Chapitre 8.
La ruine de Jérusalem
Les prophètes l'ont annoncé : un jour viendra où Dieu jugera le monde, ils ont même décrit cette visite de Dieu en des termes dramatiques : "Il est proche le jour du Seigneur, formidable, jour de colère, ce jour-là, jour des sonneries de cors et de cris de guerre, contre les villes fortes et les tours d'angles" (So. 1, 14-16)
La prédication du Jour de YHWH était une des constantes du courant prophétique. Jean-Baptiste lui-même annonçait, non pas le jour de YHWH, mais le jugement de Dieu, jugement terrible, jugement de colère : "Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ?" (Mt. 3, 7). Or, la prédication de Jésus a pris un tour différent, au point que Jean lui-même se soit étonné et qu'il ait envoyé des messagers auprès de Jésus pour savoir s'il était bien celui qui devait venir ou s'il fallait en attendre un autre. Toutefois, Jésus, comme le Baptiste, ne cesse de prêcher la conversion, en présentant aussi un aspect dramatique, notamment dans l'évangile selon saint Matthieu qui dresse le tableau du jugement dernier. Dans un contexte quelque peu différent, Marc rapporte un discours de Jésus sur la ruine du Temple et le retour du Fils de l'homme.
1. Jésus annonce la ruine de Jérusalem
Comme Jésus s'en allait du Temple, un des disciples lui dit : Maître, regarde, quelles pierres, quelles constructions ! Jésus lui dit : Tu vois ces grandes constructions ! Il ne restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. Comme il était assis au mont des Oliviers, en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André, à l'écart, lui demandaient : Dis-nous quand cela arrivera et quel sera le signe que tout cela va finir (13, 1-4).
Les premiers versets du chapitre 13 dressent le cadre de ce discours de Jésus sur la ruine de Jérusalem. En sortant du Temple, un des disciples fait admirer cette grande construction qu'avait fait édifier le roi Hérode le Grand. Ce n'est pas la première fois que les paroles de Jésus laissent les disciples muets, tant ils sont bouleversés par la sévérité de certains de ses propos. Mais, de plus, il n'est pas possible d'entretenir une conversation sur la route, car le groupe des disciples se dirige vers le mont des Oliviers : la pente est raide, on ne peut guère parler ! Mais une fois arrivée sur les pentes de ce mont, la petite troupe prend du repos : "comme il était assis au mont des Oliviers, en face du Temple". C'est un lieu bien connu des pèlerins qui, en arrivant à cet endroit, découvraient le Jérusalem, avec en premier plan l'immense esplanade du Temple. C'est de cet endroit chargé de souvenirs pour ceux qui montaient en pèlerinage à la Ville sainte, que Jésus va entreprendre son discours de la fin des temps, en réponse à la question des disciples, Pierre, Jacques, Jean et André, qui sont précisément les premiers qu'il a appelés : "Dis-nous quand cela arrivera et quel sera le signe que tout cela va finir". Quand cela va-t-il se produire ? C'est la question que tous les hommes se posent, c'est la question qui est reprise régulièrement par les millénarismes qui annoncent la proximité de la fin des temps... A cette question, Jésus refuse de répondre ou plus exactement ne peut pas répondre, puisque c'est le Père seul, dans sa souveraine liberté, qui peut en décider, comme il le soulignera ultérieurement : "Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père" (13, 32).
2. Le commencement des douleurs
Jésus se mit à leur dire : Prenez garde que personne ne vous égare. Beaucoup viendront en prenant mon nom, ils diront : C'est moi, et ils égareront bien des gens. Quand vous entendrez parler de guerres et de rumeurs de guerres, ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin. On se dressera en effet nation contre nation et royaume contre royaume, il y aura en divers endroits des tremblements de terre, il y aura des famines, ce sera le commencement des douleurs de l'enfantement. Soyez sur vos gardes. On vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, vous serez roués de coups, vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, ils auront là un témoignage. Car il faut d'abord que l'Évangile soit annoncé à toutes les nations. Quand on vous conduira pour vous livrer, ne soyez pas inquiets à l'avance de ce que vous direz, mais ce qui vous sera donné à cette heure-là, dites-le, car ce n'est pas vous qui parlerez mais l'Esprit-Saint. Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant, les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront condamner à mort. Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui tiendra jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.
Des cataclysmes de toutes sortes ont déjà ébranlé l'histoire des hommes, d'autres peuvent encore survenir. Aussi Jésus reprend il les images retenues par les prophètes pour souligner le commencement de la fin : les guerres entre nations, les tremblements de terre, les famines... Mais tout cela ne sera qu'un commencement. Viendront aussi les persécutions, l'Église elle-même ne sera pas épargnée de la détresse universelle, de faux prophètes se lèveront pour dire qu'ils sont eux-mêmes le Fils de l'homme revenu sur terre. Des fidèles seront ébranlés, d'autres conduits devant les tribunaux par leurs propres parents, par leurs enfants, pas leur famille... Les croyants n'ont rien à craindre : l'Esprit de Dieu lui-même sera à l'oeuvre, il leur inspirera la réponse qu'il convient de donner aux hommes qui les haïssent et les poursuivent.
3. La grande détresse
Quand vous verrez l'Odieux dévastateur installé là où il ne faut pas - que le lecteur comprenne - alors, ceux qui sont en Judée, qu'ils fuient dans les montagnes, celui qui sera sur la terrasse, qu'il ne descende pas, qu'il n'entre pas dans sa maison pour emporter quelque chose, celui qui sera au champ, qu'il ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau ! Malheureuses celles qui seront enceintes et celles qui allaiteront en ces jours-là ! Priez pour que cela n'arrive pas en hiver. Car ces jours-là seront des jours de détresse comme il n'y en a pas eu de pareil depuis le commencement du monde que Dieu a créé jusqu'à maintenant et comme il n'y en aura plus. Et si le Seigneur n'avait pas abrégé ces jours, personne n'aurait la vie sauve. Mais à cause des élus qu'il a choisis, il a abrégé ces jours. Alors si quelqu'un vous dit : Vois, le Messie est ici ! Vois, il est là ! ne le croyez pas. De faux messies et de faux prophètes se lèveront et feront des signes et des prodiges pour égarer, si possible, même les élus. Vous donc, prenez garde, je vous ai prévenus de tout.
S'inspirant du prophète Daniel, même s'il ne l'exploite pas à fond, Marc dépeint la détresse du cataclysme final. Cette détresse sera atroce pour l'ensemble de l'humanité, ce sera l'abomination de la désolation. La foi des croyants ne sera pas épargnée, de faux christs, de faux prophètes se lèveront dans le but de perdre l'ensemble des croyants, et, si cela était possible, ils pourraient même conduire à leur perte les élus. Il convient de se tenir sur ses gardes, puisque les chrétiens sont prévenus de tout cela...
4. La venue du Fils de l'homme
Mais en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s'obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l'homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. Alors, il enverra les anges et, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel, il rassemblera ses élus.
Il faut donc savoir que la prédication de l'Évangile à l'ensemble de l'humanité ne se fera pas sans s'accompagner de persécutions, d'oppositions diverses, de conflits importants. Et même le monde naturel semblera se mettre de la partie pour contredire la vérité de l'évangile. Seulement, il ne faudra pas se décourager, il y aura un au-delà à toutes ces calamités, ainsi que le prophète Daniel lui-même l'avait annoncé. Après l'obscurcissement des luminaires célestes, après la chute des étoiles et l'ébranlement des puissances célestes, c'est-à-dire après un retour à la condition du monde d'avant la création, telle qu'elle est présentée dans le premier chapitre de la Genèse, après tout cela, le Fils de l'homme viendra sur les nuées du ciel pour rassembler tous les élus. Et cet avènement du Fils de l'homme, dont parlait Daniel, est aussi certain que la venue de l'été que l'on peut guetter dès le printemps.
5. La leçon du figuier
Comprenez cette comparaison empruntée au figuier : dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche. De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes. En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père.
Très souvent, la présentation de l'évangile de la fin des temps, dans la liturgie notamment, trouve une coïncidence avec la fin de l'année civile, à une période où toute la création semble, du moins dans l'hémisphère nord, courir à sa ruine à l'approche de l'hiver. Et précisément, la comparaison que présente Marc ne fait pas songer à une fin dans le monde naturel, mais plutôt à un grand renouveau. C'est l'été qui approche quand les feuilles du figuier deviennent vertes. La venue du Fils de l'homme ne doit plus être perçue par le croyant comme l'arrivée d'une nouvelle catastrophe ; au contraire, c'est le signe d'une nouvelle espérance.
Ce qu'il importe aux chrétiens de vivre, c'est l'attitude confiante de celui qui attend l'été lorsqu'il perçoit les signes précurseurs de la nature. Il s'agit donc de veiller dans la fidélité, il faut rester vigilant, éveillé, se méfier des fausses espérances, se tenir prêt sans donner prise aux illusions d'une recherche précise de l'heure et du jour de la fin.
6. Veillez
Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C'est comme un homme qui par en voyage : il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin. Craignez qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir. Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez.
Le discours eschatologique se termine par une exhortation pressante à la vigilance, qui ne s'adresse pas seulement aux quatre disciples qui ont posé la question, mais à tous ceux qui veulent suivre l'enseignement du Maître. Veiller, c'est d'abord ne pas dormir, et trois des disciples qui ont interrogé Jésus dormiront, au lieu de rester éveillés, alors que l'heure sera grave pour Jésus lui-même, alors que leur foi risquait de sombrer avec l'arrestation de Jésus. Mais il ne s'agit pas simplement de ne pas dormir, il s'agit d'être vigilant. Cette vigilance, dans le contexte chrétien, doit être eschatologique, c'est-à-dire qu'elle doit toujours être orientée vers le retour du Christ, vers l'avènement du monde nouveau : c'est une attitude vitale, qui se marque par la certitude d'avoir toujours Jésus devant soi.