Le Christ, maître absolu

de la vie et de la mort

 

Les deux signes de la guérison de l’aveugle-né et de la résurrection de Lazare se répondent. Ils gravitent tous les deux autour de l’expression majeure du don de Dieu : la lumière et la vie. Jésus, lumière véritable, s’affronte au péché (et la lumière pour l’aveugle est le signe d’une autre lumière qui est donnée à ceux qui ont foi en Jésus-Christ et en son Père). Jésus redonne la vie à son ami Lazare (et cette vie est le signe d’une autre vie, celle qui est donnée à. tout croyant). Ce « miracle », ce dernier signe, Jésus le fait devant les Juifs : c’est le signe le plus important qu’il donne de sa puissance. il ne s’agit plus seulement de multiplier les pains ou de guérir, mais de faire revenir quelqu’un du monde des morts, un pouvoir qui est propre à Dieu seul. Et Jésus en fait une preuve importante de sa mission : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort. Elle servira à la gloire de Dieu, c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié » (Jn. 11, 4), « Je suis heureux de n’avoir pas été là afin que vous croyiez » (Jn. 11, 15), « Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé. Certes, je savais bien que tu m’exauces toujours, mais j’ai parlé à cause de cette foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jn. 11, 41-42).

Le cadre et les personnages

Ce signe se passe à. Béthanie, près de Jérusalem. En hébreu. Béthanie signifie : la maison du pauvre, la maison  de l’humilité. Actuellement, c’est le village de « El Azarieh », à deux kilomètres environ de la capitale, où l’on montre encore le tombeau de Lazare creusé dans le roc... Ce village est celui de Marthe et de Marie, deux femmes que l’auteur du quatrième évangile pense bien connues des chrétiens pour qui il rédige son texte. Très rapidement, on les a identifiées aux deux femmes présentées dans un épisode de Luc.

« Comme ils étaient en route, il entra dans un village et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur nommée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe s’affairait à un service compliqué. Elle survint et dit : Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissée seule à faire le service ? Dis-lui donc de m’aider. Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée » (Lc. 10, 38-42).

Luc n’a pas indiqué l’endroit où s’est passée cette scène. Il n’est pas impossible que ce soit Béthanie, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude qu’il s’agit des mêmes personnes. Marie est présentée comme cette « même Marie qui avait oint le Seigneur d’une huile parfumée et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux » (Jn. 11, 2). Cette action est racontée au passé, mais l’évangéliste parle d’une action qui se déroulera au chapitre suivant de sa rédaction (Jn. 12, 1-2) ; et en 12, 1, il mentionnera le récit de la résurrect1on de Lazare comme étant aussi un fait passé. Au moment où l’évangéliste rédige son texte, les deux événements sont bien passés et il y a pour lui comme un télescopage dans le temps. Toutefois, rien ne permet d’identifier cette Marie avec la pécheresse qui est présentée par Luc (7, 36-50). Lazare n’est pas connu par ailleurs, et il ne semble même pas être connu par les lecteurs de cet évangile, puisqu’il est simplement présenté comme « le frère » des deux femmes. Pourtant, il porte un nom prédestiné : « Dieu vient en aide » ; et ses deux sœurs le présentent comme un ami de Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade » (Jn. 11, 3). Cette amitié sera rappelée : « or Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare » (v. 5) ; « notre ami Lazare s’est endormi, je vais amer le réveiller » (v. 11). Cette même amitié sera encore soulignée par les juifs : « voyez comme il l’aimait » (v. 36). Une semblable insistance sur les sentiments de Jésus est exceptionnelle chez Jean : tout semble amener à conclure que c’est l’amour qui fait vivre.

Proposition de structure pour ce texte

Dans une première partie, tout se passe selon une référence constante à la maison de Lazare et de ses sœurs. Cette maison constitue un système clos : l’amour qui peut unir les sœurs et le frère est un amour sans fécondité, sans postérité possible, ce qui était difficilement admis par le judaïsme de l’époque.

« Il y avait un homme malade » (v. 1). La maladie peut connaître deux solutions : la guérison qui marque un retour à l’état précédent ou la mort qui constitue une nouveauté. Le vide qui sera causé par la mort de Lazare est immédiatement comblé par la présence des juifs dans la maison des deux sœurs.

Dans la seconde partie, tout va se dérouler selon un processus de sortie : la maison, comme système clos, s’ouvre, se vide de tous ses occupants, puis le tombeau va être également vidé. Mais, rien, dans le texte ne permet de dire ce qu’il advient de Lazare et de ses sœurs après la résurrection. Le « déliez-le et laissez-le amer » (v. 44 b) laisse simplement supposer qu’il ne peut s’agir d’un simple retour à l’état antécédent.

Une maison et ses habitants : vv. 1-2

Annonce de la maladie à Jésus : v. 3

Jésus reste sur place : vv. 4-6

Annonce de la mort de Lazare par Jésus : vv. 7-14

Départ de Jésus et des disciples : vv. 15-17

Les juifs viennent consoler les deux sœurs : vv. 18-19

Marthe sort vers Jésus : vv. 20-27

Marthe vient vers Marie : v. 28

Marie et les juifs sortent ensemble : vv. 29-37

Jésus s’adresse à Lazare : vv. 38-43

Lazare sort du tombeau vivant mais lié : v. 44 a

Lazare est libéré : v. 44 b

Une maison et ses habitants

Voir ce qui a été dit précédemment sur la recherche d’identification des personnages et des lieux dans le cadre des évangiles de Luc et de Jean.

Annonce de la maladie à Jésus

« Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que tu aimes est malade » (v. 3). C’est une manière pour elles de dire : « Nous voulons qu’il guérisse ! » ailleurs les deux sœurs reprocheront à Jésus son absence, en lui disant que sa présence aurait pu guérir leur frère : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (v. 21 et v. 32).

Jésus reste sur place

Alors qu’il sait que Lazare est malade, à la porte de la mort, Jésus ne se dérange pas, il reste « deux jours encore à l’endroit où il se trouvait » (v. 6). Déjà, aux noces de Cana, il n’avait pas répondu immédiatement au désir exprimé par sa mère : « Mon heure n’est pas encore venue » (Jn. 2, 4). Jésus ne règle pas sa conduite sur des sentiments humains, mais sur la volonté de son Père, il veut servir la gloire de Dieu : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu, c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié » (v. 4). Cette réponse ressemble étrangement à la réponse que Jésus avait faite à la question de ses disciples quant à l’origine de la cécité de l’aveugle-né : « Ni lui ni ses parents (n’ont péché). Mais c’est pour que se manifestent en lui les oeuvres de Dieu » (Jn. 9, 3). La gloire de Dieu n’est pas une sorte de satisfaction égoïste que Dieu se réserverait au détriment de ses créatures (aveugle-né, Lazare) : chaque fois qu’il est question de la gloire de Dieu, c’est toujours pour le bien du peuple tout entier, ou pour le bien de ceux qu’il aime. Il manifeste pour eux sa volonté de salut. Et celle-ci se manifestera d’une façon particulièrement éclatante pour Jésus que le Père ressuscitera lui-même d’entre les morts : en lui, il propose sa présence et son salut.

Annonce de la mort de Lazare par Jésus

Ayant laissé deux jours s’écouler, Jésus annonce à ses disciples son intention de retourner en Judée. Ceux-ci voudraient l’en dissuader en raison du danger que Jésus peut alors courir : « Les juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider... Ce n’est pas pour une belle oeuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème parce que toi qui es un homme, tu te fais Dieu » (Jn.10, 31-33). Mais on ne peut arrêter la marche de Jésus, on ne peut pas davantage le lapider tant que son « heure n’est pas encore venue ». C’est ce qu’il fait entendre à ses disciples, en citant une sorte de proverbe populaire : « N’ y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu’un marche le jour, il ne trébuche pas parce qu’il voit la lumière de ce monde, mais si quelqu’un marche de nuit, il trébuche parce que la lumière n’est pas en lui » (vv. 9-10), parole qui est à rapprocher de ce qu’il disait aussi à ses disciples avant la guérison de l’aveugle-né : « Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de Celui qui m’a envoyé ; la nuit vient où personne ne peut travailler Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jn. 9, 4-5). Ultérieurement, Jésus utilisera la même image pour faire comprendre à ses adversaires qu’il est encore temps de rendre gloire à Dieu : « La lumière est encore parmi vous pour un peu de temps. Marchez tandis que vous avez la lumière, pour que les ténèbres ne s’emparent pas de vous, car celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière pour devenir des fils de lumière » (Jn. 12, 35-36) .

Sauver Lazare de la mort sera, pour Jésus, le signe ultime, celui que les juifs réclamaient : « Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement » (Jn. 10, 24), mais cela sera aussi le signe de sa propre condamnation : la gloire qui va rejaillir de ce miracle, gloire annoncée au v. 4, sera finalement la glorification de Jésus sur la croix. Jésus reste sur place pendant deux jours, et il se met en route le troisième jour, comme c’est le troisième jour qu’il ressuscitera des morts.

En employant le vocabulaire du sommeil pour désigner la mort de Lazare, Jésus change la signification de la mort. Elle n’est pas un châtiment, mais un passage qui conduit au réveil de la résurrection. Mourir, dans toute la littérature biblique, était considéré comme une conséquence du péché, et donc comme le pire des châtiments. Pourtant, la mort perdait son caractère tragique quand la vie avait été longue et heureuse, particulièrement comblée par la bonté divine. Jésus, en dédramatisant la mort, lui donne le sens du sommeil : ceux qui sont morts ne sont qu’endormis, dans l’attente d’un réveil. Jésus se réjouit de la mort de Lazare, non pas parce que, ayant attendu, il manifestera sa puissance avec plus d’éclat aux yeux de ses disciples, mais parce qu’ils croiront. Le motif de la joie ne se trouve pas dans l’acte que Jésus va réaliser, mais dans l’acte de foi qui pourra s’ensuivre de la part des disciples. ailleurs, l’attitude de Jésus devant le tombeau prouve qu’il ne se réjouit pas de la mort de son ami, mais bien que celle-ci l’ébranle dans toute sa dimension humaine (vv. 33-36).

Départ de Jésus et des disciples

« Allons à lui ! Alors, Thomas, celui que l’on appelle Didyme, dit aux autres disciples : Allons nous aussi et nous mourrons avec lui » (vv. 15-17). Thomas donne le sens du départ : celui de la mort « avec lui ». Le caractère de ce « lui » est assez ambigu : s’agit-il de Lazare ou s’agit-il de Jésus ? De fait, les disciples doivent partager complètement la destinée de Jésus et mourir avec lui. De plus, les disciples meurent symboliquement dans ce récit, ils disparaissent complètement de la scène... A son arrivée (alors qu’il était accompagné de ses disciples), Jésus trouve Lazare au tombeau depuis quatre jours : c’est dire qu’il est mort depuis quatre jours, car l’ensevelissement se faisait le jour même. Dans la mentalité populaire, l’âme continuait à tourner autour du cadavre pendant trois jours, et lorsque le visage commençait à se décomposer, elle quittait pour toujours les alentours de la tombe. Marthe reviendra sur cet aspect : « Seigneur, il doit déjà sentir... Il y a en effet quatre jours... » (v. 39).

Les juifs viennent consoler les deux sœurs.

Contrairement aux autres juifs, présentés dans les chapitres précédents, ces juifs ne sont pas hostiles à Jésus : ils seront les témoins oculaires de la résurrection de Lazare, et l’évangéliste notera même que certains crurent en Jésus après ce signe (v. 45).

 

RECAPITULATION DE LA PREMIERE PARTIE

 

du côté de la maison

du côté de Jésus

Lazare est malade (v. 1)

Nous voulons qu’il guérisse (v. 3)

Cette maladie n’aboutira pas à la mort (v. 4)

donc elle conduit à la guérison, et à la vie.

Lazare doit donc guérir

et pourtant Lazare meurt

Il laisse un vide dans la maison,

vide comblé par la présence des Juifs

VIVRE EST CONDITION POUR MOURIR

Lazare est mort (v. 14)

Nous mourrons aussi (v. 16)

Je me réjouis... afin que vous croyiez (v. 15)

 

 

 

 

 

MOURIR EST CONDITION POUR CROIRE

 

Marthe sort vers Jésus

Après avoir présenté l’attitude des deux sœurs (Marie reste à la maison alors que Marthe part à la rencontre de Jésus) l’évangéliste propose une catéchèse de la foi. C’est d’abord le reproche affectueux de Marthe : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort », autrement dit : « tu n’es pas venu et mon frère est mort, alors qu’il n’aurait pas dû mourir ». En cela, elle présente l’état de sa foi en Jésus au moment présent. Mais elle poursuit et montre l’endroit où sa foi doit aboutir à la fin de l’entretien : « Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (v. 22). La foi de Marthe est liée à la présence matérielle de Jésus, et sa demande s’exprime en termes de connaissance : « si tu avais été là... je sais... ». Jésus lui-même fera écho à la demande de Marthe, telle elle l’exprime, dans sa prière d’action de grâce : « Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé. Certes, je savais bien que tu m’exauces toujours... » (vv. 41-42). Pour l’instant, Jésus veut la faire progresser dans sa foi : « Ton frère ressuscitera » Marthe comprend cette proposition de Jésus dans le sens de la tradition juive. Sous l’influence du pharisaïsme (dont il faut reconnaître les nombreux aspects positifs, même si les pharisiens sont souvent caricaturés dans les récits évangéliques), l’espérance en la résurrection des morts s’était développer pour rétribuer les justes qui étaient morts sans avoir connu le bonheur.

Ainsi, vers les années 100 avant Jésus-Christ, un auteur anonyme expose comment des croyants, sûrs de la résurrection, ont assumé jusqu'au bout la fidélité â Yahwé. Il faudrait relire intégralement le chapitre 7 du deuxième livre des Martyrs d’Israël. Le roi Antiochus voulait contraindre sept frères et leur mère â manger de la viande interdite par la Loi mosaïque. Au moment de son supplice, le deuxième frère s'écrie : « Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 M. 7, 9). Ainsi se trouve affirmé le fait que ceux qui meurent pour leur foi ressusciteront, car cela est nécessaire à la justice de Dieu. Et la mère de ces sept frères les encourageait dans leur supplice : « Je ne sais comment vous avez apparu dans mes entraimes. Ce n'est pas moi qui vous ai gratifiés de l'esprit et de la vie, et ce n'est pas moi qui ai organisé les éléments dont chacun de vous est composé. Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l'homme à sa naissance et qui est à l'origine de toute chose vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l'esprit et la vie parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour ses lois » (7, 22-24) .

Peu à peu, les développements de la pensée juive, sous l'influence des pharisiens, amenaient à penser que chaque membre du peuple élu bénéficierait de la résurrection « au dernier Jour » quand la justice même de Dieu rétablirait toute chose dans l'équité. Mais le fait de la résurrection n’était pas admis par tous, et particulièrement pas par les sadducéens. C'est ainsi que Paul, arrêté à Jérusalem, aux portes du Temple et traduit devant le Sanhédrin, peut utiliser cette opposition entre pharisiens et sadducéens pour échapper à la colère des Juifs (Ac. 23, 6-10).

Mais autre chose est d'affirmer la résurrection eschatologique (au dernier jour) autre chose est de dire : « Je suis la résurrection et la vie » (v. 25). Ce qui est remarquable dans ce récit de la résurrection de Lazare, c'est précisément que cette révélation précède le signe, alors habituellement la révélation suit le miracle. L'explicitation de Jésus commence par un « Je suis » qui indique la présence divine elle : le nom de Dieu s'exprimait simplement par ce terme. On peut y voir la prétention de Jésus à l'égalité avec Dieu... Mais il y a plus : la résurrection n'est pas pour un au-delà, elle est exprimée au présent : « Je suis la résurrection et la vie ». Maintenant que Jésus est présent, auprès de Marthe - alors qu'il est très proche de sa propre mort - la mort ne pose plus de problème pour Lazare et pour tous ceux qui croient en Jésus. Et au-delà de la mort de Lazare, il est question de la mort de tout croyant : la mort est devenue irréelle, elle était déjà présentée comme un sommeil (v. 22). Celui qui croit est déjà passé de la mort à la vie. Jésus essaie donc d'élever l'esprit de la sœur de Lazare vers cette idée qu'il y a déjà résurrection et vie pour ceux qui croient en lui. Cependant, il y a une condition à l'obtention de la résurrection et de la vie, c'est la foi : « Crois-tu cela ? » Par sa foi, le croyant possède l'espérance d'avoir déjà part à la vie même de Jésus, qui se présente comme le principe, l'auteur et la source de la vie et du salut.

Lorsque Jésus affirme : « Je suis la résurrection et la vie », il se révèle lui-même comme celui qui communique la vie par ce qui sera sa glorification sur la croix : la vie est reçue à travers la mort à soi-même. Jésus, en montant en Judée pour amer réveiller son ami Lazare marchait vers sa mort : le don de sa vie permettait de redonner la vie à Lazare. Et la résurrection de Lazare devient, inversement, le signe de la glorification de Jésus et le gage de notre propre résurrection.

La foi de Marthe doit amer jusqu'à cette affirmation que la mort même de Jésus est source de vie. La réponse de Marthe sera nette : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (v. 27). En posant cette affirmation, Marthe progresse, dans sa foi : elle ne perçoit plus Jésus comme un puissant faiseur de miracles. Mais elle découvre en Jésus celui que le Père a envoyé. En reconnaissant et en confessant la qualité messianique de Jésus, Marthe reconnaît qu'il possède la pleine puissance de la résurrection. Il y a là une triple profession de foi qui est affirmée par Marthe :

· Jésus est le Christ (traduction de l’hébreu : Messie),

· il est le Seigneur, le Fils du Dieu vivant,

· il est celui qui vient.

C'est le modèle même de la foi qui est demandé à tout chrétien. Il n'est pas nécessaire d'avoir rencontré le Christ pour croire en sa parole : « Bienheureux ceux qui sans avoir vu ont cru » (Jn. 20, 29).

Marthe vient vers Marie

Après sa profession de foi, Marthe court prévenir sa sœur, tout bas. Pour Jean, Marthe a fait ce qu'el1e devait : elle a professé sa foi, elle prévient Marie pour elle accomplisse la même démarche. Si « le Maître est là et il appelle », c'est qu'il va faire progresser Marie sur le même chemin de la foi et de l'espérance.

Marthe et les Juifs sortent ensemble

L'acte de foi de Marie commence par manifester que la foi de l'homme est toujours une réponse à une initiative du Maître. Les juifs sortent de la maison et suivent Marie. Toute la scène se passe" à l'extérieur, la maison se vide entièrement de ses occupants, comme le tombeau va bientôt se vider de son occupant, mais il convient de noter la différence d’attitude entre Marie et les juifs. Marie s’empresse d'aller rejoindre Jésus pour se jeter à ses pieds, alors que les juifs pensent qu'elle part se lamenter au tombeau. Mais l'essentiel, pour Jésus et pour l'évangéliste, n'était-il pas simplement d’amener les témoins vers le lieu du signe ? Marie reprendra la même supplique que sa sœur : tu n'étais pas là et mon frère est mort ! Elle se plaint de la même manière que sa sœur, mais son attitude est plus démonstrative : elle se jette à ses pieds pour reprendre le refrain qui exprime toute sa désillusion, voire la désespérance qui est la sienne depuis ces derniers jours.

« Lorsqu'il la vit se lamenter, elle et les juifs qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et se troubla ». La démonstration de la peine de Marie est tout orientale, elle se lamente à grands cris, ainsi que les juifs qui l'accompagnaient. Et l'évangéliste emploie deux termes pour désigner les sentiments de Jésus à ce moment: il frémit intérieurement (en esprit) et il se troubla. On s'est beaucoup interrogé sur le sens de ces deux sentiments de Jésus. Pour certains, Jésus se serait ému du chagrin éprouvé par Marie, il aurait été complètement remué par la tristesse des deux sœurs et de leurs amis. Pour d'autres, il se serait indigné devant ce deuil purement conventionnel, que les juifs soulignent au verset 37 : « Celui qui a ouvert les yeux de l’aveugle n’a pas été capable d'empêcher Lazare de mourir », ce qui motiverait la colère de Jésus contre l'incrédulité des Juifs. D'autres encore pensent que Jésus manifeste alors sa colère, ou du moins son aversion envers la mort (et son auteur) qui a atteint son ami Lazare, et qui va bientôt l'atteindre. Il est vrai que Jésus pleure (v. 35), et ses pleurs manifestent simplement l'amitié qu'il éprouvait pour Lazare, et ils provoquent une double réaction : la sympathie des uns et le mécontentement des autres. Certains Juifs rappellent donc la guérison de l'aveugle-né et mettent en doute la puissance de Jésus : pourquoi n'est-il pas venu pendant la maladie ? Maintenant, il est trop tard il aurait pu prévenir cette mort. Mais c'est précisément ce que Jésus a voulu éviter : il devait laisser mourir Lazare s'il voulait faire éclater la gloire de Dieu.

Jésus s'adresse à Lazare

Jésus arrive alors au tombeau, situé vraisemblablement dans une grotte. L'évangéliste dit simplement qu'une pierre en fermait l'entrée. Alors, Jésus donne un ordre bref : « Enlevez la pierre ». Mais les témoins élèvent des objections que Marthe traduit aussitôt : « Seigneur, il doit sentir... il y a quatre jours déjà... ». Sa remarque montre simplement qu'elle n’a pas réalisé entièrement la portée de sa profession de foi, et Jésus rappelle une fois encore ce qu'il a promis. Avant de réaliser ce qui sera son dernier signe, le plus grand miracle de sa vie, « Jésus leva les yeux », comme il le fera au cours de sa dernière prière (Jn. 17, 1).

L’expression « lever les yeux » est typique de la tradition liturgique chrétienne, alors que les juifs se tournaient plutôt vers le Temple de Jérusalem. Sa prière ne sera pas une supplication, mais davantage une action de grâce. C'est le type même de la prière de Jésus (elle est toujours action de grâce, car il sait que son Père l'écoute toujours). A la limite, Jésus n'avait pas besoin de prier car toute son existence est en harmonie, en communion avec la volonté du Père, toute sa vie est une prière - toute prière des chrétiens sera aussi exaucée dans la mesure où elle s'accorde avec la volonté du Père. Mais Jésus prie à cause des témoins, « afin qu'ils croient que tu m'as envoyé ».

Il faut attendre les deux derniers versets d'un long récit inauguré par le « il y avait un homme malade » (v. 1) pour que l'évangéliste nous conduise là où il voulait en venir : le miracle de la résurrection de Lazare. Le principal intéressé par l'ensemble de ce texte n'occupe que quelques lignes... Alors Jésus commande : « Lazare, sors ! »

Lazare sort du tombeau vivant, mais lié

« Et celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains attachées par des bandes et le visage enveloppé d’un linge ».

Tandis que, pour Lazare, il a fallu rouler la pierre qui obstruait l'entrée du tombeau et le détacher de tout ce qui pouvait l'entraver, lors de la résurrection de Jésus, Marie de Magdala ne pourra que constater que « la pierre a été enlevée du tombeau » (Jn. 20, 1) et les deux disciples constateront « les bandelettes posées là et le linge qui avait recouvert la tête ; celui-ci n'avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre endroit » (Jn. 20, 6-7).

RECAPITULATION DE LA DEUXIEME PARTIE 

du côté de la maison

du côté de Jésus

Lazare aurait dû guérir (v. 21 et 32)

sorties successives

Je sais qu'il ressuscitera (v. 24)

Crois-tu ?

VIVRE EST CONDITION CROIRE

Lazare est vivant (v. 44)

 

Je suis la résurrection (v. 25)

Oui, Seigneur, je crois (v. 27)

CROIRE EST CONDITION POUR VIVRE

 

SCHEMA RECAPITULATIF 

les hommes

Jésus

Lazare est malade

Nous voulons qu'il guérisse

Cette maladie n’aboutira pas à la mort

 

VIVRE EST CONDITIQN POUR MOURIR

Lazare est mort

Mourons avec lui

Je me réjouIs que Lazare soit mort afin que vous croyiez

MOURIR EST CONDITION POUR CROIRE

Lazare aurait dû guérir

Il ressuscitera

Crois-tu ?

VIVRE EST CONDITION POUR CROIRE

Lazare est vivant

Je suis la résurrection

Je crois

CROIRE EST CONDITION POUR VIVRE

 

La foi en Jésus

Tout le quatrième évangile est l'évangile de la foi en Jésus envoyé par le Père, et cette foi en Jésus donne la vie éternelle. En réponse aux « oeuvres de Dieu » accomplies par Jésus, en réponse aux différents signes, l'homme est amené à prendre position. Les hommes sont appelés à croire en Celui que Dieu a envoyé. Mais dans le procès qu'ils intentent à Jésus, tout au long de l'évangile johannique, les juifs refusent de croire, malgré les témoignages rendus. Ils accusent Jésus de revendiquer l'égalité avec Dieu, ils l'accusent de se faire Dieu, et, avec la résurrection de Lazare, la tension est à son point maximum. Les juifs l'avaient sommé de répondre clairement à leur interrogation : « Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement ! » (Jn. 10, 24).

La réponse de Jésus se trouvera dans la résurrection de Lazare : la vie appartient à Dieu, et Jésus possède en lui la puissance de la vie et de la résurrection, parce qu’il est l’envoyé du Père. Mais cette réponse sera précisément la cause de sa condamnation à mort. A la suite de ce miracle, les grands prêtres et les pharisiens réunissent le Sanhédrin, une instance de décision dans les affaires religieuses juives : ils reconnaissent que Jésus accomplit beaucoup de signes, peut-être même trop de signes. Et, au lieu de le reconnaître comme le Messie attendu, ils lancent un appel à la prudence : il faut se soucier du bien commun. Si Jésus est vraiment le Messie, s'il est celui qui doit libérer le peuple de l'oppression étrangère, il est permis de craindre une réaction de la part de la puissance d'occupation qui pourrait détruire la nation et le Temple. Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là (en principe, dans la religion juive, les grands-prêtres étaient élus à vie, mais les Romains destituaient souvent les grands-prêtres, ce qui pouvait donner à penser qu'ils n'étaient élus que pour une année ; lors de sa consécration, le grand-prêtre recevait des insignes qui faisaient de lui une sorte de prophète pour la nation ; c'est ainsi que Jean va montrer que Caïphe va se mettre à prophétiser involontairement). Caïphe déclare donc que Jésus doit mourir pour le peuple, pour le bien de la nation, mais l'évangéliste va préciser que Jésus ne meurt pas seulement pour la nation juive, mais pour « réunir dans l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés » (Jn. 11, 52).

Jésus va donc mourir pour permettre la constitution d'un nouveau peuple de Dieu. Alors, le grand conseil décide de faire périr Jésus. La Passion commence donc à ce moment, avec l'onction de Béthanie qui apparaît comme l'ensevelissement préfiguré de Jésus. Jésus va mourir mais c'est pour vivre pour toujours, car il est la résurrection et la vie.

La résurrection de Lazare est le signe de la résurrection de Jésus, mais la réalité de cette dernière dépasse de beaucoup la figure qui est proposée par le retour à la vie de Lazare. Si Lazare revit, i1 se voit quand même menacé d'un retour de la mort. La mort n'aura plus d'emprise sur Jésus après sa résurrection. Il est le maître absolu de la mort et de la vie.

La crainte des chefs des prêtres pour leur Temple est justifiée : ce Temple sera bientôt détruit par les Romains, non pas parce qu’ils ont cru que Jésus était le Messie, mais plutôt parce qu'ils ont refusé de croire. Pour les chrétiens, le Temple de Jérusalem n’a plus d'importance, parce que Jésus, dans son corps ressuscité a remplacé ce Temple. Il est le Temple vivant en qui les croyants peuvent rendre un culte « en esprit et en vérité » (Jn. 4, 24), il rassemble les enfants de Dieu qui étaient dispersés (Jn. 11, 52), il donne la vie à ceux qui croient en lui (Jn. 11, 25-26). La fête de la Dédicace du Temple, qui était la toile de fond temporelle du miracle de la résurrection de Lazare, s'accomplit en Jésus.