Chapitre 3.

Les paraboles de Jésus

 

Ce deuxième développement est centré sur les paraboles de Jésus, notamment celles du Royaume qui grandit, malgré toutes les vicissitudes qu'il peut rencontrer. On y découvre l'opposition entre "ceux du dedans" et "ceux du dehors". D'ailleurs, ce développement est encadré par deux épisodes concernant la famille de Jésus, sa maison avec des gens du dehors et des gens du dedans.

1. Jésus et la foule

Jésus se retira avec ses disciples au bord de la mer. Une grande multitude venue de Galilée le suivit. Et de la Judée, de Jérusalem, de l'Idumée, d'au-delà du Jourdain, du pays de Tyr et de Sidon, une grande multitude vint à lui, à la nouvelle de tout ce qu'il faisait. Il dit à ses disciples de tenir une barque prête pour lui à cause de la foule qui risquait de l'écraser. Car il en avait tant guéris que tous ceux qui étaient frappés de quelque mal se jetaient sur lui pour le toucher. Les esprits impurs, quand ils le voyaient, se jetaient à ses pieds et criaient : Tu es le Fils de Dieu. Et il leur commandait très sévèrement de ne pas le faire connaître.

Marc donne, dans ce paragraphe, une vue générale du ministère de Jésus. Alors que l'hostilité des chefs, religieux et politiques, croît, la popularité de Jésus grandit également auprès des foules. Quand Jean le Baptiste prophétisait dans le désert, les foules venaient à lui de tout le pays de la Judée et de Jérusalem (Mc. 1, 5). Jésus, quant à lui, rassemble les Juifs de toutes les régions, y compris celles qui ne constituent pas la Palestine de l'époque. Tout Israël se rassemble autour de celui qui est désigné comme le Fils de Dieu. Il est possible de déceler une construction de ce passage en tenant compte simplement de la situation de Jésus dans l'espace.

- Jésus se retira avec ses disciples au bord de la mer (v. 7).

- Il dit à ses disciples de tenir une barque prête pour lui à cause de la foule qui risquait de l'écraser (v. 9).

- Il monte dans la montagne (v. 13).

Les trois lieux importants du ministère de Jésus sont déjà mentionnés : il enseigne les foules au bord de la mer, et il s'écarte de cette foule, soit pour aller dans la montagne, soit pour partir en mer (sur le lac) avec ses disciples. Ce qui attire les foules, ce n'est pas l'enseignement de Jésus, mais ce qu'il fait : une grande multitude vint à lui, à la nouvelle de tout ce qu'il faisait (v. 8). Par la suite, on verra que l'enseignement de Jésus n'est pas compris par cette foule qui le poursuit. Pour comprendre la Parole, il faut être "du dedans", il faut connaître Jésus de l'intérieur : c'est pour cela qu'il ordonne aux esprits impurs de ne pas le faire connaître.

Le verset 10 : Car il en avait tant guéris que tous ceux qui étaient frappés de quelque mal se jetaient sur lui pour le toucher, annonce déjà la guérison de la femme qui sera présentée en Mc. 5, 24-34, tandis que le verset suivant rappelle la guérison du possédé présentée en Mc. 1, 23-26.

De la sorte, ce court paragraphe, ce sommaire constitue une sorte de nœud dans l'évangile, un résumé de ce qui précède, avec une insistance sur la découverte faite par les esprits impurs, qui le reconnaissent comme "Fils de Dieu" mais à qui il est ordonné de se taire, et une annonce de ce qui va se produire : des guérisons multiples, sans oublier le rôle que vont jouer les disciples. Ceux-ci seront à côté de Jésus, sur le bord de la mer comme sur la montagne.

2. Institution des Douze

Il monte dans la montagne et il appelle ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons. Il établit les Douze : Pierre, c'est le surnom qu'il a donné à Simon, Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, et il leur donna le surnom de Boanerguès, c'est-à-dire fils du tonnerre, André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d'Alphée, Thaddée et Simon le zélote, et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra.

Jésus rencontre la foule au bord de la mer (2, 13 ; 3, 7-8 ; 4, 1-2 ; 5, 21), mais il monte dans la montagne, à l'écart de la foule, pour prier (6, 46) ou pour accomplir des actes importants à l'égard de ses disciples (3, 13 ; 9, 2).

L'institution des douze constitue une unité littéraire isolable et repérable par la mention des lieux : il monte dans la montagne (v. 13), il vient à la maison (v. 20). Entre ces deux lieux se place l'institution des douze, avec pour certains d'entre eux des déterminations qui s'ajoutent à la mission qu'ils reçoivent conjointement : et il appelle ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons.

Immédiatement, il est possible de constater que l'initiative vient de Jésus, c'est lui qui appelle ceux qu'il veut. Mais les disciples sont disponibles, ils viennent à lui. Le schéma reprend d'une certaine manière les récits de vocation de disciples. Autre petit détail, les disciples choisis ne sont pas appelés "apôtres", mais simplement "les douze". Marc n'emploie qu'une seule fois le terme d'apôtres, en 6, 30. Les douze son apôtres en tant qu'ils sont envoyés par Jésus. L'apostolos est égal à celui qui l'envoie, c'est en quelque sorte un plénipotentiaire. Il obtient cette égalité en vertu de sa mission, de sa fonction. En choisissant les douze, Jésus se réfère explicitement aux tribus d'Israël, bien que Marc ne souligne pas ce fait. La fonction attribuée aux douze est "d'être avec lui". Seul, Marc souligne cet aspect de la vie des disciples. Le fait d'être avec caractérise uniquement les douze. On comprend alors pourquoi Jésus refuse au démoniaque de la Décapole de demeurer avec lui (5, 18). L'activité de ces douze sera de prêcher, c'est-à-dire de proclamer la nouvelle. Du fait même, ils obtiennent le pouvoir de chasser les démons, ce pouvoir de Jésus sur les esprits mauvais ; ils utiliseront ce pouvoir dans le développement suivant. Marc donne la liste des douze dans une phrase à la construction très embarrassée :

Il établit les Douze : Pierre, c'est le surnom qu'il a donné à Simon, Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, et il leur donna le surnom de Boanerguès, c'est-à-dire fils du tonnerre, André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, celui (le fils ou le frère ?) d'Alphée, Thaddée et Simon le zélote, et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra.

Trois des douze reçoivent un surnom : Simon, qui est appelé Pierre (en araméen, Képha, le rocher), Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, qui sont appelés Boanerguès. En fait, ces deux surnoms n'ont pas exactement la même portée. Simon reçoit un nom nouveau, celui par lequel il est connu dans la tradition chrétienne. Les deux frères restent plus connus sous le nom des fils de Zébédée, et il semble que ce soit simplement un surnom qui leur est attribué en raison de leur caractère impétueux, laissant présager que leur prédication serait puissante. Ces trois disciples ont une position privilégiée dans leur "être avec" Jésus. Ce sont les témoins de la résurrection de la fille de Jaïros (5, 37), de la Transfiguration (9, 2) et de l'Agonie (14, 33). Ensuite sont nommés André et Philippe. Le quatrième évangile les mentionne ensemble, au moment de la multiplication des pains (Jn. 6, 7-8), puis quand ils présentent à Jésus des grecs qui voulaient le rencontrer (Jn. 12, 22). Par ce même évangile, nous savons que Philippe est originaire de Bethsaïde, tout comme Simon et André. Les deux noms d'André (le viril) et de Philippe (l'amateur de chevaux) sont typiquement grecs. Les autres disciples portent des noms sémitiques, araméens ou hébreux : Barthélemy : bar (fils) de Talmaï? Il peut être identifié à Nathanaël, qui est introduit auprès de Jésus par Philippe (en Jn. 1, 45), mais aucun texte ne le justifie. Matthieu : don de Dieu. S'agit-il de Lévi ? Thomas : d'une racine hébraïque qui veut dire "doubler", d'où le surnom de jumeau qui lui est parfois donné (Jn. 11, 16). Thaddée, nom diversement interprété. Ou bien, c'est un diminutif de Théodose ou Théodore, ou bien c'est un surnom dérivé de l'araméen "mamelle" : Thaddée serait l'homme à la poitrine développée. Simon le zélote se distingue ainsi du premier Simon. Les zélotes constituaient plus un parti politique qu'une secte religieuse. Ils se caractérisaient spécialement comme un mouvement de résistance armée à l'occupation romaine. Ils furent certainement les instigateurs de la guerre juive, et leur dernière place forte, Massada, tomba en 74. La présence d'un zélote dans l'entourage immédiat de Jésus a permis à certains de penser que Jésus lui-même était sympathisant de ce courant politico-religieux. Mais cette hypothèse tombe devant le fait que Jésus parle d'un Royaume de Dieu qui doit arriver à l'improviste et non pas sous le fait d'une intervention des hommes. Il n'empêche que Jésus connut la mort de la plupart des résistants juifs à l'occupant romain. Judas Iscarioth : l'homme de Kérioth (isch, en hébreu, désigne l'homme). Il est celui-là même qui le livra, l'indication du temps passé souligne le fait d'une lecture post-pascale.

La liste des douze s'achève ainsi en contraste avec son point de départ : à l'initiative de Jésus correspond la perfidie de la part d'un disciple.

3. Jésus et Béelzéboul - La vraie parenté de Jésus

L'ensemble des versets 20 à 35 est composé de deux épisodes emboîtés l'un dans l'autre. C'est un procédé fréquent chez Marc pour mettre en valeur soit une parole, soit une idée. Dans le cas présent, ce qui est mis en relief, c'est le caractère de la sainteté de l'autorité de Jésus. Deux thèmes sont alors exploités : le combat de Jésus contre Satan et la puissance de Jésus.

(a) la vraie parenté de Jésus

Arrivent sa mère et ses frères.

Jésus vient à la maison

et de nouveau

la foule                                                            

se rassemble,                                                

à tel point qu'ils ne pouvaient

même pas prendre leur repas.

A cette nouvelle les gens de sa parenté vinrent

pour s'emparer de lui.

Car ils disaient : il a perdu la tête.

Restant dehors, ils le firent appeler.

 

La foule

était assise autour de lui.

 

 

 

On lui dit : Voici que ta mère et tes frères

sont dehors, ils te cherchent.

 

Il leur répond :

Qui sont ma mère et mes frères ?

Et parcourant du regard

ceux qui étaient assis 

en cercle autour de lui, il dit :

Voici ma mère et mes frères.

Quiconque fait la volonté de Dieu,

voilà mon frère, ma sœur, ma mère

 

Les deux épisodes concernant la famille de Jésus sont coupés par une discussion avec des scribes venus de Jérusalem. Sa parenté, comme les autorités de Jérusalem, a entendu parler des événements de Capharnaüm. Les réactions des uns et des autres se ressemblent : il faut faire cesse l'activité de Jésus. Aux yeux de sa parenté, il se laisse emporter par ses dons de guérisseur, il perd la tête. Aussi sa famille veut-elle le ramener à la raison. Déjà, une première fois, Marie avait pu le ramener à la raison, lors d'un pèlerinage à Jérusalem, à l'occasion de la Pâque (cf. Lc. 2, 41-51), il était revenu à Nazareth pour reprendre la vie des jeunes de son âge. Cette fois encore, il pourrait bien se soumettre...

La piété chrétienne répugne quelque peu à admettre que Marie ait ajouté foi aux rumeurs malveillantes concernant son Fils. D'ailleurs, certains manuscrits anciens ne mentionnent pas la mère de Jésus. On y lit "les frères et les sœurs". Mais sans affirmer que Marie accordait crédit à toutes les rumeurs qui pouvaient circuler sur Jésus, il est permis de penser qu'elle voulait se rendre compte par elle-même de la situation dans laquelle se trouvait Jésus. De plus, il faudrait justifier la mention des "frères et sœurs". En hébreu, le même terme désigne indistinctement les frères et les cousins... Et Jésus va même étendre ce concept de fraternité à l'infini. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est frère de Jésus. Rien n'empêche de penser qu'après cette parole, Jésus soit sorti de la maison pour s'entretenir avec sa famille. Peut-être est-ce même à la suite de cette conversation qu'il s'est rendu à Nazareth (Mc. 6), mais cela n'est que pure supposition...

La portée essentielle de cette intervention de la famille de Jésus, c'est de montrer que les disciples prennent le relais de la famille naturelle. Marc souligne particulièrement l'opposition qui existe entre ceux du dedans et ceux du dehors. En effet, la parole de Jésus : Qui sont ma mère, mes frères ? est tout à fait négative pour ceux qui sont restés dehors. Mais elle est un enseignement positif pour ceux qui entourent Jésus. Être assis autour de quelqu'un, chez les Juifs, c'est la position des disciples autour de leur maître. Dans cette attitude se manifeste un lien très étroit de communion entre les uns et l'autre, communion à la même pensée, à la même vie. Ici, il s'agit d'une vie spirituelle beaucoup plus profonde qu'une union selon la chair. Ainsi peut être également expliqué le fait qu'il est impossible de prendre un repas (v. 20).

Marc n'exclut pas la possibilité pour Marie et les frères de devenir disciples de Jésus. Mais il oblige au moins à penser que la foi de Marie, comme la foi de tout croyant, a dû grandir progressivement. Ce n'est pas simplement au moment de l'Incarnation que Marie a compris pleinement que son fils était le Fils de Dieu. C'est peu à peu également, en écoutant la Parole de Dieu, en accomplissant sa volonté qu'elle a grandi dans la foi en son Fils.

(b) Jésus et Béelzéboul

Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient : Il a Béelzéboul en lui, et : C'est par le chef des démons qu'il chasse les démons.

Il n'était pas possible de mettre en doute les miracles accomplis par Jésus. La question n'était pas celle de leur authenticité, mais celle de leur signification. Les habitants de Nazareth s'interrogeront aussi sur l'origine de cette puissance de Jésus (Mc. 6, 2). Pour les chrétiens aujourd'hui, la réponse va de soi : cette puissance de Jésus lui vient de son Père. Mais pour les juifs de l'époque, il y avait deux solutions possibles. Ou bien un tel pouvoir venait de Dieu, ou bien il venait du chef des démons. Et pour les autorités religieuses, c'était cette seconde hypothèse qui prévalait. Seule, la puissance du Messie aurait pu renverser la puissance des démons. Mais Marc a déjà fait comprendre à son lecteur que Jésus est le Messie, en faisant parler les démons : De quoi te mêles-tu, Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : le Saint de Dieu (Mc. 1, 24).

Le nom du chef des démons est, dans le cas présent, Béelzéboul. L'origine de ce nom est très discutée. Il peut s'agir du dieu d'Ekron, qui est mentionné au deuxième livre des Rois (2 R. 1, 2) ou bien du Seigneur (Baal, chez les peuples cananéens) du fumier (c'est par ce terme que le culte des idoles est désigné dans le judaïsme), ou bien encore du Seigneur des mouches...

Il les fit venir et il leur disait en paraboles. C'est la première mention de ce terme chez Marc. Une parabole est un récit imagé derrière lequel se trouve un enseignement. Mais celui-ci ne peut être compris que par ceux du dedans...

- la parabole du Royaume (de la famille) divisé(e)

Comment Satan peut-il expulser Satan ?

Si un royaume                                          

est divisé contre lui-même,                      

ce royaume                                                

ne peut se maintenir.      

 

Si une famille

est divisée contre elle-même

cette famille

ne pourra pas tenir.

Et si Satan est dressé contre lui-même,

il ne peut pas tenir,

c'en est fini de lui.

 

Par deux images parallèles, Jésus invite ses interlocuteurs à discerner dans les exorcismes la valeur de signe de la venue du Royaume de Dieu. L'argumentation de Jésus suppose que le prince des démons, appelé par son nom plus courant de Satan, est trop malin pour ruiner lui-même son empire. Si le royaume de Satan est divisé, il ne va pas tarder à s'effondre, comme une maison aux murs lézardés ou comme un royaume en proie à la guerre civile. Satan ne peut donc expulser les siens, sans risque de se perdre

- la parabole de l'homme fort

Mais personne ne peut entrer dans la maison de l'homme fort et piller ses biens, s'il n'a pas d'abord ligoté l'homme fort, alors il pillera sa maison.

Jésus décrit ici un cambriolage, tout en se présentant lui-même comme le cambrioleur. C'est lui qui surprend l'homme fort (Satan) dans sa propre maison. Le plus fort, c'est celui qui peut ligoter l'homme prétendu fort et piller ses biens. Cette courte parabole possède une double pointe de signification : le Royaume de Dieu vient comme un voleur, mais cela ne se fait pas sans combats violents...

- le péché irrémissible

En vérité, je vous déclare que tout sera pardonné aux fils des hommes, les péchés et les blasphèmes, aussi nombreux qu'ils en auront proférés. Mais si quelqu'un blasphème contre l'Esprit-Saint, il reste sans pardon à jamais, il est coupable de péché pour toujours. Cela parce qu'ils disaient : Il a un esprit impur.

Après avoir réfuté ses adversaires, les scribes venus de Jérusalem, Jésus leur adresse un avertissement solennel. Pour en souligner la gravité, il l'introduit par la formule des grandes occasions : Amen ! En vérité. C'est la transcription littérale du terme araméen qui sert à approuver ce qui a été dit auparavant. L'emploi du terme par Jésus lui sert, non pas à approuver la parole d'un autre, mais à annoncer une parole particulièrement importante. Il s'agira alors pour ses auditeurs de prendre parti.

Tout sera pardonné

aux fils des hommes,

les péchés

et les blasphèmes,

aussi nombreux

qu'ils en auront proférés.

 

Il a un esprit impur.

Cela parce qu'ils disaient :

il est coupable de péché pour toujours.

il reste sans pardon à jamais

 

blasphème contre l'Esprit-Saint

Mais si quelqu'un

 

Tous les péchés seront pardonnés aux hommes, tous sauf un : le blasphème contre l'Esprit Saint. On peut s'interroger longuement sur la nature de ce péché. La première évidence, soulignée par cette courte phrase, c'est qu'il s'agit d'un péché d'homme : le quelqu'un qui blasphème contre l'Esprit est mis en parallèles avec les "fils des hommes". La seconde évidence est soulignée par Marc : Cela parce qu'ils disaient.... Ce n'est donc pas n'importe qui qui peut commettre ce blasphème contre l'Esprit. D'après le contexte immédiat, ce blasphème consiste à constater l'existence de signes inexplicables par la raison humaine et de refuser d'attribuer la puissance de ce signe à Dieu pour l'accorder à Satan. C'est se fermer définitivement au salut offert par Dieu. Si on refuse de croire en Jésus en donnant à une possession satanique l'origine de son autorité sur les démons, alors on s'exclut soi-même du salut.

4. La parabole du semeur et son explication

Jésus enseigne la foule sur les bords du lac. L'affluence est si grande qu'il est obligé de se retirer dans une barque sur le lac. Il enseigne la foule en paraboles, et il donne les explications nécessaires à ses disciples

 

De nouveau, Jésus se mit à enseigner au bord de la mer. Une foule se rassemble près de lui si nombreuse qu'il monte s'asseoir dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre, face à la mer. Et il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles. Il leur disait dans son enseignement : Écoutez.

Voici que le semeur est sorti pour semer.          

Or, comme il semait,

du grain est tombé

au bord du chemin,  

les oiseaux sont venus 

et ont tout mangé.

De même              

Il en est tombé aussi                    

dans un endroit pierreux,                         

où il n'y avait pas beaucoup de terre,   

il a aussitôt levé                 

parce qu'il n'y avait pas

de terre en profondeur,           

quand le soleil fut monté,

il a été brûlé,

et faute de racines,

il a séché.

Il en est tombé aussi      

dans les épines,

les épines ont monté,        

                                                                                       

elles l'ont étouffé                        

et il n'a pas donné de fruit.

 

 

D'autres grains   sont tombés                       

dans la bonne terre     

et, montant        

et se développant,            

ils donnaient du fruit,                                                    

trente pour un,

soixante pour un,

cent pour un.

Et Jésus disait :

qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !

 

le semeur

sème la Parole.

Voilà ceux qui sont

au bord du chemin où la Parole est semée,

quand ils ont entendu,

Satan vient aussitôt

et il enlève la Parole qui a été semée en eux.

voilà

ceux qui sont ensemencés

dans des endroits pierreux,

ceux-là

quand ils entendent la Parole,

la reçoivent aussitôt avec joie,

mais ils n'ont pas en eux de racines, 

ils sont les hommes d'un moment,

et dès que vient la détresse ou la persécution

à cause de la Parole,

ils tombent.

D'autres sont ensemencés

dans les épines,

ce sont ceux qui ont entendu la Parole,

mais les soucis du monde,

la séduction des richesses et les autres convoitises

s'introduisent et étouffent la Parole

qui reste sans fruit.

Et voici ceux qui sont ensemencés

dans la bonne terre,

ceux-là entendent la Parole,

ils l'accueillent

et portent du fruit, et ils ont rapporté

trente pour un,

soixante pour un,

cent pour un.

Le parallélisme entre la parabole et son explication est entièrement explicite par lui-même. Toutefois, il convient de noter un déplacement entre le texte de la parabole et celui de son explication.

En effet, la parabole parle du grain tandis que son application parle de terrains. Comment justifier ce changement de perspective ? Peut-être simplement en constatant que cette explication est mise dans la bouche de Jésus, alors qu'elle est, en fait, l'oeuvre de l'Église primitive : c'est une interprétation nouvelle de la parole de Jésus.

Dans la parabole même, l'intérêt est porté sur la fécondité de la semence : l'avenir du Royaume était assuré, il allait croître jusqu'à la moisson. Dans l'explication, l'intérêt est porté sur les dispositions des auditeurs de la Parole. C'est le signe que la communauté s'interroge : la venue du Royaume rencontre bien des difficultés. Ainsi, on trouve une allusion aux persécutions que subissent les disciples, ce qui n'était pas le cas au temps de Jésus. De la sorte, en passant du registre de la parabole à celui de son explication, on passe du temps même de Jésus à celui de l'Église qui prend le relais du Maître, et la parole de la communauté devient la parole même du Maître.

La parabole était claire en elle-même. Le semeur, c'est Jésus qui est sorti pour semer la Parole : le Royaume de Dieu est tout proche. Il en sera du Royaume comme du grain semé. Du grain sera perdu à cause des oiseaux, des cailloux, des épines, mais tout ne sera pas perdu. Le Royaume ne cessera de croître jusqu'à la moisson qui dépassera toutes les espérances, car rien n'est impossible à Dieu. Mais l'explication se pose en contradiction avec la parabole : tout est possible à l'homme, même de refuser la Parole.

5. Le pourquoi des paraboles

Bien que la parabole du semeur soit claire par elle-même, Marc éprouve le besoin de donner des explications. La première, celle des versets 10 à 13, s'y raccorde assez mal.

Quand Jésus fut à l'écart, ceux qui l'entouraient avec les douze se mirent à l'interroger sur les paraboles. Il leur disait : A vous, le mystère du Règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors, tout devient énigme pour que, tout en regardant, ils ne voient pas et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il leur soit pardonné. Et il leur dit : Vous ne comprenez pas cette parabole ! Alors, comment comprendrez-vous toutes les paraboles ?

La question des disciples et la réponse de Jésus semblent placées ici par anticipation. En effet, tout au long du chapitre 4 de l'évangile, Jésus enseigne la foule sans quitter la barque, alors que ces quelques versets réclament un autre cadre : Jésus est à l'écart de la foule, entouré des douze et d'un certain nombre d'autres disciples. Marc va donner à ses lecteurs sa façon de comprendre le pourquoi des paraboles, en tenant compte des échecs de la prédication de Jésus en milieu juif, en tenant compte également des premières communautés qui n'avaient pas connu Jésus directement. C'est aux disciples seulement qu'il est donné de saisir le sens des paraboles.

Pour comprendre, pour entrer dans le mystère du Royaume de Dieu, la foi est une condition indispensable : il faut croire pour comprendre, il faut être du dedans pour saisir le mystère. Il s'agit de déchiffrer les signes du Royaume. Les événements du monde sont les signes de Dieu, des paroles que les chrétiens doivent déchiffrer. Les juifs ont perçu les signes, mais ils n'ont pas découvert la clef, tout leur est resté comme une énigme. Marc, en utilisant un texte du prophète Esaïe, justifie l’aspect de l'ignorance du peuple juif dans son ensemble. Certains se sont convertis, mais les autres, tout en regardant les événements (destruction du Temple, ruine de Jérusalem, fin de tout culte, dispersion de la nation) ne se sont pas convertis... Le Royaume est offert à tous les hommes, mais il faut que chaque homme prenne une libre décision.

Toutes les paraboles vont alors illustrer deux thèmes : la puissance de l'évangile et la responsabilité de l'homme à l'égard de l'évangile. L'explication de la parabole du semeur en est le premier exemple. La Parole de Dieu est puissante en elle-même, mais si l'homme (c'est-à-dire le terrain) refuse de la recevoir, cette Parole ne peut pas porter de fruit.

6. La lampe et la mesure

Il leur disait : Est-ce que la lampe arrive pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N'est-ce pas pour être mise sur son support ? Car il n'y a rien de secret qui ne doive être mis au jour, et rien de caché qui ne doive venir au grand jour. Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende ! Il leur disait : Faites attention à ce que vous entendez. C'est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous et il vous sera donné plus encore.

Ces deux paraboles illustrent le thème de la puissance de l'évangile qui sera manifesté au grand jour : la lumière est arrivée, le secret (messianique) de l'évangile va être éclairé. Elles illustrent également le thème de la responsabilité de l'homme en face de l'évangile. D'une part, il y a une relative sécurité : le succès de la Parole de Dieu ne dépend pas des hommes, elle brille par elle-même, elle est lumière pour toute l'humanité. Mais, d'autre part, cette lumière installe les hommes dans l'insécurité : la mesure de l'homme sera la mesure de Dieu : Car à celui qui a, il sera donné, et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. Cette parole de Jésus est citée à plusieurs reprises par les évangélistes :

A vous, il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, tandis qu'à ceux-là, ce n'est pas donné. Car à celui qui a, il sera donné et il sera dans la surabondance, mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré (Mt. 13, 11-12).

Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, il sera donné et il sera dans la surabondance, mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré (Mt. 25, 28-29).

Faites donc attention à la manière dont vous écoutez. Car à celui qui a, il sera donné, et à celui qui n'a pas, même ce qu'il croit avoir lui sera retiré (Lc. 8, 18).

Je vous le dis : à tout homme qui a, il sera donné, mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré (Lc. 19, 26).

Jésus semble utiliser un proverbe déjà courant à son époque : on ne prête qu'aux riches ! La pleine révélation du Royaume de Dieu ne peut être faite qu'aux hommes qui se disposent à le recevoir. A qui n'a pas le moindre germe, la Parole ne profitera pas, alors que celui qui possède ces germes, il sera donné la pleine lumière.

7. La semence qui pousse d'elle-même

Il disait : Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui jette la semence en terre. Qu'il dorme ou qu'il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D'elle-même, la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin du blé plein l'épi. Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c'est le temps de la moisson.

La formule d'introduction pourrait prêter à confusion : Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme... Ce n'est pas à un homme qu'est comparé le Royaume. Il faut attendre la fin de la parabole pour comprendre ce que sera le Royaume, il sera comme une moisson : sa venue sera comparable à ce qui se passe au moment de la moisson. Le temps des semailles n'est qu'un préliminaire. L'attention est portée sur la croissance de la semence. Après les semailles, le paysan reprend son existence ordinaire, sans se soucier de la semence qu'il a jetée en terre, il n'a rien d'autre à faire dans son champ, tout se passe sans qu'on ait besoin de lui. Le moment de la moisson, c'est le moment du jugement. L'intervention eschatologique (à la fin des temps) de Dieu sera celle du moissonneur : il lancera la faucille comme l'indiquait déjà le prophète Joël : Brandissez la faucille, la moisson est mûre... Le Jour du Seigneur est proche dans le val de la Décision (Jl. 4, 13-14).

Le Royaume est présenté comme une moisson, mais le paysan représente Dieu. La parabole laisse à penser que Dieu n'intervient plus. Il laisse les choses aller leur cours, il semble se désintéresser de ce qui se passe dans le monde. De même que le grain croît de lui-même, de même le Royaume, inauguré par la prédication de Jésus (cf. : "Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu) va croître jusqu'à la pleine maturité. De la même façon que le grain, l'évangile porte en lui son principe et sa puissance de développement.

8. La graine de moutarde

Il disait : A quoi allons-nous comparer le Royaume de Dieu, ou par quelle parabole allons-nous le représenter ? C'est comme une graine de moutarde. Quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences du monde. Mais quand on l'a semée, elle monte et devient plus grande que toutes les plantes potagères, et elle pousse de grandes branches si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leurs nids à son ombre.

Une fois encore, il importe de regarder la finale pour saisir la portée de la parabole. Marc place un nouvel accent sur la construction du Royaume, en établissant un contraste entre la graine de moutarde qui est la plus petite de toutes les semences et l'état final de cette semence qui devient un arbre immense. Il faudrait noter la distinction entre les verbes : quand on l'a semée (passé), elle monte et devient plus grande (présent). Les semailles sont le fait passé, la croissance a lieu dans le présent. La petitesse initiale permet de souligner le contraste entre l'état primitif et l'état final.

L'image du grand arbre indique que le Royaume est en construction. L'expression "les oiseaux s'abritent dans ses branches" rappelle le songe de Nabuchodonosor : Cet arbre sous lequel demeuraient les bêtes des champs et dans le feuillages duquel nichaient les oiseaux du ciel, c'est toi, ô roi (Dan. 4, 9...18). Cette image est traditionnelle dans la Bible. Le pharaon est décrit sous les traits d'un cèdre magnifique (Ez. 31, 6). Un roi puissant est comme un arbre qui assure la sécurité à ceux qui viennent se réfugier sous son feuillage. Toutefois, l'attention porte davantage sur la magnificence du Royaume à venir que sur la personne et l'autorité du roi lui-même : l'arbre, ce n'est plus le roi, mais l'état de choses qui prévaudra quand Dieu établira son Royaume dans le monde. Le contraste joue entre la modestie de la prédication de l'évangile par Jésus (le point de départ est vraiment insignifiant) et le déploiement de la puissance au moment de l'avènement du Royaume.

Mais il convient de ne pas se faire illusion : Dieu lui-même est à l'oeuvre dans la modestie. Ce qu'il y a de plus grand doit sortir de ce qu'il y a de plus petit. La prédication de Jésus est la première intervention de Dieu, la première étape en vue de l'établissement futur. Il faut prendre conscience du moment où l'on se trouve. Le processus de croissance est commencé, l'eschatologie est inaugurée. Il ne faut plus revenir au temps des semailles, l'enseignement du Christ est achevé, maintenant c'est l'oeuvre de l'Église qui permet de poursuivre la croissance.

Malgré les échecs répétés de la semence (tels qu'ils sont présentés dans la parabole du semeur), la minuscule semence mise en terre par Jésus se développe toute seule. La Parole, dont les disciples vont être chargés, produira du fruit : les échecs répétés ne vont pas empêcher la Parole de croître et de manifester son efficacité pleine et entière.

9. L'enseignement en paraboles

Par de nombreuses paraboles de ce genre, il leur annonçait la Parole dans la mesure où ils étaient capables de l'entendre. Il ne leur parlait pas sans paraboles, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.

A première vue, la conclusion de ce discours en paraboles ne pose pas de problèmes : Jésus annonce aux foules qui le suivent dans la mesure où elles peuvent comprendre son enseignement. Les paraboles seraient ainsi un moyen de se faire comprendre plus facilement par ceux qui l'écoutent. Et pour ses disciples, Jésus réserve un enseignement complémentaire.

Mais Marc achève également le thème introduit précédemment de la distinction entre ceux du dehors et ceux du dedans. Alors, le sens des paraboles prend une autre tournure : ce n'est plus un langage imagé pour se faire comprendre, mais c'est un langage chiffré, un code qui ne peut être compris que par les disciples qui en reçoivent la clé lorsqu'ils sont seuls avec Jésus. Le mystère du Royaume de Dieu n'est pas donné à ceux du dehors, c'est pourquoi Jésus ne parle pas sans paraboles.

La théorie des paraboles s'achève ainsi, elle n'est d'ailleurs qu'une illustration de la théorie du secret messianique. Il faudrait alors se replacer dans le contexte de l'époque où Marc rédige son évangile. A ce moment, un fait s'impose : le peuple juif, dans son ensemble, n'a pas reçu l'évangile. La mission de Jésus auprès de son peuple ressemble étrangement à un échec. Cela peut s'expliquer de deux façons, ou bien le plan de Dieu a échoué, ou bien la mission de Jésus ne venait pas de Dieu. Cette double objection est redoutable pour les premiers chrétiens. Et Marc va répondre en citant le prophète Esaïe : tout en regardant, ils ne voient pas et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il leur soit pardonné, du verset 12. Ainsi, Jésus parle en paraboles à l'intention de la foule et de ses adversaires : il ne doit pas se faire comprendre par eux. Mais le danger est alors grand de transformer l'enseignement de Jésus en parfait ésotérisme, puisque l'interprétation n'est réservée qu'à quelques privilégiés. Et Marc corrige cette interprétation de l'enseignement en paraboles, il précise que les disciples ont la mission de faire connaître le secret qu'ils ont reçu. Leur mission est une révélation de ce qui est caché et qui doit venir au grand jour.

Par toutes ces remarques sur l'enseignement en paraboles, on découvre facilement que la prédication de l'évangile est très engagée dans les problèmes contemporains à la rédaction martienne, et donc qu'elle est très engagée dans les problèmes de l'époque de la construction de l'Église

Le témoin véritable, le vrai disciple, ce n'est pas celui qui répète, de façon mécanique, les paraboles, mais celui qui en donne le sens, la portée profonde, en réponse aux exigences de son époque et en réponse à l'attente des hommes de son temps.

10. La tempête apaisée

Ce qui doit retenir l'attention dans le récit de la tempête apaisée, ce sont davantage les thèmes spirituels évoqués que le miracle lui-même. D'ailleurs, Marc, contrairement à son habitude, insiste très peu sur le phénomène, à tel point qu'il serait possible de se demander s'il y a eu un phénomène miraculeux authentique ou simplement un heureux concours de circonstances, dont Jésus se contente de tirer la signification. En effet, Jésus a toujours refusé d'accomplir des miracles qui renverseraient l'ordre cosmique.

Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit : Passons sur l'autre rive. Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus dans la barque où il se trouvait et il y avait d'autres barques avec lui. Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se jetaient sur la barque, au point que déjà la barque se remplissait. Et lui, à l'arrière, sur le coussin, dormait. Ils le réveillent et lui disent : Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : Silence ! Tais-toi ! Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus dit : Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n'avez pas encore de foi ? Ils furent saisis d'une grande crainte, et ils se disaient entre eux : Qui donc est-il pour que même le vent et la mer lui obéissent ?

Marc rapporte donc ce récit à la suite de la journée des paraboles. Le même soir, Jésus s'embarque pour aller de l'autre côté de la mer. A première vue, il existe un lien chronologique étroit entre cet épisode et le chapitre des paraboles. Jésus enseigne au bord de la mer de Galilée, et une foule très nombreuse s'est rassemblée autour de lui.

Le soir venu, il passe de l'autre côté. Et l'on comprend pourquoi Jésus s'endort : il est harassé. Marc a rattaché ce récit par une simple suture chronologique : Ce jour-là, le soir venu... Ce lien est propre à Marc, on ne le retrouve pas chez les autres synoptiques.

A proprement parler, l'enseignement en paraboles ne donne aucune lumière particulière à ce récit. Toutefois, on pourrait rapprocher le sommeil de Jésus dans la barque du sommeil du paysan (v. 27). Dans les conflits qui naissent dans et autour de l'Église, souvent symbolisée par la barque de Pierre, Jésus semble dormir, ne pas se soucier de toute cette agitation. Ce texte est un excellent exemple des qualités de conteur de Marc. Il est vivant et visuel, il joue sur les contrastes pour augmenter l'intensité dramatique. Trois contrastes peuvent être repérés :

- la barque submergée par les flots - le sommeil tranquille de Jésus

- l'affolement des disciples - la majesté de Jésus-Maître

- le grand vent - le grand calme

 

Survient

un grand tourbillon de vent.

Les vagues se jetaient      

sur la barque,                  

au point que déjà

la barque se remplissait.

Ils le réveillent       

et lui disent :

Maître,                    

cela ne te fait rien      

que nous périssions ?

Réveillé,

il menaça le vent        

et dit à la mer :  

Silence ! Tais-toi !

                               

 

Et lui, à l'arrière,

sur le coussin,

 

dormait.

Ils furent saisis

d'une grande crainte, et

ils se disaient entre eux :

Qui donc est-il

pour que même le vent et

et la mer lui obéissent ?

 

Le vent tomba,

et il se fit un grand calme.

 

                               

 

Jésus leur dit :

Pourquoi avez-vous si peur ?

Vous n'avez pas encore de foi ?

 

 

La parole de Jésus : Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n'avez pas encore de foi ? ne trouve pas de correspondance auprès des autres phrases. Cela s'explique par le fait que Marc, même s'il est un bon conteur, est avant tout un catéchète. Et de ce fait, il insiste moins sur le miracle proprement dit que sur la qualité de la foi, sur sa nécessité en tant qu'elle peut être une confiance.

En manquant de confiance en Dieu, alors que le sommeil de Jésus aurait dû leur inspirer cette confiance, les disciples oublient leur foi en Dieu qui veille sur ses enfants. Dès lors, le sommeil de Jésus peut s'expliquer d'une autre façon que par la fatigue d'une journée de prédication. Il illustre la confiance que l'homme peut avoir en Dieu : Jésus, par son sommeil, invite les disciples effrayés à découvrir la présence de Celui qui peut tout, jusqu'à gouverner sur les éléments de la création. Et cette puissance sur les éléments est une manifestation de l'action divine en Jésus. Seulement, les disciples ne peuvent pas encore comprendre. En effet, pour eux, qui sont de vrais juifs, il est impossible d'attribuer la divinité à ce Jésus. Adorer un homme est inconcevable pour un juif authentique... Mais à l'époque de la rédaction de l'évangile, les choses ont changé. L'Église se constitue progressivement et la question que les disciples se posent : "Quel est donc cet homme ?" prend un autre sens qu'au moment précis de l'événement. Selon la conception biblique, Dieu seul peut commander à la mer, c'est lui seul qui fait le partage des eaux, c'est lui seul qui peut exorciser la puissance infernale de l'abîme. Jésus manifeste sa divinité et pourtant ses disciples ne peuvent pas comprendre, ne peuvent pas l'admettre sans être infidèles à la foi monothéiste. La question ne cesse de se poser : "Qui donc est-il ?"

11. Guérison d'un démoniaque dans la Décapole

Ils arrivent de l'autre côté de la mer, au pays de Géraséniens. Comme il descendait de la barque, un homme possédé d'un esprit impur vint aussitôt à sa rencontre, sortant des tombeaux. Il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. Car il avait été souvent lié avec des entraves et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les entraves, et personne n'avait la force de le maîtriser. Nuit et jour, il était sans cesse dans les tombeaux et les montagnes, poussant des cris et se déchirant avec des pierres. Voyant Jésus de loin, il courut et se prosterna devant lui. D'une voix forte, il crie : De quoi te mêles-tu, Jésus, Fils du Dieu Très Haut ? Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas. Car Jésus lui disait : Sors de cet homme, esprit impur ! Il l'interrogeait : Quel est ton nom ? Il lui répond : Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux. Et il le suppliait avec insistance de ne pas l'envoyer hors du pays. Or, il y avait du côté de la montagne un grand troupeau de porcs en train de paître. Les esprits impurs supplièrent Jésus en disant : Envoie-nous dans les porcs pour que nous entrions en eux. Il le leur permit. Et ils sortirent, entrèrent dans les porcs, et le troupeau se précipita du haut de l'escarpement dans la mer. Il y en avait environ deux mille et ils se noyaient dans la mer. Ceux qui les gardaient prirent la fuite et rapportèrent la chose dans la ville et dans les hameaux. Et les gens vinrent voir ce qui était arrivé. Ils viennent auprès de Jésus et voient le démoniaque assis, vêtu et dans son bon sens, lui qui avait eu le démon Légion. Ils furent saisis de crainte. Ceux qui avaient vu leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et à propos des porcs. Et ils se mirent à supplier Jésus de s'éloigner de leur territoire. Comme il montait dans la barque, celui qui avait été démoniaque le suppliait, demandant à être avec lui. Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit : Va dans ta maison, auprès des tiens et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fit pour toi dans sa miséricorde. L'homme s'en alla et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient dans l'étonnement.

Après avoir traversé le lac, Jésus arrive en terre païenne. La preuve est manifeste : on y élève des porcs. Chez les juifs, c'était chose impossible... Jésus se trouve donc en terre démoniaque, d'après la croyance juive. Nous sommes en terre de mission, le climat est à l'aliénation religieuse (l'homme vivait dans des tombeaux, autre signe d'impureté rituelle) et à la peur superstitieuse (il est enchaîné, mais il peut rompre ses entraves). En lisant le texte avec une attention soutenue, on découvre des invraisemblances :

- Gérasa, c'est une ville située à 50 kilomètres à vol d'oiseau du lac. C'est une bien longue distance que doivent parcourir les porcs pour aller se jeter dans la mer !

- Jésus sort de la barque et le possédé vient à sa rencontre. Cela laisse entendre que le possédé se tient sur la rive. Or il voit Jésus de loin et il court vers lui...

- L'homme est possédé par un esprit impur, puis on annonce que cet esprit est Légion, car "nous sommes nombreux", et la légion est grande : 2000 porcs !

- Le récit se termine avec deux conclusions. D'une part, les gardiens annoncent la nouvelle du "suicide" des porcs, et les gens de la ville demandent à Jésus de quitter les lieux. D'autre part, celui qui avait été possédé part en ville annoncer sa guérison, sans faire mention de l'épisode des porcs.

A partir de ces remarques, il est possible de découvrir que deux récits ont été juxtaposés :

(a) un exorcisme de possédé

Ils arrivent de l'autre côté de la mer, au pays de Géraséniens. Comme il descendait de la barque, un homme possédé d'un esprit impur vint aussitôt à sa à sa rencontre, sortant des tombeaux. Il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. Car il avait été souvent lié avec des entraves et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les entraves, et personne n'avait la force de le maîtriser. Voyant Jésus de loin, il courut et se prosterna devant lui. D'une voix forte, il crie : De quoi te mêles-tu, Jésus, Fils du Dieu Très Haut ? Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas. Car Jésus lui disait : Sors de cet homme, esprit impur ! (Et l'esprit impur sortit). Comme il (Jésus) montait dans la barque, celui qui avait été démoniaque le suppliait, demandant à être avec lui. Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit : Va dans ta maison, auprès des tiens et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. L'homme s'en alla et se mit à proclamer dan la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient dans l'étonnement.

(b) une histoire de porcs

A ce récit, qui doit être le plus primitif est venu se greffer un autre épisode : la noyade accidentelle d'un troupeau de porcs dans le lac de Tibériade. Il est alors possible de reconstituer un second récit, incluant cette histoire :

Ils arrivent de l'autre côté de la mer, au pays de Géraséniens. Comme il descendait de la barque, un homme possédé d'un esprit impur vint aussitôt à sa rencontre, sortant des tombeaux. Il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. Voyant Jésus de loin, il courut et se prosterna devant lui. D'une voix forte, il crie : De quoi te mêles-tu, Jésus, Fils du Dieu Très Haut ? Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas. Et il le suppliait avec insistance de ne pas l'envoyer hors du pays. Or, il y avait du côté de la montagne un grand troupeau de porcs en train de paître. Les esprits impurs supplièrent Jésus en disant : Envoie-nous dans les porcs pour que nous entrions en eux. Il le leur permit. Et ils sortirent, entrèrent dans les porcs, et le troupeau se précipita du haut de l'escarpement dans la mer. Il y en avait environ deux mille et ils se noyaient dans la mer. Ceux qui les gardaient prirent la fuite et rapportèrent la chose dans la ville et dans les hameaux. Et les gens vinrent voir ce qui était arrivé. Ils viennent auprès de Jésus. Ils furent saisis de crainte. Ceux qui avaient vu leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et à propos des porcs. Et ils se mirent à supplier Jésus de s'éloigner de leur territoire.

En fusionnant ces deux récits, Marc a ajouté un verset de liaison : "Il l'interrogeait : Quel est ton nom ? Il lui répond : Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux". Marc ajoute également quelques détails concernant la situation du possédé :

- avant l'exorcisme :

Nuit et jour, il était sans cesse dans les tombeaux et les montagnes, poussant des cris et se déchirant avec des pierres.

- après l'exorcisme :

le démoniaque assis, vêtu et dans son bon sens, lui qui avait eu le démon Légion.

Ces quelques traits redonnent une vision synthétique à l'ensemble du récit, signifiant ainsi que Jésus seul (puisque les foules sont restées de l'autre côté du lac et que les disciples eux-mêmes sont totalement évacués de la scène) peut faire face au déchaînement des forces de Satan dans le monde. La première parole du possédé est riche de sens : "De quoi te mêles-tu ?" littéralement : qu'est-ce qu'il y a entre toi et moi ? Il n'y a rien de commun entre le possédé et Jésus qui va dompter Satan et sa légion (c'est-à-dire 5 à 6000 hommes) en les enfermant dans les cochons, en les envoyant dans le lac, dans la mer qui est le symbole du monde du mal. Ce monde de la mer impressionne beaucoup les juifs, à tel point que dans l'Apocalypse, quand viendront les cieux nouveaux et la terre nouvelle, il n'y aura plus de mer (Ap. 21, 1). La pointe symbolique de ce récit est de reconnaître que la mer est le domaine de Satan, et puisque Satan se trouve dans le monde, Jésus doit le renvoyer dans la mer.

On peut comprendre cet exorcisme comme un passage de l'état de nature à l'état de culture. L'homme possédé vit à l'état de nature : il est libre extérieurement, puisque toutes les chaînes dont il pouvait être lié ne lui résistent pas, mais pourtant il ne cesse de se blesser, il est libre puisque personne ne peut le maîtriser. Mais cette liberté l'entraîne irrésistiblement dans le domaine de la mort : son démon est un démon de destruction, il se blesse continuellement, il fréquente les lieux de la mort, les tombeaux. Celui qui est dans l'état de nature rejoint l'état sauvage, et le civilisé, le cultivé, tente toujours de l'attacher, de le dompter.

En soulignant que personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne, et que personne n'avait la force de le maîtriser, Marc fait ressortir le fait même de l'attitude de Jésus. Il ne cherche pas à le lier comme les autres hommes. Il va le libérer sans aucune condamnation, en le touchant au plus profond de son être, en réduisant à rien celui qui faisait de lui un véritable animal, un homme réduit à l'état de nature. Jésus libère cet homme aliéné sur tous les plans : physique, mental, religieux.

Cet homme est le type même de toutes les aliénations qui empêchent l'homme d'être vraiment libre, et particulièrement de la possession démoniaque dont les signes sont évident : obsession de mort, masochisme, violence, exhibitionnisme... Et cet homme accède en quelque sorte à la culture par le fait d'être assis, vêtu, en pleine possession de son bon sens. Il est redevenu pur, alors que les esprits du mal sont rejetés dans le monde de l'impureté, puis dans celui du mal.

Les réactions des foules dans la première finale est aussi typique de toute humanité : alors qu'un malheureux a été sauvé, les gens semblent plutôt considérer la perte des 2000 porcs. Pour eux, il valait mieux garder ce troupeau et il faut que Jésus s'en aille... Dans le fond, les hommes sont effrayés par le calme : tant qu'il y a du bruit, de l'agitation, des risques, personne ne se pose de questions, mais dès que l'on touche à ce qui est plus personnel, aux possessions matérielles par exemple...

Le tumulte et le déchaînement sont considérés comme des phénomènes normaux, mais le retour au calme est complètement anormal. On ne veut pas que Dieu intervienne, alors, on chasse Jésus. Car on préfère quelques biens matériels à la sérénité et à la paix de Dieu. Les hommes sont toujours surpris quand Dieu intervient pour apporter la paix. En revanche, ceux qui sont libérés sont réellement en paix et souhaitent suivre Jésus.

Quel est donc l'enseignement transmis par Marc dans ce récit composite ? Jésus est venu apporter une immense espérance. C'est un pouvoir de libération qui s'exerce en lui. Mais jusqu'où faut-il espérer ? Ayant obtenu la libération, il n'est pas toujours évident de devenir le disciple de Jésus. La libération est celle de l'aliénation religieuse, superstitieuse, magique. Celui qui croit en Dieu doit savoir qu'il ne peut rien lui arriver de mal. Le Royaume de Dieu, même s'il est combattu en l'homme lui-même par des forces hostiles et malfaisantes, est sûr de l'emporter par la puissance de Dieu qui se révèle en Jésus-Christ.

Enfin, Jésus n'impose pas le silence au possédé guéri, rompant ainsi avec la tradition du secret messianique de Marc. C'est qu'il se trouve en terre païenne, et que la mission effective de Jésus ne dépasse pas les limites du peuple d'Israël. D'autres suivront pour porter le témoignage de la Bonne Nouvelle hors de ces frontières...

Le possédé guéri est à considérer comme le type et la figure de tous ceux qui proclameront l'Évangile hors du territoire de Palestine. Toutefois, cette prise de parole n'est pas en contradiction avec le thème du secret messianique, puisque le secret est imposé chaque fois qu'il s'agit des villes d'Israël, mais, ici, Jésus est hors des frontières. D'ailleurs, cette prédication du possédé guéri n'a d'autre suite qu'une simple admiration, qu'un simple étonnement, elle n'implique aucune conversion des habitants de la Décapole.

12. Deux miracles imbriqués

L'évangéliste fait revenir Jésus en territoire juif, où il retrouve la foule, qui était totalement absente lors de son incursion en territoire païen. Ce retour au monde juif est marqué par la résurrection de la fille d'un chef de la synagogue. Mais ce miracle est imbriqué dans un second récit qui concerne la guérison d'une femme.

Quand Jésus eut regagné en barque l'autre rive, une grande foule s'assembla près de lui. Il était au bord de la mer. Arrive l'un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie avec insistance en disant : Ma petite fille est près de mourir, viens lui imposer les mains pour qu'elle soit sauvée et qu'elle vive. Jésus s'en alla avec lui, une foule nombreuse le suivait et l'écrasait. Une femme qui souffrait d'hémorragies depuis douze ans - elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensait tout ce qu'elle possédait sans aucune amélioration, au contraire, son état avait plutôt empiré - cette femme, donc, avait appris ce qu'on disait de Jésus. Elle vint par derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait : Si j'arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. A l'instant, sa perte de sang s'arrêta, et elle ressentit en son corps qu'elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus s'aperçut qu'une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : Qui a touché mes vêtements ? Ses disciples lui disaient : Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ? Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. Alors, la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Mais il lui dit : Ma fille, ta foi t'a sauvée, va en paix et sois guérie de ton mal. Ils parlaient encore quand arrivent de chez le chef de la synagogue des gens qui disent : Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ? Mais, sans tenir compte de ces paroles, Jésus dit au chef de la synagogue : Sois sans crainte, crois seulement. Et il ne laissa personne l'accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de la synagogue. Jésus voit de l'agitation, des gens qui plurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, elle dort. Et ils se moquaient de lui. Mais il met tout le monde dehors et prend avec lui le père et la mère de l'enfant et ceux qui l'avaient accompagné. Il entre là où se trouvait l'enfant, il prend la main de l'enfant et lui dit : Talitha Qoum ! ce qui signifie : Fillette, je te le dis, réveille-toi ! Aussitôt la fillette se leva et se mit à marcher - car elle avait douze ans. Sur le coup, ils furent tous bouleversés. Et Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache, et il leur dit de donner à manger à la fillette.

(a) Guérison d'une femme.

C'est une femme souffrante, ruinée, sans doute relativement âgée, désespérée par sa maladie, rejetée par les autres, car, sans que l'évangéliste ne le dise, elle était, du fait même de son mal, dans un état continuel d'impureté rituelle. Sa foi est d'un ordre purement magique : elle considère Jésus comme un guérisseur ordinaire, il suffit de le toucher pour être guéri. Et elle veut le toucher sans se faire remarquer, car elle entraîne, par ce geste, une souillure rituelle pour lui. Le rôle joué par Jésus est aussi très signifiant. Il ne s'est pas aperçu qu'il guérissait quelqu'un, il a simplement senti une force s'échapper de lui. Le Père a fait le miracle sans que Jésus en ait une pleine connaissance. Jésus ne joue pas la comédie. S'il pose la question : "Qui a touché mes vêtements ?", c'est qu'il ne sait vraiment pas. Marc souligne un caractère particulier que les chrétiens, même encore aujourd'hui, conçoivent souvent mal : l'humanité de Jésus. Jésus a été véritablement homme, c'est-à-dire qu'il a ignoré certaines choses... La femme prend peur. Elle vient d'être surprise en flagrant délit, elle n'a pas observé la Loi, et, de plus, à l'égard d'un Maître. Mais Jésus ne la condamne pas. Au contraire, il admire et souligne la grandeur de sa foi, alors qu'elle pouvait paraître insignifiante, teintée de magie. La souffrance, lé détresse de cette femme témoignent déjà d'une foi. En appeler à Dieu pour échapper à la détresse, c'est déjà une marque de foi. De plus, Marc souligne l'importance du geste dans la foi. Le toucher sera porteur d'une grande signification dans la foi chrétienne.

(b) La fille de Jaïros rappelée à la vie.

La maladie est un grand mal, la mort en est un autre, bien plus profond. Et l'imbrication des deux récits montre que les hommes pensaient bien que Jésus avait un pouvoir sur la maladie, mais pas sur la mort : "Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ?" Le miracle n'a pas de sens pour celui qui ne croit pas, c'est le sens de la parole de Jésus au chef de la synagogue : "Sois sans crainte, crois seulement". Alors ceux qui ne croient pas à la puissance de Jésus, à son pouvoir de révéler le Père, sont exclus : ils n'entrent pas dans la maison. En lui-même, le miracle n'est pas un prodige pour faire connaître un homme particulièrement extraordinaire, c'est un signe pour faire connaître le Père. Et un tel signe est inutile pour ceux qui ne veulent pas croire.

Jésus compare la mort à un sommeil et la résurrection à l'éveil. Il indique par là que la mort est un fait bien réel, mais non pas définitif. Rappelée à la vie par un geste de la main et par une parole, la fillette est invitée à se nourrir. Mais le silence imposée par Jésus aux témoins de la scène est bien difficile à garder, étant donné le nombre de gens qui le suivaient alors. Seulement, ce signe miraculeux ne pourra être compris qu'après la résurrection de Jésus lui-même.

13. Jésus à Nazareth

Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d'étonnement, de nombreux auditeurs disaient : D'où cela lui vient-il ? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains ? N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? et ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? Et il était pour eux une occasion de chute. Jésus leur disait : Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison. Et il ne pouvait faire là aucun miracle. Pourtant, il guérit quelques malades en leur imposantl es mains. Et il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas.

Pour conclure ce développement sur l'enseignement en paraboles, Marc semble renouer avec la finale de son chapitre 3, par-dessus les deux chapitres où il enseigne à ses disciples ce qui est encore caché aux yeux des foules. Ce passage est important dans la vie de Jésus : c'est l'échec de sa prédication. Il est aussi important pour la vie de l'Église : les disciples ne doivent pas s'étonner de leurs échecs éventuels puisque leur Maître a connu lui-même cette expérience.

Tout d'abord, les gens sont dans l'étonnement : sa parole a une répercussion à l'extérieur du village comme dans leur synagogue : D'où cela lui vient-il ? Ces gens relèvent une généalogie qui porte en elle les traces du christianisme et non pas celles du judaïsme. Il est totalement impensable que des juifs aient pu faire abstraction du père de Jésus, en indiquant simplement sa mère. Cette absence de père est la manifestation d'une préoccupation de l'Église primitive. Pour Marc, Jésus a Dieu pour Père, comme Dieu est le Père des autres disciples qui sont mentionnés...

L'étonnement fait place à la réserve puis à l'incrédulité. Il faudrait écouter ce prophète qui n'est jamais qu'un enfant du pays ! Jésus devient pour eux une pierre d'achoppement, et leur incrédulité l'empêche d'accomplir des miracles. Il peut simplement guérir certains malades en leur imposant les mains. Une distinction doit être faite entre la guérison et le miracle. Le miracle est le signe de l'action de Dieu, tandis que la guérison peut venir d'un homme, d'un guérisseur quelconque. Le miracle exige toujours la foi de l'homme, tandis qu'un homme sans foi peut toujours être guéri. D'ailleurs pour certaines guérisons, le malade est amené par d'autres, sans qu'il soit question de la foi explicite des uns ou des autres, et Jésus accepte de guérir... Le miracle est porteur d'un sens qui dépasse l'intelligence humaine, mais il peut être compris dans et par la foi. Pour comprendre le miracle, il faut être "du dedans" et les habitants de Nazareth sont manifestement "du dehors". Il n'ont rien compris à l'action commencée par Jésus : Ils disaient : Il a perdu la tête (3, 21).

Conclusion : Jésus construit le Royaume

Si Jésus s'est donné à connaître par ses actions (premier développement), il s'est maintenant donné à connaître par sa parole, mais cette parole ne peut être comprise que par ceux qui acceptent de faire le pas de la foi, d'entrer "au-dedans". Dans sa réflexion, Marc indique ainsi que l'Église se constitue progressivement dans la séparation avec le judaïsme qui reste au-dehors, qui ne franchit par le seuil proposé par Jésus.