L'Evangile selon saint Marc

Commentaire et exégèse

 

Introduction

Présentation de l'Evangile

1. L'identité de l'auteur

A la lecture du second évangile, nous ne connaissons que peu de choses sur son auteur. Grâce à la tradition, on suppose qu'il s'agit du Marc dont parlent les Actes des Apôtres. Les premiers chrétiens se réunissaient chez lui à Jérusalem. Pierre, à sa sortie de prison se repéra et gagna la maison de Marie, la mère de Jean surnommé Marc (Ac, 12, 12). Ce Marc était le cousin de Barnabas, d'après le témoignage de Paul, dans sa lettre aux Colossiens : Vous avez les salutations d'Aristarque qui est en prison avec moi, ainsi que de Marc, le cousin de Barnabas, - vous avez reçu des instructions à son sujet : s'il vient chez vous, faites-lui bon accueil (Col. 4, 10). Ce Barnabas était connu chez les chrétiens de Jérusalem pour sa générosité : Joseph, surnommé Barnabas par les apôtres - ce qui signifie l'homme du réconfort - possédait un champ. C'était un lévite, originaire de Chypre. Il vendit son champ, en apporta le montant et le déposa aux pieds des apôtres (Ac. 4, 36-37). C'est aussi Barnabas qui va chercher Paul à Tarse pour le présenter à l'Eglise d'Antioche (Ac. 11, 25-36). Après un temps d'évangélisation dans cette ville, Paul et Barnabas décident de monter à Jérusalem pour porter des secours à l'Eglise de cette ville menacée par la famine : La parole de Dieu, cependant, croissait et se multipliait. Quant à Barnabas et Saul, ils s'en revinrent, une fois assuré leur service en faveur de Jérusalem, ils ramenaient avec eux Jean, surnommé Marc (Ac. 12, 24-25). Marc accompagna ainsi Paul dans sa mission à Antioche, à Chypre et dans plusieurs autres villes de l'Asie Mineure. A Paphos, en Pamphylie, Marc quittera Paul et Barnabas pour retourner à Jérusalem. Paul lui en tiendra longuement rigueur au point de se disputer également avec Barnabas : Après un certain temps, Paul dit à Barnabas : Retournons donc visiter les frères dans chacune des villes où nous avons annoncé la Parole du Seigneur. Barnabas voulait emmener aussi avec eux Jean surnommé Marc. Mais Paul n'était pas d'avis de reprendre comme compagnon un homme qui les avait quittés en Pamphylie et n'avait donc pas partagé leur travail. Leur désaccord s'aggrava tellement qu'ils partirent chacun de leur côté. Barnabas prit Marc avec lui et s'embarqua pour Chypre, tandis que Paul s'adjoignait Silas et s'en allait, remis par les frères à la grâce du Seigneur (Ac. 15, 36-40). La tradition estime que Marc accompagna l'apôtre Pierre. Celui-ci, dans sa première lettre, écrit : La communauté des élus qui est à Babylone (Rome) vous salue, ainsi que Marc, mon fils (1 P. 5, 13). Ultérieurement Marc et Paul se réconcilieront puisque Marc retrouvera Paul alors qu'il est en prison comme l'indique la lettre aux Colossiens déjà citée. De plus, à la fin de sa vie, Paul demandera à Timothée de faire venir Marc auprès de lui : Luc seul est avec moi. Prends Marc et amène-le avec toi, car il m'est précieux pour le ministère (2 Tim. 4, 11).

Ainsi Marc aurait participé très vite à l'évangélisation dans le sillage des grands apôtres qu'il accompagnait au cours de leurs missions. Ils les écoutait prêchait et conservait fidèlement leur enseignement : cela devait lui permettre de savoir ce dont il parlait en rédigeant son évangile.

La tradition patristique, avec Papias, évêque d'Hériopolis, aux environs de 140, nous présente Marc comme l'interprète de Pierre. Et Irénée de Lyon précise que cet évangile a été écrit à Rome d'après le témoignage de Pierre, mais après la mort de l'apôtre, après l'an 64.

2. Les commentaires sur cet évangile

Le jugement de Papias sur l'évangile de Marc n'est pas très aimable. Pour lui, c'est une espèce de fourre-tout, une suite sans ordre de récits concernant Jésus. Cette impression a traversé les siècles. En effet, jusqu'au dix-neuvième, il ne fut guère commenté, sinon comme source pour des applications dans les sermons.

Au niveau du contenu, Marc n'offre guère de récits qui ne soient également transmis par Matthieu et Luc. Au niveau du vocabulaire, il est monotone. Les récits se suivent, liés simplement entre eux par des "et", suivis d'une expression comme "aussitôt" ou "de nouveau", bien qu'il ne s'agisse pas d'un ordre chronologique. Malgré cette pauvreté, cet évangile se présente comme une construction très complexe contrairement à ce que pouvait penser Papias. Plusieurs types de structure s'offrent à nous si nous voulons en faire une lecture et une analyse détaillées.

3. Une lecture géographique

Dans cet évangile, Jésus se déplace beaucoup. Il est souvent "en route". C'est la raison pour laquelle on a essayé de le découper selon un plan purement géographique. C'est le modèle de lecture que propose la Bible de Jérusalem.

1, 1-13                    Préparation du ministère en Galilée       

1, 14 - 7, 23            Ministère de Jésus en Galilée

7, 24 - 10, 32         Voyages de Jésus hors de Galilée

11 - 13                   Ministère de Jésus à Jérusalem

14 - 16                   Passion et résurrection à Jérusalem

 

Cependant, cette organisation se heurte à certaines difficultés. Pour les spécialistes de la topographie, il est impossible de suivre les déplacements de Jésus sur une carte. La géographie positive est insuffisante : Marc ignorait-il le tracé des voies romaines ? Néanmoins, la géographie théologique peu présenter quelque intérêt : l'espace est organisé selon des intentions plus ou moins précises, de la part de celui qui veut montrer que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ s'adresse aussi à des païens et même surtout à eux, puisque les Juifs l'ont refusée. On constate l'opposition entre la Galilée et Jérusalem, qui est hostile à la prédication évangélique. Après la résurrection, c'est de Galilée que part l'annonce de la Bonne Nouvelle. Une autre opposition peut être soulignée entre les pays où il y a des juifs et les pays où il y a des païens : l'accueil réservé par ces derniers est plus favorables que celui des juifs attachés aux prescriptions de la Loi mosaïque.

4. Une lecture dramatique

L'évangile est le lieu d'un drame : c'est là que se joue le destin de Jésus, c'est là que se déroule toute la trame de sa prédication. Dès le début, l'identité de Jésus est présentée par une intervention du Père : Tu es mon Fils bien-aimé il m'a plu de te choisir (Mc 1, 11). Cette révélation renseigne le lecteur sur celui dont la destinée va se jouer. Mais pour les contemporains de Jésus, une question ne cesse jamais de se poser : Quel est donc cet homme ?

1, 14 - 8, 26 Les démons le reconnaissent

Jésus pose question à ceux qui le rencontrent. Qui est-il ? Certes, la proximité du Royaume de Dieu est manifestée par la puissance de sa parole et de ses actes. Mais son identité est encore cachée aux hommes. Si les démons savent, ils sont contraints au silence. L'identité de Jésus doit encore demeurer secrète.

8, 27 - 16, 8 Jésus se révèle

La profession de foi de Pierre constitue une charnière. Un homme, Pierre, reprend à son compte les affirmations des démons : Tu es le Christ (Mc. 8, 29). C'est la première fois que le titre de Christ se trouve appliqué à Jésus, qui ne refuse pas cette appellation mais qui interdit de la divulguer. Pourquoi cette insistance sur le secret ? Aux démons, Jésus interdisait de parler pour que les hommes puissent se poser la question de son identité. Mais quand Pierre découvre la clef de l'énigme, le secret doit quand même demeurer. Les hommes ne pourront comprendre l'identité de Jésus qu'après sa mort. Jésus se révélera lui-même à Jérusalem, devant le Sanhédrin. Mais au moment de sa mort, c'est quand même un païen qui affirmera : Vraiment, cet homme était Fils de Dieu (Mc. 15, 40).

L'affirmation centrale de Marc peut alors se résumer ainsi : C'est le crucifié qui est Fils de Dieu. L'évangile se termine sur le désarroi des femmes devant le tombeau vide : Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur (Mc. 16, 8).

Les apparitions du Ressuscité ne sont qu'un appendice ajouté par la suite. Les spécialistes de la critique littéraire montrent que cette finale n'a pas été rédigée par Marc. Le vocabulaire et le style n'ont rien de comparable avec le reste de l'évangile. Cette finale est sans doute le moyen par lequel les premières générations chrétiennes ont essayé de comblé les lacunes d'une finale faite de crainte : "elles avaient peur"...

5. Une lecture par les relations de Jésus

Il est possible de lire l'évangile de Marc en étudiant les relations qui s'instaurent entre Jésus et ses disciples, entre Jésus et la foule, entre Jésus et ses adversaires.

1, 16 - 3, 12              De l'appel des quatre premiers disciples à l'institution des Douze

3, 13 - 6, 6a              De l'institution des Douze à leur envoi en mission

6, 6b - 8, 26             De la mission des Douze à la profession de foi de Pierre

8, 27 - 10, 52            De la profession de foi de Pierre à l'approche de la Passion

11, 1 - 13, 57            L'affrontement à Jérusalem

14, 1 - 16, 8              La Passion et la Résurrection

 

6. Proposition pour une structure

Six fois, au cours de l'évangile, on repère des "sommaires" concernant l'activité de Jésus et de ses disciples. Après chaque sommaire se trouve un long développement, groupant deux ou trois chapitres, qui montre Jésus prêchant et agissant, aux prises avec les hommes de son temps. En regardant de plus près, on constate que chaque développement commence et se termine par une scène similaire. Preuve s'il en est que l'évangile de Marc n'est pas un fourre-tout mais un texte très travaillé.

D'autre part, il faut sans cesse faire une double lecture de cet évangile : Marc n'a écrit qu'un livre tandis que Luc en a écrit deux. Pour Luc, l'évangile est la présentation de l'existence de Jésus et les Actes des apôtres celle de la première communauté. Pour Marc, il faut faire le double mouvement : découvrir dans les actions de Jésus celles de la première Eglise et découvrir la référence de cette fait à son fondateur.

Sommaire 1 : l'inauguration 1, 14-20

- Guérison d'un démoniaque à la synagogue 1, 21-28

Développement centré sur les miracles

- Guérison d'un homme à la main desséchée 3, 1-6

Sommaire 2 : l'organisation 3, 7-19

- la parenté de Jésus le recherche 3, 20-21

Développement centré sur les paraboles

- Jésus se rend chez les siens à Nazareth 6, 1-6a

Sommaire 3 : la mission 6, 6b-13

- Hérode se demande qui est Jésus 6, 14-16

Développement centré sur le pain

- Jésus interroge ses disciples : Qui suis-je ? 8, 27-30

Sommaire 4 : souffrir 8, 21-33

- Se charger de sa croix 8, 34 - 9, 1

Développement centré sur la qualité du disciple

- Tout quitter 10, 28-31

Sommaire 5 : servir

- Jésus, fils de David, aie pitié de moi 10, 32-45

Développement centré sur l'affrontement à Jérusalem

- Le Christ est-il fils de David ? 12, 35-37

Sommaire 6 : mourir 14, 1-21

- L'ensevelissement préfiguré 14, 3-9

Développement centré sur la Passion

- L'ensevelissement réalisé 15, 42-47

 

Le chapitre 13 de cet évangile se laisse difficilement intégré dans une telle structure. C'est à la fois une annonce de type apocalyptique et une invitation à la vigilance.