Jésus de Nazareth,

tel que nous pouvons le connaître

 

 

L'identité chrétienne

 

Le phénomène chrétien

Selon les spécialistes de l'histoire du christianisme, 1994 a été le deux millième anniversaire de la naissance de Jésus de Nazareth. Il faudra revenir sur cette question des dates. Le christianisme a connu un succès phénoménal au cours des deux premiers millénaires qui ont suivi la naissance de son fondateur à Bethléem.

Il y a 1,8 milliard de chrétiens dans le monde aujourd'hui et la Bible, particulièrement le Nouveau Testament, est un best-seller mondial. C'est le texte le plus édité. Copiée, recopiée sur papyrus, la Bible est imprimée pour la première fois par Gutenberg en 1455. Elle est aujourd'hui traduite en plus de trois cents langues et elle est accessible à quatre-vingt dix huit pour cent de la population mondiale.

Les origines du terme "chrétien".

Le terme chrétien n'est pas un terme d'origine chrétienne. Les disciples se désignaient entre eux sous le nom de "frères", de "disciples", de "ceux qui suivent la Voie", de "saints". Mais c'est dans des milieux non-chrétiens que ce concept a été formé. Est chrétien le partisan, l'adepte du Christ. C'est à Antioche, vers l'an 40, que "pour la première fois, le nom de chrétiens fut donné aux disciples" (Ac. 11, 26).

L'apparition de ce terme manifeste que l'Eglise d'Antioche n'est plus considérée comme une sorte de secte juive, mais comme un groupe religieux nouveau qui se réclame explicitement et définitivement du Christ. Mais il faut aussi se rappeler que ce terme n'est pas, à l'origine, un terme honorifique. C'est plutôt un sobriquet insultant à l'égard de ceux qui considèrent que Jésus est le Christ.

Qu'est-ce qu'être chrétien ?

Accepter d'être reconnu comme chrétien, c'était accepter le mépris, l'insulte, la persécution et donc parfois la mort. Aujourd'hui, le terme de chrétien n'est plus aussi méprisé, du moins dans la civilisation occidentale. Mais il convient toujours de le rattacher étroitement à la personne de Jésus-Christ, mort et ressuscité.

Mais, qu'est-ce qui fait l'identité du chrétien ? On peut appeler chrétien tout homme qui, dans sa pensée et dans son action, se réfère directement et explicitement à Jésus-Christ, non pas seulement comme à une personne du passé historique, mais comme à une personne toujours agissante, comme à une personne susceptible d'apporter une lumière définitive sur le sens de la vie, sur le sens de la mort.

Ne peut être chrétien que celui qui accepte de parcourir totalement le même chemin que Jésus, en allant donc aussi jusqu'à accepter la mort.

Jésus-Christ est-il un personnage historique ?

Il est pratiquement impossible de retracer une histoire de Jésus, car les évangiles ne sont pas des livres d'histoire, mais des témoignages sur son existence et son message. De plus, il semblerait que ces témoignages ont subi l'influence de l'interprétation des communautés chrétiennes dans lesquelles ils ont été rédigés.

Il n'existe pas d'autre personnage historique qui ait exercé une influence comparable à celle de ce prophète galiléen, nommé Jésus de Nazareth, puisque son influence se fait sentir encore aujourd'hui après vingt siècles, même chez ceux qui se disent non-chrétiens. Ceux-ci, même s'ils sont adversaires de la religion sous toutes ses formes, reconnaissent que Jésus a été un personnage hors du commun et que son message a marqué l'ensemble de l'humanité, bien que sa prédication n'ait duré que quelques années et que sa mort fut ignominieuse.

Et pourtant, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, cet homme n'a laissé aucun écrit. Il s'est contenté de proclamer dans son pays la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu.

Les évangiles, seule source d'information sur sa vie, ne se présentent même pas comme des biographies, mais comme des témoignages de foi des premières communautés. L'historien se trouve alors dépourvu quand il entreprend de retracer ou de décrire ce que fut son existence.

Les écrits sur l'existence de Jésus.

Les textes romains

Pline le Jeune

L'histoire de Jésus n'est consignée ni dans les actes officiels ni dans les annales de l'empire romain, ni dans aucun ouvrage d'histoire juive, et il n'a guère été pris en considération par l'histoire mondiale. Il fait son entrée dans l'histoire profane à l'occasion d'un échange de notes administratives.

Gaius Plinius Secundus, généralement appelé Pline le Jeune, légat en Bythinie, écrit à l'empereur, vers 112, pour lui faire part de quelques-uns de ses problèmes. Il a comme soucis importants des grèves, des scandales municipaux et une morosité politique. Il constate également un grand malaise religieux : les temples sont désertés, dans quelques-uns même, le culte a cessé. Cela a conduit à une crise agricole, puisqu'il n'y a plus d'acheteurs pour les animaux destinés aux sacrifices. Tout cela est imputable, selon les informateurs de Pline, aux chrétiens qui forment une société secrète et qui manquent certainement de loyauté envers l'empire romain.

Cette lettre est importante pour connaître l'Eglise ancienne, mais c'est certainement des adversaires des chrétiens (donc des gens qui ont eu affaire à ceux-ci) que le gouverneur de Bythinie tire ses informations. Il demandait des instructions au sujet de "chrétiens" qu'une lettre anonyme avait dénoncés.

Tacite

La lettre de Pline n'est pas la seule source non chrétienne à désigner "Christ". Trois ou quatre ans plus tard, Tacite écrit ses Annales, il dit que Néron était soupçonné d'être l'instigateur de l'incendie de Rome en 64. Pour faire taire les rumeurs, la police romaine avait recherché un bouc émissaire. Elle en trouva un dans un groupe de personnes connues sous le nom de chrétiens, qui étaient méprisées par la populace à cause de leur conduite scandaleuse à ses yeux. Aussi un certain nombre de chrétiens furent-ils torturés et condamnés à mort.

Suétone

Vers l'an 120, dans sa Vie des douze Césars, Suétone écrit la vie de Néron. Dans une série de mesures prises par l'empereur, il note : "On livra au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse". Et, dans la vie de Claude, on peut lire : "Comme les juifs se soulevaient continuellement, à l'instigation d'un certain Chrestos, il les chassa de Rome".

Dans tout cela, il n'y a rien de très précis concernant Jésus qui mourut sous Ponce-Pilate. Mais un fait est capital : dans la deuxième décennie du deuxième siècle, les autorités impériales connaissent les chrétiens comme un mouvement spécifique, et elles ont eu affaire à eux déjà sous Néron. Trois témoins romains font mention du Christ, ce qui empêche de mettre en doute son existence historique.

Les textes juifs

Le Talmud

Indirectement, les textes juifs du Talmud établissent également qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute son existence. Une tradition antérieure à l'an 200, venue du traité du Sanhédrin, dans le Talmud de Babylone, indique : "A la veille de la fête de la Pâque, on pendit Jésus. Quarante jours auparavant, le héraut avait proclamé : il est conduit dehors pour être lapidé, car il a pratiqué la magie et séduit Israël et l'a rendu apostat. Celui qui a quelque chose à dire pour sa défense, qu'il vienne et le dise. Comme rien n'avait été avancé pour sa défense, on le pendit à la veille de la fête de la Pâque".

Flavius Josèphe

Pour poursuivre l'enquête, on peut apporter un autre document juif. Vers 93, Flavius Josèphe mentionne le Christ dans deux passages de son livre, les Antiquités juives. Le premier rapporte la condamnation et l'exécution de Jacques, le frère de Jésus, et le second parle de Jésus comme d'un sage dont beaucoup de juifs et de non-juifs sont devenus les disciples, croyant qu'il était le Messie.

Les sources chrétiennes

Le Nouveau Testament

On aurait tort de penser que les seules sources non-chrétiennes ont une valeur probante. Les textes du Nouveau Testament permettent aussi d'affirmer, sans la moindre hésitation, l'existence historique de Jésus, même si les premières communautés chrétiennes n'ont pas cherché à mettre en valeur le rôle historique mondial que pouvait avoir celui en qui des hommes mettaient leur foi, au point de mourir pour son nom au lieu de le renier.

Pour connaître Jésus de Nazareth, il faut accepter de franchir le pas de la foi et de s'en remettre au témoignage que les premiers chrétiens ont porté sur lui. Les lettres de l'apôtre Paul, qui sont facilement datables, permettent d'affirmer un fait qu'aucune communauté chrétienne n'aurait inventé d'elle-même : Jésus est mort pendu à une croix, cela vraisemblablement le vendredi 7 avril 30 (cette date est très vraisemblable, quoique pas entièrement certaine, d'autres historiens préfèrent suivre la chronologie des synoptiques et estiment que la mort de Jésus eut lieu le 27 avril 31).

Cette mort est loin d'être une "mort noble" pour le fondateur d'une religion ! En effet, il y a un texte terrible dans la Loi de Moïse concernant un tel châtiment : "l'homme ayant en lui un péché passible de mort, qui aura été mis à mort et que l'on aura pendu à un arbre : un pendu est une malédiction de Dieu" (Dt. 21, 23).

Irénée de Lyon

Des témoignages non-chrétiens et chrétiens dignes de foi attestent donc l'existence de Jésus de Nazareth. Ce sont certainement les documents chrétiens qui sont les plus nombreux pour affirmer qu'un personnage historique réel se trouve derrière toute la tradition évangélique.

Ainsi encore, aux environs de l'an 200, mourut à Lyon saint Irénée, qui était évêque de cette ville, et donc l'un des hommes les plus marquants de cette cité. Une de ses lettres, adressée à son ami Florinus, nous est parvenue. A celui qu'il avait perdu de vue depuis un certain temps, Irénée rappelle des souvenirs de vie étudiante en Asie Mineure, évoquant leurs études auprès de Polycarpe, évêque de Smyrne, qui mourut aux environs de 155, alors qu'il était âgé de plus de quatre-vingt-cinq ans.

Il se souvient que le vieillard Polycarpe les entretenait de "Jean, le disciple du Seigneur", qu'il avait personnellement connu bien des années auparavant. Irénée n'aurait pas fait ce témoignage sans avoir la certitude que son ami pouvait évoquer les mêmes souvenirs. Donc, aux environs de l'an 200, un homme était en mesure d'évoquer Jésus par l'intermédiaire d'un maître qui avait connu personnellement un des disciples de ce Jésus...

Le manuscrit d'Oxford

Néanmoins, la question ne cesse de se poser de savoir qui a pu écrire les évangiles. Jusqu'à une époque très récente, les plus anciens manuscrits dont on disposait remontaient au deuxième siècle. Et l'on pensait donc que les évangiles avaient d'abord été véhiculés par un enseignement oral, puis mis par écrit à la fin du premier siècle, après la disparition des témoins oculaires. Et l'on affirmait avec plus ou moins de véhémence que ces évangiles étaient surtout des témoignages de foi, sans être nécessairement des biographies de Jésus.

Cela reste sans doute vrai : les évangiles ne sont pas des chroniques de la vie de Jésus, ils ont été composés pour signifier, c'est-à-dire pour donner sens à l'activité de Jésus, mais ils ne sont plus considérés comme des textes composés par d'habiles compilateurs qui auraient travaillé à partir de sources aujourd'hui disparues.

Et voici qu'à la fin de 1994, un savant allemand, Carsten Peter Thiede, analysant scientifiquement les plus anciens manuscrits de l'évangile selon saint Matthieu, peut affirmer que les textes sur papyrus dont dispose l'université d'oxford datent des années 50 de l'ère chrétienne, c'est-à-dire une génération, après l'ère chrétienne. Et il continue en affirmant que le texte de Matthieu a été dicté par l'apôtre lui-même, qui a été le témoin direct de l'enseignement de Jésus.

Qu'est-ce que cela peut bien changer de savoir que l'évangile était entièrement composé vers 50 au lieu des années 70 ou encore de la fin du premier siècle ? Il ne s'agit peut-être pas simple d'une affaire épineuse pour des spécialistes, mais de quelque chose qui peut être vital pour tous ceux qui cherchent à comprendre. Un événement raconté par un journal au moment où il est arrivé, même s'il faut lire ce récit de manière critique, comporte sans doute beaucoup plus de vérité qu'un récit rapporté plus de cinquante ans plus tard : plus la distance est courte entre l'événement et le récit, moins le risque de déformation est élevé.

Avec une composition complète de l'évangile de Matthieu en l'an 50, il est possible d'affirmer qu'il ne s'agit pas d'une spéculation doctrinale, très éloignée des faits. Et l'on pourrait presque conclure en disant que les premiers lecteurs de Matthieu ont été aussi ceux qui avaient eux-mêmes entendu les paroles de Jésus dans les enseignements qu'il pouvait donner sur les routes de Palestine.

Les origines de Jésus

Une question de dates

Denys le Petit

La crucifixion eut lieu vraisemblablement le vendredi 7 avril de l'an 30 de notre ère. Mais il convient d'abord de dire comment a été fixée le début de l'ère chrétienne. Au sixième siècle, un moine, Denys le Petit, instaura un comput des dates à partir de la naissance de Jésus, en la fixant en l'an 753 de la fondation de Rome. Il se trompa sans doute de quelques années. Néanmoins on peut parvenir à des hypothèses assez probables.

Les débuts de la vie publique

L'évangéliste Luc (3, 1) fixe le commencement du ministère public à l'an 15 du principat de Tibère César, ce qui permet de le dater des années 27-28. Cette date se trouve en quelque sorte justifiée par l'évangéliste Jean (2, 20) quand il parle des quarante-six années qu'il a fallu pour reconstruire le Temple de Jérusalem. La vie publique de Jésus aurait duré deux ou trois ans, ce qui correspond bien aux trois fêtes de Pâques mentionnées par Jean.

La date de naissance de Jésus

La date de la naissance de Jésus est plus difficile à établir avec précision. Selon l'évangéliste Matthieu, Jésus serait né sous le règne d'Hérode le Grand, qui est mort en l'an 4 avant le début de l'ère chrétienne. Les historiens s'accordent généralement sur l'an 746 ou 747 de la fondation de Rome, c'est-à-dire en 6 ou 7 avant l'ère chrétienne.

L'évangéliste Luc, qui affirme que Jésus avait environ 30 ans au début de son ministère, s'accorde donc bien avec cette date. Mais le recensement mentionné par les évangélistes au moment de la naissance de Jésus ne peut cependant pas être celui de Quirinius, qui eut lieu en l'an 6 de l'ère chrétienne, cela étant attesté par d'autres traces historiques.

Les chrétiens sont tellement habitués à fêter Noël le 25 décembre qu'ils ne se soucient guère de la date de la naissance de Jésus. Il semble que ce soit vers la fin du règne de Constantin, mort en 337, qu'on décida de célébrer cette naissance à cette date de l'année. L'empereur Aurélien aurait fixé cette date en fonction de celle du solstice d'hiver, c'est-à-dire le moment où la force solaire, jusqu'alors décroissante, commence à grandir. C'était la fête du Natalis solis invicti, du soleil renaissant et invaincu.

C'est pour christianiser cette fête païenne que l'Eglise décida de célébrer alors le Dies natalis, d'où vient le mot de Noël, comme le jour de la naissance du véritable soleil levant. Cette date est donc d'origine romaine, mais elle s'imposa rapidement au cours du quatrième siècle dans toute la chrétienté pour célébrer la gloire de Dieu qui se manifeste en Jésus.

Si l'on se réfère au texte de Matthieu, relatif à la naissance de Jésus, et si on s'intéresse particulièrement à la situation des bergers à qui cette naissance est d'abord annoncée, on découvre qu'ils se trouvaient dans les champs à garder leurs troupeaux. Cela exclut une naissance en hiver : l'été sec et chaud a détruit toute forme de végétation dans les champs, et l'hiver très rigoureux (surtout la nuit) ne leur permettait par de rester dans les champs. Il faut attendre les premières pluies de printemps pour que l'herbe repousse et que les bergers puissent conduire leurs troupeaux hors des bergeries. Cela permet de penser que la naissance de Jésus a eu lieu très vraisemblablement au printemps...

Jésus est né à Bethléem. Ce fait est attesté par Matthieu et Luc. Les raisons de sa naissance en ce lieu peuvent être éclairées de plusieurs manières. Tout d'abord, Bethléem est la ville de naissance du roi David, et Jésus appartient à la lignée de David. Ensuite, le recensement ordonné par l'empereur romain obligeait tous les citoyens de Palestine à se rendre dans la ville d'origine de leur famille pour s'y faire inscrire.

De cette manière, la politique romaine rejoignait la perspective religieuse affirmant que le Messie, sauveur du peuple, serait originaire de la cité de David : "Et toi, Bethléem, tu n'es certes pas le moindre des cantons de Juda, car de toi naîtra un sauveur" (Mi. 5, 1, cité par Mt. 2, 6).

Si l'on suit les renseignements donnés par les évangélistes, il est possible de retracer quelques aspects de la naissance et de la prime enfance de Jésus, même si ces renseignements sont souvent marqués par une volonté théologique sur l'événement.

L'environnement linguistique de Jésus

Une société polyglotte

Même si la naissance de Jésus eut lieu à Bethléem, non pas la capitale de la Palestine, mais la cité dont était originaire le roi David, Jésus est toujours reconnu comme venant de Nazareth, une obscure bourgade du Nord du pays, la Galilée. Cette région, tout comme le reste de la Palestine était sous influence romaine, et il est attesté que la société était multilingue (ou polyglotte).

On en trouve une preuve évidente dans le texte de l'évangile de Jean (19, 20) où il est fait référence à l'inscription que Ponce-Pilate fit placer sur la croix de Jésus en ces termes : "Cette inscription a été lue par de nombreux juifs, car l'endroit où Jésus fut crucifié était proche de la ville, et elle était écrite en hébreu, en latin et en grec".

L'hébreu et l'araméen

La colonisation romaine avait renforcé le multilinguisme de la région, et il est pratiquement certain que tous les habitants, à des degrés divers, parlaient ou comprenaient plusieurs langues.

Ainsi, Jésus, comme tous les enfants de son époque, parlait l'araméen, un dialecte issu de l'hébreu, qui était sa langue maternelle, il connaissait aussi l'hébreu, qui était la langue dans laquelle avaient été écrits les différents livres saints du judaïsme.

Le grec et le latin

Jésus devait avoir aussi des notions de grec et de latin, les deux langues culturelles de la Méditerranée orientale, depuis les conquêtes de grecs et des Romains, langues dans lesquelles s'effectuaient aussi les échanges commerciaux.

Un exemple parmi d'autres, tiré de l'évangile selon saint Marc, nous apprend que Jésus s'est rendu dans la région de Tyr, et qu'il y a rencontré une syrophénicienne. Marc (7, 24-30) souligne que cette femme parlait le grec, et donc que la conversation qu'elle a eue avec Jésus a été menée en grec.

Il en est de même dans la discussion de Jésus avec les Pharisiens, concernant l'impôt à payer à César (Mc. 12, 13-17).

La Palestine avait comme monnaie des pièces portant une inscription latine au "Divus Augustus", le divin Auguste. Jésus ne demande pas ce que signifie cette inscription, mais de qui il est fait mention sur cette pièce, signe qu'il comprenait le sens de la phrase...

Et il faudrait encore invoquer l'interrogatoire de Jésus par Pilate : il n'a pu être mené qu'en grec ou en latin.

Cependant, même si Jésus parlait et comprenait plusieurs langues, il faut savoir qu'il avait un accent particulier, l'accent rugueux des paysans galiléens, celui-là même qui fit repérer l'apôtre Pierre dans la cour du grand-prêtre au moment du procès de Jésus.

La vie religieuse du jeune Jésus

La prière quotidienne

Le climat dans lequel s'est déroulée l'enfance de Jésus est celui de la spiritualité de l'Ancien Testament.

L'élément essentiel du culte synagogal ou domestique repose sur la bénédiction par laquelle chaque croyant remercie Dieu à chaque instant de sa vie, à chaque geste qu'il accomplit. La bénédiction constitue la trame de toute la prière, car l'essentiel est de bénir. Les bénédictions s'échelonnent tout au long de la journée. Au réveil, il convient de bénir Dieu pour avoir reçu de lui la conscience de ses pensées et des ses actes. 

Quand le croyant ouvre les yeux, il dit : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui ouvres les yeux des aveugles. Quand il se lève, en s'étirant : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui délivres ceux qui sont liés. Quand il se met debout : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui élèves ceux qui sont courbés. Quand il se tient sur le sol : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as étendu la terre au-dessus des eaux. Quand il commence à marcher : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as affermi les pas de l'homme. En s'habillant : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui vêts ceux qui sont nus. Quand il met ses sandales : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as paré à tous nos besoins. Quand il met sa ceinture : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as ceint Israël de puissance. En mettant son couvre-chef : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as couronné Israël de gloire.

Le jour du sabbat

Si chaque journée de la semaine s'accompagne de formules religieuses, à plus forte raison en sera-t-il de la journée du sabbat qui est consacrée à la prière et à la méditation : toute vie profane cesse pour vingt-quatre heures, du vendredi soir au samedi soir. Tout commence au souper du vendredi soir, pour l'ouverture du sabbat.

Le chef de famille, Joseph, dans la famille de Jésus, tient à la main une coupe de vin, symbole de la vie et de la joie, il bénit Dieu pour le don du sabbat et prononce les bénédictions tout au long d'un repas festif :

Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui as créé le fruit de la vigne. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements, qui nous as agréés pour ton peuple, et qui, dans ton amour, nous as donné le saint jour du sabbat en commémoration de la création. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui as sanctifié le sabbat. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui tires le pain de la terre.

Le matin et le soir, cette prière est précédée par la récitation du "Shema Israël", qui est la forme la plus primitive de la confession de foi d'Israël :

"Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force. Les paroles des commandements que je te donne aujourd'hui seront présentes dans ton coeur. Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout, tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux, tu les inscriras sur les montants de ta porte et à l'entrée de ta ville".

Et avant de s'endormir, chaque juif récite la prière du Shema Israël, puis appelle la bénédiction de Dieu sur le sommeil et demande à Dieu la paix pour le repos nocturne :

YHWH, notre Dieu, fais que nous nous endormions dans l'apaisement et que nous réveillions pour la vie. Dresse au-dessus de nous ton pavillon de paix. Inspire-nous de hautes pensées et entoure-nous de ta protection. Préserve-nous de la malveillance des hommes. Éloigne de nous les épreuves trop cruelles. Écarte de nos pas la pierre d'achoppement et abrite-nous sous ta mansuétude. Tu es notre gardien et notre Sauveur, le Dieu tendre et miséricordieux. Dirige nos pensées et nos actes dans le sens de la vie et du bien. Sois loué, Seigneur, toi qui étends sur nous, sur tout ton peuple Israël, sur Jérusalem et sur tous les peuples ta paix tutélaire. Amen.

Majorité religieuse et pèlerinages à Jérusalem

La loi prévoyait trois pèlerinages par an, pour tous les hommes, à partir de douze ans, âge où l'enfant entre dans la vie adulte, après un temps de catéchèse : l'enfant devient Bar Mitzva, un fils de la loi. Ce jour-là, on lui demande de monter à l'ambon et de lire, dans la synagogue, un passage de la Torah.

A l'âge de douze ans, Jésus accompagne donc ses parents à Jérusalem. L'évangéliste Luc rapporte ce moment de la vie du jeune Jésus (Lc. 2, 41-52). Après la fête, Jésus reste au Temple, sans que ses parents ne s'en aperçoivent. Quand ils découvrent son absence dans la caravane du retour, ils regagnent Jérusalem et le cherchent pendant trois jours.

C'est dans le Temple qu'au bout de trois jours, Jésus est retrouvé. Il était assis parmi les docteurs, ce qui fait ressortir l'intelligence et la sagesse de l'enfant. Par ses questions et ses réponses, il comprend l'Écriture, il sait ce que Dieu attend de l'homme. C'est en cela que consiste sa sagesse dont la pénétration fait l'admiration de tous.

Qui est donc Jésus de Nazareth ?

Le fils de Joseph et de Marie ?

Les Évangiles gardent le souvenir de paroles très dures de Jésus à l'égard de sa famille. Et l'évangéliste Luc qui rapporte la seule parole de Jésus enfant souligne comment Jésus lui-même s'est démarqué de la paternité de Joseph, que Marie lui rappelait : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi, nous te cherchions, tout angoissés" (Lc. 2, 48). C'est sans hésitation que Marie désigne Joseph comme le père de Jésus.

Et cette paternité de Joseph eut pour Jésus beaucoup plus d'importance qu'on ne le pense habituellement. D'ailleurs, pour désigner Dieu, Jésus emploiera le terme affectueux que tous les enfants donnaient à leur père : "Abba, papa". Mais, la réponse de Jésus à sa mère, dans l'épisode du Temple, sera particulièrement déroutante : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon père ?" (Lc. 2, 49).

Jésus revendique une autre paternité, une autre filiation. C'est Dieu qui est son seul Père, même si, du point de vue légal, Joseph est vraiment père de Jésus, puisque c'est par lui que Jésus peut s'inscrire dans la descendance du roi David.

Charpentier ou rabbi en Israël ?

Après la manifestation de Jésus au Temple, les évangiles ne rapportent rien de son existence jusqu'au début de sa vie publique.

Jésus grandit, il apprend le métier de Joseph, que l'on a l'habitude de présenter comme un charpentier. En fait, le terme grec de l'évangile qui désigne le métier de Joseph est : tecton, mais plutôt bâtisseur, sens qui lui est resté dans le terme "architecte". Et l'on pense que Joseph et Jésus ont travaillé tous les deux à la construction de la nouvelle capitale de la Galilée, Sepphoris.

Même si l'évangile ne le précise pas, Jésus travailla avec lui comme apprenti. Selon les directives des livres saints de la tradition orale, un père ne doit pas seulement nourrir son fils, mais lui apprendre un métier : "Qui n'enseigne pas à son fils une profession manuelle, c'est comme s'il en faisait un brigand".

Les gens qui ont fréquenté Jésus durant sa vie publique l'ont souvent appelé "rabbi", un terme qui veut dire "maître" en hébreu. Jésus devait être considéré comme un enseignant, même s'il n'avait pas effectué d'études auprès des scribes et des docteurs de la Loi.

Charpentier, il faisait partie du milieu des petits artisans qui étaient les dépositaires de la sagesse populaire qui était véhiculés dans le cadre des petits ateliers. Le travail des mains délie l'esprit, c'est tout le sens de la directive des livres saints citée ci-dessus. Dans tous les ateliers, chacun pouvait s'exprimer librement, et la langue devait alors être aussi habile que les mains. C'est d'ailleurs ce qui est exprimé par un dicton à valeur proverbiale, qui a été repris par la tradition orale : "N'y a-t-il pas un charpentier, fils de charpentier, pour résoudre cette question ?"

La légende tibétaine de saint Issa

Après la manifestation de Jésus au Temple, les évangiles ne rapportent rien de son existence jusqu'au début de sa vie publique. Faudrait-il admettre l'hypothèse qui identifie Jésus avec un personnage connu dans les légendes tibétaines sous le nom de saint Issa, qui vécut vers l'an 30 et mourut crucifié ? Issa a voyagé par terre et par mer pour arriver jusqu'à l'Indus, il y a étudié les Écritures saintes du bouddhisme. Issa fut reçu avec joie par les brahmanes qui lui apprirent à guérir par la prière, à chasser les esprits mauvais et à restituer au corps la forme humaine après blessure ou mutilation. Alors les miracles de Jésus sembleraient naturels pour ceux qui ont accédé à la véritable connaissance spirituelle.

Issa se serait rendu à Bénarès, aux bords du Gange, fleuve sacré de l'hindouisme, là où les pèlerins se purifient de leurs péchés et espèrent mourir, puisque la mort à Bénarès rompt le cycle des réincarnations.

La purification n'est pas seulement corporelle ; en se concentrant sur un aspect choisi, dans le yoga par exemple, l'individu perçoit la nature divine, la purification de l'esprit libère de la maladie.

A proximité de Bénarès, Bouddha avait fait son premier sermon. Il convient de dire que bouddhisme et hindouisme étaient florissant au temps de Jésus et que le monothéisme était vivant en Inde.

Et le saint personnage de la légende exprime des vérités qui sont celles de toutes les religions :

Le Créateur ne partage son pouvoir avec personne.

Dieu a voulu et le monde fut, il a fixé à chacun sa propre durée.

Dieu ne fait pas de différences entre les hommes, car ils lui sont tous également chers.

Ne croyez pas les écrits dans lesquels la vérité est travestie.
Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse.

N'admirez pas d'idoles, car elles ne vous entendent pas.

Ne vous croyez pas supérieurs aux autres.

Soutenez le faible.

Ne faites de mal à personne.

Des traces de la présence de saint Issa ont été retrouvées au Tibet ; c'est là que les rouleaux, rapportant ses aventures, ont été conservés. De plus, un disciple de Jésus, Thomas, celui qu'on appelle l'incrédule, est aussi allé jusqu'en Inde après la mort de Jésus.

C'est l'encyclopédie catholique elle-même qui l'affirme, en soulignant qu'il y est allé proclamer l'Évangile. Il existe une église saint Thomas à Madras, avec une communauté chrétienne encore vivante, en cet endroit où Thomas est arrivé vers l'années 50 de l'ère chrétienne.

A 26 ans, Issa aurait quitté l'Inde pour Persépolis, puis Athènes et l'Égypte, pour rentrer à 29 ans en Palestine, afin d'y accomplir son destin.

A l'âge d'environ trente ans, Jésus quitte son village de Nazareth et son travail pour se rendre sur les bords du Jourdain, où Jean donnait aux pécheurs le signe de la purification du coeur, en les plongeant dans l'eau.

A l'heure d'un choix de vie

Les courants religieux au premier siècle

Au premier siècle de l'ère chrétienne, le judaïsme est fragmenté en de multiples tendances dont les traces sont perceptibles dans les différents écrits. Pour faire passer son message, Jésus devait presque nécessairement s'inscrire dans l'un ou l'autre courant de la pensée mystique de son époque.

Son choix sera très difficile, car l'époque est porté par une attente messianique profonde, et les courants existants ont un très large impact sur la société juive.

Jésus refuse l'hypocrisie des Pharisiens

Les Pharisiens constituent un courant de piété. Ils refusent la lutte armée pour l'indépendance nationale et gardent strictement leurs objectifs religieux, centrés sur la fidélité absolue à tout l'enseignement de la Torah. Ils souhaitent que toutes les affaires de l'État soient traitées sans autre considération que celle de la seule Torah, comprise non seulement comme la Loi écrite remontant directement à Moïse mais aussi comme la Loi orale qui s'était transmise, de génération en génération, depuis l'époque de l'exode.

C'est sous le signe de la Torah qu'il faut comprendre l'existence du mouvement pharisien : ces hommes, dont le nom veut dire "les séparés", ne participent pas nécessairement à la classe supérieure juive. Ils étaient issus, sociologiquement parlant, du laïcat et non pas des castes sacerdotales ; et ils n'avaient pas reçu de formation spéciale, comme celle des scribes, avec lesquels ils entretiennent des relations très étroites.

Toutefois, s'ils sont d'origine populaire, ils n'hésitent pas à se considérer comme supérieurs à l'ensemble du peuple qui n'observait pas les prescriptions rigoureuses, aussi bien au niveau religieux que sur le plan de la morale quotidienne. Ils apparaissent donc souvent comme de faux dévots hypocrites, que le Nouveau Testament stigmatise avec ardeur, imposant aux autres un joug pénible de prescriptions légales et rituelles.

Leur différend avec Jésus repose sur le fait que ce dernier méprise leur interprétation très étroite de la Torah et les barrières qu'ils s'imposent pour que celle-ci soit scrupuleusement respectée. Dans ses discussions avec les pharisiens, Jésus ne se situe jamais sur le plan de la spéculation intellectuelle ou des questions théoriques. II se place plutôt sur le plan des questions pratiques ou tout au plus sur des questions d'exégèse de la Torah. Ils ne le critiquèrent jamais pour ses prétentions messianiques : eux aussi attendaient le Messie-Roi qui devait libérer le peuple de la domination étrangère. Aussi ne sont-ils pas intervenus dans le procès qui opposa Jésus et les chefs des prêtres.

Jésus n'accepte pas l'intégrisme des sadducéens

Les sadducéens sont de fermes conservateurs, ils ne reconnaissent l'autorité que des écrits les plus anciens, notamment la seule Torah mosaïque refusant toute la tradition orale, refusant également de reconnaître les progrès doctrinaux et les nouvelles croyances, qui n'étaient pas fondés dans les premiers écrits. Ainsi, ils ne peuvent admettre la croyance aux anges, à la résurrection des morts et à la rétribution universelle après la mort.

Les sadducéens forment un groupe organisé comprenant les grands prêtres, les anciens, la noblesse sacerdotale et la noblesse laïque. La théologie sadducéenne se ressent du conservatisme religieux de ses membres. YHWH est exclusivement le Dieu national d'Israël, et c'est en cela qu'ils s'opposèrent farouchement eux pharisiens.

Pour eux, la Torah peut servir de constitution nationale, bien que, dans les circonstances du premier siècle, il ne peut pas être question de mener une politique strictement théocratique. Il leur faut nécessairement se soucier de l'opportunité politique et des intérêts économiques. Aussi ne faut il pas s'étonner de les voir collaborer avec la puissance politique en place, fut-elle étrangère. Ils acceptent le joug de Rome, en s'accommodant tant bien que mal des circonstances les plus défavorables. Les masses populaires ne purent jamais accepter de telles compromissions et elles se rangèrent sous l'autorité du mouvement pharisien : et les grands prêtres perdirent toute importance politique, vers le milieu du premier siècle de l'ère chrétienne.

Jésus refuse la fuite au désert des Esséniens

En réaction contre l'oppression et la misère subies par les juifs, sous les Hérode, certains hommes, qui seront appelés Esséniens, décidèrent de se mettre à l'écart du monde mauvais et de vivre désormais dans la piété et la sécurité de la religion.

Certains suivirent les conseils de vie des Esséniens, mais ne quittèrent pourtant pas leur existence quotidienne, si bien qu'il existait des communautés esséniennes locales, chargées surtout d'oeuvres de solidarité envers les frères de passage dans les villes et les villages. Mais la plupart des fidèles de la secte se retiraient dans les voisinages de la mer Morte, pour pratiquer un ascétisme très rigoureux.

La communauté ressemblait donc assez étrangement, quant à son mode de vie, à un monastère dont les différents membres travaillaient en grande partie dans la copie soigneuse des textes scripturaires. Beaucoup plus soucieux de la pureté du judaïsme que les pharisiens eux-mêmes, les Esséniens recherchaient la perfection la plus absolue.

Pour ce faire, certains se vouèrent même au célibat, dans l'attente de la venue imminente du Messie. Ce célibat rompait avec la tradition entière du judaïsme qui prône le mariage et la fécondité. Ceux qui recherchaient la plus grande sainteté devaient considérer comme préférable de n'avoir point charge de famille.

Jésus eut sans doute des contacts avec les communautés esséniennes, même si rien n'en transpire dans les textes évangéliques. Toutefois, en y regardant de très près, il semble qu'il prit son dernier repas dans le quartier essénien de Jérusalem. Pour préparer ce repas, il envoie deux disciples, en leur disant de suivre un homme portant une cruche d'eau. Or, ce travail était une tâche exclusivement féminine, sauf chez les Esséniens, qui voulaient éviter tout contact féminin, surtout pendant la préparation de la Pâque.

Jésus refuse le fanatisme armé des zélotes

Les Esséniens apportaient une réponse négative à la misère et à l'oppression qu'ils pouvaient connaître, en se réfugiant dans des communautés qui leur apportaient une relative sécurité. Les zélotes, quant à eux, entendaient trouver une solution pratique à cette oppression : ils refusaient de se cacher du monde et se préparaient activement à la lutte contre toute tyrannie.

En cela également, ils s'opposaient aux pharisiens et aux saducéens, qui étaient toujours prêts à collaborer avec la puissance d'occupation pour bénéficier d'une relative sécurité. Pourtant, les zélotes n'étaient pas des nationalistes fanatiques : ils étaient prêts à lutter et à mourir pour l'amour de la patrie, mais ils vivaient aussi dans un profond attachement à la Torah, pour laquelle aussi ils auraient accepté de subir la persécution et la mort. Forts de cette Torah, qui se présentait à eux comme la révélation même de la volonté de Dieu, ils se sentaient la force de provoquer tous les ennemis du peuple que Dieu s'était choisi.

Jésus a certainement eu des contacts parmi les zélotes, notamment par l'un de ses disciples, Simon, non pas celui qui sera surnommé Pierre, mais un autre Simon qui est toujours qualifié de son titre de zélote. Et sans être affilié au parti des zélotes, il est très vraisemblable que Judas Iscarioth était un de leurs sympathisants, puisqu'il souhaitait faire advenir le Royaume de Dieu par la force, tout comme ces révolutionnaires partisans d'une guerre sainte.

En effet, au lieu de calmer l'ardeur de ces patriotes religieux, les vexations et les persécutions subies par les juifs ne firent que les exacerber, et les zélotes appelèrent le peuple à la lutte sans merci contre son oppresseur. Les pharisiens tentèrent vainement d'écarter Israël de cette révolte armée, et de l'empêcher d'entrer dans une guerre qui ne pouvait que conduire à la perte du peuple. Mais ils ne furent pas suivis dans leurs raisonnements : la situation politique que connaissait alors le peuple d'Israël était telle qu'il lui était impossible de subir davantage l'oppression romaine. Les zélotes entraînèrent donc le peuple dans la révolte, et le résultat en fut la catastrophe nationale de 70 : Jérusalem tomba et le Temple fut détruit par les flammes. La nation juive disparaissait de l'histoire pour près de vingt siècles...

Jésus est plus proche du courant baptiste

Sur les bords du Jourdain, un dernier prophète - qui n'est pas reconnu comme tel, par la tradition juive, Jean proposait un baptême de conversion à tous ceux qui espéraient la venue de l'ère messianique, dans l'attente de celui qui devait libérer Israël.

On a souvent pensé que Jean, surnommé le Baptiste, à cause de son activité, avait été influencé par la communauté essénienne. Ce n'est pas impossible. Cependant, à la différence de celle-ci, il n'accueillait pas une sorte d'élite religieuse, mais l'ensemble du peuple pécheur, qu'il préparait à la venue du Messie, en lui proposant un baptême de conversion. Jean renouait avec le prophétisme le plus ancien d'Israël : à chacun, il donnait des conseils appropriés à sa situation, l'invitant à suivre la religion selon son esprit et non pas seulement selon sa lettre.

L'usage de l'eau, qui permet les ablutions rituelles, est un signe commun à presque toutes les religions. En effet, le symbolisme de l'eau est tel qu'il signifie la régénération des individus. Et, les prêtres se soumettaient à des ablutions avant de pénétrer dans le Temple de Jérusalem. La religion juive comportait d'ailleurs de très nombreux rites d'ablution, en vue de purifier l'homme de tout ce qui était susceptible de le rendre impur, selon les écrits de la Torah. Jésus de Nazareth s'est trouvé mis en accusation par les pharisiens, parce que ni lui ni ses disciples ne tenaient compte des prescriptions de purification avant de prendre leurs repas.

La religion juive connaissait à l'époque un baptême réservé à ceux qui se convertissaient à la foi. Tout païen venant au judaïsme devait prendre un bain qui effaçait toute trace d'impureté rituelle, avant de recevoir la circoncision. A l'époque de Jean, le baptême est un rite suffisamment établi pour que Jean n'ait pas besoin de justifier le baptême qu'il donnait, bien que celui-ci présentât un caractère nouveau. D'abord, celui qui était baptisé recevait le baptême des mains de quelqu'un d'autre, alors que les ablutions rituelles et purificatrices étaient tout à fait personnelles. De plus, Jean orientait le baptême qu'il donnait dans le sens d'une préparation immédiate à la venue du Règne messianique : il invitait à la conversion, au changement de vie et au changement d'esprit dans une pénitence et dans un acte de foi au Royaume de Dieu qui arrivait.

Jésus, le fondateur du Christianisme

Jésus s'écarte aussi de la lignée du Baptiste

Les évangiles présentent Jésus se faisant baptiser par Jean et recrutant parmi les disciples de celui-ci ceux qui allaient devenir les siens. La mort du Baptiste, exécuté par ordre du roi Hérode, devait permettre à Jésus de mener son action propre. S'écartant du courant baptiste, il présente un message qui, dans sa forme, semble nouveau pour le peuple.

On a souvent voulu ramener le comportement et l'enseignement de Jésus à l'un ou l'autre de ces courants qui se partageaient la spiritualité de l'Israël du premier siècle. Comme nous l'avons vu, il les a connus, il les a fréquentés de manière plus ou moins proche, il lui est même arrivé d'emprunter des expressions et des convictions de ces différents courants. Mais il ne s'est jamais identifié à l'un d'eux, et ces premiers disciples ont vite compris qu'il ouvrait un courant tout nouveau, faisant perdre au judaïsme toute son identité pour eux. N'a-t-il pas prédit à ses amis : "On vous exclura des synagogues" (Jn. 16, 2).

Et cette nouveauté est perceptible dès le récit du baptême de Jésus. Ce jour-là, le ciel s'ouvre et l'Esprit Saint descend sur lui sous la forme d'une colombe. Cela concerne Jésus, mais cela concerne également ceux qui seront par la suite ses disciples, puis l'ensemble des chrétiens ; désormais la communication est possible entre Dieu et l'homme. La nouveauté, la Bonne Nouvelle, c'est que tous les hommes sont les enfants de Dieu, les frères de Jésus.

Jésus n'est pas un bon "paroissien"

Après son baptême par Jean sur les bords du Jourdain, et après avoir séjourné quelque temps au désert pour prier et jeûner, Jésus est de retour à Nazareth. Il se rend à la synagogue pour y prêcher, mais il n'y trouve pas l'accueil qu'il pouvait espérer, tant il est vrai qu'aucun prophète n'est bien reçu dans son pays (Lc. 4, 16-30).

D'après les textes évangéliques, il ne semble pas que Jésus ait été un bon "paroissien" par rapport aux offices de la synagogue. Chaque fois qu'il se trouve dans la maison de prière et d'étude, il arrive des incidents. Certes, ses auditeurs peuvent être surpris de son enseignement ou de sa réputation, surtout les habitants de Nazareth qui le connaissaient pour l'avoir vu grandir au milieu d'eux et pour avoir eu recours à lui ou à Joseph pour leurs travaux de charpente. Jésus enseigne en maître qui a autorité et qui va directement à l'essentiel sans passer par des arguties subtiles, il donne les vraies réponses aux questions essentielles que les hommes se posent...

Jésus, un homme libre

Dès le début de sa vie publique, Jésus a manifesté qu'il était un homme libre. Il commence sa prédication devant la foule venue de tous les territoires d'Israël et des pays limitrophes et païens, par la proclamation des Béatitudes, le Sermon sur la montagne, où Jésus présente la loi-cadre de son Royaume.

Le Royaume de Dieu, dans la conception de Jésus, c'est l'existence humaine, de la manière où il la vit. Le Royaume, c'est Jésus vivant notre vie. En quelques paroles, il indique le chemin qu'il faut suivre pour être son disciple. Cela lui vaudra des difficultés avec les autorités civiles et religieuses.

Par huit fois, le cri de bonheur retentit sur des situations de détresse. Le Christ se met du côté des pauvres, des opprimés, des laissés pour compte. Le mot "heureux" doit être plus exactement traduit par "progrès pour", "en avant".

Sur les pentes d'une colline qui domine le lac de Tibériade, Jésus enseigna souvent la foule de ceux qui le suivaient. Ce Sermon sur la Montagne a impressionné non seulement ceux qui ont décidé de le suivre, mais aussi des hommes de tous bords et qui ne vivent pas nécessairement les valeurs chrétiennes. Jésus présente le chemin pour parvenir au bonheur (Mt. 5, 1-12).

Mais qu'est-ce donc que le bonheur ? Pour un juif, marqué par ses ancêtres nomades, est heureux celui qui peut marcher. Être heureux, c'est le contraire d'être installé dans la réussite sociale, le confort, la célébrité et même l'amour. Marcher, c'est le terme qui exprime le bonheur dont Dieu rêve pour son peuple. L'homme heureux, c'est celui qui va de l'avant, c'est celui qui consent à progresser.

Après que Jean eut été livré (Mc. 1, 14), Jésus donne à la prédication du Baptiste une orientation nouvelle. Jean proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés, Jésus proclame Évangile de Dieu et il invite les hommes à faire un acte de foi personnel, au-delà de leur conversion personnelle.

Et c'est dans ce cadre qu'il appelle ses premiers disciples, et particulièrement Simon-Pierre, dont la barque servira pendant la vie publique de Jésus. Sur les bords du lac, Jésus guérira de nombreux malades, parmi lesquels la belle-mère de Pierre et le serviteur d'un centurion de l'armée romaine. C'est là également qu'il multiplie les pains pour nourrir cinq mille personnes avec cinq pains d'orge et deux petits poissons.

Pourtant, la prédication de Jésus, si elle a d'abord pu enthousiasmer les foules, n'a pas comblé entièrement leurs attentes, ses miracles même n'ont pas suffi à lui faire garder toute la faveur du peuple; Il faut dire qu'être prophète en Israël n'a jamais été de tout repos : ceux qui, au cours de l'histoire du peuple, ont voulu parler au nom de Dieu, ont été particulièrement mal accueillis, puis rejetés et condamnés aussi bien par les classes sacerdotales que par le peuple.

Le prophète assassiné

Un geste prophétique qui met le feu aux poudres

C'est sans doute l'incident des vendeurs chassés du Temple qui a mis le feu aux poudres, même s'il a sans doute eu lieu plusieurs mois avant la dernière semaine de Jésus. Par ce geste, Jésus se mettait au-dessus des plus hautes autorités de la nation juive, et il s'opposait au culte normal dans le Temple. Toucher au Temple, c'était s'exposer à faire éclater une affaire État

Toute révolte aurait pu remettre en cause l'équilibre précaire de la nation face à la puissance de l'occupant romain. Jésus menaçait cet équilibre en prenant la liberté de purifier le Temple, d'annoncer même sa destruction et donc de se placer au-dessus de la Loi de Moïse. Tout cela menaçait l'ordre établi dont les grands prêtres étaient les garants. De plus, Jésus proférait le blasphème de se prétendre l'égal de Dieu, annonçant qu'il siégerait à la droite de Dieu à la fin des temps.

La mort de Jésus fut décidée par le sacerdoce de Jérusalem, notamment par les grandes familles pontificales avec, à leur tête Anne et Caïphe. L'affrontement que Jésus avait porté jusque dans la capitale ne peut avoir d'autre issue que son arrestation et sa mise à mort. Ses adversaires sont d'accord sur ce point, leur principale préoccupation est de trouver le moyen de l'arrêter sans provoquer d'émeute dans la ville, en cette période de fêtes pascales, pendant laquelle la foule est très nombreuse à Jérusalem.

Puisque Jésus se trouve dans la capitale, ou dans sa proche banlieue, l'occasion est favorable, mais il n'est pas possible aux adversaires de Jésus de procéder publiquement à cette arrestation; il leur faut agir par ruse, car ils ignorent le nombre de ses partisans présents avec lui dans la ville à cette époque. La proposition de Judas Iscarioth aux grands prêtres arrivera à point nommé pour hâter les événements (Mc. 14, 10-11).

Judas avait placé toute sa confiance dans la personne de Jésus de Nazareth, en qui il pensait avoir trouvé celui qui allait pouvoir secouer la tutelle romaine, uniquement pour des motifs religieux. Déçu par Jésus, qui refusait de se reconnaître comme celui qui devait être le libérateur messianique, de style politique, qui allait redonner à Israël toute sa dignité royale, sacerdotale et prophétique, Judas aurait alors découvert en Jésus une sorte d'imposteur qui allait empêcher la restauration d'Israël comme une puissance au milieu des autres nations, il lui fallait dénoncer nécessairement cette imposture pour le bien public de la nation juive.

La révélation du sens de sa mission

Au jardin de Gethsémani

C'est au jardin de Gethsémani que Jésus a pu mesurer pleinement le destin tragique qui allait être le sien. Jusqu'alors, dans la tranquillité, il manifestait sa certitude d'accomplir le dessein de Dieu sur le monde, et il va en quelque sorte être tenté de refuser d'aller jusqu'au bout du chemin, avant d'accepter que la volonté du Père soit faite. Jésus est effrayé devant un événement qui doit survenir et sur lequel il ne peut avoir prise, un événement auquel il ne peut donner personnellement un sens. Il est dépourvu devant la mort qui approche. Il est seul, car les hommes qu'il a choisis sont défaillants, l'un d'eux le trahit, l'autre le renie, les autres dorment sans se rendre compte de l'importance de ce qui se déroule.

Pour Jésus, c'est l'heure du rejet, l'heure de l'abandon par ceux qui l'entourent, c'est l'heure de la mort. C'est aussi l'heure où il surmonte définitivement la tentation. Dans sa prière au Père, à qui tout est possible, il demande d'écarter la coupe de souffrance. Mais il comprend quelle est la volonté du Père, il s'y abandonne avec confiance.

Jésus devait pressentir sa mort comme le résultat du rejet définitif du peuple d'Israël qui ne pouvait admettre l'authenticité de sa mission, mais jamais il ne semble avoir pu imaginer que se mort lui serait en quelque sorte volée et qu'il connaîtrait l'infamie des agitateurs politiques. Lui, le prophète envoyé par Dieu, le Fils unique, ne pouvait connaître que le sort des prophètes, et voilà qu'il va être traité comme le dernier des révolutionnaires. Le dessein divin est incompréhensible, mais c'est le dessein de Dieu. Ce que Dieu veut, c'est le salut de l'homme ; Jésus est écartelé, et, en prenant sa décision, en choisissant d'accomplir la volonté du Père, il indique aux hommes le sens de la destinée et de l'existence humaine : se retrouver dans la volonté de Dieu.

Le procès religieux de Jésus

Comme les prêtres l'avaient souhaité, l'arrestation de Jésus s'est faite à l'insu de la foule, et Jésus leur reproche de ne pas avoir osé intervenir devant la foule pendant qu'il enseignait dans le Temple.

Il fallait maintenant dépêcher le procès de Jésus, avant que ses sympathisants puissent avoir le temps de provoquer une émeute en cette période de fêtes où de nombreux fidèles étaient montés à Jérusalem pour la Pâque. Dans le récit du procès de Jésus que dressent les évangélistes, il existe deux jugements séparés, l'un devant le tribunal juif, le sanhédrin qui n'avait aucun pouvoir pour exécuter les sentences qu'il prononçait, et l'autre devant le tribunal du gouverneur romain. Chacun des deux jugements se termine par une condamnation à mort, mais chacun pour un crime différent.

Après son arrestation, Jésus est traduit devant un tribunal juif, le Sanhédrin, grand conseil comprenant soixante et onze membres, chefs religieux des familles sacerdotales, membres de l'aristocratie laïque et scribes, divisés en deux tendances ; les pharisiens et les saducéens. Ce grand conseil se réunit dans le palais du grand prêtre.

Les prêtres cherchent un motif pour le condamner à mort. Ils avaient de bonnes raisons de refuser son enseignement, ils souhaitaient qu'il se manifeste ouvertement contre l'occupant romains pour qu'ils puissent le condamner sans les faire tremper dans "l'affaire Jésus". Ils auraient ainsi pu dégager leur responsabilité, mais Jésus ne s'est jamais laissé prendre à leurs pièges. Les faux témoins, recrutés pour la circonstance, se contredisent. Le motif juridique, selon la législation juive, pour condamner Jésus à la mort, sera finalement trouvé dans une réponse que celui-ci fera à une question du grand-prêtre : Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel.

C'est la première fois que Jésus rend ouvertement un témoignage sur sa propre personne ; il se présente comme le Messie, celui qui est attendu par tout le peuple, il s'arroge le titre de Fils de l'homme qui devait venir juger l'humanité à la fin des temps, en siégeant à la droite de Dieu. Revendiquer une telle égalité avec le Dieu unique, se placer soi-même au rang de Dieu était perçu comme le plus abominable des blasphèmes. Un tel péché devait être puni de mort, par lapidation.

Le procès politique de Jésus

Sous des apparences de procès régulier, ce premier procès de Jésus devant les autorités juives a été bâclé. Même si le Sanhédrin avait quelque pouvoir pour ordonner l'exécution d'une sentence pour un motif religieux, tel que le blasphème, il n'avait pas le pouvoir d'ordonner la mise à mort. C'est pourquoi il faut porter l'affaire devant le procurateur romain, Pilate, qui séjournait à Jérusalem, pendant les périodes de fêtes.

Aussi les milieux sacerdotaux livrent-ils Jésus à Pilate, en invoquant non plus des motifs religieux, mais en présentant Jésus comme un agitateur qui refuse de payer l'impôt et veut rétablir la royauté sur Israël. L'intention qui dirigeait les prêtres était double ; il fallait réussir à faire condamner Jésus, et surtout il fallait réussir à discréditer absolument sa mémoire parmi le peuple. D'où la conversion du motif religieux en motif politique d'incitation à la révolte et à la sédition.

Pilate est un procurateur romain ordinaire qui pense surtout à sa carrière et qui mène une guerre froide contre les chefs juifs. Quand on enferme Jésus dans ses prisons, il ne représente pour lui qu'un épisode négligeable.

Pilate s'aperçoit certainement qu'on lui présente un procès truqué, et se trouve donc mis dans un grand embarras, quand on lui présenta Jésus. Il aurait sans doute aimé trouver le moyen de décliner la compétence de son pouvoir, mais les grands prêtres, qui jouaient le rôle de procureurs de justice, lui présentent Jésus comme un dangereux nationaliste, invoquant contre lui des accusations auxquelles Jésus ne répond pas, car il ne les accepte pas. Interrogé, Jésus ne répond rien aux accusations portées contre lui. Il aurait pu protester de son innocence et trouver des témoins de la défense parmi ceux qui l'avaient écouté durant les années de sa prédication. Il ne se défend pas, parce que la vérité n'a pas besoin d'être défendue, elle éclate. Pilate n'a pas trouvé de motif de condamnation dans la personne de Jésus et dans ses actes.

Pilate va donc abandonner Jésus, mais auparavant, conscient du fait que Jésus pouvait être un personnage populaire, il va faire un geste susceptible de lui attirer la faveur des foules, dut-il déplaire aux chefs des prêtres qu'il semblait mépriser. Pilate propose donc inconditionnellement de remettre Jésus en liberté ; mais la foule rejette cette proposition et, sous l'incitation des prêtres, réclame la mise en liberté de Barabbas et la crucifixion de Jésus. Le gouverneur romain est alors contraint de se soumettre à la vindicte populaire, et conformément à l'usage romain, il fait flageller Jésus avant de le faire crucifier.

Jésus est condamné à mort par le pouvoir politique, comme séditieux, appelant le peuple à la révolte. Son enseignement avait des incidences politiques : il gênait. Dès lors, personne n'essayera de le libérer du sort qui lui était réservé. Pilate porte la responsabilité historique de sa mort. Seul un petit groupe de fidèles assistera à sa mort, impuissant, au pied de la croix, sur un mont extérieur de Jérusalem, le Golgotha ou Calvaire, le lieu dit du Crâne.

Jésus face à sa mort

Contrairement à ce que l'on croit trop facilement, Jésus n'a pas fait semblant d'être homme, il n'a pas fait semblant de souffrir. Sous prétexte qu'il est Dieu, nous n'avons pas le droit de lui refuser d'être honnête et d'être vrai. Il est Dieu mais il est homme ; il n'a pas profité du fait qu'il était Dieu pour tricher. Il n'a pas joué un rôle, il a joué sa vie, et il a perdu. Il n'a pas été un héros, il a été condamné à être crucifié comme n'importe quel condamné de droit commun, comme un voleur à la tire, comme un assassin...

La foule, en délire, approuve sa condamnation, elle hurle à la mort et préfère libérer un assassin plutôt que de laisser vivre Jésus. Jésus est "le prophète assassiné". Jésus est l'innocent qui souffre à la place d'un coupable.

Le condamné devait porter lui-même l'instrument de son supplice, le patibulum, jusqu'au lieu de l'exécution. Jésus, après avoir été châtié sans raison, doit quand même être mis en croix. Mais les outrages et les tortures l'ont épuisé. Il n'arrivera sans doute pas au lieu de son exécution. Il ne convient pas que le condamné ne subisse pas son châtiment jusqu'au bout. L'épuisement physique de Jésus explique le fait qu'un passant soit réquisitionné pour porter la croix avec lui. Cet homme sera un certain Simon qui revenait des champs.

En arrivant sur le Golgotha, Jésus fut crucifié. Il est d'abord dépouillé de ses vêtements. Dépouillé de tout caractère humain, Jésus va connaître la condition de l'esclave révolté. La crucifixion, comme peine de mort, ne s'appliquait pas aux citoyens romains qui étaient décapités, les juifs, selon leur loi, étaient lapidés.

La crucifixion était, à l'origine, le châtiment qui était réservé aux esclaves révoltés. Jésus s'est fait obéissant jusqu'à la servitude. La grandeur du roi des Juifs, c'est de servir, c'est d'être mis au rang des criminels et des rebelles. Jésus s'est fait obéissant jusqu'à partager la condition de l'esclave qui refuse de se soumettre à un pouvoir injuste et qui en paye les conséquences.

Pour décrire l'exécution, les évangélistes sont très sobres. Les condamnés, qui devaient subir ce châtiment, habituellement des esclaves révoltés, étaient cloués, les bras étendus sur le patibulum, puis on fixait cette barre transversale sur un poteau vertical, le stipes, préalablement dressé à hauteur d'homme. Les pieds du condamné étaient alors cloués. Une sorte de siège supportait en partie le poids du corps afin que celui-ci n'entraîne pas une déchirure des membres supérieurs fixés préalablement. Le crucifié mettait souvent de très longues heures avant de mourir, non pas par perte de sang, mais plutôt par une lente asphyxie. Les inventeurs de ce type d'exécution sont les Perses et les Phéniciens, puis les Grecs et les Romains l'ont certainement adopté en raison de son caractère très spectaculaire.

Jésus, comme vraisemblablement tous les crucifiés, est accablé des sarcasmes de la foule, qui passe et qui regarde la mort faire progressivement son oeuvre. Jésus meurt après six heures de souffrances, non sans avoir suscité une véritable profession de foi de la part d'un centurion de l'armée romaine : "Le centurion qui se tenait devant lui, voyant qu'il avait expiré, dit : Vraiment cet homme était Fils de Dieu" (Mc. 15, 39).

Cette profession de foi fait suite à la déchirure du voile qui fermait le sanctuaire du Temple : le rideau qui protégeait le Saint des saints se déchire au moment de la mort de Jésus, signe que désormais Dieu est accessible à tous, même aux païens.

La loi mosaïque, en vigueur à Jérusalem, même sous la domination romaine, ne permettait pas que des cadavres soient exposés en croix durant la nuit, surtout en période de fête, et encore plus cette nuit-là qui connaissait la grande préparation pascale. Des soldats viennent briser les jambes des condamnés, mais s'apercevant que Jésus est déjà mort, ils ne lui brisent pas les jambes et lui percent le côté d'un coup de lance.

Selon la loi romaine également en vigueur, les exécutés politiques pouvaient bénéficier, par grâce spéciale, d'une sépulture honorable. Rien n'empêchait qu'un sympathisant puisse obtenir le corps du crucifié. Joseph d'Arimathée, membre influent du Sanhédrin, en demanda l'autorisation à Pilate. Avec Nicodème, disciple de Jésus mais en secret, Joseph descend le cadavre de la croix, le dépose au pied du Golgotha. C'est là que les femmes firent, selon la tradition, une onction d'huile parfumée au corps de Jésus, avant que celui-ci ne soit conduit dans une tombe creusée dans le roc, dans un jardin proche du lieu de la crucifixion.

Les autorités sacerdotales qui avaient réussi à se débarrasser du prophète galiléen se félicitaient d'avoir réussi à éviter des histoires avec le gouverneur, surtout en cette période d'affluence. Elles étaient surtout soucieuses de fêter dignement la Pâque et ne se préoccupèrent pas des déclarations de Jésus qui avait affirmé qu'il ressusciterait le troisième jour. Elles ne se soucièrent absolument pas de l'ensevelissement et n'apposèrent donc pas les scellés sur la pierre du tombeau.

Au-delà de la mort

Le scandale de la mort

Au silence de Jésus devant Pilate, au silence de Dieu à la mort de Jésus succède le silence de la tombe. Mais ce silence n'est pas pesant, il est lourd d'une attente et d'une espérance ; Dieu n'a pas dit son dernier mot. Il le dira dans la résurrection. Le chemin de Jésus semble conduire à une impasse, et pourtant tout n'est pas fini.

Pourtant, la croix et la mort de Jésus pouvaient bien apparaître comme la confirmation de l'échec de sa cause. Désormais, sa vie et son œuvre semblaient devoir disparaître complètement de la mémoire des hommes, puisque les faits eux-mêmes avaient apporté le témoignage du caractère mensonger de sa cause. Si Dieu, sur la croix, ne l'avait pas sauvé, malgré sa prière, c'était bien le signe qu'il avait refusé de reconnaître et d'authentifier son message : Dieu l'avait donc rejeté comme un pécheur et comme un impie.

Les premiers récits chrétiens n'ont certainement pas cherché à évacuer le caractère scandaleux de la croix : l'arrachement de Jésus à l'existence humaine n'a pas été édulcoré, comme s'il s'était agi simplement d'une sorte de demi-mal. Et pourtant, les disciples reconnaissent que Jésus demeure vivant, non pas qu'il soit revenu purement et simplement à la vie qu'il possédait avant son arrestation et sa crucifixion, comme si son cadavre avait été réanimé d'une manière ou d'une autre.

La mort de Jésus, comme la mort de tout homme, n'a pas été un banal accident de parcours, elle a été une très dure réalité que les événements de Pâques n'ont pas pu dissimuler et que les témoins ont du assimiler. La résurrection de Jésus n'a pas été une réanimation, mais une nouvelle création. Par là, Dieu s'est manifesté comme le maître absolu non seulement de la vie, mais surtout de la mort. En ressuscitant Jésus de Nazareth, Dieu l'a fait Seigneur et Christ celui qui les hommes avaient crucifié.

Jésus, Évangile de Dieu

Si son procès et son supplice avaient bien mis en valeur qu'il avait été rejeté pour avoir revendiqué une relation particulière avec celui que tous appelaient Dieu, sa résurrection va manifester, à ceux qui ont des yeux pour voir, la réalité de cette relation et de cette intimité. Personne n'a jamais vu Dieu, le Fils nous l'a dévoilé , écrira saint Jean.

C'est à partir ou à travers l'événement de la résurrection que les disciples ont pu comprendre tout le sens et tous les enjeux de la vie de Jésus ; c'est par là que son existence et son témoignage sont devenus réellement "Évangile", c'est-à-dire une "Bonne Nouvelle". Et c'est en ce sens qu'ils pourront reconnaître que toute la vie de Jésus a été prophétique. Quand Jésus accueillait, quand il guérissait, quand il enseignait, quand il pardonnait, quand il partageait le pain, il ne faisait rien d'autre que d'affirmer que c'était Dieu qui agissait et qui faisait vivre : la vie de Jésus était la vie de Dieu à livre ouvert.

Et c'est toujours quand il se manifestait comme le plus humain qu'il était le plus "parlant", le plus manifestement Dieu. Toute la vie de Jésus devenait ainsi "Parole de Dieu", mais c'était un Dieu qui bousculait toutes les idées reçues, y compris dans la tradition juive. Dieu n'était plus un Dieu lointain, totalement étranger au monde des hommes, il était un Dieu proche, totalement enraciné dans la vie des hommes, totalement incarné. Cela signifie que l'on ne peut pas séparer, dans la vie de Jésus, des moments où il serait homme et des moments où il serait Dieu : c'est dans les moments où il est le plus manifestement homme qu'il est le plus manifestement Dieu. En voyant la marque des clous et de la lance sur le corps du ressuscité, Thomas, qui était d'abord incrédule, reconnaît Jésus, mais comprend alors sa divinité, en disant : "Mon Seigneur et mon Dieu" (Jn. 20, 28). Celui qui a des yeux pour voir découvre que Jésus est véritablement Dieu, dans ce qu'il y a de plus humain.

La personne de Jésus

Il nous arrive de faire des erreurs sur la personne des autres. On s'est également trompé sur la personne de Jésus. Qui est-il ? Qu'a-t-il voulu dire ? Chaque génération chrétienne se pose les mêmes questions. Le problème de son identité commence dès le début de son ministère. Jean s'est trompé. Dans son désert, il proclamait la venue d'un Messie victorieux. Et celui en qui il reconnaît l'Envoyé de Dieu lui demande le baptême comme le dernier des pécheurs.

Jésus est HUMAINEMENT Dieu. Bien qu'il soit Dieu, il a connu les limitations de la condition humaine, il a assumé la nature humaine... C'est une illusion que de croire à trop de privilèges pour Jésus. C'est véritablement qu'il a progressé en intelligence et en sagesse, qu'il a ignoré certaines choses, qu'il a été fatigué, agacé de l'inintelligence de ses disciples, qu'il a craint la souffrance et la mort. Nous ne pouvons pas lui refuser le droit d'être honnête sous prétexte qu'il est Dieu.

Jésus est DIVINEMENT homme. Mais son humanité ne l'a pas rendu extérieur à Dieu. Il s'est rendu en tout semblable aux hommes, hormis le péché. Ce n'est pas le fait d'être homme qui pose dans une situation d'adversité à Dieu, c'est le péché. Si Jésus n'a pas connu le péché, s'il n'a pas commis d'actes de péché, il a connu toutes les conséquences du péché dans la mesure où elles touchent la réalité humaine. Il a montré comment vivre réellement en homme. Par lui, nous connaissons la véritable nature de l'homme destiné à être l'image de Dieu. En Jésus, Dieu n'écrase pas l'homme : il n'y a pas plus humain que Dieu.