de neuf est en train de naître pour agrandir la forme humaine, dans le plus fol amour ou dans la découverte scientifique, dans le poème ou la révolution.

Tout est dit en ces quelques lignes : le fait que Jésus soit demeuré un inconnu pour la plupart de ses contemporains et le fait qu'il ait réussi à changer la vie d'une grande partie de l'humanité, surtout celle des pauvres et des petits à qui il était venu annoncer la bonne nouvelle de leur libération, en leur permettant de se découvrir un nouvel avenir.

Devant la pauvreté des témoignages non-chrétiens, il est nécessaire, sinon indispensable de recourir au témoignage des communautés chrétiennes pour percer le mystère de cet inconnu qui a si intensément marqué la pensée religieuse. Il faut se mettre à l'écoute de ces conteurs populaires qui ont tenté de transmettre aux générations ultérieures ce qu'ils avaient perçu de Jésus de Nazareth.

La tradition de l'Eglise a limité leur nombre à quatre, bien que le quatrième évangile soit davantage une construction théologique élaborée qu'un conte populaire... Les trois premiers évangiles sont appelés synoptiques, parce qu'il est possible de les lire en parallèles, même s'ils ne sont pas toujours unanimes.

Ce ne sont pas des biographies de Jésus, mais des témoignages de foi et des annonces du mystère de Jésus. Jamais un récit ne rapporte un fait brut, mais toujours, quand il présente un acte ou une parole de Jésus, il cherche à transmettre un enseignement qui remonte au maître, qui lui est fidèle sinon dans la lettre, du moins dans l'esprit.

Les origines de Jésus

Jésus serait né sous le règne d'Hérode le Grand, soit quelques années avant le début de l'ère chrétienne, dont le point de départ n'a été fixé qu'au sixième siècle : à la suite d'une erreur de calcul, le moine Denys fixa le début de cette ère en l'an 754 de la fondation de Rome. Ce calcul, même erroné, a permis d'illustrer ultérieurement, par ce texte poétique, la situation du monde au moment de la naissance de Jésus.

Des milliards d'années depuis qu'au commencement roulèrent les galaxies dans l'immensité du monde, des millions d'années depuis que la terre avait balbutié les premiers hommes, près de deux mille ans depuis qu'Abraham avait fait route vers l'inconnu, quinze siècles depuis Moïse et la sortie d'Égypte, mille ans après le règne de David, au cours de la cent quatre vingt quatorzième Olympiade, dans la sept cent cinquante quatrième année de la fondation de Rome, et la quarante deuxième année du règne d'Auguste, après tant de déluges, de gloires et d'empires écroulés, six siècles après le Bouddha, et cinq après Socrate, Jésus-Christ, Dieu éternel, Fils du Père éternel, conçu dans le temps par une femme, naît à Bethléem, en Palestine, pour sanctifier le monde.

Jésus est né à Bethléem. Ce fait est attesté par Matthieu et Luc. Les raisons de sa naissance en ce lieu peuvent être éclairées de plusieurs manières. Tout d'abord, Bethléem est la ville de naissance du roi David, et Jésus appartient à la lignée de David. Ensuite, le recensement ordonné par l'empereur romain obligeait tous les citoyens de Palestine à se rendre dans la ville d'origine de leur famille pour s'y faire inscrire. De cette manière, la politique romaine rejoignait la perspective religieuse affirmant que le Messie, sauveur du peuple, serait originaire de la cité de David : Et toi, Bethléem, tu n'est certes pas le moindre des cantons de Juda, car de toi naîtra un sauveur (Mi. 5, 1, cité par Mt. 2, 6).

Le prophète Michée annonçait donc de cette manière la naissance de Jésus dans cette ville. Il est pratiquement certain que la famille de Jésus, comme bien d'autres familles juives, ait été de la descendance de David. Pourtant, Jésus ne se prévaudra jamais de son illustre ascendant...

Mais le village de Bethléem trouve son origine, dans la Bible, dès l'époque des patriarches. Bethléem, mentionnée dans les lettres d'El Amarna, se situe à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, au milieu des collines. La ville doit sa naissance à un rassemblement de nomades autour d'une source. Le nom de Bethléem a deux sens : maison du pain (Beth Lehem, en hébreu) ou maison de la viande (Beit Lahm, en arabe), mais il se peut aussi que ce nom vienne d'un sanctuaire au dieu Lahmu, ou à la déesse Lahama, divinité akkadienne. Les origines bibliques de ce lieu remontent au temps des patriarches. C'est là que mourut Rachel en donnant naissance à Benjamin.

C'est aussi à Bethléem que Ruth, une Moabite, une étrangère à Israël, revenue au pays de Juda avec sa belle-mère, y rencontra Booz qui l'épousa, la faisant devenir l'aïeule du roi David. C'est à Bethléem qu'est né David qui reçu l'onction royale des mains de Samuel pour qu'il soit roi sur Israël. Bethléem deviendra le symbole de la dynastie davidique.

Si l'on suit les renseignements donnés par les évangélistes, il est possible de retracer quelques aspects de la naissance et de la prime enfance de Jésus, même si ces renseignements sont marqués par une volonté théologique sur l'événement :

Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier. Ce premier recensement eut lieu à l'époque où Quirinius était gouverneur de Syrie. Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville. Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David, qui s'appelle Bethléem, parce qu'il était de la famille et de la descendance de David, pour se faire recenser avec Marie son épouse qui était enceinte (Lc. 2, 1-5).

Les premiers mots du récit évangélique nomment le maître du monde, César Auguste, et affirment son décret de faire recenser le monde entier, c'est-à-dire l'empire romain. Bon administrateur, Auguste aimait à connaître le nombre exact des hommes disponibles pour le service des armes et l'état des richesses pour une meilleure répartition de l'impôt. Il fallait donc déclarer la terre appartenant à chacun, afin de l'évaluer et de la taxer. Joseph devait donc retourner à Bethléem, dont il était originaire et où il devait posséder quelque bien.

Les nombreuses grottes sont typiques de l'endroit. Les Bédouins s'en servent encore actuellement pour leurs animaux. Comme fils du pays, Joseph les connaissait probablement toutes, surtout celles des pentes orientales, près des pâturages. Jésus naquit dans l'une d'elles, probablement peu après les premières pluies de printemps lorsque la terre se couvre de verdure et lorsque les bergers peuvent mener leurs troupeaux paître dans les plaines où l'herbe commence à pousser.

La mention du recensement impliquerait un fait public qui aurait dû laisser des traces dans l'histoire romaine. Il n'y a aucune trace d'un recensement universel dans les sources de l'histoire, mais on sait qu'Auguste a organisé des recensements dans diverses provinces : le plus probable est que l'évangéliste Luc ait regroupé ces divers recensements qui se sont répartis sur une trentaine d'années. C'est une simplification de l'histoire qui est familière aux historiens de l'antiquité, plus soucieux de la forme littéraire que des détails matériels. Luc est informé, mais il traite son information avec beaucoup de liberté.

Luc mentionne le gouverneur de Syrie, Quirinius. D'après Flavius Josèphe, il présida au recensement de la Palestine, en l'an 6 de l'ère chrétienne. Or, Matthieu et Luc attestent que Jésus est né au temps du roi Hérode le Grand, mort en l'an 4 avant l'ère chrétienne. Il semble donc qu'il y ait un désaccord de dix ans entre les différentes données : si Luc parle d'un premier recensement, il apparaît comme informé, mais peu soucieux d'exactitude chronologique.

César Auguste, roi de la terre, considéré comme un dieu parmi les païens, fait contraste avec Jésus. César commande et le Messie doit se soumettre : obéissant dès sa naissance, il va naître misérable dans une étable de Bethléem. Il reste quand même assez invraisemblable d'aller de Galilée en Judée pour pays l'impôt ou pour se faire recenser.

Toutefois, si Joseph habitait Bethléem, au sein de sa famille, comme le laisse entendre Matthieu, on peut comprendre qu'il devait d'abord dégager Marie de la tutelle familiale de Nazareth pour l'amener sous le toit familial de Bethléem. Certains exégètes récusent l'historicité d'une naissance de Jésus à Bethléem : il serait né à Nazareth, puis la tradition chrétienne aurait déplacé le lieu de sa naissance en fonction de la prophétie davidique et messianique de Michée. Toutefois, il faut reconnaître l'origine très ancienne de la tradition qui fait naître Jésus à Bethléem, "la ville de David", formule unique dans toute la Bible qui présente toujours cette ville de David comme étant Jérusalem, la capitale qu'il a conquise.

Or pendant qu'ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva. Elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle d'hôtes. Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. Un ange du Seigneur se présenta devant eux, les enveloppa de lumière et ils furent saisis d'une grande crainte. L'ange leur dit : Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Tout à coup, il y eut avec l'ange l'armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour les hommes ses bien-aimés. Or, quand les anges les eurent quitté pour le ciel, les bergers se dirent entre eux : Allons donc jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans une mangeoire. Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que disaient les bergers. Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans on coeur. Puis les bergers s'en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu'ils avaient vu et entendu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé (Lc. 2, 6-21).

Les chrétiens sont tellement habitués à fêter Noël le 25 décembre qu'ils ne se soucient guère de la date de la naissance de Jésus. Il semble que ce soit vers la fin du règne de Constantin, mort en 337, qu'on décida de célébrer cette naissance à cette date de l'année. L'empereur Aurélien aurait fixé cette date en fonction de celle du solstice d'hiver, c'est-à-dire le moment où la force solaire, jusqu'alors décroissante, commence à grandir.

La fête du Natalis solis invicti, du soleil renaissant et invaincu. C'est pour christianiser cette fête païenne que l'Eglise décida de célébrer alors le Dies natalis, d'où vient le mot de Noël, comme le jour de la naissance du véritable soleil levant. Cette date est donc d'origine romaine, mais elle s'imposa rapidement au cours du quatrième siècle dans toute la chrétienté pour célébrer la gloire de Dieu qui se manifeste en Jésus, lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde.

En désignant Jésus comme le premier-né de Marie, il est peu probable que l'évangéliste veuille dire que Marie ait eu d'autres enfants par la suite. Luc cherche plutôt à préciser la situation légale de Jésus, non pas un quelconque droit d'aînesse qui lui assurerait l'héritage messianique, mais bien plus sa qualité d'être consacré à Dieu. Le caractère religieux, qui sera souligné par la Présentation de Jésus au Temple, selon la loi qui s'imposait aux fils premiers-nés, se trouve alors spécifié malgré le caractère de dénuement paradoxal de cette naissance. Celui que l'ange va nommer comme le Sauveur et le Christ Seigneur est un pauvre parmi les pauvres. Il n'a pas pour l'accueillir de maison familiale, mais un simple gîte dans une étable. Il sera langé par sa mère seule qui le placera dans une mangeoire d'animaux pour lui éviter d'être foulé aux pieds par les bêtes.

L'annonce faite aux bergers révèle la dimension sociale et même cosmique de l'événement de la naissance qui concerne les anges, les bergers et tous les hommes. L'événement se passe de nuit. C'est un thème traditionnel dans la littérature juive : tous les grands événements de l'histoire du salut se passe de nuit. La révélation de l'ange atteint le monde entier, de la foule des anges, c'est-à-dire des personnages célestes, jusqu'aux bergers, l'une des castes sociales les plus méprisées de l'époque, avec les publicains.

Les rabbins se montraient très sévères pour les bergers dont la profession les tenait à l'écart de l'enseignement dans les synagogues et des minuties des observances rituelles. En eux, Luc reconnaît les petits auxquels le Père veut révéler son message et son mystère, parce qu'aucun orgueil ne les ferme à la grâce. Le message du salut est porté aux bergers par l'ange du Seigneur avec un éclat exceptionnel de la gloire de Dieu. Devant cette épiphanie mystérieuse, les bergers sont remplis de crainte, non pas cette peur servile, mais l'effroi sacré qu'inspire le mystère de Dieu qui se révèle à l'homme. Et la première parole de l'ange vise à écarter toute peur avant d'être l'annonce d'une bonne nouvelle. L'enfant qui vient de naître sera le Sauveur, un titre qui n'apparaît nulle part ailleurs dans les évangiles synoptiques, mais que l'on retrouve dans les Actes des Apôtres et dans les lettres de Paul, il s'agit d'un vocable chrétien pour désigner le véritable sauveur par rapport à l'empereur païen qui se prétendait aussi "un dieu sauveur".

Les bergers reçoivent un signe pour authentifier la révélation qui vient de leur être faite. Ce signe est banal : un nouveau-né dans une mangeoire d'animaux. Et le récit de la naissance de Jésus se poursuit par une hymne, le Gloria, chant triomphal de l'armée des anges. Ce chant proclame la gloire de Dieu dans le monde surnaturel, tout en affirmant que Dieu met sa gloire à faire grâce : il veut combler les siens de la paix qu'il a promise pour les jours de salut. Cette paix n'est pas comparable à la sécurité que peut offrir un empereur, elle est la plénitude de la vie surnaturelle que Dieu seul peut offrir en accordant son salut, d'abord aux pauvres, mais l'évangéliste sait que ce salut est accordé à tous les hommes, juifs et païens.

L'apparition des anges ne dure qu'un instant, mais les bergers ne doutent pas du message qu'ils ont reçu, ils l'accueillent sans réserve et se mettent en route vers Bethléem en toute hâte pour constater la réalité du signe qui leur a été décrit : un enfant sur la paille posé dans une mangeoire d'animaux. Contrairement à ce que l'on pense trop souvent, les bergers n'ont pas adoré l'enfant : ils ont vu et ils ont raconté ce qu'ils avaient appris. En fait, ils ont fait une "homélie", ils ont fait connaître la parole de Dieu, ils ont évangélisé : leur foi se traduit par l'évangélisation.

Bien que l'évangile ne situe pas exactement la manifestation de Dieu aux pauvres et aux exclus, la tradition chrétienne l'a fixée au Champ des bergers, à quatre kilomètres de Bethléem. En se rendant au lieu de la naissance de Jésus, les bergers sont passés devant l'Hérodium, colline artificielle isolée, visible à des kilomètres à la ronde.

C'était le centre administratif des districts du sud de Jérusalem. Cela explique l'affluence de monde à Bethléem pour le recensement, et justifie par le fait le manque de place dans l'auberge, ou plus exactement dans le caravansérail où bêtes et gens se délassaient à même le sol. Jésus est donc né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. C'est là que des mages venus d'Orient arrivèrent après être allés demander des renseignements sur lui à Jérusalem :

Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître. A Bethléem en Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs lieux de Juda, car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître mon peuple Israël. Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait et les envoya à Bethléem, en disant : Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant, et quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage. Sur ces paroles, ils se mirent en route. Et voici que l'astre qu'ils avaient vu à l'Orient avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vint s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. A la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage : ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin (Mt. 2, 1-13).

Hérode fut alors pris de fureur et envoya tuer, dans le territoire de Bethléem, tous les enfants de moins de deux ans :

Alors Hérode, se voyant joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu'à deux ans, d'après l'époque qu'il s'était fait préciser par les mages. Alors s'accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : Une voix dans Rama s'est fait entendre, des pleurs et une longue plainte : c'est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus (Mt. 2, 16-18).

Le récit de la visite des mages peut être considéré comme une légende, non pas dans le sens d'un récit merveilleux, dépourvu de tout fondement historique réel, comme d'une histoire qui a été tellement embellie que l'on ne sait plus exactement ce qui est vrai. Une légende, au sens étymologique, c'est un récit qu'il faut lire, et qu'il faut même lire entre les lignes, puisqu'il représente un événement que l'on ne peut guère rejoindre par la science historique. Tel est le cas, semble-t-il, de ce récit qu'il est possible de considérer comme le symbole de l'ensemble de l'évangile de Matthieu dont il constitue un résumé extraordinaire.

Il faut savoir que les mages n'étaient vraisemblablement pas des rois. Cette idée vient sans doute du fait que les anciens mages des pays orientaux étaient les véritables chefs de leurs tribus : ils savaient découvrir dans les astres les moyens de diriger les destinées de leurs peuples. Elle vient peut-être aussi du fait que leurs présents sont particulièrement riches, "royaux". Les mages sont des savants, des astrologues, à une époque où l'astrologie était considérée comme une véritable science. Les hommes ont toujours pensé, plus ou moins clairement, que ce qui se passait dans le ciel avait une influence directe sur ce qui pouvait se passer sur la terre. Et ils n'avaient peut-être pas tout à fait tort, puisque, par exemple, le mouvement des marées est commandé par la lune, les saisons sont commandées par la position de la terre par rapport au soleil... Ce qui devient pernicieux, dans le domaine de l'astrologie, c'est le fait de vouloir diriger la destinée humaine uniquement selon les astres et donc de placer ces derniers au-dessus de la volonté et de l'amour de Dieu qui cherche à guider les hommes dans le chemin de la justice et de la vérité.

L'évangile parle des mages avec un certain respect, non pas tant en raison de leur science qu'en raison du fait qu'ils se sont mis en route à la recherche d'une vérité supérieure à celle qu'ils pouvaient connaître. Cette vérité, c'est la Parole de Dieu, une Parole qui se fait chair, pour reprendre l'expression de l'évangile selon saint Jean. Cette vérité, c'est celle qui est exprimée dans toute la religion de la Bible : Dieu a parlé d'une manière absolument unique aux hommes. Et au fond, ce que cherchaient les mages, c'était Dieu lui-même et ils le trouvent dans un petit enfant.

Chez Matthieu, ces mages apparaissent comme le symbole de tous les hommes qui ne font pas partie du peuple d'Israël, mais qui recherchent la connaissance du vrai Dieu, sans pouvoir être aidés par la Loi de Moïse, alors que les docteurs de la Loi, qui devaient connaître parfaitement les Écritures, sont incapables de discerner dans celle-ci ce qui concerne la venue d'un Sauveur. Sur un signe, l'apparition d'un astre dans le ciel, les mages acceptent de se mettre en route vers le lieu qui constituait déjà à l'époque un centre religieux privilégié, Jérusalem, le lieu de la résidence du Dieu unique au milieu de son peuple. Les mages réalisent la prophétie d'Isaïe qui annonçait la venue de toutes les nations à Jérusalem :

Ce que vit Isaïe, fils d'Amoz, au sujet de Juda et de Jérusalem. Il arrivera dans l'avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins et nous marcherons sur ses routes. Oui, c'est de Sion que vient l'instruction et de Jérusalem la parole du Seigneur. Il sera juge entre les nations, l'arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs ; de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l'épée nation contre nation, on n'apprendra plus à se battre. Venez, Maison de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur (Is. 2, 1-5).

Jérusalem, dans l'évangile de Matthieu, devient le lieu de l'épreuve. Les mages viennent dans la capitale pour adorer le roi des Juifs, parce qu'ils savent exactement ce qu'ils cherchent, mais aucun prince du sang n'est venu au monde dans cette capitale. Celui qui allait être crucifié à Jérusalem, avec l'inscription : Jésus de Nazareth, roi des Juifs, vient de naître, et les membres de son peuple n'ont pas compris le sens des Écritures Jérusalem sera le lieu de l'épreuve pour Jésus et ses disciples : l'astre qui disparaît à la vue des mages sur les hauteurs de Jérusalem annonce déjà la disparition de Jésus à Jérusalem. Et ce sera un autre païen, venu de Rome, d'Occident et non plus d'Orient, qui présentera le roi des Juifs sur la croix. Ainsi, au moment de la naissance de Jésus comme au moment de sa mort, ce sont des païens qui reconnaissent qu'il est vraiment le roi des Juifs et le Fils de Dieu. Puis, de même que l'astre réapparaît à la vue des mages, après la compréhension des Écritures, de même Jésus va ressusciter après sa mort conformément aux Écritures

La mort et la résurrection de Jésus sont donc déjà comme annoncées ou préfigurées par l'évangéliste au moment où il inaugure son récit concernant la vie de Jésus.

Les mages se mettent de nouveau en route, vers Bethléem, la cité de David, qui devait voir naître le pasteur d'Israël. Le nom de Bethléem signifie, selon l'étymologie hébraïque, "Maison du pain" : faut-il y voir un signe annonciateur du dernier repas de Jésus ? En tout cas, la ville devient le lieu du partage, les mages offrant à l'enfant leurs présents. En effet, en arrivant à Bethléem, les mages ne découvrent rien d'autre qu'un enfant. Un enfant, c'est un être qui ne peut pas parler. Pour se faire entendre, la Parole de Dieu commence par se faire petit enfant, un être dépourvu de parole. C'est un signe qui est adressé à tous les hommes : pour entendre la Parole, il faut commencer par faire silence...

Les cadeaux des mages sont précieux : l'or, l'encens et la myrrhe. De plus, ils sont porteurs de signification. L'or caractérise la royauté : un roi dépourvu d'or n'est pas crédible. Avec l'or, il est possible de faire tout ce que l'on veut, et il faut reconnaître qu'aujourd'hui encore l'or est une valeur-refuge, tous les spéculateurs le disent. Les mages offrent de l'or à Jésus parce qu'ils le reconnaissent comme leur roi. L'encens est un parfum aromatique qui a toujours eu une fonction liturgique, c'est le parfum destiné à la divinité. On offre l'encens à Dieu, puisque la fumée qu'il dégage en brûlant monte vers le ciel, lieu traditionnel de la demeure divine. Les mages offrent de l'encens à Jésus parce qu'ils le reconnaissent comme Dieu. La myrrhe est un autre parfum aromatique destiné à embaumer les morts pour les conserver. Or qui peut mourir et mériter autant d'honneur, sinon l'homme ? Lui seul est assez digne de respect pour que les autres hommes puissent vouloir conserver de lui un cadavre d'aspect présentable. Les mages offrent de la myrrhe à Jésus parce qu'ils le reconnaissent comme un homme semblable à tous les hommes : un jour, il devra mourir. Ce faisant, les mages anticipent son ensevelissement. Pour faire bref, les mages offrent leurs cadeaux à Jésus parce qu'ils le reconnaissent comme véritablement homme, comme véritablement Dieu et comme véritablement roi de l'univers.

Par le récit de la visite des mages, au moment de la naissance de Jésus, l'évangéliste signifie que c'est Dieu qui se montre visible aux yeux des hommes. On dit souvent : Dieu, personne ne l'a jamais vu, mais les chrétiens savent que Dieu s'est rendu visible aux yeux des hommes par Jésus. Celui-ci s'est montré aux hommes, tous ne l'ont pas rencontré, mais il s'est manifesté à un certain nombre d'entre eux, d'abord à des bergers, puis à des mages, puis à tous ceux qui ont accepté de suivre sa route. Jésus, c'est la manifestation de Dieu au milieu des hommes. On appelle cela du terme : épiphanie. Qu'est-ce qu'une épiphanie ? C'est une manifestation éclatante de la présence de Dieu. Ce qui était caché devient perceptible, sinon évident. Il ne suffit pas que Dieu existe, il faut encore que nous en ayons connaissance. Qui cherche trouve, dira un jour Jésus. Ces mages, ces savants, qui portent des présents royaux, ont accepté de se mettre en route et de chercher. Ils ont trouvé Jésus dans le village du roi David, sans être désappointés de ne pas le rencontrer dans la capitale, Jérusalem. Ils n'ont pas méprisé ce petit enfant dont le cadre de vie bien modeste contrastait énormément avec les splendeurs des palais du roi Hérode. Ils ont accueilli le récit que Marrie gardait au fond de son coeur.

Ainsi, dans un récit très bref, où Matthieu ne donne pas la parole à Jésus, il expose comme un condensé de tout ce qui fera la vie et l'enseignement de Jésus, il expose également le souci qui doit être celui de toute la communauté qui l'écoute. Celui qui accepte de lire l'Évangile accepte du fait même et presque nécessairement de rencontrer Jésus-Christ, et, en conséquence, accepte également un changement radical dans sa vie à l'image des mages qui sont rentrés dans leur pays par un autre chemin...

Bethléem se situe à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, au milieu des collines. Le village doit sans doute sa naissance à un rassemblement de nomades autour d'une source. C'est dans l'un des nombreuses grottes calcaires des environs de Bethléem qu'il convient de placer le lieu de la naissance de Jésus. Elle devint très tôt un lieu de culte. Saint Jérôme, qui vécut à Bethléem de 385 à 420, où il acheva la traduction latine de la Bible, connue sous le nom de Vulgate, rapporte que, du temps d'Hadrien au règne de Constantin, ce lieu de culte chrétien fut dédié à Adonis et à Jupiter. Sous Hadrien, en 135, la grotte de la Nativité, comme le tombeau et le calvaire, fut profanée. On y planta alors un bois en l'honneur d'Adonis, le dieu de l'amour et de la beauté. Mais cela permit au moins de continuer à fixer l'endroit de la naissance. Aux environs de 330, après un pèlerinage en Terre Sainte de sa mère, le reine Hélène, Constantin, nouveau converti, put retrouver l'emplacement de la grotte et il commença à faire bâtir l'église de la Nativité.

La basilique de la Nativité est la plus ancienne église de Terre Sainte et même de la chrétienté. Ses murs étaient, au Moyen Age, une sorte d'encyclopédie où l'or et les mosaïques illustraient la théologie de l'incarnation. De telles richesses excitèrent la convoitise. Sous la domination turque de Saladin, les marbres furent enlevés pour décorer le dôme du Rocher, à Jérusalem, et le plomb de la toiture fut fondu pour être transformé en boulets de canon.

La jeunesse de Jésus

Jésus a passé sa jeunesse à Nazareth avec Marie et Joseph. Des trente premières années de sa vie, les évangélistes ne nous rapportent que de brefs souvenirs. C'est la vie cachée de Jésus. Il grandit en paix dans sa famille, au milieu des gens de son village Il vit et grandit à l'écoute de la Parole de Dieu son Père et il se prépare à sa mission : être toujours au service de son Père. Personne ne le remarque puisqu'il est désigné par ses contemporains comme le fils du charpentier.

Le rôle de Joseph est difficile à expliquer. Le Père de Jésus, c'est Dieu. Joseph intervient pour prendre en charge Marie, son épouse, et l'enfant de Marie. Joseph est celui qui donnera légalement un nom à Jésus, ce faisant, il l'introduira dans une famille humaine, la famille du roi David, son ancêtre, qui est aussi l'ancêtre de Marie puisque la Loi juive ordonnait à tout homme de prendre femme dans sa propre tribu, pour éviter toute perte ou tout gaspillage d'héritage : ce qui a été donné aux ancêtres doit rester dans la même tribu. Selon la loi en vigueur également dans le peuple de Dieu, celui qui donne son nom à un enfant en est le véritable père. Joseph est donc le père de Jésus selon la loi humaine : il est considéré comme le père nourricier par la tradition chrétienne, puisque c'est lui qui éduqua Jésus et lui permit de grandir et de s'épanouir au milieu des hommes. Les traditions évangéliques ne parlent guère de lui. Tout ce que nous savons, c'est qu'il fut l'époux de Marie... La tradition chrétienne pense qu'il est mort avant que Jésus ne commence sa mission. Il est reconnu comme saint par l'Eglise, parce qu'il a toujours vécu dans l'ombre de Jésus sans jamais revendiquer pour lui-même la première place...

Le climat dans lequel s'est déroulée l'enfance de Jésus est celui de la spiritualité de l'Ancien Testament. La loi prévoyait trois pèlerinages par an, pour tous les hommes, à partir de douze ans, âge où l'enfant entre dans la vie adulte, après un temps de catéchèse : l'enfant devient Bar Mitzva, un fils de la loi. Ce jour-là, on lui demande de monter à l'ambon et de lire, dans la synagogue, un passage de la Torah.

L'élément essentiel du culte synagogal ou domestique repose sur la bénédiction par laquelle chaque croyant remercie Dieu à chaque instant de sa vie, à chaque geste qu'il accomplit. La prière juive consiste simplement à renforcer l'action de YHWH sur l'ensemble de sa création, faisant de chaque individu un collaborateur de Dieu, elle ne vise nullement à infléchir la volonté de celui-ci dans le sens des désirs humains, comme ce sera le cas dans des prières plus récentes. La prière ne demande donc pas d'intervention miraculeuse qui se situerait en dehors des lois naturelles : pour le juif croyant, à l'époque de Jésus, la vie elle-même est un miracle permanent, et cela lui suffit. La bénédiction constitue donc la trame de toute la prière, car l'essentiel est de bénir. Dans l'enfance de Jésus, les bénédictions s'échelonnent tout au long de la journée.

Au réveil, il convient de bénir Dieu pour avoir reçu de lui la conscience de ses pensées et des ses actes. Quand le croyant ouvre les yeux, il dit : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui ouvres les yeux des aveugles". Quand il se lève, en s'étirant : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui délivres ceux qui sont liés". Quand il se met debout : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui élèves ceux qui sont courbés". Quand il se tient sur le sol : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as étendu la terre au-dessus des eaux". Quand il commence à marcher : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as affermi les pas de l'homme". En s'habillant : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui vêts ceux qui sont nus". Quand il met ses sandales : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as paré à tous ne besoins". Quand il met sa ceinture : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as ceint Israël de puissance". En mettant son couvre-chef : "Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as couronné Israël de gloire".

Si chaque journée de la semaine s'accompagne de formules religieuses, à plus forte raison en sera-t-il de la journée du sabbat qui est consacrée à la prière et à la méditation : toute vie profane cesse pour vingt-quatre heures, du vendredi soir au samedi soir. Tout commence au souper du vendredi soir, pour l'ouverture du sabbat. Le chef de famille, Joseph, dans la famille de Jésus, tient à la main une coupe de vin, symbole de la vie et de la joie, il bénit Dieu pour le don du sabbat et prononce les bénédictions pour ce moment :

"C'était le sixième jour. Et le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment étaient terminés. Le septième jour, Dieu avait achevé son oeuvre et il se reposa le septième jour de tout ce qu'il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car en ce jour le Seigneur se reposa de toutes les oeuvres qu'il avait faites. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui as créés le fruit de la vigne. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements, qui nous as agréé pour ton peuple, et qui, dans ton amour, nous a donné le saint jour du sabbat en commémoration de la création. Ce jour est la première des solennités. Elle nous rappelle que tu nous as fait sortir de Égypte, que c'est nous que tu as choisis et sanctifiés au milieu de tous les peuples, et dans ton amour, tu nous as donné en héritage le saint jour du sabbat. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui as sanctifié le sabbat".

Ensuite le maître de maison récite une bénédiction sur les deux pains, qui sont posés sur la table, en souvenir de la double ration de manne qui tombait du ciel le vendredi pour éviter de cueillir une ration le jour du sabbat. Puis il distribue à chacun des convives un morceau de pain. Chacun, en le recevant, proclame : "Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui tires le pain de la terre". Le repas se poursuit comme un repas ordinaire. Une fois le repas terminé, c'est le temps du repos. Et avant de s'endormir, chaque juif récite la prière du Shema Israël, puis appelle la bénédiction de Dieu sur le sommeil et demande à Dieu la paix pour le repos nocturne :

"YHWH, notre Dieu, fais que nous nous endormions dans l'apaisement et que nous réveillions pour la vie. Dresse au-dessus de nous ton pavillon de paix. Inspire-nous de hautes pensées et entoure-nous de ta protection. Préserve-nous de la malveillance des hommes. Éloigne de nous les épreuves trop cruelles. Écarte de nos pas la pierre d'achoppement et abrite-nous sous ta mansuétude. Tu es notre gardien et notre Sauveur, le Dieu tendre et miséricordieux. Dirige nos pensées et nos actes dans le sens de la vie et du bien. Sois loué, Seigneur, toi qui étends sur nous, sur tout ton peuple Israël, sur Jérusalem et sur tous les peuples ta paix tutélaire. Amen.

A l'âge de douze ans, Jésus accompagne donc ses parents à Jérusalem. Après la fête, il reste au Temple, sans que ses parents ne s'en aperçoivent. Quand il découvrent son absence dans la caravane du retour, ils regagnent Jérusalem et le cherchent pendant trois jours. Chercher, ce verbe revient régulièrement pour marquer une recherche physique, mais aussi pour parler de la recherche de Dieu qui habite toute la vie du croyant dans la littérature biblique. Dieu est celui que le croyant cherche, celui qu'il a l'impression de trouver, puis de perdre, avant de le chercher encore.

C'est dans le Temple qu'au bout de trois jours, Jésus est retrouvé. Il était assis parmi les docteurs, ce qui fait ressortir l'intelligence et la sagesse de l'enfant. Par ses questions et ses réponses, il comprend l'Écriture, il sait ce que Dieu attend de l'homme. C'est en cela que consiste sa sagesse dont la pénétration fait l'admiration de tous. Luc fait entrer ainsi dans la relation qui existe entre Jésus et Dieu son Père, en montrant que Jésus est son Fils et qu'il doit s'occuper des affaires de son Père, en manifestant une grande intelligence et une vraie sagacité dans ses réponses et ses questionnements en face de ceux qui étaient les docteurs de la Loi juive et les interprètes spécialisés de la Parole de Dieu. Cet épisode constitue la première annonce faite par Jésus du sens de sa mission et de son oeuvre parmi les hommes. Il ne s'agit pas de l'intelligence humaine : Jésus n'est pas un enfant surdoué. Son intelligence, c'est la connaissance du projet de Dieu. En lui, même quand il était enfant, se trouvaient toutes les richesses du coeur de Dieu. Jésus doit être aux affaires de son Père, il doit accomplir sa mission, ce que son Père lui a demandé de faire dans le monde.

Chaque année, Marie et Joseph allaient à Jérusalem à l'occasion de la Pâque. Quand Jésus eut douze ans, il les accompagna. A l'approche de la ville sainte, il chanta avec la foule le cantique des montées à Jérusalem :

Quelle joie quand on m'a dit : Allons à la maison du Seigneur. Nous nous sommes arrêtés à tes portes, Jérusalem. Jérusalem, la bien bâtie, ville d'un seul tenant. C'est là que sont montées les tribus du Seigneur, selon la règle en Israël, pour célébrer le nom du Seigneur. Car là sont placés des trônes pour la justice, des trônes pour la maison de David. Demandez la paix pour Jérusalem : que tes amis vivent tranquilles, que la paix soit dans tes remparts et la tranquillité dans tes palais. A cause de mes frères et de mes compagnons, je dirai : la paix soit chez toi ! A cause de la maison du Seigneur, notre Dieu, je veux ton bonheur (Ps. 122).

L'évangéliste Luc rapporte ce moment de la vie du jeune Jésus.

Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut douze ans, comme ils y étaient montés suivant la coutume de la fête, et qu'à la fin des jours de la fête ils s'en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent. Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs amis et connaissances. Ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem en le cherchant. C'est au bout de trois jours qu'ils le retrouvèrent dans le Temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger. Tous ceux qui l'entendaient s'extasiaient sur l'intelligence de ses réponses. En le voyant, ils furent frappés d'étonnement et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Vois ! Ton père et moi, nous te cherchons, tout angoissés. Il leur dit : Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon Père ? Mais eux, ne comprirent pas ce qu'il leur disait. Puis, il descendit avec eux pour aller à Nazareth, il leur était soumis. Et sa mère gardait tous ces événements en son coeur. Jésus progressait en sagesse et en taille et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes (Lc. 2, 41-52).

L'évangéliste Luc nous fait entrer dans la relation qui existe entre Jésus et Dieu son Père, en montrant que Jésus est son Fils et qu'il doit s'occuper des affaires de son Père, en manifestant une grande intelligence et une vraie sagacité dans ses réponses et ses questionnements en face de ceux qui étaient les docteurs de la Loi juive et les interprètes spécialisés de la Parole de Dieu. Cet épisode constitue la première annonce faite par Jésus du sens de sa mission et de son oeuvre parmi les hommes. Il ne s'agit pas de l'intelligence humaine : Jésus n'est pas un enfant surdoué. Son intelligence, c'est la connaissance du projet de Dieu. En lui, même quand il était enfant, se trouvaient toutes les richesses du coeur de Dieu. Jésus doit être aux affaires de son Père, il doit accomplir sa mission, ce que son Père lui a demandé de faire dans le monde. Lorsqu'il était présent au milieu des docteurs de la Loi, ceux-ci ont dû d'abord penser qu'il était un garçon beau, aimable, instruit dans le domaine religieux, souriant, etc... Ils ont aussi découvert progressivement toutes les richesses que Jésus possédait et qu'ils ne soupçonnaient pas.

Jésus grandit, il apprend le métier de Joseph, le charpentier : même si l'évangile ne le précise pas, Jésus travailla avec lui comme apprenti. Selon les directives des livres saints de la tradition orale, un père ne doit pas seulement nourrir son fils, mais lui apprendre un métier : Qui n'enseigne pas à son fils une profession manuelle, c'est comme s'il en faisait un brigand.

La légende tibétaine de saint Issa

Après cette manifestation de Jésus au Temple, les évangiles ne rapportent rien de son existence jusqu'au début de sa vie publique. Faudrait-il admettre l'hypothèse séduisante qui identifie Jésus avec un personnage connu dans les légendes tibétaines sous le nom de saint Issa, qui vécut vers l'an trente de l'ère chrétienne et qui mourut crucifié ?

Issa a voyage par terre et par mer pour arriver jusqu'à la vallée de l'Indus, il y a étudié les écritures saintes du bouddhisme. Issa fut reçu avec joie par les brahmanes qui lui apprirent à guérir par la prière, à chasser les esprits mauvais et à restituer au corps la forme humaine après blessure ou mutilation. Alors les miracles de Jésus sembleraient naturels pour ceux qui ont accédé à la véritable connaissance spirituelle. Issa se serait rendu à Bénarès, aux bords du Gange, fleuve sacré de l'hindouisme, là où les pèlerins se purifient de leurs péchés et espèrent mourir, puisque la mort à Bénarès rompt le cycle des réincarnations. La purification n'est pas seulement corporelle : en se concentrant sur un aspect choisi, dans le yoga par exemple, l'individu perçoit la nature divine, la purification de l'esprit libère de la maladie. A proximité de Bénarès, Bouddha avait fait son premier sermon. Il convient de dire que bouddhisme et hindouisme étaient florissant au temps de Jésus et que le monothéisme était vivant en Inde.

Et le saint personnage de la légende exprime des vérités qui sont celles de toutes les religions :

Le Créateur ne partage son pouvoir avec personne.

Dieu a voulu et le monde fut, il a fixé à chacun sa propre durée.

Dieu ne fait pas de différences entre les hommes, car ils lui sont tous également chers.

Ne croyez pas les écrits dans lesquels la vérité est travestie.

Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse.

N'admirez pas d'idoles, car elles ne vous entendent pas.

Ne vous croyez pas supérieurs aux autres.

Soutenez le faible.

Ne faites de mal à personne.

Des traces de la présence de saint Issa ont été retrouvés au Tibet : c'est là que les rouleaux, rapportant ses aventures, ont été les mieux conservés. De plus, un disciple de Jésus, Thomas, celui qu'on appelle facilement l'incrédule, est aussi allé jusqu'en Inde après la mort de Jésus. Et c'est l'encyclopédie catholique elle-même qui l'affirme, en soulignant qu'il y est allé pour proclamer Évangile Il existe même une église saint Thomas à Madras, avec une communauté chrétienne encore bien vivante, en cet endroit où Thomas est arrivé vers les années 50 de l'ère chrétienne.

A 26 ans, Issa aurait quitté l'Inde pour Persépolis, puis Athènes et Égypte, pour rentrer à 29 ans en Palestine, afin d'y accomplir son destin.

Les débuts de la vie publique de Jésus

A l'âge d'environ trente ans, Jésus quitte son village de Nazareth et son travail pour se rendre sur les bords du Jourdain, où Jean le Baptiste donnait aux pécheurs le signe de la purification du coeur, en les plongeant dans l'eau.

A l'époque de Jésus, le judaïsme était fragmenté en multiples tendances dont les traces sont perceptibles dans les écrits néotestamentaires. C'est parmi ces courants qu'il faut situer le mouvement baptiste dont Jean est l'illustration. Jean annonçait au peuple qu'il fallait se préparer à accueillir le Messie, à lui ouvrir les portes du coeur en faisant pénitence. Jean conviait le peuple à se plonger dans l'eau courante sous sa conduite : on ne s'immergeait pas de sa propre initiative, comme pour un bain rituel ou comme pour une ablution classique. A ce baptême, que l'on ne recevait probablement qu'une seule fois, se trouvait liée une exigence de conversion, après la rémission des péchés.

Jésus, le Fils de Dieu, est saint et parfait. Il n'a pas besoin d'être purifié dans les eaux du Jourdain. Cependant lui, qui est sans péché, tient à accomplir cette démarche pour manifester qu'il vient accorder aux hommes le pardon de leurs péchés et qu'il les invite à entrer dans la vie nouvelle des enfants de Dieu.

C'est donc Jean qui baptisa Jésus. Le récit du baptême nous est rapporté par les évangélistes, notamment par Matthieu :

En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée : Convertissez-vous, le Règne de Dieu s'est approché ! C'est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait : Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins, il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui, ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés (Mt. 3, 1-6).

Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu'au Jourdain auprès de Jean pour se faire baptiser par lui. Jean voulut s'y opposer : C'est moi, disait-il, qui ai besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui viens à moi ! Mais Jésus lui répliqua : Laisse faire maintenant, c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice. Alors, il le laisse faire. Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau. Voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu'une voix venant des cieux disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir (Mt. 3, 13-17).

Au baptême de Jésus, le ciel s'ouvre, cela concerne Jésus, mais cela concerne également ceux qui seront par la suite ses disciples, puis l'ensemble des chrétiens : désormais la communication est possible entre Dieu et l'homme. La Bonne Nouvelle, c'est que tous les hommes sont les enfants de Dieu, les frères de Jésus.

Au récit de Matthieu, l'évangéliste Jean ajoute une précision topographique intéressante : Cela se passait à Bethabara au-delà du Jourdain, où Jean baptisait (Jn. 1, 35), et il précise que le Baptiste disait à ceux qui venaient vers lui, après le baptême de Jésus : J'ai vu l'Esprit comme une colombe descendre du ciel et demeurer sur lui. Oui, j'ai vu et je suis témoin que c'est lui le Fils de Dieu (Jn. 1, 32-34).

C'est en référence au texte de Jean qu'Eusèbe de Césarée a localisé un endroit sur la rive droite du Jourdain, à l'est de Jéricho, comme le lieu où Jésus fut baptisé. Il affirme qu'à son époque de nombreux frères y étaient baptisés. Malgré cela, les premiers érudits chrétiens situent Bethabara à l'Est du Jourdain, comme le laissent entendre les évangélistes. L'empereur Anasthase (491-518) y fit bâtir une église saint Jean Baptiste. Il existe une justification historique et traditionnelle à cette localisation : la route que prenaient les juifs venant de Galilée pour monter à Jérusalem traversait d'abord le Jourdain, pour parcourir une région habitée par des juifs, afin d'éviter tout contact avec les Samaritains et elle retraversait le Jourdain en face de Jéricho.

On pense que Jean, en raison de son activité, était influencé par la communauté de Qumrân. Ce n'est pas impossible, mais à la différence des membres de cette secte, dont la maison-mère se situait à proximité, sur les bords de la Mer Morte, Jean accueillait non pas une élite, mais la foule de tous ceux qui attendaient la venue du Messie, qui devait libérer le peuple de la servitude. A chacun il donnait des conseils appropriés, l'invitant à renouer avec la tradition, non seulement dans sa lettre, mais surtout dans son esprit. Pour cela, il proposait le baptême comme signe de conversion. Évangile présentant Jésus recevant le baptême des mains de Jean, il est permis de penser que Jésus a d'abord fréquenté le cercle de ses disciples, et que c'est parmi eux qu'il recruta les siens :

Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples. Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : Voici l'Agneau de Dieu. Les deux disciples écoutèrent cette parole et suivirent Jésus. Alors Jésus se retourna et voyant qu'ils s'étaient mis à le suivre, il leur dit : Que cherchez-vous ? Ils répondirent : Rabbi, ce qui signifie Maître, où demeures-tu ? Il leur dit : Venez et vous verrez. Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là, c'était environ la dixième heure (Jn. 1, 35-38).

Quand les évangélistes comparent les activités et les oeuvres de Jésus à celles de Jean, ils ont soin de montrer que Jésus est plus puissant que le Baptiste, faisant même dire à ce dernier : Celui qui est plus fort que moi vient après moi et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit-Saint (Mc. 1, 7-8). Par cette parole, Jean se considère comme un homme de la terre : qu'y a-t-il de plus proche du sol que les sandales ? Jean est celui qui doit se courber devant ce personnage qui vient et qui possède la puissance de l'Esprit de Dieu. Une question se pose alors, et elle traversera Évangile et les siècles : qui donc est-il ? Et par suite, qu'a-t-il voulu dire ? Chaque génération chrétienne se pose les mêmes interrogations. Et le problème de l'identité de Jésus commence dès le début de sa mission... Il nous arrive souvent de faire des erreurs de jugement sur la personne des autres. On s'est également trompé sur la personne de Jésus. Qui est-il ? Qu'a-t-il voulu dire ? Chaque génération chrétienne se pose les mêmes questions. Le problème de son identité commence dès le début de son ministère. Jean Baptiste s'est trompé. Dans son désert, il proclamait la venue d'un Messie victorieux. Et celui en qui il reconnaît l'Envoyé de Dieu lui demande le baptême comme le dernier des pécheurs.

Jésus est HUMAINEMENT Dieu. Bien qu'il soit Dieu, il a connu les limitations de la condition humaine, il a assumé la nature humaine... C'est une illusion que de croire à trop de privilèges pour Jésus. C'est véritablement qu'il a progressé en intelligence et en sagesse, qu'il a ignoré certaines choses, qu'il a été fatigué, agacé de l'inintelligence de ses disciples, qu'il a craint la souffrance et la mort. Nous ne pouvons pas lui refuser le droit d'être honnête sous prétexte qu'il est Dieu.

Jésus est DIVINEMENT homme. Mais son humanité ne l'a pas rendu extérieur à Dieu. Il s'est rendu en tout semblable aux hommes, hormis le péché. Ce n'est pas le fait d'être homme qui pose dans une situation d'adversité à Dieu, c'est le péché. Si Jésus n'a pas connu le péché, s'il n'a pas commis d'actes de péché, il a quand même connu toutes les conséquences du péché dans la mesure où elles touchent la réalité humaine. Mais il a montré comment vivre réellement en homme. Par lui, nous connaissons la véritable nature de l'homme destiné à être l'image de Dieu.

Plus tard, après son baptême par Jean sur les bords du Jourdain, et après avoir séjourné quelque temps au désert pour prier et jeûner, Jésus est de retour à Nazareth. Il se rend à la synagogue pour y prêcher, mais il n'y trouve pas l'accueil qu'il pouvait espérer, tant il est vrai qu'aucun prophète n'est bien reçu dans son pays :

Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue pour faire la lecture. On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant, il trouva le passage où il est écrit : L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d'accueil par le Seigneur. Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit ; tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il commença à leur dire : Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez. Tous lui rendaient témoignage, ils s'étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient : N'est-ce pas là le fils de Joseph ? Alors il leur dit : Sûrement, vous allez me citer le dicton : Médecin, guéris-toi toi-même. Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie. Et il ajouta : Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Élie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays ; pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles Élie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. Il y avait beaucoup de lépreux en Israël eu temps du prophète Élisée ; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naaman le Syrien. Tous furent remplis de colère dans la synagogue, en entendant ces paroles. Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville, et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin (Lc. 4, 16-30).

Jésus commence donc sa mission non pas à Jérusalem, la ville des rois et des pontifes, mais dans l'obscure province méprisée de Galilée, "le carrefour des païens", et particulièrement dans le village où il avait été élevé. Tout juif adulte (c'est-à-dire après sa Bar-Mitzva, aux environs de douze ans) peut prendre la parole dans une assemblée de prière. Habituellement, les autorités de la synagogue confient cette tâche à ceux qui sont compétents dans le domaine des Écritures Cela laisse suppose que la renommée et la réputation de Jésus étaient parvenues jusque dans son village. On lui donne à lire un texte du prophète Esaïe. On sait, par les découvertes de Qumrân, que ce prophète était très utilisé au temps de Jésus, le plus ancien manuscrit retrouvé dans les grottes de la secte des bords de la Mer Morte étant précisément un rouleau de ce prophète. Immédiatement, Jésus se place sous son patronage, en définissant sa mission comme prophétique : L'Esprit du Seigneur est sur moi.

Dans le langage traditionnel, cette expression implique le fait d'être prophète, ou d'être envoyé par Dieu. Jésus se présente immédiatement comme le porte-parole de Dieu, celui qui a reçu l'onction. Ce terme d'onction, en grec se dit : Chrisma , et le terme d'oint se dit : Christos , le titre de Christ donné à Jésus vient de là. Jésus est cet homme qui a été rempli par l'Esprit Saint de la même manière qu'une huile oint le corps.

Pour annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres. Porter la Bonne Nouvelle, c'est évangéliser. Esaïe écrivait cette parole aux déportés de Babylone pour annoncer l'approche de leur libération, ce qui était pour eux une bonne nouvelle. Mais pour ceux qui étaient revenus d'exil, la déception était grande. Les pauvres qui avaient été opprimés pendant la déportation continuaient d'être opprimés après le retour. Aussi, peu à peu, cette notion de pauvres allait prendre un nouveau sens, ne désignant plus ceux qui connaissaient la pauvreté économique ou sociale, mais désignant plutôt l'attitude de ceux qui acceptaient de se tourner vers Dieu seul, alors qu'ils étaient dépourvus de tout secours humain face aux puissants.

L'évangéliste Luc montre le souci de Dieu et de Jésus pour eux. Cependant, Jésus n'a pas ouvert toutes les prisons, il n'a pas guéri tous les malades et il n'a pas libéré entièrement le monde de toute oppression. La libération qu'il apporte n'est pas matérielle, il laisse à ses disciples le soin de poursuivre son oeuvre pour enrayer le progrès de toute forme d'oppression, il est venu libérer les hommes du péché et leur accorder le pardon de Dieu. Le commentaire de Jésus sur cette parole d'Esaïe annonce qu'elle se réalise dans l'aujourd'hui. Ses auditeurs sont saisis : les paroles entendues de la bouche de Jésus sont des paroles de grâce, et sa prédication est d'abord bien accueillie, les hommes écoutant volontiers un homme qui leur parle de choses qui les intéressent. Mais ils n'acceptent pas qu'il leur échappe et que ses talents de prophète et de thaumaturge puissent profiter à d'autres, pas plus qu'ils n'acceptent d'être remis en question dans leurs habitudes. Une question va donc monter de la foule : N'est-ce pas le fils de Joseph ?

Si Jésus est prophète, cela doit profiter à son village, et les habitants réclament des signes. N'est-ce pas refuser Dieu que de réclamer sans cesse des miracles ? Cela revient à le mettre au service des hommes. Si les liens du sang ou du sol attachent un individu à ses proches, la force de la Parole de Dieu risque d'être moins percutante. Dieu n'adresse donc jamais un prophète à ses proches, mais à des étrangers. Car Dieu ne dit pas toujours des choses agréables à entendre, et quand elles sont dites par un proche, elles sont moins entendues. Désormais, on ne pourra plus enfermer Jésus dans ce petit trou de Nazareth, sa mission va s'élargir au monde. Ses compatriotes décident de le jeter hors de la ville, ce qui annonce son destin : il sera exécuté hors des murs de Jérusalem. Mais le refus des hommes ne peut pas empêcher Dieu de poursuivre son projet pour eux : Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin. Ce séjour de Jésus à Nazareth est aussi rapporté par Marc, mais sans doute avec une autre visée :

Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d'étonnement, de nombreux auditeurs disaient : D'où cela lui vient-il ? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains ? N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? et ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous ? Et il était pour eux une occasion de chute. Jésus leur disait : Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison. Et il ne pouvait faire là aucun miracle. Pourtant, il guérit quelques malades en leur imposant les mains. Et il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas (Mc. 6, 1-6).

Ce passage est important dans la vie de Jésus : il souligne une forme d'échec de sa prédication. Il est aussi très important pour la vie de l'Eglise : les disciples ne doivent pas s'étonner de leurs échecs éventuels puisque leur Maître a connu lui-même cette expérience. Tout d'abord, les gens sont dans l'étonnement : sa parole a une répercussion à l'extérieur du village comme dans leur synagogue : D'où cela lui vient-il ? Et ces gens mentionnent une sorte de généalogie qui porte en elle-même les traces du christianisme et non celles du judaïsme. Il est totalement impensable que des juifs aient pu faire abstraction du père de Jésus, en indiquant simplement sa mère. Cette absence de père est la manifestation d'une préoccupation de l'Eglise primitive. Pour Marc, Jésus a Dieu pour Père, comme Dieu est le Père des autres disciples qui sont mentionnés...

L'étonnement fait place à la réserve puis à l'incrédulité. Il faudrait écouter ce petit prophète qui n'est jamais qu'un enfant du pays ! Jésus devient pour eux une pierre d'achoppement, et leur incrédulité l'empêche d'accomplir des miracles. Il peut simplement guérir certains malades en leur imposant les mains. C'est toute la distinction qui doit être faite entre guérison et miracle. Le miracle est le signe de l'action de Dieu, tandis que la guérison peut venir simplement d'un homme, d'un guérisseur quelconque. Le miracle exige toujours la foi de l'homme, tandis qu'un homme sans foi peut toujours être guéri. D'ailleurs pour certaines guérisons, le malade est amené par d'autres, sans qu'il soit question de la foi explicite des uns ou des autres, et Jésus accepte de guérir...

Le miracle est porteur d'un sens qui dépasse l'intelligence humaine, mais il peut être compris dans et par la foi. Pour comprendre le miracle, il faut être "du dedans" et les habitants de Nazareth sont manifestement "du dehors". Il n'ont rien compris à l'action commencée par Jésus : Ils disaient : Il a perdu la tête (Mc. 3, 21).

D'après les textes évangéliques, il ne semble pas que Jésus ait été un bon "paroissien" par rapport aux offices de la synagogue. Chaque fois qu'il se trouve dans la maison de prière et d'étude (en hébreu Beth-knesset, il arrive des incidents. Certes, ses auditeurs peuvent être surpris de son enseignement ou de sa réputation, surtout les habitants de Nazareth qui le connaissaient pour l'avoir vu grandir au milieu d'eux et pour avoir eu recours à lui ou à Joseph pour leurs travaux de charpente. Jésus enseigne en maître qui a autorité et qui va directement à l'essentiel sans passer par des arguties subtiles, il donne les vraies réponses aux questions essentielles que les hommes se posent...

Dès le début de sa vie publique, Jésus a manifesté qu'il était un homme libre. Il commence sa prédication devant la foule venue de tous les territoires d'Israël et des pays limitrophes et païens, par la proclamation des Béatitudes, c'est ce qui est appelé, depuis saint Augustin, le Sermon sur la montagne, où Jésus présente la loi-cadre de son Royaume. Le Royaume de Dieu, dans la conception de Jésus, c'est l'existence humaine, de la manière où il la vit. Le Royaume, c'est Jésus vivant notre vie. En quelques paroles, il indique le chemin qu'il faut suivre pour être son disciple. Cela lui vaudra des difficultés avec les autorités civiles et religieuses. Par huit fois (le chiffre de l'accomplissement : celui de l'histoire <7> augmenté de celui de Dieu <1>), le cri de bonheur retentit sur des situations de détresse.

Le Christ se met du côté des pauvres, des opprimés, des laissés pour compte. Les béatitudes sont un S.O.S. de Jésus en faveur des sans voix auxquels il s'identifie. Pour les chrétiens, c'est une invitation à découvrir, à sa suite, l'itinéraire de l'espérance : il y a un chemin du bonheur à trouver pour tous les hommes. Le mot "heureux" doit être plus exactement traduit par "progrès pour", "en avant" : vous êtes sur la bonne voie en mesurant votre pas sur celui du Christ, il s'est mis avec vous pour vous sauver. Les béatitudes sont l'autoportrait de Jésus. Ce Sermon sur la Montagne a impressionné non seulement ceux qui ont décidé de le suivre, mais aussi des hommes de tous bords et qui ne vivent pas nécessairement les valeurs chrétiennes. Jésus présente le chemin pour parvenir au bonheur. Ce chemin est incontournable, difficile, bouleversant, il se résume dans le texte des Béatitudes. Plus on est proche d'elles, plus on est proche de Dieu. C'est un appel qu'il adresse à tous les hommes pour les tirer, à travers l'épreuve, vers la lumière, sur les traces de celui qui est venu dire : Soyez heureux, et qui montre le chemin du bonheur.

A la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s'assit et ses disciples s'approchèrent de lui. Et prenant la parole, il les enseignait : Heureux les pauvres de coeur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils auront la terre en partage ! Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde ! Heureux les coeurs purs : ils verront Dieu ! Heureux ceux qui font oeuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédé (Mt. 5, 1-12).

Ce discours est un modèle pour toute existence. Nous pouvons toujours découvrir des hommes, des femmes, des jeunes, des enfants qui ont vécu et qui vivent selon l'idéal des Béatitudes proposées par Jésus. D'ailleurs, tous ceux qui en vivant ne sont pas nécessairement sortis du cercle de ceux qui sont simplement déclarés chrétiens par une inscriptions sur un registre de baptême. Le coeur de Dieu est plus grand que le nôtre, et cela est heureux ! Car les béatitudes ne sont pas des préceptes, mais des invitations : Jésus ne donne pas d'ordre : il faut être pauvre, doux, miséricordieux... il fait un constat. Aucune obligation !

Mais qu'est-ce que le bonheur ? Pour un juif, marqué par ses ancêtres nomades, est heureux celui qui peut marcher. Être heureux, c'est le contraire d'être installé dans la réussite sociale, le confort, la célébrité et même l'amour. Marche, c'est le terme qui exprime le bonheur dont Dieu rêve pour son peuple. L'homme heureux, c'est celui qui va de l'avant, c'est celui qui consent à progresser. Aussi conviendrait-il de remplacer le terme "heureux" par "en marche", "en avant". Ceux qui sont proclamés heureux sont ceux qui dans le monde semblent bien être placés du côté des perdants.

On pourrait croire que Jésus prêche une religion de dépouillement et de tristesse opposée à la joie et à l'aisance. Tous les biens seraient à rejeter, il faudrait se complaire dans la misère et la souffrance. Ce n'est pas aussi clair... Jésus ne dit pas : Vivent les pleurs ! Vive la souffrance ! Vivent les persécutions ! et encore moins : Vive la mort ! Il pense aux gens accablés qu'il est venu relever et aider. Il les relève, sans leur faire la leçon. Il ne condamne pas les biens, il constate simplement que ce n'est pas ce que celui qui croit en lui peut et doit attendre pour l'avenir.

Entre maintenant et plus tard, il y a une inadéquation, et, dans la bouche de Jésus, le plus tard prend le contre-pied du présent. Il importe de rester sur sa faim pour attendre la réalisation de la promesse de Dieu. La pensée de Jésus, comme toute la pensée biblique, est faite de dilemmes, marquant le caractère absolu des extrêmes : ou bien... ou bien, il n'y a pas de milieu, il n'y a pas de troisième solution...

La rive nord-ouest du lac de Tibériade connût la plus grande partie du ministère galiléen de Jésus. D'ailleurs, certains de ses disciples étaient originaires du lac. Pierre et André étaient originaires de Capharnaüm où Matthieu, le publicain, tenait l'octroi, tandis que Jacques, Jean et Philippe étaient de Bethsaïde. Le ministère de Jésus, sur les bords du lac, commence immédiatement par une prédication de Évangile et par un appel à la conversion.

Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait Évangile de Dieu et disait : Le temps est accompli et le Règne de Dieu s'est approché : convertissez-vous et croyez à Évangile (Mc. 1, 14-15)

En un certain sens, Jésus ne fait que reprendre l'enseignement de Jean le Baptiste qui vient d'être arrêté sur ordre du roi Hérode, mais il donne à la prédication du Baptiste une orientation nouvelle. Jean proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés, Jésus proclame Évangile de Dieu et il invite les hommes à faire un acte de foi personnel, au-delà de leur conversion personnelle. Et c'est dans ce cadre qu'il appelle se premiers disciples, et particulièrement Simon-Pierre, dont la barque servira pendant la vie publique de Jésus. Sur les bords du lac, Jésus guérira de nombreux malades, parmi lesquels la belle-mère de Pierre et le serviteur d'un centurion de l'armée romaine. C'est là également qu'il multiplie les pains pour nourrir cinq mille personnes avec cinq pains d'orge et deux petits poissons.

Jésus est également passé par Césarée de Philippe, dont le nom le plus ancien est Panias, sur les pentes méridionales du Mont Hermon, à proximité des sources principales du Jourdain. Les évangélistes y mentionnent le passage de Jésus, au moment de la confession de foi de Pierre. Jusqu'alors l'essentiel de la mission de Jésus se déroulait dans le cadre d'une prédication en Galilée, avec quelques incursions dans les pays païens tout proches. Désormais, le cadre géographique va changer avec sa montée à Jérusalem, là où doit se jouer son destin. C'est sans doute à proximité de la crypte du dieu Pan que Pierre a fait sa profession de foi en reconnaissant Jésus comme le Messie :

Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples : Qui suis-je, au dire des hommes ? Ils lui dirent : Jean le Baptiste, pour d'autres, Élie, pour d'autres, l'un des prophètes. Et lui leur demandait : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Prenant la parole, Pierre lui répond : Tu es le Christ. Et il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne (Mc. 8, 27-30).

La confession de Pierre apparaît alors comme la résultante de toute une démarche de la foi qui, lorsqu'elle est éclairée peut aller au-delà de toutes les réponses insuffisantes de l'homme. La question de l'identité de Jésus ne vient pas de la foule ni de ses disciples, mais de Jésus lui-même. Ce serait sans doute se faire grandement illusion que de penser que Jésus ignorait ce que les hommes disaient de lui... Mais le moment est particulièrement exceptionnel. Pour que les disciples puissent comprendre la portée de la révélation qui va leur être faite, Jésus prend l'initiative et va, en quelque sorte, orienter le débat. A la première question, les disciples peuvent facilement apporter une réponse. Les foules ont déjà une opinion sur Jésus. Ses paroles, ses actions sont comparables à celles des prophètes des temps anciens, à Élie qui devait revenir inaugurer les temps nouveaux, à Jean-Baptiste qui serait revenu à la vie, ou à quelque autre prophète. Même si le programme de Jésus le situe dans la catégorie prophétique, la foule ne s'est pas encore bien décidée. Hérode, lui, s'était déjà forgé une opinion bien arrêtée : "Ce Jean que j'ai fait décapiter, c'est lui qui est ressuscité" (Mc. 6, 16).

Les disciples, eux, n'avaient encore aucun élément de réponse entre les mains. Sa seconde question, Jésus l'adresse à ses disciples d'une manière plus directe. Il ne discute pas les opinions de la foule, et il ne réduit pas la réponse qu'il attend de ses disciples à l'opinion de la foule : le temps est venu pour les disciples d'exprimer leur conviction personnelle à son égard. La réponse de Pierre dépasse les opinions de la foule : Jésus n'est plus considéré comme un prophète, mais comme le Messie, celui qui était annoncé par les prophètes et dont la venue imminente était annoncée par Jean-Baptiste.

Cette réponse de Pierre est aussi la forme de l'acte de foi de l'Eglise primitive. Dire que Jésus était le Christ signifiait l'entrée dans l'Eglise et constituait le "Credo" primitif. C'est le titre officiel de Jésus qui vient d'être révélé par un homme. Toutefois, il ne semble pas que Pierre ait compris l'importance et l'impact de sa parole. Marc oppose le jugement faux que le roi Hérode avait émis au jugement correct de Pierre, jugement correct peut-être, mais pas encore exact, puisqu'une mise au point de Jésus sera nécessaire pour que cette parole trouve sa réelle et pleine interprétation par les disciples.

En réclamant le silence : "il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne", Jésus ne récuse en aucune façon le titre que vient de lui donner Pierre, il ne le désapprouve pas. D'ailleurs, il l'acceptera même au cours de son procès devant le Sanhédrin : "Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis" (Mc. 14, 61-62). Mais la consigne du silence à propos de ce titre comme de celui de Fils de Dieu ne cesse de rappeler à l'attention de l'auditeur que ces titres sont l'expression de la profession de foi de l'Eglise et qu'ils sont donc prématurés quand on les applique au Jésus pré-pascal : il faut attendre la mort et la résurrection de Jésus pour comprendre que le Jésus d'avant Pâques est bien le Christ. Tout emploi avant la résurrection serait abusif. La manifestation du Christ ressuscité peut permettre de comprendre le sens de l'activité de Jésus, mais la mission terrestre de celui-ci n'est pas suffisante pour permettre de comprendre qu'il est vraiment le Christ.

La prédication de Jésus, si elle a d'abord pu enthousiasmer les foules, n'a pas comblé entièrement leurs attentes, ses miracles même n'avaient pas suffi à lui faire garder toute la faveur du peuple : Cette génération, mauvaise et adultère, réclame un signe. Et de signe, il ne lui en sera pas donné, sinon le signe du prophète Jonas. Devant les résistances qui s'opposaient à lui de la part des foules, Jésus a dû interpréter l'échec de sa mission, ainsi qu'il le fait sur la croix, en rappelant les paroles du psaume 22 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Mais sans oublier que cette supplication se termine en action de grâce, car le juste qui souffre pour la cause de Dieu n'est pas abandonné éternellement.

Contrairement à ce qu'il semble dans les récits évangéliques, il est difficile de reconstituer avec précision les derniers jours de la vie de Jésus. Il est seulement possible de dire qu'il est mort pour des motifs politico-religieux. Les raison de sa mort ne sont guère différentes des raisons de la mort de Jean-Baptiste : en annonçant la venue imminente du Royaume de Dieu, il mettait en péril toutes les institutions en place, qu'elles soient religieuses ou qu'elles soient politiques.

Les derniers jours de Jésus

C'est sans doute l'incident des vendeurs chassés du Temple qui a mis le feu aux poudres, même s'il a sans doute eu lieu plusieurs mois avant la dernière semaine de Jésus. Par ce geste, Jésus se mettait au-dessus des plus hautes autorités de la nation juive, et il s'opposait au culte normal dans le Temple. Toucher au Temple, c'était s'exposer à faire éclater une affaire d'État.

La mort de Jésus fut décidée par le sacerdoce de Jérusalem. Les grandes familles pontificales avec, à leur tête Anne et Caïphe, avaient deux griefs majeurs contre lui. On se méfiait d'abord de toute agitation venant de la part des Galiléens (il y avait déjà eu des précédents, réprimés dans le sang par le gouverneur Pilate). Toute révolte aurait pu remettre en cause l'équilibre précaire de la nation face à la puissance de l'occupant romain. Jésus menaçait cet équilibre en prenant la liberté de purifier le Temple, d'annoncer même sa destruction et donc de se placer au-dessus de la Loi de Moïse. Tout cela menaçait l'ordre établi dont les grands prêtres étaient les garants. De plus, Jésus proférait le blasphème de se prétendre l'égal de Dieu, annonçant qu'il siégerait à la droite de Dieu à la fin des temps.

L'affrontement que Jésus avait porté jusque dans la capitale ne peut avoir d'autre issue que son arrestation et sa mise à mort. Ses adversaires sont d'accord sur ce point, leur principale préoccupation est de trouver le moyen de l'arrêter sans provoquer d'émeute dans la ville, en cette période de fêtes pascales, pendant laquelle la foule est très nombreuse à Jérusalem. La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer. Ils disaient en effet : Pas en pleine fête, de peur qu'il n'y ait des troubles dans le peuple (Mc. 14, 1-2).

Puisque Jésus se trouve dans la capitale, ou dans sa proche banlieue, l'occasion est favorable, mais il n'est pas possible aux adversaires de Jésus de procéder publiquement à cette arrestation; il leur faut agir par ruse, car ils ignorent le nombre de ses partisans présents avec lui dans la ville à cette époque. La proposition de Judas Iscarioth aux grands prêtres arrivera à point nommé pour hâter les événements. Judas Iscarioth, l'un des douze, s'en alla chez les grands prêtres pour leur livrer Jésus. A cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l'argent. Et Judas cherchait comment il le livrerait au bon moment (Mc. 14, 10-11).

La tradition chrétienne s'est souvent complue à noircir la mémoire de Judas. Les évangélistes en portent la responsabilité. Ils le mentionnent toujours comme le dernier des douze, en précisant qu'il est bien celui qui livra leur maître. Dernier à être appelé à faire partie des disciples privilégiés, il est aussitôt qualifié de traître. Mais il faut quand même noter que Judas n'a jamais comploté la mort de Jésus. Il ne fait pas partie de ceux qui ont condamné Jésus au supplice... Pourtant, il a bien trahi son maître, et cette trahison a été durement ressentie par les autres disciples de Jésus qui, dans leur douleur, n'ont pas pu comprendre pourquoi un de ceux qui avaient été choisis par le maître le trahissait. Tout, dans l'évangile, laisse à croire que Jésus lui-même connaissait le désaccord qui devait l'opposer à Judas, et que le maître s'attendait, à un moment ou à un autre, à la défection de son disciple. Mais alors que les évangélistes s'attardent à souligner sa trahison, ils ne disent rien des motifs qui ont pu le conduire. Matthieu pense que Judas agissait simplement poussé par la cupidité, Luc et Jean estiment que le disciple a été comme possédé par Satan, l'esprit du Mal, et ils soulignent alors le fait que la Passion de Jésus serait le résultat de l'oeuvre démoniaque qui s'oppose à la volonté salvifique de Dieu.

Habituellement, on pense que Judas était affilié au parti des zélotes, qui se révoltaient contre la puissance romaine d'occupation pour des motifs religieux. Judas avait placé toute sa confiance dans la personne de Jésus de Nazareth, en qui il pensait avoir trouvé celui qui allait pouvoir secouer la tutelle romaine, uniquement pour des motifs religieux. Déçu par Jésus, qui refusait de se reconnaître comme celui qui devait être le libérateur messianique, de style politique, qui allait redonner à Israël toute sa dignité royale, sacerdotale et prophétique, Judas aurait alors découvert en Jésus une sorte d'imposteur qui allait empêcher la restauration d'Israël comme une puissance au milieu des autres nations, il lui fallait dénoncer nécessairement cette imposture pour la bien public de la nation juive.

Quoi qu'il en soit, les évangiles ne sont pas très explicites sur les motifs qui ont poussé Judas à agir de la sorte. Ils sont davantage sensibles au fait que Jésus est l'homme en qui peut s'opérer le salut que Dieu réserve à l'ensemble de l'humanité, ce salut s'effectuant dans l'humiliation d'un Messie crucifié, en qui toutes les Écritures seraient accomplies. Et la trahison de Judas, comme le reniement de Pierre, peut apparaître comme la mise en relief du drame que connaît Jésus aux derniers moments de sa vie. En même temps, les évangélistes adressent une sorte d'avertissement à tous ceux qui sont devenus les disciples de Jésus : eux aussi ne sont pas à l'abri d'une trahison ou d'un reniement.

A l'approche de la fête juive de la Pâque, Jésus monte à Jérusalem pour la dernière fois. C'est dans cette ville, au moment de la fête juive de la Pâque qu'eut lieu la Cène que rapporte l'apôtre Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe, l'un des plus anciens textes du Nouveau Testament : Frères, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j'ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur. La nuit même où il fut livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit et dit : Ceci est mon Corps qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. Après le repas, il fit de même avec la coupe en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (1 Cor. 11, 22-26).

Un climat festif a présidé à la Cène. Il ne fait pas de doute que Jésus ait dit beaucoup plus de choses que ce que les évangélistes ont rapporté. Ils n'ont retenu que ce qui était nouveau, soit parce que le rituel juif était assez connu pour les chrétiens venus du judaïsme, soit parce que ce rituel n'offrait que peu d'intérêt pour les chrétiens venus du paganisme.

Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers. Et Jésus leur dit : Tous, vous allez tomber, car il est écrit : Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées. Mais une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. Pierre lui dit : Même si tous tombent, eh bien, pas moi ! Jésus lui dit : En vérité, je te le déclare, toi aujourd'hui, cette nuit-même, avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois. Mais lui affirmait de plus belle : Même s'il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas. Et tous en disaient autant (Mc. 14, 26-31).

Au moment même où l'alliance nouvelle entre Dieu et les hommes prend corps, les hommes sont incapables de prendre des engagements définitifs. L'alliance nouvelle est scellée par la seule obéissance de Jésus. Dès lors, la mort de Jésus, dans les heures qui suivent ce repas, sera interprétée comme une mort sacrificielle. Jésus est le Serviteur souffrant dont parlait le prophète Esaïe : S'il s'offre en expiation, il verra la postérité. Jésus meurt pour un ensemble, il est le juste qui meurt pour la multitude des pécheurs, il verse son sang pour une alliance nouvelle.

Le dernier repas de Jésus est suivi de son agonie et de sa prière solitaire au jardin de Gethsémani. C'est sans doute à ce moment que Jésus a pu mesurer pleinement le destin tragique qui allait être le sien. Jusqu'alors, dans la tranquillité, il manifestait sa certitude d'accomplir le dessein de Dieu sur le monde, et il va en quelque sorte être tenté de refuser d'aller jusqu'au bout du chemin, avant d'accepter que la volonté du Père soit faite. Après avoir chanté les psaumes d'action de grâce, à la fin du repas pascal, Jésus s'en va, par la vallée du Cédron, jusqu'au jardin de Gethsémani.

Ils arrivent à un domaine du nom de Gethsémani et il dit à ses disciples : Restez ici pendant que je prierai. Il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean. Et il commença à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit : Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez. Et, allant un peu plus loi, il tombait à terre et priait pour que, si possible, cette heure passât loin de lui. Il disait : Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! Il vient et les trouve en train de dormir, il dit à Pierre : Simon, tu dors ! Tu n'as pas eu la force de veiller une heure ! Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation. L'esprit est plein d'ardeur, mais la chair est faible. De nouveau, il s'éloigna et pria en répétant les mêmes paroles. Puis, de nouveau, il vint et les trouva en train de dormir, car leur yeux étaient appesantis. Et ils ne savaient que lui dire. Pour la troisième fois, il vient, il leur dit : Continuez à dormir et reposez-vous ! C'en est fait. L'heure est venue, voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici qu'est arrivé celui qui me livre (Mc. 14, 32-42).

Jésus est effrayé devant un événement qui doit survenir et sur lequel il ne peut avoir de prise directe, un événement auquel il ne peut donner personnellement un sens. Il est dépourvu devant la mort qui approche de lui. Il est seul, car les hommes qu'il a choisis sont défaillants, l'un d'eux le trahit, l'autre va le renier, les autres dorment sans se rendre compte de l'importance de ce qui se déroule pendant leur sommeil. Pour Jésus, c'est l'heure du rejet, l'heure de l'abandon par ceux qui l'entourent, c'est l'heure de la mort. C'est aussi l'heure où il surmonte définitivement la tentation. Dans sa prière au Père, à qui tout est possible, il demande d'écarter la coupe de souffrance. Mais il comprend quelle est la volonté du Père, il s'y abandonne avec confiance : Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux !

Certes Jésus devait pressentir sa mort comme le résultat du rejet définitif du peuple d'Israël qui ne pouvait admettre l'authenticité de sa mission, mais jamais il ne semble avoir pu imaginer que se mort lui serait en quelque sorte volée et qu'il connaîtrait l'infamie des agitateurs politiques. Lui, le prophète envoyé par Dieu, le Fils unique, ne pouvait connaître que le sort des prophètes, et voilà qu'il va être traité comme le dernier des révolutionnaires.

C'est sans doute à ce moment tragique de son existence qu'il est possible de découvrir le mieux l'expression la plus parfaite de la divinité en cet homme singulier. C'est en considérant jusqu'à quel point Jésus assume toute la vérité de la condition des hommes, dans l'angoisse devant la mort, qu'il est possible de découvrir sa manière divine d'être homme, non pas refuser d'accomplir la volonté de Dieu, mais accepter de laisser agir la puissance même de Dieu. Le dessein divin est incompréhensible, mais c'est le dessein de Dieu. Et ce que Dieu veut, c'est le salut de l'homme : l'homme Jésus est écartelé, et, en prenant sa décision, en choisissant d'accomplir la volonté du Père, il indique aux hommes le sens de toute la destinée et de l'existence humaine : se retrouver dans la volonté de Dieu.

Au même instant, comme il parlait encore, survient Judas, l'un des douze, avec une troupe armée d'épées et de bâtons qui venait de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens. Celui qui le livrait avait convenu avec eux d'un signal : Celui à qui je donnerai le baiser, avait-il dit, c'est lui ! Arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. Sitôt arrivé, il s'avance vers lui et lui dit : Rabbi. Et il lui donna un baiser. Les autres mirent la main sur lui et l'arrêtèrent. L'un de ceux qui étaient là tira l'épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l'oreille. Prenant la parole, Jésus leur dit : Comme pour un bandit, vous êtes partis avec des épées et des bâtons pour vous saisir de moi ! Chaque jour, j'étais parmi vous dans le Temple à enseigner et vous ne m'avez pas arrêté. Mais c'est pour que les Écritures soient accomplies. Et tous l'abandonnèrent et prirent la fuite. Un jeune homme le suivait, n'ayant qu'un drap sur le corps. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu (Mc. 14, 43-52).

Le jardin de Gethsémani est le lieu où Jésus fut arrêté par l'ensemble de ses adversaires conduits par Judas Iscarioth. Le rôle de Judas, le compagnon de Jésus, fut d'indiquer l'endroit où saisir son maître, car beaucoup de pèlerins campaient sur le mont des Oliviers pendant la période pascale, rendant difficile la reconnaissance d'une personne au cours de la nuit. Les gardes trouvent Jésus paré à toute éventualité, tandis que des disciples, non préparés, s'enfuient et se dispersent, laissant Jésus seul aux mains de ses ennemis. Le jeune homme couvert d'un simple drap pourrait bien être l'évangéliste Marc lui-même, qui rapporte seul cet événement qui semble autobiographique... Comme les prêtres l'avaient souhaité, l'arrestation de Jésus s'est faite à l'insu de la foule, et Jésus leur reproche de ne pas avoir osé intervenir devant la foule pendant qu'il enseignait dans le Temple.

Il fallait maintenant dépêcher le procès de Jésus, avant que ses sympathisants puissent avoir le temps de provoquer une émeute en cette période de fêtes où de nombreux fidèles étaient montés à Jérusalem pour la Pâque. Dans le récit du procès de Jésus que dressent les évangélistes, il existe deux jugements séparés, l'un devant le tribunal juif, le sanhédrin qui n'avait aucun pouvoir pour exécuter les sentences qu'il prononçait, et l'autre devant le tribunal du gouverneur romain. Chacun des deux jugements se termine par une condamnation à mort, mais chacun pour un crime différent.

Après son arrestation au jardin de Gethsémani, Jésus est traduit devant un tribunal juif, le Sanhédrin, grand conseil comprenant soixante et onze membres, chefs religieux des familles sacerdotales, membres de l'aristocratie laïque et scribes, divisés en deux tendances : les pharisiens et les saducéens. Ce grand conseil se réunit dans le palais du grand prêtre.

Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre. Ils s'assemblent tous, les grands prêtres, les anciens, les scribes. Pierre, de loin, l'avait suivi jusqu'à l'intérieur du palais du grand prêtre. Il était assis avec les serviteurs et se chauffait près du feu. Or les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient contre Jésus un témoignage pour le faire condamner à mort et ils n'en trouvaient pas. Car beaucoup portaient de faux témoignages contre lui, mais les témoignages ne concordaient pas. Quelques-uns se levaient pour donner un faux témoignage contre lui en disant : Nous l'avons entendu dire : Moi, je détruirai ce sanctuaire fait de main d'homme et, en trois jours, j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d'homme. Mais, même de cette façon, ils n'étaient pas d'accord dans leur témoignage. Le grand prêtre, se levant au milieu de l'assemblée, interrogea Jésus : Tu ne réponds rien aux témoignages que ceux-ci portent contre toi ? Mais lui gardait le silence, il ne répondit rien. De nouveau, le grand prêtre l'interrogeait, il lui dit : Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel. Le grand prêtre déchira ses habits et dit : Qu'avons-nous encore besoin de témoins ! Vous avez entendu le blasphème. Qu'en pensez-vous ? Et tous le condamnèrent comme méritant la mort. Quelques-uns se mirent à cracher sur lui, à lui couvrir le visage et à lui dire : Fais le prophète ! Et les serviteurs le reçurent avec des gifles (Mc. 14, 53-65).

Jésus est donc d'abord traduit devant le tribunal juif où les prêtres cherchent un motif pour le condamner à mort. Ils avaient de bonnes raisons de refuser son enseignement, ils souhaitaient qu'il se manifeste ouvertement contre l'occupant romains pour qu'ils puissent le condamner sans les faire tremper dans "l'affaire Jésus". Ils auraient ainsi pu dégager leur responsabilité, mais Jésus ne s'est jamais laissé prendre à leurs pièges. Les faux témoins, recrutés pour la circonstance, se contredisent. Le motif juridique, selon la législation juive, pour condamner Jésus à la mort, sera finalement trouvé dans une réponse que celui-ci fera à une question du grand-prêtre : Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel.

C'est la première fois que Jésus rend ouvertement un témoignage sur sa propre personne : il se présente comme le Messie, celui qui est attendu par tout le peuple, il s'arroge le titre de Fils de l'homme qui devait venir juger l'humanité à la fin des temps, en siégeant à la droite de Dieu. Revendiquer une telle égalité avec le Dieu unique, se placer soi-même au rang de Dieu était perçu comme le plus abominable des blasphèmes. Un tel péché devait être puni de mort, par lapidation. Pendant que se décidait le sort de Jésus, dans la cour du palais du grand prêtre, Pierre reniait son maître.

Tandis que Pierre était en bas, dans la cour, l'une des servantes du grand prêtre arrive. Voyant Pierre qui se chauffait, elle le regarde et lui dit : Toi aussi, tu étais avec le Nazaréen, avec Jésus ! Mais il nia en disant : Je ne sais pas et je ne comprends pas ce que tu veux dire. Et il s'en alla dehors dans le vestibule. La servante le vit et se mit à dire à ceux qui étaient là : Celui-là, il est des leurs ! Mais de nouveau, il niait. Peu après, ceux qui étaient là disaient une fois de plus à Pierre : A coup sûr, tu es des leurs ! Et puis, tu es galiléen. Mais lui se mit à jurer avec des imprécations : Je ne connais pas l'homme dont vous me parlez ! Aussitôt, pour la deuxième fois, un coq chanta. Et Pierre se rappela la parole que Jésus lui avait dite : Avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois. Il sortit précipitamment, il pleurait (Mc. 14, 66-72).

Sous des apparences de procès régulier, ce premier procès de Jésus devant les autorités juives a été bâclé. Même si le Sanhédrin avait quelque pouvoir pour ordonner l'exécution d'une sentence pour un motif religieux, tel que le blasphème, il n'avait pas le pouvoir d'ordonner la mise à mort. C'est pourquoi il faut porter l'affaire devant le procurateur romain, Pilate, qui séjournait à Jérusalem, pendant les périodes de fêtes. Aussi les milieux sacerdotaux livrent-ils Jésus à Pilate, en invoquant non plus des motifs religieux, mais en présentant Jésus comme un agitateur qui refuse de payer l'impôt et veut rétablir la royauté sur Israël. L'intention qui dirigeait les prêtres était double : il fallait réussir à faire condamner Jésus, et surtout il fallait réussir à discréditer absolument sa mémoire parmi le peuple. D'où la conversion du motif religieux en motif politique d'incitation à la révolte et à la sédition.

Pilate joua un grand rôle dans le procès de Jésus. C'est un procurateur romain ordinaire qui pense surtout à sa carrière et qui mène une guerre froide contre les chefs juifs. Quand on enferme Jésus dans ses prisons, il ne représente pour lui qu'un épisode négligeable. Hérode Antipas, venu à Jérusalem pour participer aux fêtes, a peut-être agi dans les coulisses. Les évangélistes ne permettent pas de le savoir avec certitude. Le Sanhédrin s'est sans doute réuni dans le palais d'Hérode. C'est là aussi que le procurateur s'installait lorsqu'il venait de Césarée, sa résidence officielle en Palestine. Devant la citadelle s'étendait une place pavée, nommée le Lithostrotos, où Pilate parlait au peuple.

Dès le matin, les grands prêtres tinrent conseil avec les anciens, les scribes et le Sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Pilate l'interrogea : Es-tu le roi des Juifs ? Jésus lui répond : C'est toi qui le dis. Les grands prêtres portaient contre lui beaucoup d'accusations. Pilate l'interrogeait de nouveau : Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit plus rien de sorte que Pilate était étonné. A chaque fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu'ils réclamaient. Or celui qu'on appelait Barabbas était en prison avec les émeutiers qui avaient commis un meurtre pendant l'émeute. La foule monta et se mit à demander ce qu'il accorder d'habitude. Pilate leur répondit : Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? Car il voyait bien que les grands prêtres l'avaient livré par jalousie. Les grands prêtres excitèrent la foule pour qu'il leur relâche plutôt Barabbas. Prenant alors la parole, Pilate leur disait : Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs ? De nouveau, ils crièrent : Crucifie-le ! Pilate leur disait : Qu'a-t-il donc fait de mal ? Ils crièrent de plus en plus fort : Crucifie-le ! Pilate, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et il livra Jésus, après l'avoir fait flageller, pour qu'il soit crucifié (Mc. 15, 1-15).

L'autorité religieuse présente donc Jésus à l'autorité civile, mais elle masque les motifs réels de sa condamnation, elle en invoque d'autres, qui sont plutôt d'ordre politique. L'intention qui dirigeait les prêtres était double : il fallait faire condamner Jésus à tout prix, mais il fallait aussi discréditer absolument sa mémoire parmi le peuple. C'est la raison pour laquelle ils convertissent le motif religieux en un motif politique de sédition et d'incitation à la révolte, puisqu'il se prétendait le "roi des Juifs". Pilate s'aperçoit certainement qu'on lui présente un procès truqué, et se trouve donc mis dans un grand embarras, quand on lui présenta Jésus. Il aurait sans doute aimé trouver le moyen de décliner la compétence de son pouvoir, mais les grands prêtres qui jouaient le rôle de procureurs de justice, lui présentent Jésus comme un dangereux nationaliste, invoquant contre lui des accusations auxquelles Jésus ne répond pas, car il ne les accepte pas. Interrogé, Jésus ne répond rien aux accusations portées contre lui. Il aurait pu protester de son innocence et trouver des témoins de la défense parmi ceux qui l'avaient écouté durant les années de sa prédication. Il ne se défend pas, parce que la vérité n'a pas besoin d'être défendue, elle éclate d'elle-même. Pilate n'a pas trouvé de motif de condamnation dans la personne de Jésus et dans ses actes. Le silence de Jésus ne s'explique pas seulement par un motif humain : il ne se défend pas parce qu'il est venu dans le monde pour faire la volonté du Père. Son heure est venue : il doit aller jusqu'au bout de sa mission.

Pilate va donc abandonner Jésus, mais auparavant, conscient du fait que Jésus pouvait être un personnage populaire, il va faire un geste susceptible de lui attirer la faveur des foules, dut-il déplaire aux chefs des prêtres qu'il semblait mépriser. Pilate propose donc inconditionnellement de remettre Jésus en liberté ; mais la foule rejette cette proposition et, sous l'incitation des prêtres, réclame la mise en liberté de Barabbas et la crucifixion de Jésus. Le gouverneur romain est alors contraint de se soumettre à la vindicte populaire, et conformément à l'usage romain, il fait flageller Jésus avant de le faire crucifier. Jésus est alors soumis aux outrages des soldats qui lui enfoncent sur la tête une couronne d'épines tressées.

Les soldats le conduisirent à l'intérieur du palais, c'est-à-dire du prétoire. Ils appellent toute la cohorte. Ils le revêtent de pourpre et ils lui mettent sur la tête une couronne d'épines qu'ils ont tressée. Et ils se mirent à l'acclamer : Salut, roi des Juifs ! Ils lui frappaient la tête avec un roseau, ils crachaient sur lui et se mettant à genoux, ils se prosternaient devant lui. Après s'être moqués de lui, ils lui enlevèrent la pourpre et lui remirent ses vêtements. Puis ils le font sortir pour le crucifier (Mc. 15, 16-20).

Pilate cherchait à relâcher Jésus, mais les Juifs se mirent à crier et ils disaient : Si tu le relâchais, tu ne te conduirais pas comme l'ami de César. Car quiconque se fait roi se déclare contre César. Dès qu'il entendit ces paroles, Pilate fit mener Jésus à l'extérieur. Il l'installa sur une tribune, à la place qu'on appelle Lithostrotos, en hébreu Gabbatha. C'était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure. Pilate dit aux juifs : Voici votre roi ! Mais ils se mirent à crier : A mort ! A mort ! Crucifie-le ! Pilate leur dit : Me faut-il crucifier votre roi ? Les grands prêtres répondirent : Nous n'avons pas d'autre roi que César. C'est alors qu'il leur livra Jésus pour être crucifié. Ils se saisirent donc de Jésus. Portant lui-même sa croix, Jésus sortit et gagna le lieu dit du crâne, qu'en hébreu on nomme Golgotha (Jn. 19, 12-19).

Jésus est condamné à mort par le pouvoir politique, comme séditieux, appelant le peuple à la révolte. Son enseignement avait des incidences politiques : il gênait. Dès lors, personne n'essayera de le libérer du sort qui lui était réservé. Pilate porte la responsabilité historique de sa mort. Seul un petit groupe de fidèles assistera à sa mort, impuissant, au pied de la croix, sur un mont extérieur de Jérusalem, le Golgotha ou Calvaire, le lieu dit du Crâne.

Contrairement à ce que l'on croit trop facilement, Jésus n'a pas fait semblant d'être homme, il n'a pas fait semblant de souffrir. Sous prétexte qu'il est Dieu, nous n'avons pas le droit de lui refuser d'être honnête et d'être vrai. Il est Dieu mais il est homme : il n'a pas profité du fait qu'il était Dieu pour tricher. Il n'a pas joué un rôle, il a joué sa vie, et il a perdu. Il n'a pas été un héros, il a été condamné à être crucifié comme n'importe quel condamné de droit commun, comme un voleur à la tire, comme un assassin... La foule, en délire, approuve sa condamnation, elle hurle à la mort et préfère libérer un assassin plutôt que de laisser vivre Jésus. Jésus est "le prophète assassiné".

Devant la foule qui réclamait la mort de Jésus, Pilate n'osa pas prendre une position nette. Il ne trouve rien de condamnable dans sa conduite, dans ses faits et gestes. Pour ne pas perdre son prestige, pour ne pas risquer sa situation, il va céder à la foule, en permettant que jésus soit flagellé. Pourquoi faire fouetter un homme en qui on ne trouve aucun motif de condamnation ? Jésus est l'innocent qui souffre à la place d'un coupable.

Le condamné devait porter lui-même l'instrument de son supplice, le patibulum, jusqu'au lieu de l'exécution. Jésus, après avoir été châtié sans raison, doit quand même être mis en croix. Mais les outrages et les tortures l'ont épuisé. Il n'arrivera sans doute pas au lieu de son exécution. Il ne convient pas que le condamné ne subisse pas son châtiment jusqu'au bout. L'épuisement physique de Jésus explique le fait qu'un passant soit réquisitionné pour porter la croix avec lui. Cet homme sera un certain Simon qui revenait des champs. Ils réquisitionnent pour porter sa croix un passant, qui venait de la campagne, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus (Mc. 15, 21).Jésus, portant sa croix, sortit de Jérusalem, en direction du lieu-dit Golgotha.

Il était suivi d'une grande multitude du peuple, entre autres de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Jésus se tourna vers elles et leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car voici venir des jours où l'on dira : Heureuses les femmes stériles et celles qui n'ont pas enfanté ni allaité. Alors, on se mettra à dire aux montagnes : Tombez sur nous, et aux collines : Cachez-nous. Car si l'on traite ainsi l'arbre vert, qu'en sera-t-il de l'arbre sec ? (Lc. 23, 27-31).

En arrivant sur le Golgotha, Jésus fut crucifié. Il est d'abord dépouillé de ses vêtements. Dépouillé de tout caractère humain, Jésus va connaître la condition de l'esclave révolté. La crucifixion, comme peine de mort, ne s'appliquait pas aux citoyens romains qui étaient décapités, les juifs, selon leur loi, étaient lapidés. La crucifixion était, à l'origine, le châtiment qui était réservé aux esclaves révoltés. Jésus s'est fait obéissant jusqu'à la servitude. La grandeur du roi des Juifs, c'est de servir, c'est d'être mis au rang des criminels et des rebelles. Jésus s'est fait obéissant jusqu'à partager la condition de l'esclave qui refuse de se soumettre à un pouvoir injuste et qui en paye les conséquences.

C'est là qu'ils le crucifièrent, ainsi que deux autres, un de chaque côté et au milieu Jésus. Pilate avait rédigé un écriteau qu'il fit placer sur la croix, il portait cette inscription : Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs. Cet écriteau, bien des Juifs purent le lire, car l'endroit où Jésus avait été crucifié était proche de la vielle, et le texte était écrit en hébreu, en latin et en grec. Les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : Il ne fallait pas écrire : le Roi des Juifs, mais bien : Cet individu a prétendu qu'il était le roi des Juifs. Pilate répondit : Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit. Lorsque les soldats eurent achevé de crucifier Jésus, ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique, elle était sans couture, tissée d'une seule pièce depuis le haut. Les soldats se dirent entre eux : Ne la déchirons pas, tirons plutôt au sort à qui elle ira. C'est ainsi que fut accomplie Écriture : Ils se sont partagé mes vêtements, et ma tunique, ils l'ont tirée au sort. Voilà donc ce que firent les soldats (Jn. 19, 18-24).

Et ils le mènent au lieu-dit Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne. Ils voulurent lui donner du vin mêlé de myrrhe, mais il n'en prit pas. Ils le crucifient, et ils partagent ses vêtements en les tirants au sort pour savoir ce que chacun prendrait. Il était neuf heures quand ils le crucifièrent. L'inscription portant le motif de sa condamnation était ainsi libellée : Le roi des Juifs. Avec lui, ils crucifient deux bandits, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche (et fut accomplie Écriture qui dit : et il fut compté au nombre des malfaiteurs). Les passants l'insultaient hochant la tête et disant : Hé ! toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même en descendant de la croix. De même, les grands prêtres, avec les scribes, se moquaient entre eux : Il en a sauvé d'autres, il ne peut pas se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et nous croyions ! Ceux qui étaient crucifiés avec lui l'injuriaient aussi (Mc. 15, 21-32).

Pour décrire l'exécution, les évangélistes sont très sobres. Les condamnés, qui devaient subir ce châtiment, habituellement des esclaves révoltés, étaient cloués, les bras étendus sur le patibulum, puis on fixait cette barre transversale sur un poteau vertical, le stipes, préalablement dressé à hauteur d'homme. Les pieds du condamné étaient alors cloués. Une sorte de siège supportait en partie le poids du corps afin que celui-ci n'entraîne pas une déchirure des membres supérieurs fixés préalablement. Le crucifié mettait souvent de très longues heures avant de mourir, non pas par perte de sang, mais plutôt par une lente asphyxie. Les inventeurs de ce type d'exécution sont les Perses et les Phéniciens, puis les Grecs et les Romains l'ont certainement adopté en raison de son caractère très spectaculaire.

Jésus, comme vraisemblablement tous les crucifiés, est accablé des sarcasmes de la foule, qui passe et qui regarde la mort faire progressivement son oeuvre. Un texte, paru dans Les dossiers de l'archéologie, en mai 1975, avec comme sous-titre : Jésus révélé par les historiens, permet de mieux comprendre le supplice enduré par Jésus et quelles sont les tortures impliquées par la crucifixion.

On a retrouvé son squelette en 1968 près de Jérusalem au cours de fouilles pour le compte du ministère israélien de la construction et du logement, dans un sarcophage près d'un squelette d'enfant. Les techniques les plus modernes ont été mises en oeuvre pour en savoir davantage sur les restes de cet homme, grand pour son époque (1,70 mètre). Il était âgé de 24 à 28 ans. Très vite, à l'examen, on se rendit compte qu'on avait affaire à un crucifié : les chevilles de l'homme étaient réunies par un énorme clou qui les transperçait de part en part. Ce clou est conservé au Musée de Jérusalem. le supplice a eu lieu vraisemblablement en l'an 70 de notre ère, en cette année où Titus ordonna la crucifixion de milliers de juifs venus à Jérusalem pour la Pâque. Il ne s'agit donc pas de Jésus. Le supplicié avait probablement cherché à fuir la ville sainte assiégée par l'armée romaine. Il a été crucifié par trois clous, un dans chaque poignet, le troisième perforant les deux chevilles. Le tibia gauche a reçu le coup de grâce qui a occasionné une fracture bien visible. La croix comportait une sellette sur laquelle reposait le séant du supplicié : cette sellette prolongeait l'agonie et empêchait la rupture des os des poignets. Les bras étaient étendus à l'horizontale et tirés au maximum. Le clou, dans son état actuel, transperçant le pied gauche placé sur le pied droit, a environ 17 centimètres de longueur. Il a dû être enfoncé avec une brutalité inouïe, les cheville ayant éclaté. Il n'a d'ailleurs pas été possible aux ensevelisseurs de le retirer, comme ils l'on fait aux poignets, au moment de l'inhumation. La brutalité du bourreau romain est attestée par la présence d'éclats de bois dans les tissus osseux, du même bois que l'on retrouve sur le clou, et qui était en olivier. L'agonie a dû se prolonger durant trois ou quatre heures. Supplice horrible que celui de la crucifixion, importé de Carthage par les Romains et dont Cicéron, Pline, Plaute et Flavius Josèphe disaient qu'il était le plus horrible et le plus inhumain des supplices. d'après une inscription sur le tombeau, le crucifié s'appelait Jehochanan, Jean.

La mort de Jésus paraît marquée par l'abandon du Père. Dieu qui pouvait libérer son Fils de la mort ne répond pas à sa prière. Rejeté et trahi par les hommes, Jésus semble abandonné par le Père. A son cri de détresse répond le silence de Dieu : Dieu n'est pas la réponse toute faite aux problèmes humains, il se manifeste dans le silence, silence de la nuit de la foi, silence de la mort.

A midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu'à trois heures. Et à trois heures, Jésus cria d'une voix forte : Eloï, Eloï, lama sabaqthani ? ce qui signifie : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Certains de ceux qui étaient là disaient, en l'entendant : Voilà qu'il appelle Élie ! Quelqu'un courut, emplit une éponge de vinaigre, et, la fixant au bout d'un roseau, il lui présenta à boire en disant : Attendez, voyons si Élie va venir le descendre de là. Mais poussant un grand cri, Jésus expira (Mc. 15, 33-37).

Jésus meurt après six heures de souffrances, non sans avoir suscité une véritable profession de foi de la part d'un centurion de l'armée romaine : Le centurion qui se tenait devant lui, voyant qu'il avait expiré, dit : Vraiment cet homme était Fils de Dieu (Mc. 15, 39). Cette profession de foi fait suite à la déchirure du voile qui fermait le sanctuaire du Temple : le rideau qui protégeait le Saint des saints se déchire au moment de la mort de Jésus, signe que désormais Dieu est accessible à tous, même aux païens.

La loi mosaïque, en vigueur à Jérusalem, même sous la domination romaine, ne permet pas que des cadavres soient exposés en croix durant la nuit, surtout en période de fête, et encore plus cette nuit-là qui connaissait la grande préparation pascale. Des soldats viennent briser les jambes des condamnés, mais s'apercevant que Jésus est déjà mort, ils ne lui brisent pas les jambes et lui percent le côté d'un coup de lance.

Déjà le soir était venu et comme c'était jour de Préparation, c'est-à-dire une veille de sabbat, un membre éminent du Conseil, Joseph d'Arimathée, arriva. Il attendait lui aussi le Règne de Dieu. Il eut le courage d'entrer chez Pilate pour demander le corps de Jésus. Pilate s'étonna qu'il soit déjà mort. Il fit venir le centurion et lui demanda s'il était mort depuis longtemps. Et, renseigné par le centurion, il permit à Joseph de prendre le cadavre. Après avoir acheté un linceul, Joseph descendit Jésus de la croix et l'enroula dans le linceul. Il le déposa dans une tombe qui était creusée dans le rocher et il roula une pierre à l'entrée du tombeau. Marie de Magdala et Marie, mère de José, regardaient où on l'avaient déposé (Mc. 15, 42-47).

Selon la loi romaine également en vigueur, les exécutés politiques pouvaient bénéficier, par grâce spéciale, d'une sépulture honorable. Rien n'empêchait qu'un sympathisant puisse obtenir le corps du crucifié. Joseph d'Arimathée, membre influent du Sanhédrin, en demanda l'autorisation à Pilate. Avec Nicodème, disciple de Jésus mais en secret, Joseph descend le cadavre de la croix, le dépose au pied du Golgotha. C'est là que les femmes firent, selon la tradition, une onction d'huile parfumée au corps de Jésus, avant que celui-ci ne soit conduit dans une tombe creusée dans le roc, dans un jardin proche du lieu de la crucifixion.

Les autorités sacerdotales qui avaient réussi à se débarrasser du prophète galiléen se félicitaient d'avoir réussi à éviter des histoires avec le gouverneur, surtout en cette période d'affluence. Elles étaient surtout soucieuses de fêter dignement la Pâque et ne se préoccupèrent pas des déclarations de Jésus qui avait affirmé qu'il ressusciterait le troisième jour. Elle ne se soucièrent absolument pas de l'ensevelissement et n'apposèrent donc pas les scellés sur la pierre du tombeau.

Au silence de Jésus devant Pilate, au silence de Dieu à la mort de Jésus succède le silence de la tombe. Mais ce silence n'est pas pesant, il est lourd d'une attente et d'une espérance : Dieu n'a pas dit son dernier mot. Il le dira dans la résurrection. Le chemin de Jésus semble conduire à une impasse, et pourtant tout n'est pas fini.

C'est une donnée commune aux quatre évangélistes que Jésus fut abandonné par ses disciples et que seuls quelques amis, surtout des femmes, furent témoins de ses derniers instants et de sa sépulture. Et ce sont précisément ces femmes qui vont jouer un grand rôle, le premier jour de l'autre semaine.

Le Suaire de Turin

Dans le cadre de la mort de Jésus, se place ce qu'il serait possible d'appeler l'énigme du Suaire de Turin. L'homme qu'enveloppa ce que l'on appelle le suaire (le mot ‘linceul’ serait plus exact) est-il Jésus de Nazareth ? Ce linge a servi à ensevelir un mort selon la manière juive. Le mort était couché sur ce linceul assez long pour être rabattu sur le corps, la bouche était fermée par un suaire noué en haut de la tête. Des bandelettes permettent de lier les poignets et les pieds. Cette manière de procéder explique la longueur du linceul sur lequel on observe le décalque du corps d'un homme, âgé d'environ 30 ans. Cette pièce de lin de 4,36 mètres de long sur 1,10 mètre de large offre en négatif, de face et de dos, l'image d'un homme barbu, aux cheveux long, puissamment bâti, d'une grande taille (1,81 mètre et 77 kilogrammes) et de type méditerranéen.

Ce linceul a été montré aux foules en 1933, puis exposé en 1973 pour la presse et la télévision. En 1978, il est exposé du 26 Août au 8 Octobre : il a attiré plus d'un million de visiteurs.

Ce linge constitue la plus extraordinaire relique du monde chrétien, même si certaines analyses tentent d'affirmer qu'il s'agit d'un faux. Ce linge concerne la personne de Jésus. Et même un non-chrétien peut se poser des questions comme il s'interrogerait sur un linceul qui nous parviendrait de Mahomet ou du Bouddha.

Le suaire de Turin n'est pas un objet de foi. C'est une énigme, rien ne prouve avec certitude que l'homme du linceul soit Jésus. Ce linge n'est pas la source d'une foi au ressuscité ni une preuve. C'est un témoignage exceptionnel sur la Passion que cet homme a connue et que nous pouvons reconstituer à partir de cette enquête. Le langage des signes n'est compréhensible que pour celui qui croit : pour croire aux signes, il faut avoir la foi. Celui qui refuse de croire en la résurrection n'y voit qu'un phénomène scientifique qu'il veut expliquer. Mais celui qui croit en la résurrection peut être saisi de doute en observant ce linge. Toujours prudente en matière de signes, l'Eglise n'a jamais voulu imposer le linceul de Turin, pourtant très vénéré, comme une preuve confirmant la résurrection. Le seul témoignage pour les croyants, c'est celui des apôtres qui ont vu Jésus vivant après sa mort et qui nous ont transmis leur foi.

La Passion de Jésus selon le linceul et selon Évangile

La question fondamentale de l'étude du linceul est de savoir qui est l'homme qui y a été enveloppé. S'agit-il de Jésus comme l'affirme la tradition populaire ? Pour mer à bien cette étude, nous disposons des évangiles écrits par des contemporains de Jésus. Il suffit de les lire à la lumière des expériences scientifiques menées sur ce linge.

La question fondamentale de l'étude du linceul est de savoir qui est l'homme qui y a été enveloppé. S'agit-il de Jésus comme l'affirme la tradition populaire ? Pour mer à bien cette étude, nous disposons des évangiles écrits par des contemporains de Jésus. Il suffit de les lire à la lumière des expériences scientifiques menées sur ce linge.

Frappé au visage par des gardes juifs.

L'évangéliste Luc note que les gardes se jouaient de lui, le frappaient et l'ayant couvert d'un voile, ils l'interrogeaient : Fais le prophète ! Qui t'a frappé ?

L'homme du linceul porte la marque de tels sévices : il a subi des violences.

Flagellé par les Romains

Pilate annonça à la foule : Je n'ai trouvé en cet homme aucun motif de condamnation. Je vais le faire flageller, puis je le relâcherai.

L'homme du linceul a subi la flagellation romaine : plus de cent coups de fouet se terminant par des petites masses de métal (contre quarante chez les juifs).

Couronné d'épines

Les soldats romains ayant tressé une couronne d'épines, la mirent sur sa tête. ils lui donnaient des gifles en disant : Salut, roi des Juifs !

L'homme du linceul a été couronné d'un casque d'épines qui ont fait saigner abondamment la nuque.

Il a porté la traverse de la croix.

Ils prirent donc Jésus et, chargé lui-même de sa croix, il sortit vers le lieu dit du Crâne, en hébreu Golgotha.

L'homme du linceul porte des hématomes à l'épaule gauche, car il a transporté, comme tous les condamnés, la barre transversale de la croix. Contrairement à ce que pensent les peintres, les condamnés portaient seulement la partie horizontale de la croix (patibulum), la partie verticale (stipes) demeurait plantée sur le lieu de l'exécution.

Cloué en croix aux poignets et aux pieds

Sur le Golgotha, ils le crucifièrent.

L'homme du linceul a été cloué en croix. Les clous ont été placés entre la paume des mains et le poignet, seul endroit assez solide pour porter le poids du corps après son élévation sur la croix. Quant aux pieds, un seul clou les transperçait.

Il reçut un coup de lance après sa mort

Afin que les corps ne restent pas en crois durant le sabbat, les juifs demandèrent à Pilate qu'on brisât les jambes des crucifiés et qu'on les enlevât... Arrivés à Jésus qu'ils virent déjà mort, les soldats ne lui brisèrent pas les jambes, mais l'un d'eux d'un coup de lance lui perça le côté et il en sortit aussitôt du sang et de l'eau.

Le sang et l'eau ont coulé sur la partie lombaire de l'homme du linceul.

Enveloppé dans un linceul neuf

Joseph d'Arimathie, ayant acheté un linceul et descendu le corps, l'enveloppa dans un linceul propre et le posa dans le tombeau taillé dans le roc.

L'homme du linceul a été enseveli à la hâte, sans que le corps fut entièrement lavé, d'où les traces de sang sur ce linge.

Jésus n'est pas resté dans ce linceul

Appliquant les calculs de probabilité, un ordinateur a conclu qu'il existait une chance sur 1026 que l'homme du linceul ne soit pas Jésus.

Le tableau suivant tente d'établir des parallèles entre ce que nous connaissons de la mort de Jésus par les évangiles et les découvertes qui ont pu être faites sur "l'homme du linceul".

 

L'homme du linceul

Jésus de Nazareth

Un juif 

adulte d'environ 35 ans 

vieilli par les tortures subies

Le visage tuméfié 

Casqué d'épines qui enserraient sa tête

et nuque ensanglantée 

Systématiquement frappé 

probablement à l'arrêt 

 

A porté la traverse de la croix (patibulum) 

qui a marqué ses omoplates (surtout la gauche)

et son genou droit (signe d'une chute)

Cloué aux poignets et aux pieds 

Il mourut de crucifixion 

Jambes et genoux non brisés 

Côté droit percé par une lance 

Traces de sang jusque dans la partie lombaire 

Enseveli à la hâte 

dans un linceul propre et de qualité 

Il a reposé à plat 

dans le repli du linceul 

bouche fermée, mains croisées

et pieds juxtaposés

Le corps n'a pas été décomposé 

dans le linceul 

puisque celui-ci existe encore en bon état

Il n'a pas été violemment détaché 

dans le linceul

aucune trace d'arrachage du tissu

où il reposait

 

 

Jésus était juif

Il avait environ 33 ans

 

On s'est moqué de lui en le frappant au visage

Il fut couronné d'épines

pour avoir dit qu'il était roi d'un royaume non terrestre

Il a été flagellé sur tout le corps (120 coups)

Pilate espérait en rester à cette sanction

La foule réclama sa mise en croix

Il a porté sa croix jusqu'au Golgotha

 

 

Il fut cloué sur la croix

Il mourut de crucifixion

On ne lui brisa pas les jambes

Un soldat lui perça le côté d'un coup de lance

Il en sortit du sang et de l'eau, au témoignage de Jean

Il a été enseveli à la hâte la veille de la grande Pâque

dans un linceul neuf acheté par Joseph d'Arimathie

Ses amis le déposèrent

dans le tombeau en présence de sa mère et avec respect

 

 

Il n'a pas connu la décomposition

dans le tombeau

 

 

 

 

Il s'est montré vivant après sa mort

Il s'est relevé du tombeau où il était couché

Il s'est réveillé du sommeil de la mort

Il est vivant