Chapitre 9.

Mourir

Ce dernier développement de l'évangile selon saint Marc est entièrement centré sur la Passion de Jésus. L'affrontement aux autorités de Jérusalem a conduit les membres du clergé et leurs partisans jusqu'à l'exaspération, les événements vont se précipiter pour la perte de Jésus.

1. Complot contre Jésus

La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer. Ils disaient en effet : Pas en pleine fête, de peur qu'il n'y ait des troubles dans le peuple.

La décision est prise : l'affrontement que Jésus avait porté jusque dans la capitale ne peut avoir d'autre issue que son arrestation et sa mise à mort. Ses adversaires sont d'accord sur ce point, leur principale préoccupation est de trouver le moyen de l'arrêter sans provoquer d'émeute dans la ville, en cette période de fêtes pascales, pendant laquelle la foule est très nombreuse à Jérusalem. Puisque Jésus se trouve dans la capitale, ou dans sa proche banlieue, l'occasion est favorable, mais il n'est pas possible aux adversaires de Jésus de procéder publiquement à cette arrestation; il leur faut agir par ruse, car ils ignorent le nombre de ses partisans présents avec lui dans la ville à cette époque. La proposition de Judas Iscarioth aux grands prêtres arrivera à point nommé pour hâter les événements.

2. L'onction à Béthanie

Comme dans les autres développements de l'évangile selon Marc, on trouve pour commencer le grand thème de la Passion une préfiguration de l'ensevelissement de Jésus et pour conclure la réalisation même de cet ensevelissement.

Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu'il était à table, une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête. Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : A quoi bon perdre ainsi ce parfum ? On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d'argent et les donner aux pauvres ! Et ils s'irritaient contre elle. Mais Jésus dit : Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C'est une bonne oeuvre qu'elle vient d'accomplir à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m'avez pas pour toujours. Ce qu'elle pouvait faire, elle l'a fait d'avance, elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement. En vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l'Évangile, dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d'elle, ce qu'elle a fait.

Sans pouvoir déterminer avec précision les circonstances de sa mort, Jésus semble pressentir sa fin prochaine. Au cours d'un repas à Béthanie, il annonce son ensevelissement : une femme va poser un geste prophétique que Jésus interprétera dans le sens de sa mort.

Le simple événement suscite plusieurs interprétations dans le récit. Cette femme, qui vient verser du parfum sur la tête de Jésus, n'accomplit qu'un geste de courtoisie commun en Orient, encore aujourd'hui : elle manifeste son respect pour la personne de Jésus, le reconnaissant d'une certaine manière comme celui qui est "oint", c'est-à-dire le Christ. Les disciples, comme les autres personnes qui devaient se trouver attablés chez Sinon le lépreux, un inconnu lui aussi, ne constatent qu'un grand gaspillage, qui aurait pu être évité au profit des pauvres, imaginant peut-être manifester une plus grande fidélité à l'enseignement de Jésus. Puisque ses interlocuteurs parlent des pauvres, Jésus va rectifier une opinion couramment admise, celle de voir tous les pauvres devenir riches au moment de l'ère messianique. Même si les pauvres seront soulagés, ils seront présents. Mais, lui, Jésus, ne sera pas toujours présent au milieu d'eux. Il propose une interprétation de l’événement : "elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement". Alors que la femme pouvait donner à penser qu'elle reconnaissait la royauté de Jésus, alors que les témoins s'interrogeaient plus ou moins consciemment sur la venue des temps messianiques, Jésus pense à sa mort. Les disciples n'ont encore rien compris à l'annonce de la Bonne Nouvelle dont Jésus est à la fois le sujet et l'objet. Sans le vouloir, cette femme a posé un geste qui sera porteur de sens et de Bonne Nouvelle : le Christ, qui a reçu l'onction, doit mourir pour le salut de tous les pauvres. Par son geste, cette femme acquiert une immortalité parmi : "partout où sera proclamé Évangile, dans le monde entier" (partout où l'annonce sera faite du Christ mort et ressuscité), on se souviendra d'elle, car elle a anticipé l'ensevelissement du Seigneur.

3. Trahison de Judas

Pour suivre la trame dramatique de son récit, Marc, aussitôt après l'anticipation de l'ensevelissement de Jésus, situe l'épisode de la trahison de Judas :

Judas Iscarioth, l'un des douze, s'en alla chez les grands prêtres pour leur livrer Jésus. A cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l'argent. Et Judas cherchait comment il le livrerait au bon moment.

La tradition s'est souvent complu à noircir la mémoire de Judas. Les évangélistes en portent la responsabilité. Si Marc reste très discret sur la personnalité de Judas, il le mentionne néanmoins comme le dernier des douze, en précisant "celui-là même que le livra" (3, 19). Dernier à être appelé à faire partie des disciples privilégiés, il est aussitôt qualifié de traître. Mais il faut quand même noter que Judas n'a jamais comploté la mort de Jésus. Il ne fait pas partie de ceux qui ont condamné Jésus au supplice... A vrai dire, Marc ne s'intéresse pas au personnage de Judas, mais il réussit à montrer ce que "celui qui livra" Jésus ne pouvait absolument pas comprendre : un Messie souffrant et mourant. Comment serait-il possible à de fidèles observants de la Loi juive, comme devait l'être Judas, de découvrir dans cet homme sans grande envergure politique le Messie attendu par Israël depuis des générations ? Pourtant, il a trahi son maître, et cette trahison a été durement ressentie par les autres disciples de Jésus qui, dans leur douleur, n'ont pas pu comprendre pourquoi un de ceux qui avaient été choisis par le maître le trahissait.

Tout, dans l'évangile, laisse à croire que Jésus connaissait le désaccord qui devait l'opposer à Judas, et que le maître s'attendait, à un moment ou à un autre, à la défection du disciple. Alors que les évangélistes s'attardent à souligner sa trahison, ils ne disent rien des motifs qui ont pu le conduire. Matthieu pense que Judas agissait poussé par la cupidité, Luc et Jean estiment que le disciple a été comme possédé par Satan, ils soulignent le fait que la Passion de Jésus serait le résultat de l'œuvre démoniaque qui s'oppose à la volonté salvifique de Dieu. Habituellement, on pense que Judas était affilié au parti des zélotes, qui se révoltaient contre la puissance d'occupation pour des motifs religieux. Judas avait placé sa confiance dans la personne de Jésus, en qui il pensait avoir trouvé celui qui allait secouer la tutelle romaine, pour des motifs religieux.

Déçu par Jésus, qui refusait de se reconnaître comme celui qui devait être le libérateur messianique, de style politique, qui allait redonner à Israël toute sa dignité royale, sacerdotale et prophétique, Judas aurait alors découvert en Jésus une sorte d'imposteur qui allait empêcher la restauration d'Israël comme une puissance au milieu des autres nations, il lui fallait dénoncer nécessairement cette imposture pour la bien public de la nation juive.

Quoi qu'il en soit, les évangiles ne sont pas très explicites sur les motifs qui ont poussé Judas à agir de la sorte. Ils sont davantage sensibles au fait que Jésus est l'homme en qui peut s'opérer le salut que Dieu réserve à l'ensemble de l'humanité, ce salut s'effectuant dans l'humiliation d'un Messie crucifié, en qui toutes les Écritures seraient accomplies. Et la trahison de Judas, comme le reniement de Pierre, peut apparaître comme la mise en relief du drame que connaît Jésus aux derniers moments de sa vie. En même temps, les évangélistes adressent une sorte d'avertissement à tous ceux qui sont devenus les disciples de Jésus : eux aussi ne sont pas à l'abri d'une trahison ou d'un reniement.

La rencontre de Judas et des grands prêtres est l'épisode ultime qui clôt l'affrontement de Jésus aux autorités religieuses.

4. Préparatifs du repas pascal

Comme à l'occasion de l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, l'évangéliste veut montrer la volonté de Jésus de tout ordonner selon son intention propre, qui est nette : les consignes sont précises et ne laissent place à aucune équivoque.

Le premier jour des pains sans levains, où l'on immolait la Pâque, ses disciples lui disent : Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? Et il envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez à la ville, un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d'eau. Suivez-le, et là où il entrera dites au propriétaire : Le Maître dit : Où est ma salle où je vais manger la Pâque avec mes disciples. Et lui vous montrera la pièce du haut, vaste, garnie, toute prête, c'est là que vous ferez les préparatifs pour nous. Les disciples partirent et allèrent à la ville. Ils trouvèrent tout comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque.

Ainsi, quelques jours avant sa mort, peut-être la veille, Jésus demande à ses disciples de préparer la Pâque pour qu'il la mange avec eux. Dans tous les préparatifs de ce repas pascal, l'initiative est toujours prise par Jésus : c'est lui qui envoie ses disciples préparer la salle dans laquelle doit se dérouler le repas, comme si tout avait été organisé d'avance par ses propres soins.

Rien ne permet d'établir avec certitude la date exacte à laquelle Jésus a partagé son dernier repas avec ses disciples. Il se peut que, suivant les accords sacerdotaux pour les Galiléens, Jésus ait célébré la Pâque dans la nuit du mardi au mercredi avant d'être arrêté, jugé et crucifié dans la journée du vendredi, veille officielle de la Pâque. Selon les évangiles synoptiques, la préparation de la Cène a eu lieu l'après-midi du jour où il fallait immoler l'agneau pascal. Jésus est mort le vendredi 15 nisân, son dernier repas aurait eu lieu la veille, le jeudi 14, après 18 heures. L'immolation de l'agneau devait avoir lieu après le coucher du soleil, mais étant donné le grand nombre d'agneaux à immoler pour cette fête, elle pouvait être avancée à l'après midi de ce jour. Selon saint Jean, Jésus est le véritable Agneau pascal dont aucun os ne devait être brisé. Le repas pascal a lieu normalement le soir de la mort de Jésus, au commencement du sabbat, cette année-là. Les Galiléens, qui s'étaient déplacés de leur province, avaient la possibilité d'avancer ce repas jusqu'au mardi avant la fête. Un climat festif préside à cette célébration domestique.

5. Annonce de la trahison

Pendant le repas, qui se déroulait donc selon le climat des grandes liturgies pascales, et donc festives, Jésus annonce qu'un de ceux qui partagent son repas va le trahir. Tout se déroule dans l'évangile selon Marc comme si le plan avait été minutieusement préparé.

Le soir venu, il arrive avec les douze. Pendant qu'ils étaient à table et mangeaient, Jésus dit : En vérité, je vous le déclare, l'un de vous va me livre, un qui mange avec moi. Pris de tristesse, ils se mirent à lui dire l'un après l'autre : Serait-ce moi ? Il leur dit : C'est l'un des douze, qui plonge la main avec moi dans le plat. Car le Fils de l'homme s'en va selon ce qui est écrit de lui, mais malheureux l'homme par qui le Fils de l'homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu'il ne soit jamais né, cet homme-là !

6. Institution de l'eucharistie

Dans le récit de l'institution de l'eucharistie, Marc veut montrer que Jésus connaît aussi le sens de sa mort et qu'il l'assume pleinement.

Pendant le repas, il prit du pain, et après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit : Prenez, ceci est mon corps. Puis il prit une coupe et après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de l'alliance versé pour la multitude. En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu.

Un climat festif a présidé à la Cène. Il ne fait pas de doute que Jésus ait dit beaucoup plus de choses que ce que les évangélistes ont rapporté. Ils n'ont retenu que ce qui était nouveau, soit parce que le rituel juif était assez connu pour les chrétiens venus du judaïsme, soit parce que ce rituel n'offrait que peu d'intérêt pour les chrétiens venus du paganisme.

La fête commence par la bénédiction d'une première coupe de vin, dite coupe de Qiddush : Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, toi qui nous donnes le fruit de la vigne. Après un rite d'ablution et de purification, on mange des herbes amères (en souvenir de l'amertume de la captivité en Égypte, avant la première Pâque). C'est alors que commence la liturgie pascale proprement dite : le plus jeune interroge le père de famille ou le maître de maison sur le rituel pascal. Et le président explique : Pâque signifie passage, car Dieu est passé au milieu de son peuple en Égypte Le pain est azyme, sans levain, car les fils d'Israël sont partis, emportant la pâte qui n'avait pas eu le temps de lever, l'agneau rappelle l'agneau dont le sang avait protégé les maisons d'Israël au passage de l'exterminateur, les herbes amères rappellent l'amertume de la servitude, et l'eau salée, les larmes versées en Égypte par les fils d'Israël. Puis, on chantait des psaumes, le grand Hallel (psaumes 113 et 114), avant de bénir et de partager une seconde coupe de vin, dite coupe de haggadah. Et le repas proprement dit commence avec une bénédiction sur le pain qui est alors rompu : Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, toi qui fais produire le pain à la terre. On mange ensuite l'agneau pascal et on bénit une troisième coupe de vin, la coupe de bénédiction : Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, toi qui nourris le monde dans ta bonté, ta grâce et ta miséricorde, toi qui donnes sa nourriture à toute chair, car tu nourris et soutiens tous les êtres et tu procures leur nourritures à toutes les créatures. Béni sois-tu, Seigneur, toi qui donnes à tous la nourriture. En conclusion de ce repas, on chantait de nouveau des psaumes, la fin du grand Hallel (les psaumes 115 à 118). Après avoir chanté les psaumes d'action de grâce, comme c'était la coutume, Jésus se retire au Jardin des oliviers.

Quand on regarde les évangiles avec la structure du repas pascal juif, il est facile de constater que la Cène s'est coulée dans ce moule rituel, même si les évangélistes n'ont voulu retenir que ce qui était absolument nouveau dans la manière de procéder de Jésus.

Rite d'entrée

(Bénédiction de la coupe de Qiddush)

 

Rite d'ablution

Lavement des pieds

herbes amères

annonce de la trahison de Judas

et du reniement de Pierre

Liturgie pascale

Haggadah

(Chant du grand Hallel)

(Bénédiction de la coupe de Haggadah)

 

Discours d'adieux

Repas

Bénédiction du pain

(Manducation de l'agneau)

Coupe de bénédiction

 

 

Ceci est mon corps

 

Ceci est mon sang

Conclusion

Fin du grand Hallel

Après avoir chanté les psaumes,

ils se retirèrent au Jardin...

 

De la même manière que, dans le peuple juif, tous les repas étaient messianiques, situés dans l'espérance de la venue imminente du Royaume de Dieu par l'avènement du Messie, de même le dernier repas de Jésus a été placé dans la perspective de la venue imminente du Royaume. Rien, dans les textes eux-mêmes, ne permet de savoir si Jésus s'attendait à une mort violente à ce moment précis. Son attitude est faite de confiance envers Dieu qui interviendra pour le sauver et confirmer son message. Il ne boira plus du fruit de la vigne, il ne célébrera plus la Pâque ici-bas, puisque Dieu va intervenir en sa faveur. D'une certaine manière, Jésus sait qu'il participe déjà au banquet eschatologique, celui qui rassemblera les élus, au moment de l'avènement du Royaume de Dieu sur ce monde.

Néanmoins, les premières communautés ont fait apparaître la Cène comme une prophétie exacte de la mort sacrificielle de Jésus, en interprétant ses paroles sur le pain et le vin. En disant "Ceci est mon corps, ceci est mon sang, le sang de l'alliance, versé pour la multitude", Jésus apprend à ses disciples que le sens qu'il a donné à sa vie et qu'il continue de lui donner, c'est le don total de soi. C'est cet aspect du don que les premiers chrétiens ont retenu, en soulignant que le dernier repas de Jésus revêtait les caractéristiques d'une annonce de sa mort sacrificielle pour le salut des hommes. En partageant le pain et le vin avec ses disciples, Jésus leur fait comprendre que l'important, c'est le don, le partage. Le support qu'il donne à son geste, ce n'est pas la matière des objets partagés (le pain et le vin), c'est l'acte de les donner. Les premières communautés ont rapidement compris que l'acte de donner était inséparable de celui de se donner. Le repas du Seigneur est inséparable du sacrifice que Jésus fera de lui-même sur la croix, dans son sang répandu pour une alliance nouvelle et définitive entre Dieu et son peuple.

7. Annonce du reniement de Pierre

Si l'alliance nouvelle est plus forte que celle du Sinaï, si elle n'est pas conditionnée par l'obéissance d'un peuple - mais par celle de Jésus seul -, si elle revêt un caractère définitif, il n'en demeure pas moins vrai que ce qui compte principalement c'est l'engagement que Dieu prend vis-à-vis des hommes, qui sont libres de l'accepter ou de la refuser. Et Marc souligne l'incapacité humaine à tenir cette alliance, en encadrant son récit de l'institution de l'eucharistie par l'annonce de la trahison de Judas d'une part et par l'annonce du reniement de Pierre d'autre part.

Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers. Et Jésus leur dit : Tous, vous allez tomber, car il est écrit : Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées. Mais une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. Pierre lui dit : Même si tous tombent, eh bien, pas moi ! Jésus lui dit : En vérité, je te le déclare, toi aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois. Mais lui affirmait de plus belle : Même s'il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas. Et tous en disaient autant.

Au moment même où l'alliance nouvelle entre Dieu et les hommes prend corps, les hommes sont incapables de prendre des engagements définitifs. L'alliance nouvelle est scellée par la seule obéissance de Jésus.

8. A Gethsémani

Le dernier repas de Jésus est suivi de son agonie et de sa prière solitaire au jardin de Gethsémani. C'est sans doute à ce moment que Jésus a pu mesurer pleinement le destin qui allait être le sien. Jusqu'alors, dans la tranquillité, il manifestait sa certitude d'accomplir le dessein de Dieu sur le monde, et il va être tenté de refuser d'aller jusqu'au bout du chemin, avant d'accepter que la volonté du Père soit faite.

Ils arrivent à un domaine du nom de Gethsémani et il dit à ses disciples : Restez ici pendant que je prierai. Il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean. Et il commença à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit : Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez. Et, allant un peu plus loi, il tombait à terre et priait pour que, si possible, cette heure passât loin de lui. Il disait : Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! Il vient et les trouve en train de dormir, il dit à Pierre : Simon, tu dors ! Tu n'as pas eu la force de veiller une heure ! Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation. L'esprit est plein d'ardeur, mais la chair est faible. De nouveau, il s'éloigna et pria en répétant les mêmes paroles. Puis, de nouveau, il vint et les trouva en train de dormir, car leur yeux étaient appesantis. Et ils ne savaient que lui dire. Pour la troisième fois, il vient, il leur dit : Continuez à dormir et reposez-vous ! C'en est fait. L'heure est venue, voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici qu'est arrivé celui qui me livre.

"Et il commença à ressentir frayeur et angoisse". Jésus est effrayé devant un événement qui doit survenir et sur lequel il ne peut avoir de prise directe, un événement auquel il ne peut donner personnellement un sens. Il est dépourvu devant la mort qui approche de lui. Il est seul, car les hommes qu'il a choisis sont défaillants, l'un d'eux le trahit, l'autre va le renier, les autres dorment sans se rendre compte de l'importance de ce qui se déroule pendant leur sommeil.

Pour Jésus, c'est l'heure du rejet, l'heure de l'abandon par ceux qui l'entourent, c'est l'heure de la mort. C'est aussi l'heure où il surmonte définitivement la tentation. Dans sa prière au Père, à qui tout est possible, il demande d'écarter la coupe de souffrance. Mais il comprend quelle est la volonté du Père, il s'y abandonne avec confiance : Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux !

C'est sans doute à ce moment tragique de son existence qu'il est possible de découvrir le mieux l'expression la plus parfaite de la divinité en cet homme singulier. C'est en considérant jusqu'à quel point Jésus assume toute la vérité de la condition des hommes, dans l'angoisse devant la mort, qu'il est possible de découvrir sa manière divine d'être homme, non pas refuser d'accomplir la volonté de Dieu, mais accepter de laisser agir la puissance même de Dieu. Le dessein divin est incompréhensible, mais c'est le dessein de Dieu. Ce que Dieu veut, c'est le salut de l'homme. Jésus est écartelé, et, en prenant sa décision, en choisissant d'accomplir la volonté du Père, il indique aux hommes le sens de toute la destinée et de l'existence humaine : se retrouver dans la volonté de Dieu.

9. Arrestation de Jésus

Au même instant, comme il parlait encore, survient Judas, l'un des douze, avec une troupe armée d'épées et de bâtons qui venait de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens. Celui qui le livrait avait convenu avec eux d'un signal : Celui à qui je donnerai le baiser, avait-il dit, c'est lui ! Arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. Sitôt arrivé, il s'avance vers lui et lui dit : Rabbi. Et il lui donna un baiser. Les autres mirent la main sur lui et l'arrêtèrent. L'un de ceux qui étaient là tira l'épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l'oreille. Prenant la parole, Jésus leur dit : Comme pour un bandit, vous êtes partis avec des épées et des bâtons pour vous saisir de moi ! Chaque jour, j'étais parmi vous dans le Temple à enseigner et vous ne m'avez pas arrêté. Mais c'est pour que les Écritures soient accomplies. Et tous l'abandonnèrent et prirent la fuite. Un jeune homme le suivait, n'ayant qu'un drap sur le corps. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.

Le jardin de Gethsémani est le lieu où Jésus fut arrêté par l'ensemble de ses adversaires conduits par Judas. Ils trouvent Jésus paré à toute éventualité, tandis que des disciples, non préparés, s'enfuient et se dispersent, laissant Jésus seul aux mains de ses ennemis. Le jeune homme couvert d'un simple drap pourrait bien être Marc lui-même, qui rapporte seul cet événement qui semble autobiographique... Comme les prêtres l'avaient souhaité, l'arrestation de Jésus s'est faite à l'insu de la foule, et Jésus leur reproche de ne pas avoir osé intervenir devant la foule pendant qu'il enseignait dans le Temple.

Il fallait maintenant dépêcher le procès de Jésus, avant que ses sympathisants puissent avoir le temps de provoquer une émeute en cette période de fêtes où de nombreux fidèles étaient montés à Jérusalem pour la Pâque. Dans le récit du procès de Jésus que dressent les évangélistes, il existe deux jugements séparés, l'un devant le tribunal juif, le sanhédrin qui n'avait aucun pouvoir pour exécuter les sentences qu'il prononçait, et l'autre devant le tribunal du gouverneur romain. Chacun des deux jugements se termine par une condamnation à mort, mais chacun pour un crime différent.

10. Jésus devant le Sanhédrin

Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre. Ils s'assemblent tous, les grands prêtres, les anciens, les scribes. Pierre, de loin, l'avait suivi jusqu'à l'intérieur du palais du grand-prêtre. Il était assis avec les serviteurs et se chauffait près du feu. Or les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient contre Jésus un témoignage pour le faire condamner à mort et ils n'en trouvaient pas. Car beaucoup portaient de faux témoignages contre lui, mais les témoignages ne concordaient pas. Quelques-uns se levaient pour donner un faux témoignage contre lui en disant : Nous l'avons entendu dire : Moi, je détruirai ce sanctuaire fait de main d'homme et, en trois jours, j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d'homme. Mais, même de cette façon, ils n'étaient pas d'accord dans leur témoignage. Le grand prêtre, se levant au milieu de l'assemblée, interrogea Jésus : Tu ne réponds rien aux témoignages que ceux-ci portent contre toi ? Mais lui gardait le silence, il ne répondit rien. De nouveau, le grand prêtre l'interrogeait, il dit : Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel. Le grand prêtre déchira ses habits et dit : Qu'avons-nous encore besoin de témoins ! Vous avez entendu le blasphème. Qu'en pensez-vous ? Et tous le condamnèrent comme méritant la mort. Quelques-uns se mirent à cracher sur lui, à lui couvrir le visage et à lui dire : Fais le prophète ! Et les serviteurs le reçurent avec des gifles.

Jésus est d'abord traduit devant le tribunal juif où les prêtres cherchent un motif pour le condamner à mort, mais les faux témoins, recrutés pour la circonstance, se contredisent. Le motif juridique, selon la législation juive, pour condamner Jésus à la mort, sera trouvé dans une réponse que celui-ci fera à une question du grand-prêtre : Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel. C'est le première fois que Jésus rend ouvertement un témoignage sur sa propre personne : il se présente comme le Messie, celui qui est attendu par tout le peuple, il s'arroge le titre de Fils de l'homme qui devait venir juger l'humanité à la fin des temps, en siégeant à la droite de Dieu. Revendiquer une telle égalité avec le Dieu unique, se placer soi-même au rang de Dieu était perçu comme le plus abominable des blasphèmes. Pourtant, il faut constater que ce premier procès a été bâclé et qu'il n'a que les apparences d'un procès régulier. Même si le Sanhédrin avait quelque pouvoir pour ordonner l'exécution d'une sentence pour un motif religieux, tel que le blasphème, il n'avait pas le pouvoir d'ordonner la mise à mort. C'est pourquoi il faut porter l'affaire devant le procurateur romain, Pilate, qui séjournait à Jérusalem, pendant les périodes de fêtes.

11. Reniements de Pierre

Le triple reniement de Pierre, annoncé par Jésus au cours du repas pascal, trouve ici sa place en une sorte d'intermède entre les deux procès.

Tandis que Pierre était en bas, dans la cour, l'une des servantes du grand prêtre arrive. Voyant Pierre qui se chauffait, elle le regarde et lui dit : Toi aussi, tu étais avec le Nazaréen, avec Jésus ! Mais il nia en disant : Je ne sais pas et je ne comprends pas ce que tu veux dire. Et il s'en alla dehors dans le vestibule. La servante le vit et se mit à dire à ceux qui étaient là : Celui-là, il est des leurs ! Mais de nouveau, il niait. Peu après, ceux qui étaient là disaient une fois de plus à Pierre : A coup sûr, tu es des leurs ! Et puis, tu es galiléen. Mais lui se mit à jurer avec des imprécations : Je ne connais pas l'homme dont vous me parlez ! Aussitôt, pour la deuxième fois, un coq chanta. Et Pierre se rappela la parole que Jésus lui avait dite : Avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois. Il sortit précipitamment, il pleurait.

12. Jésus devant Pilate

Dès le matin, les grands prêtres tinrent conseil avec les anciens, les scribes et le Sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Pilate l'interrogea : Es-tu le roi des Juifs ? Jésus lui répond : C'est toi qui le dis. Les grands prêtres portaient contre lui beaucoup d'accusations. Pilate l'interrogeait de nouveau : Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit plus rien de sorte que Pilate était étonné. A chaque fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu'ils réclamaient. Or celui qu'on appelait Barabbas était en prison avec les émeutiers qui avaient commis un meurtre pendant l'émeute. La foule monta et se mit à demander ce qu'il accorder d'habitude. Pilate leur répondit : Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? Car il voyait bien que les grands prêtres l'avaient livré par jalousie. Les grands prêtres excitèrent la foule pour qu'il leur relâche plutôt Barabbas. Prenant alors la parole, Pilate leur disait :Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs ? De nouveau, ils crièrent : Crucifie-le ! Pilate leur disait : Qu'a-t-il donc fait de mal ? Ils crièrent de plus en plus fort : Crucifie-le ! Pilate, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et il livra Jésus, après l'avoir fait flageller, pour qu'il soit crucifié.

L'autorité religieuse présente Jésus à l'autorité civile, mais elle masque les motifs réels de sa condamnation, elle en invoque d'autres, qui sont d'ordre politique. L'intention qui dirigeait les prêtres était double : il fallait faire condamner Jésus à tout prix, mais il fallait aussi discréditer sa mémoire parmi le peuple. C'est la raison pour laquelle ils convertissent le motif religieux en un motif politique de sédition et d'incitation à la révolte, puisqu'il se prétendait le "roi des Juifs". Pilate s'aperçoit certainement qu'on lui présente un procès truqué, ce que Marc souligne : "Car il voyait bien que les grands prêtres l'avaient livré par jalousie".

Pilate fut mis dans l’embarras, quand on lui présenta Jésus. Il aurait aimé trouver le moyen de décliner la compétence de son pouvoir, mais les grands prêtres qui jouaient le rôle de procureurs de justice, lui présentent Jésus comme un dangereux nationaliste, invoquant contre lui des accusations auxquelles Jésus ne répond pas, car il ne les accepte pas. Pilate va abandonner Jésus, mais auparavant, conscient du fait que Jésus pouvait être un personnage populaire, il va faire un geste susceptible de lui attirer la faveur des foules, dût-il déplaire aux chefs des prêtres qu'il semblait mépriser. Pilate propose inconditionnellement de remettre Jésus en liberté ; la foule rejette cette proposition et, sous l'incitation des prêtres, réclame la mise en liberté de Barabbas et la crucifixion de Jésus. Le gouverneur est contraint de se soumettre à la vindicte populaire, et conformément à l'usage, il fait flageller Jésus avant de le faire crucifier.

13. Le couronnement d'épines

Jésus est alors soumis aux outrages des soldats qui lui enfoncent sur la tête une couronne d'épines tressées.

Les soldats le conduisirent à l'intérieur du palais, c'est-à-dire du prétoire. Ils appellent toute la cohorte. Ils le revêtent de pourpre et ils lui mettent sur la tête une couronne d'épines qu'ils ont tressée. Et ils se mirent à l'acclamer : Salut, roi des Juifs ! Ils lui frappaient la tête avec un roseau, ils crachaient sur lui et se mettant à genoux, ils se prosternaient devant lui. Après s'être moqués de lui, ils lui enlevèrent la pourpre et lui remirent ses vêtements. Puis ils le font sortir pour le crucifier.

14. La crucifixion

Puis Jésus, portant lui-même l'instrument de son supplice, le patibulum, c'est-à-dire la barre transversale de la croix, est entraîné vers le lieu de son exécution, où se dressaient la barre verticale (stipes) des croix. Son épuisement physique justifie sans aucun doute la réquisition d'un passant, Simon de Cyrène, dont les fils devaient être connus dans l'Église primitive, puisque Marc les mentionne.

Ils réquisitionnent pour porter sa croix un passant, qui venait de la campagne, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus. Et ils le mènent au lieu-dit Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne. Ils voulurent lui donner du vin mêlé de myrrhe, mais il n'en prit pas. Ils le crucifient, et ils partagent ses vêtements en les tirant au sort pour savoir ce que chacun prendrait. Il était neuf heures quand ils le crucifièrent. L'inscription portant le motif de sa condamnation était ainsi libellée : Le roi des Juifs. Avec lui, ils crucifient deux bandits, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche (et fut accomplie l'Écriture qui dit : et il fut compté au nombre des malfaiteurs). Les passants l'insultaient hochant la tête et disant : Hé ! toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même en descendant de la croix. De même, les grands prêtres, avec les scribes, se moquaient entre eux : Il en a sauvé d'autres, il ne peut pas se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et nous croyions ! Ceux qui étaient crucifiés avec lui l'injuriaient aussi.

Pour décrire l'exécution, les évangélistes sont très sobres. Les condamnés, qui devaient subir ce châtiment, habituellement des esclaves révoltés, étaient cloués, les bras étendus sur le patibulum, puis on fixait cette barre transversale sur un poteau préalablement dressé à hauteur d'homme. Les pieds du condamné étaient alors cloués. Une sorte de siège supportait en partie le poids du corps afin que celui-ci n'entraîne pas une déchirure des membres supérieurs fixés préalablement. Le crucifié mettait souvent de très longues heures avant de mourir, non pas par perte de sang, mais plutôt par une lente asphyxie. Les inventeurs de ce type d'exécution sont les Perses et les Phéniciens, puis les Grecs et les Romains l'ont certainement adopté en raison de son caractère très spectaculaire. Jésus, comme vraisemblablement tous les crucifiés, est accablé des sarcasmes de la foule, qui passe et qui regarde la mort faire progressivement son oeuvre.

Un texte, paru dans Les dossiers de l'archéologie, en mai 1975, avec comme sous-titre : Jésus révélé par les historiens, permet de mieux comprendre le supplice enduré par Jésus et quelles sont les tortures impliquées par la crucifixion.

On a retrouvé son squelette en 1968 près de Jérusalem au cours de fouilles pour le compte du ministère israélien de la construction et du logement, dans un sarcophage près d'un squelette d'enfant. Les techniques les plus modernes ont été mises en oeuvre pour en savoir davantage sur les restes de cet homme, grand pour son époque (1,70 mètre). Il était âgé de 24 à 28 ans. Très vite, à l'examen, on se rendit compte qu'on avait affaire à un crucifié : les chevilles de l'homme étaient réunies par un énorme clou qui les transperçait de part en part. Ce clou est conservé au Musée de Jérusalem. Le supplice a eu lieu vraisemblablement en l'an 70 de notre ère, en cette année où Titus ordonna la crucifixion de milliers de juifs venus à Jérusalem pour la Pâque. Il ne s'agit donc pas de Jésus. Le supplicié avait probablement cherché à fuir la ville sainte assiégée par l'armée romaine. Il a été crucifié par trois clous, un dans chaque poignet, le troisième perforant les deux chevilles. Le tibia gauche a reçu le coup de gr'e2ce qui a occasionné une fracture bien visible. La croix comportait une sellette sur laquelle reposait le séant du supplicié : cette sellette prolongeait l'agonie et empêchait la rupture des os des poignets. Les bras étaient étendus à l'horizontale et tirés au maximum. Le clou, dans son état actuel, transperçant le pied gauche placé sur le pied droit, a environ 17 centimètres de longueur. Il a dû être enfoncé avec une brutalité inouïe, les cheville ayant éclaté. Il n'a d'ailleurs pas été possible aux ensevelisseurs de le retirer, comme ils l'ont fait aux poignets, au moment de l'inhumation. La brutalité du bourreau romain est attestée par la présence d'éclats de bois dans les tissus osseux, du même bois que l'on retrouve sur le clou, et qui était en olivier. L'agonie a dû se prolonger durant trois ou quatre heures. Supplice horrible que celui de la crucifixion, importé de Carthage par les Romains et dont Cicéron, Pline, Plaute et Flavius Josèphe disaient qu'il était le plus horrible et le plus inhumain des supplices. D'après une inscription sur le tombeau, le crucifié s'appelait Jehochanan, Jean.

15. La mort de Jésus

A midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu'à trois heures. Et à trois heures, Jésus cria d'une voix forte : Eloï, Eloï, lama sabaqthani ? ce qui signifie : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Certains de ceux qui étaient là disaient, en l'entendant : Voilà qu'il appelle Élie ! Quelqu'un courut, emplit une éponge de vinaigre, et, la fixant au bout d'un roseau, il lui présenta à boire en disant : Attendez, voyons si Élie va venir le descendre de là. Mais poussant un grand cri, Jésus expira. Et le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas. Le centurion qui se tenait devant lui, voyant qu'il avait expiré, dit : Vraiment cet homme était Fils de Dieu. Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, et parmi elles Marie de Magdala, Marie, la mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui le suivaient et le servaient quand il était en Galilée, et plusieurs autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem.

Après plusieurs heures de souffrances, Jésus meurt en redisant sa confiance en Dieu, puisqu'il cite Écriture, même si le verset du Psaume 22 qu'il cite en araméen (et que les passants ne comprennent plus...) : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" apparaît comme un cri de détresse. Il expire, non sans avoir suscité une véritable profession de foi dans la bouche d'un centurion de l'armée romaine : "Vraiment cet homme était Fils de Dieu", profession de foi qui fait suite à la déchirure du voile qui fermait le sanctuaire du Temple : le rideau qui protégeait le Saint des saints se déchire au moment de la mort de Jésus, signe que désormais Dieu est accessible à tous, même aux païens.

16. L'ensevelissement

Déjà, le soir était venu et comme c'était jour de Préparation, c'est-à-dire une veille de sabbat, un membre éminent du Conseil, Joseph d'Arimathée, arriva. Il attendait lui aussi le Règne de Dieu. Il eut le courage d'entrer chez Pilate pour demander le corps de Jésus. Pilate s'étonna qu'il soit déjà mort. Il fit venir le centurion et lui demanda s'il était mort depuis longtemps. Et, renseigné par le centurion, il permit à Joseph de prendre le cadavre. Après avoir acheté un linceul, Joseph descendit Jésus de la croix et l'enroula dans le linceul. Il le déposa dans une tombe qui était creusée dans le rocher et il roula une pierre à l'entrée du tombeau. Marie de Magdala et Marie, mère de José, regardaient où on l'avait déposé.

La Loi mosaïque, en vigueur à Jérusalem, même sous la domination romaine, ne permettait pas que des cadavres soient exposés dans la nuit, d'autant plus que c'était la nuit de la grande préparation pascale. Un membre influent du Grand Conseil, c'est-à-dire vraisemblablement le Sanhédrin, eut le courage d'aller demander à Pilate le corps de Jésus, car les romains ne se souciaient pas de l'ensevelissement des condamnés. Comme, d'après la loi romaine, les exécutés politiques, pouvaient bénéficier, par grâce spéciale, d'une sépulture honorable, Pilate donne donc l'autorisation à Joseph d'Arimathée d'enlever le cadavre de Jésus et de l'ensevelir. Ainsi, malgré la hâte due à la Préparation de la Pâque, Jésus reçut une sépulture décente.

C'est une donnée commune aux quatre évangélistes que Jésus fut abandonné par ses disciples et que seuls quelques amis, surtout des femmes, furent témoins de ses derniers instants et de sa sépulture. Et ce sont précisément ces femmes qui vont jouer un grand rôle, le premier jour de l'autre semaine.

17. Les femmes au tombeau

Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer. Et, de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé. Elles se disaient entre elles : Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau ? Et levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée, or, elle était très grande. Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur. Mais il leur dit : Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié, il est ressuscité, il n'est pas ici, voyez l'endroit où on l'avait déposé. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre : Il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit. Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées, et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.

Le récit de Marc ne s'achève pas avec la mort de Jésus et sa sépulture. Tous les évangélistes poursuivent en affirmant qu'il est ressuscité, même s'ils ne décrivent jamais le phénomène concret de sa résurrection.

Les quatre évangélistes rapportent que le premier jour de l'autre semaine, c'est-à-dire le surlendemain de l'exécution de Jésus, un groupe de femmes se rend au tombeau, afin d'y rendre les derniers devoirs au corps du crucifié. Ces femmes trouvent le tombeau vide : la pierre qui en fermée l'entrée a été roulée. Elles sont averties par un messager divin de la résurrection de Jésus, et elles éprouvent un sentiment qui est celui de tout homme qui se découvre en présence d'un phénomène divin : la crainte. Marc termine son évangile par ce récit, en disant que les femmes "ne dirent rien à personne, car elles avaient peur" : il ne parle pas des apparitions, car il pense que la foi ne trouve pas son fondement sur des preuves historiques de la résurrection.

18. Apparitions de Jésus ressuscité

Rédigée avec un vocabulaire et un style très différent du reste de l'évangile, la finale que l'on trouve désormais dans l'évangile canonique de Marc est une sorte de sommaire des récits d'apparitions mentionnés par les autres évangiles et des événements rapportés par le début du livre des Actes des apôtres. L'authenticité de cette finale a été mise en doute dès le deuxième siècle...

Nous ne savons donc pas si l'auteur a rédigé une conclusion à son évangile ou s'il se contente de renvoyer son lecteur aux premières manifestations de Jésus sur les bords du lac de Galilée, là où commence précisément la proclamation de Évangile au monde entier...

Ressuscité le matin du premier jour de la semaine, Jésus apparut d'abord à Marie de Magdala, dont il avait chassé sept démons. Celle-ci partit l'annoncer à ceux qui étaient avec lui et qui étaient dans le deuil et les pleurs. Mais, en entendant dire qu'il vivait et qu'elle l'avait vu, ceux-ci ne la crurent pas. Après cela, il se manifesta sous un autre aspect à deux d'entre eux qui faisaient route pour se rendre à la campagne. Et ceux-ci revinrent l'annoncer aux autres, eux non plus, on ne les crut pas. Ensuite, il se manifesta au onze, alors qu'ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur coeur, parce qu'ils n'avaient pas cru ceux qui l'avaient vu ressuscité. Et il leur dit : Allez par le monde entier, proclamez l'évangile à toutes les créatures. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, ils prendront dans leurs mains des serpents, et s'ils boivent quelque poison mortel, cela ne leur fera aucun mal, ils imposeront les mains à des malades, et ceux-ci seront guéris. Donc le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils partirent prêcher partout : le Seigneur agissait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient.