Le prologue à l’Évangile
Quand
on lit le prologue de l'évangile selon Jean, on découvre
qu'il ne ressemble en rien à ce qui caractérise
habituellement les récits évangéliques :
paraboles, discours, récits de miracles... On perçoit,
dans ce prélude, que le rédacteur place en tête
de son évangile, comme une hymne majestueuse, aussi bien dans
l'équilibre des propositions que dans l'harmonie de la forme
littéraire. La pensée du lecteur se déplace
progressivement. Du monde divin, le lecteur est amené sur la
terre avant d'être emporté de nouveau dans le monde de
Dieu.
Le prologue semble constituer une sorte de parabole géométrique dont la base toucherait la terre et dont les extrémités se perdraient dans l'infini divin. Au cours du mouvement descendant comme au cours du mouvement ascendant, on retrouve les mêmes propositions qui se répondent. Cette structuration que l'on retrouve assez fréquemment dans les évangiles procède par englobement, par inclusion. C'est un procédé qui devait servir à mémoriser plus facilement les textes les plus riches et les plus denses de la pensée antique.
Les versets du prologue se répondent par groupes, de sorte qu'il est possible de tracer la figure suivante pour comprendre le mouvement interne qui préside à tout le développement :
le Verbe avec Dieu son rôle dans la création le don aux hommes le témoignage de Jean la venue du Verbe |
le Fils dans le Père le rôle de re-création le don aux hommes le témoignage de Jean l'incarnation |
La pensée du rédacteur du prologue est animée d'un mouvement qui part de Dieu pour faire retour vers Dieu après avoir rencontré le monde des hommes. Le Verbe, la Parole de Dieu, était auprès de Dieu. Il vient à la rencontre des hommes avant de retourner vers Dieu, le Père.
Mais la venue du Verbe dans le monde communique aux hommes le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Et c'est en ce qu'il permet aux hommes de devenir enfants de Dieu que le Verbe s'appelle désormais le Fils. Ce Fils retourne vers le Père, en emportant les hommes à sa suite.
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui et rien de ce qui fut ne fut sans lui.
En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point comprise Il y eut un homme envoyé de Dieu, son nom était Jean. Il vient en témoin rendre témoignage à la lumière afin que tous croient par lui. Il n'était pas la lumière mais il devait rendre témoignage à la lumière. Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. Il était dans le monde et le monde fut par lui et le monde ne l'a pas reconnu Il est venu dans son propre bien et les siens ne l'ont pas accueilli Mais, à ceux qui l'ont reçu à ceux qui croient en son nom il a donné le pouvoir |
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nous l'a dévoilé qui est dans le sein du Père le Fils unique Personne n'a jamais vu Dieu la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ Si la Loi fut donnée par Moïse, et grâce sur grâce nous avons reçu tous De sa plénitude, en effet, parce que, avant moi, il était. après moi vient un homme qui m'a devancé Voici celui dont j'ai dit :
Jean lui rend témoignage et proclame :
il tient du Père Fils unique, plein de grâce et de vérité,
nous avons vu sa gloire, cette gloire que, il a habité parmi nous et le Verbe fut chair mais de Dieu. ni d’un vouloir d'homme ni d’un vouloir de chair Ceux-là ne sont pas nés du sang |
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de devenir enfants de Dieu |
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Le
Verbe avec Dieu
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu ».
Chaque évangile s’inaugure par une introduction qui est propre à l’évangéliste. Marc, qui semble le moins doué des narrateurs, qui semble aussi très peu porté sur la contemplation mystique, réduit son introduction à une seule phrase, qui semble être un simple titre : « Commencement de l'Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». Matthieu commence par une liste généalogique typiquement juive pour placer son évangile sous le signe de l'attente de la réalisation des promesses faites dans l'Ancien Testament. Luc se situe dans le genre littéraire de l'hellénisme, en présentant le but et le contenu de l'ouvrage qu'il entreprend. Jean commence son évangile par une des pages les plus majestueuses et les plus denses du Nouveau Testament.
Au commencement...
Le premier mot du prologue est également le premier mot qui ouvre la Bible dans le récit de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa ». Il ne semble pas s'agir d'une coïncidence, mais bien d'une volonté délibérée de Jean, puisqu’il affirme clairement le rôle que peut avoir le Verbe dans la création. C’est par sa parole que Dieu crée le monde, dans le livre de la Genèse : « Dieu dit... et il en fut ainsi ». De même, la distinction entre la lumière et les ténèbres rappellent la séparation que Dieu fit entre les ténèbres et la lumière. Le rédacteur de l'évangile commence dont par l'affirmation d'une nouvelle création divine, en se situant immédiatement dans la perspective de la création première. En rappelant le premier mot de la Bible, l'évangéliste souligne qu'une nouvelle ère de l'humanité commence. Mais l'expression « au commencement » signifie même « dès avant le commencement ». La révélation qui sera faite de Dieu en Jésus-Christ trouve son origine dès avant le commencement de la création.
… était
le Verbe
Le Verbe désigne Jésus-Christ, mais celui-ci n'est nommément désigné qu'au verset 17 du prologue. Il est étonnant que Jean utilise ce nom pour désigner Jésus, alors qu'il ne le présente jamais comme tel dans son texte. Dans le prologue, le rédacteur évangélique désigne Jésus-Christ comme le Verbe sans donner aucune explication à ce terme. On a pensé que les contemporains de Jean, à la fin du premier siècle, étaient capables de faire l’identification avec le Logos grec, le démiurge de la philosophie issue du platonisme, l'intermédiaire divin qui assurait toute la création. Mais cette identification ne doit pas faire oublier que le Logos de la philosophie populaire de cette époque était un être impersonnel, une abstraction de la pensée métaphysique, alors que, pour l'école johannique, le Verbe est une réalité bien personnelle, bien concrète et repérable dans le cours de l'histoire.
Après avoir souligné l'origine intemporelle du Verbe, après avoir laissé penser que Jésus-Christ était le Verbe, le rédacteur du prologue utilise quatre fois l'imparfait du verbe « être » pour désigner les aspects de ce Verbe :
· était le Verbe
· et le Verbe était (tourné) vers Dieu
· et le Verbe était Dieu.
· Il était, au commencement, (tourné) vers Dieu.
Ce verbe « être » a sensiblement la même signification. Pourtant, dans la première phrase, il a le sens fort d'exister. C'est l'affirmation de la préexistence du Verbe, avant toute création. Dans la deuxième phrase, le sens de cet auxiliaire est quelque peu atténué par la présence d'un complément circonstanciel c'est plutôt la présence du Verbe qui est ainsi affirmée. Dans la troisième phrase, le rôle de cet auxiliaire semble encore davantage atténué au point de ne jouer que le rôle d'une copule reliant un sujet (le Verbe) à son attribut (Dieu). Dans la quatrième phrase, le rédacteur reprend l'idée de la création par le Verbe et l'idée de la présence de ce Verbe auprès de Dieu.
Comme le Verbe désigne, dans la pensée johannique, le Jésus historique, Jean veut montrer que cette personne appartient à un autre monde que celui des hommes : il appartient au monde de Dieu. Dieu, celui que les juifs appelaient Yahwé, celui que les premières générations chrétiennes désignaient comme le Père, est éternel. Mais, dès avant toute création, Dieu n'est pas seul. Il a auprès de lui sa Parole, son Verbe. Toutefois, il semble que ce que l'évangéliste veut souligner, ce n'est pas la proximité du Verbe par rapport à Dieu, mais surtout sa distinction d'avec Dieu le Père. S'il précise que le Verbe était Dieu, c'est que, d'une certaine manière, il n'est pas identique au Père il est autre que le Père, mais cette distinction ne porte pas sur la nature divine. Le Verbe n'est pas un autre Dieu, il est d'essence et de nature divines. De cette personne historique, Jésus de Nazareth, l'évangéliste pose une affirmation inouïe pour un juif monothéiste : il était non seulement avec Dieu, mais encore il était Dieu. Et Jean éprouve la nécessité de reprendre cette affirmation dans sa quatrième phrase, qui apparaît comme la répétition des précédentes : « Il était, au commencement, (tourné) vers Dieu ». La théologie chrétienne ultérieure précisera que le Père et le Verbe sont distincts dans leurs personnes, tout en étant un Dieu unique selon la nature divine qui est indivisible. Le Père et le Fils sont deux personnes distinctes, et, cependant, ils ne font qu'un seul et même être.
Son
rôle de création
« Tout fut par lui et rien de ce qui fut ne fut sans lui ».
Après avoir décrit les rapports du Verbe avec la divinité du Père, Jean va montrer le rôle que le Verbe va jouer dans la création, dans deux phrases successives, d'un parallélisme antithétique la deuxième proposition reprend, en effet, sous forme négative, ce qu'affirmait la première. L'indication du verbe (au passé simple, alors que ce qui était relatif à la personne du Verbe était marqué à l'imparfait) souligne l'état du devenir des choses créées, alors que l'imparfait pour le Verbe marquait sa préexistence éternelle. Tout devient, à un moment précis du temps, à l'exception du Père et de son Verbe. Le passage au devenir, du non-être à l'être, s’est effectué par l'entremise du Verbe même de Dieu qui était avant la création. Et l’évangéliste reprend cette affirmation sous une forme négative rien n'a pu devenir sans l'action du Verbe.
« Tout fut par lui et rien... ne fut... » Ce parallélisme, dans la construction des deux phrases, est encore souligné par les deux expressions : « par lui » et « sans lui ». Tout a été fait par l'action du Verbe et sans cette action rien n’a pu être fait. Toutefois, il faut peut-être creuser plus loin que dans le simple ordre naturel. De même que, dans l'ordre naturel, rien ne peut être fait sans l'action du Verbe, de même, dans l'ordre surnaturel, rien ne se fait sans l'action du Fils. L'homme n'est rien, spirituellement parlant, sinon dans le Fils, de même que, dans l'ordre naturel, rien n'a pu être fait sinon dans l'action du Verbe. C'est dans le Verbe que toutes les créatures trouvent la source de leur existence, comme c'est dans le Fils que tous les hommes trouvent la source de leur vie spirituelle.
Le don aux hommes
« En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point comprise ».
En
ne précisant pas si la vie dont il s'agit est la vie naturelle
ou la vie spirituelle, l'évangéliste souligne le fait
que toute forme de vie vient de Dieu et se répand dans toute
la création, des êtres naturels jusqu'aux êtres
spirituels. La vie, dans toute la création, a son origine dans
le Verbe de Dieu. Le Verbe n'est pas appelé « vie »
pour lui-même, mais en tant qu'il dispense sa vie aux
créatures, en tant qu'il fait participer les hommes à
la vie de Dieu. Et l'évangéliste fait passer son
lecteur d'une vie participée à une vie dans un sens
absolu, qui est d'être la lumière des hommes. La
littérature johannique souligne souvent ces deux états
de « vie », surtout dans la première
lettre : « Car la vie s'est manifestée, et nous
avons vu, et nous rendons témoignage et nous vous annonçons
la vie éternelle qui était tournée vers le Père
et s'est manifestée à nous » (1 Jn. 1, 3).
En ce sens, il désigne la vie absolue du Verbe qui s'est
manifestée aux hommes pour les entraîner dans une
participation à sa vie. La Vie éternelle, qui est dans
le Fils, devient vie éternelle participée dans la
créature. Tout ce qui a été créé
par le Verbe est vie par le Verbe. Et si l'on peut appeler « vie »
le Verbe, c'est parce qu'il est source de toute vie dans le monde de
la création.
Dans la littérature biblique, lumière et vie vont de pair. Dans le récit de la Genèse, la lumière est antérieure à toute forme de vie. Si, dans le prologue de Jean, la lumière n'est pas dite source de vie, les deux idées sont pourtant unies. Le Verbe est source de vie et source de lumière. Quand la lumière est venue dans le monde des hommes, le monde entier était plongé dans l'obscurité, il avait besoin de la lumière. Les ténèbres dont il est ici question ne peuvent donc pas désigner les hommes. L'évangéliste souligne souvent que les hommes marchent dans les ténèbres : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marche pas dans les ténèbres » (Jn. 8, 12), mais jamais il ne dit que les hommes sont eux-mêmes les ténèbres. Il faudrait plutôt voir dans cette opposition de la lumière et des ténèbres une image qui illustre le combat entre le Messie et Satan, le monde de la lumière et le monde des ténèbres, dont le combat était développé dans la littérature juive du premier siècle, particulièrement chez les membres de la communauté de Qumram. cependant, Jean n'hésite pas à personnifier la nuit, les ténèbres, dans un individu particulier : « Quant à Judas. ayant pris la bouchée, il sortit immédiatement. Il faisait nuit » (Jn. 13, 31).
Aussi devient-il difficile d'identifier les ténèbres johanniques avec le monde satanique. Quand il écrit que la lumière est venue dans les ténèbres, il ne peut pas désigner le monde satanique, mais bien le monde des hommes qui peuvent se laisser prendre par le refus de Dieu et de sa révélation, devenant ainsi eux-mêmes ténèbres, monde incroyant. Mais si le monde des ténèbres ne peut pas comprendre la lumière, celle-ci n'en continue pas moins de briller dans les ténèbres. Ces dernières peuvent vaincre le monde des hommes, mais elles n'arriveront jamais à vaincre la lumière.
Le témoignage de Jean-Baptiste
« Il y eut un homme, envoyé de Dieu, son nom était Jean. Il vient en témoin pour rendre témoignage à la lumière afin que tous croient par lui. Il n'était pas la lumière mais il devait rendre témoignage à la lumière ».
Après
des considérations sur la nature et l'action extratemporelle
du Verbe, l'évangéliste le fait entrer dans le monde
des hommes, en indiquant l'apparition prophétique de son
précurseur. La tournure de cette présentation, qui
relève plus de la prose que de la poétique, de même
que son correspondant au v. 15, a donné à penser à
certains critiques qu'il s'agissait d'une addition au texte primitif
du prologue, tel qu'il avait été édité
par l'école johannique,
Le nouveau personnage qui apparaît sur la scène historique est introduit à la manière des grands hommes de l'Ancien Testament : « Il y eut un homme... », formule protocolaire pour signifier l'importance de l'homme dont on va parler. La qualification de cet homme suit immédiatement, avant même l’indication de son identité : il est « envoyé de Dieu », il est investi d'une mission par Dieu, son rôle sera d'être prophète, de sorte que la parole qu'il prononcera ne viendra pas de lui, mais bien de Dieu qui l'a envoyé. « Son nom était Jean » ; c’est un nom fréquent chez les juifs, il signifie : Dieu fait grâce, Dieu est clément. Rien, dans le texte ne permet de dire si l'évangéliste établit une relation entre le nom de Jean et celui de Jésus, qui signifie Dieu sauve. Le rédacteur se limite à l'essentiel en indiquant simplement le nom de l'envoyé, sans lui attribuer de généalogie. La mission de cet envoyé sera d'être « témoin, pour rendre témoignage à la lumière ». Comme tout prophète, Jean doit s'effacer devant sa mission, devant le message qu'il proclame. Le quatrième évangile tout entier se présente d'ailleurs davantage comme un témoignage que comme un récit circonstancié de la vie de Jésus : il retrace son existence historique comme un conflit opposant Jésus au monde incrédule, aboutissant au procès de Jésus et à sa mise à mort ; et même, ce conflit se poursuit après la mort de Jésus, puisque l'Esprit continue de témoigner au cœur des disciples : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi, et à votre tour, vous me rendrez témoignage parce que vous êtes avec moi depuis les commencement » (Jn. 15, 26-27).
Le
témoignage apparaît, dans le quatrième évangile
comme une prise de position par rapport à Dieu. Ici, le
Baptiste prend position par rapport au Verbe de Dieu, à la
Lumière qu'il apporte dans le monde. Il peut paraître
quelque peu étonnant que la lumière ait besoin d'un
témoignage : n'est-elle pas visible et reconnaissable par
elle-même ? Mais c'est précisément parce que la
lumière qui se manifeste dans l'incarnation du Verbe se voile
aux yeux des hommes qu'il est nécessaire que quelqu'un lui
rende témoignage, un témoignage qui provoquera la foi
chez ceux qui le recevront, C'est ce que le quatrième évangile
souligne, en présentant la vocation des premiers disciples :
« Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même
endroit avec deux de ses disciples. Fixant son regard sur Jésus
qui marchait, il dit : Voici l'Agneau de Dieu. Les deux disciples
écoutèrent cette parole et suivirent Jésus »
(Jn. 1, 35-37). La manière dont le Baptiste rendit ce
témoignage est également explicitée, dans le
récit très sobre par lequel il évoque le baptême
de Jésus : « Et Jean porte ce témoignage en
disant : J'ai vu l'Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et
demeurer sur lui... et moi j'ai vu et j'atteste qu'il est, lui, le
Fils de Dieu » (Jn. 1, 32 et 34).
La définition du témoignage est l'affirmation de ce qui a été vu et entendu par quelqu'un devant ceux qui ne voient pas ou n'ont pas vu. Jean-Baptiste est celui qui a vu, il a porté témoignage pour que les hommes puissent croire en Jésus et le suivre, ce que firent les premiers disciples, venus des milieux fréquentant le Baptiste. L'insistance du verset 8, qui souligne que Jean n'était pas la lumière, peut s'expliquer par les dissensions qui existaient, à la fin du premier siècle, entre communautés chrétiennes et communautés fidèles au Baptiste. Ces dernières prétendaient que Jean-Baptiste était supérieur à Jésus et que, seul, le baptême de Jean avait le pouvoir de remettre les péchés. Le rédacteur oppose à cette prétention une négation radicale : « Il n'était pas la lumière ».
La venue du Verbe
« Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. Il était dans le monde et le monde fut par lui et le monde ne l'a pas reconnu. Il est venu dans son propre bien et les siens ne l'ont pas accueilli ».
Jésus, le Verbe de Dieu, est désigné comme la vraie lumière, non pas seulement en comparaison de Jean-Baptiste qui sera présenté comme « la lampe qu'on allume et qui brille, et vous avez bien voulu vous réjouir pour un moment à sa lumière » (Jn. 5, 35), mais surtout en comparaison de l'Ancien Testament. Le Verbe est la révélation définitive de Dieu, sa Parole. La vérité, dans la pensée sémitique, est synonyme de la réalité : est vrai ce qui est réel, est vrai ce qui correspond bien à ce qu'on attend. L'Ancien Testament apportait quelque vérité, mais il n'était pas la Vérité, parce que Dieu n'avait pas encore achevé d'effectuer sa révélation aux hommes. Non seulement, le Verbe est la Lumière, mais surtout il est la Vraie Lumière. Pour l'évangéliste, Jésus apporte la révélation définitive de Dieu. En lui, cette révélation est devenue réalité.
Cette
lumière est venue dans le monde. Jean ne précise pas
encore le mode de la venue de la lumière dans le monde. Il ne
faudrait sans doute pas limiter cette venue à la seule
incarnation, alors que l'évangéliste vient aussi de
parler de différentes présences successives du Verbe
dans le monde : sa présence comme principe créateur, sa
présence dans le peuple juif, sa présence par
l'incarnation. Si la venue dans le monde du Verbe s'adresse d'abord
au peuple juif, à qui la première révélation
de Dieu a été faite, la lumière du Verbe
s'adresse aussi à tout homme. L'expression « venant
dans le monde » indique, dans le quatrième
évangile, la personne du Messie : « Je crois que tu
es le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde » (Jn.
11, 27), affirme Marthe à Jésus, avant la résurrection
de Lazare. Et les versets suivants du Prologue expriment la venue du
Verbe dans le monde créé, puis chez les siens. La
révélation s'adresse au monde entier, mais elle devait
passer par le peuple juif. Le monde créé par le Verbe
ne l'a pas reconnu, et même Israël, son peuple, ne l'a pas
accueilli. L'évangéliste ne peut pas parler de la
lumière du Verbe sans évoquer immédiatement la
présence des ténèbres qui refusent de recevoir
la lumière. Ce monde a été créé
par la volonté de Dieu et il est bon en lui-même ;
il ne devient mauvais que par la volonté de l’homme qui
refuse de recevoir la lumière. Le rédacteur évangélique
fait ainsi une allusion directe au récit de la chute. Depuis
les origines, Satan apporte dans le monde le mensonge. Et, depuis
lors, le monde ne peut connaître que les ténèbres,
alors qu'il attend avec impatience la venue de la lumière.
Dans une même phrase, l'évangéliste parle du
monde dans deux sens différents. Le monde, c'est l'ensemble
des choses créées, particulièrement les hommes
qui constituent un ensemble privilégié dans la
création. En lui-même, le monde n'est pas mauvais,
puisque Dieu l'aime et lui envoie son Fils : « Dieu a tant
aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que
tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie
éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non
pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par
lui » (Jn. 3, 16-17). En fait, le monde créé
par Dieu et son Verbe, a refusé de recevoir le message du
Verbe, et c'est pourquoi, ici, le monde prend un sens péjoratif,
celui du monde hostile au Christ et à ses fidèles :
« je leur ai donné ta parole et le monde les a pris
en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du
monde. Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les
garder du mauvais » (Jn. 17, 14-15).
Le fait, pour le monde, de « reconnaître » le Verbe renvoie à la pensée sémitique selon laquelle la connaissance d'une personne n'est pas uniquement une indication sur son identité, mais une connaissance par l'intime. Connaître quelqu'un, c'est découvrir qui il est en profondeur, bien plus que par son simple comportement. Reconnaître en Jésus la lumière du monde, le Verbe de Dieu, c'est découvrir qu'il est l'envoyé de Dieu, celui qui vient dans le monde pour que, par lui, le monde soit sauvé. De plus, non seulement le monde qu'il a créé ne l'a pas reconnu, mais aussi les siens, c'est-à-dire le peuple juif, ne l'a pas accueilli. Le peuple d'Israël n'a pas découvert en Jésus le Créateur du monde, le Sauveur du peuple. Même ceux qui pouvaient être les familiers de Dieu, grâce à l'alliance passée entre Yahwé et son peuple, n'ont pas accueilli celui qui devait venir dans le monde en réponse à l'attente prophétique et messianique.
Par le Verbe incarné, les hommes peuvent devenir enfants de Dieu.
« Mais, à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang ni d'un vouloir de chair ni d'un vouloir d'homme mais de Dieu ».
Dans l'expression même, l'évangéliste change de ton. Après avoir exprimé ce qui pouvait être la tristesse de ne pas voir le Verbe accueilli dans le monde, il va indiquer la joie qui sera celle de ceux qui, malgré les apparences parfois trompeuses, ont pu recevoir ce Verbe venu dans le monde. C'est la parole centrale du prologue qui se trouve exprimée le Verbe de Dieu, c'est-à-dire le Fils même de Dieu, s'est fait homme pour que tous les hommes puissent devenir enfants de Dieu. D'ailleurs, saint Jean ne désignera plus désormais Jésus sous le nom de Verbe, mais sous celui de Fils. Et tous ceux qui ont accueilli le Verbe connaissent alors une régénération spirituelle ils vont devenir enfants de Dieu.
L'évangéliste donne l'impression de faire une concession. Alors qu'il vient de dire que les hommes n'ont pas reçu le Verbe, il semble se contredire, puisqu'il reconnaît qu'un certain nombre pourtant le reçurent. Certes, le peuple juif, dans son immense majorité, a refusé de recevoir le Christ, mais il y a quand même eu des exceptions. A ceux-là, qui sont l'exception, le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Les juifs, en tant que nation, ont refusé de recevoir le Christ, mais ce rejet national a été souligné par la foi personnelle de quelques-uns : ceux-ci ont mis leur foi dans le Christ, non pas en tant que juifs, mais bien en tant qu'hommes. Il se peut que l'évangéliste fasse une discrète allusion à ce petit reste d'Israël dont parlaient les prophètes. Au milieu de l'idolâtrie générale, il reste un petit groupe d'hommes qui se préparent à former le peuple nouveau, le peuple de Dieu dans sa vérité.
Recevoir le Verbe entraîne pour ces hommes la foi en son nom : ceci indique clairement l’attachement des disciples à leur maître qui reçoit, comme le dit l'apôtre Paul : « le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au seul nom de Jésus, tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et sous la terre, et que toute langue proclame : Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Phi. 2, 9-11).
Croire en son nom, c'est s'en remettre totalement à sa personne. Tout le quatrième évangile indiquera, sous la forme du témoignage, comment la foi progresse, de son éclosion (dans la rencontre d'un homme) jusqu'à son plein épanouissement (dans le fait de reconnaître cet homme comme le Fils envoyé par le Père). Celui qui croit devient enfant de Dieu, ou du moins reçoit le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Le terme « pouvoir » ne doit cependant pas désigner une maîtrise absolue que les hommes pourraient acquérir sur la vie divine, mais simplement une possibilité que les hommes sont susceptibles d'accepter ou de refuser. La foi de l'homme ne le constitue pas immédiatement comme enfant de Dieu, mais Dieu, en raison de la foi de l’homme, fait de cet homme son enfant. Mais cette possibilité reste encore du domaine du devenir : « Dès à présent, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est » (1 Jn. 3, 2).
La présentation de l'homme comme enfant de Dieu est encore soulignée par l'image de la naissance, avec le parallélisme :
le recevoir |
devenir enfants de Dieu |
croire en son nom |
être nés de Dieu |
L'accueil du Verbe, du Fils de Dieu, par la foi, donne lieu à une nouvelle naissance, à une régénération spirituelle. L'homme devient à son tour fils de Dieu, non pas dans une naissance comparable à la naissance des hommes par l'impulsion charnelle. Naître de Dieu prend une dimension toute différente de naître de l'homme : « En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le royaume de Dieu... Nul, s'il ne naît de l'eau et de l'Esprit ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est Esprit » (Jn. 3, 3...8).
A ce niveau de la naissance spirituelle des hommes, le creux de l’incarnation est atteint : le but de la venue du Verbe dans le monde est réalisé. Les hommes peuvent devenir enfants de Dieu. Et le mouvement symbolique de la parabole géométrique va pouvoir remonter vers le Père, dans toute la seconde partie du prologue.
L'incarnation
« Et le Verbe fut chair, il a habité parmi nous. Nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique, plein de grâce et de vérité, il tient du Père ».
Le contraste le plus flagrant est celui qui existe entre le Verbe et la chair qui, dans la pensée sémitique, sont en opposition, comme le spirituel et le charnel dans la pensée occidentale. Le Verbe, Parole éternelle de Dieu, quitte son mode d'existence éternelle pour entrer dans le mode d'existence du devenir. La chair, ce n'est pas seulement le corps de l'homme, c'est surtout ce qui constitue la personne humaine dans son ensemble, c'est l'homme tout entier considéré dans sa vérité humaine d'être voué à la corruption et à la mort. La chair désigne l'humanité dans sa faiblesse.
Ainsi le Verbe est devenu chair, c'est-à-dire un être fragile et voué lui aussi à la mort pour répondre à la loi qui préside à toute humanité. Toutefois, il ne conviendrait pas de conclure trop rapidement que, pour Jean, le Verbe, en devenant chair, ait cessé d'être Dieu. Ce qu'il souligne, c'est que le Verbe est devenu semblable aux hommes, en revêtant une humanité semblable à la leur. Peut-être le rédacteur évangélique visait-il les docètes qui ne reconnaissaient pas en Jésus-Christ un homme semblable aux autres hommes mais simplement une apparence d'humanité. En tout cas, il apparaît que, dans le quatrième évangile, l'expression « Jésus-Christ » ou même « Jésus » ne désigne jamais le Fils de Dieu préexistant, mais simplement le Jésus de l'histoire. La révélation n'est pas une simple apparence, elle possède une réalité qui s'est faite proche des hommes, dans l'incarnation du Fils de Dieu.
« Il a habité parmi nous » (littéralement : il a dressé sa tente). Le verbe même désigne le fait que Dieu demeure parmi son peuple. Au temps de l'Exode, qui était le meilleur temps de l'histoire du peuple, Dieu habitait sous la tente comme tous les membres du peuple d’Israël, dans leur migration. Les pérégrinations d'Israël furent, pour le peuple, la période idéale, et le souvenir de Yahwé demeurant sous la tente est resté dans la tradition juive comme le signe de sa présence éternelle : « Quand Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait, se tenait à l'entrée de la tente et parlait avec Moïse. Tout le peuple voyait la colonne de nuée dressée à l'entrée de la tente tout le peuple se levait, et chacun se prosternait à l'entrée de sa tente » (Ex. 33, 9-10). Si, dans ce texte de l'Exode, la gloire de Yahwé envahissait la tente, dans le prologue, la gloire du Père va remplir toute l'humanité de Jésus.
« Nous avons vu sa gloire ». Cette vision de la gloire du Verbe n'est pas seulement une vision de la foi, elle est d'abord une vision physique : les disciples ont contemplé de leurs yeux la gloire dont a été investi Jésus de Nazareth. Jean n'est pas un rêveur, et il revient sur cette idée dans la première lettre : « Ce qui était, dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie - car la vie s'est manifestée et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle qui était tournée vers le Père et s'est manifestée à nous - ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous » (1 Jn 1, 1-3).
La gloire, contemplée par les disciples, est le signe de la présence de Dieu. C'est la forme caractéristique par laquelle Dieu se manifeste dans sa supériorité et dans sa transcendance. La gloire de Dieu, c'est Dieu lui-même qui se rendait présent à son peuple en contemplant la gloire de Yahwé, le peuple entrait dans la proximité du monde divin. L'évangéliste reviendra souvent sur cette mention de la gloire de Jésus, qui se manifeste dans tous les actes concrets de son existence terrestre : « Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (Jn. 2, 11) ; « Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verrais la gloire de Dieu ? » (Jn. 11, 40). La gloire de Dieu, dans le quatrième évangile, se manifeste dans les signes concrets que Jésus accomplit. Il montre ainsi la puissance divine qui agit en lui, et il signifie ainsi que Dieu s'est rendu présent à son peuple.
Certains auteurs pensent que Jean fait allusion à la transfiguration à laquelle, selon le témoignage des synoptiques, il aurait lui-même assisté. Mais le quatrième évangile n'a laissé aucune place à cet événement, préférant insister sur la gloire qui sera celle de Jésus après la résurrection. Jean n'emploie d'ailleurs pas le terme de gloire sans faire une référence plus ou moins explicite à l'heure de Jésus, cette heure qui lui fera connaître la gloire.
« Nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique, plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». La manifestation de la gloire de Jésus conduit l'évangéliste à poser l'identité même de ce Jésus : il est « le Fils unique » ; cette expression ne se trouve que chez Jean, les synoptiques nomment Jésus « le Fils bien-aimé » sans insister aussi fortement sur la filiation divine absolue de Jésus-Christ. Jean approfondit donc la connaissance que les premières communautés chrétiennes pouvaient avoir de Jésus. Non seulement il est le Fils bien-aimé du Père, mais aussi et surtout, il est le Fils unique. Et, en tant que tel, il possède la plénitude de la grâce et de la vérité. La grâce et la vérité désignent, dans l'Ancien Testament, la miséricorde de Dieu pour son peuple et la fidélité qu'il témoigne pour son alliance avec ce peuple. Pour l'évangéliste, l'amour fidèle de Dieu pour Israël a trouvé en Jésus une expression parfaite qui n'a jamais été atteinte dans toutes les manifestations antérieures de la miséricorde de Dieu.
Le
témoignage de Jean-Baptiste
« Jean lui rend témoignage et proclame : Voici celui dont j'ai dit après moi vient un homme qui m'a devancé parce que, avant moi, il était ».
Comme les versets 6-8, ce verset 15 rompt le rythme poétique des idées exprimées. Certains critiques pensent qu'il a été introduit après coup. Pourtant, l’introduction de la grâce divine, dans le verset précédent, appelait presque nécessairement une comparaison entre l'Ancien Testament et le Nouveau. Et c'est Jean-Baptiste qui constitue une sorte de frontière entre les deux modes de la révélation divine. Le témoignage de Jean met une fin au régime provisoire de l'Ancien Testament. Et celui qui était reconnu comme « envoyé de Dieu » proclame que Jésus n'est pas un envoyé comme les autres, car il tire son origine de toute éternité. La préexistence du Fils (« avant moi, il était ») peut ainsi souligner une fois de plus le caractère définitif de sa mission. Il ne s'agit pas simplement d'une antériorité chronologique. Si, d'une certaine manière, Jésus peut apparaître comme le disciple du Baptiste, puisqu'il vient après lui, le Baptiste proclame que celui qui semble être un disciple est, en réalité, supérieur au maître la raison en est qu'avant lui il était. Et ce verbe exprime encore la préexistence du Fils, qui se place dans un absolu transcendant le temps : « En vérité, en vérité, je vous le dis : avant qu'Abraham fut, je suis » (Jn. 8, 58).
L'antériorité de Jésus sur Jean ne se situe pas sur le niveau de la simple chronologie, mais sur le niveau de l'ontologie, sur celui de l’être, puisqu'il était avant Abraham, le père de tous les croyants.
Le don aux hommes
« De sa plénitude, en effet, tous, nous avons reçu et grâce sur grâce »
Le terme « plénitude » (qui ne se trouve qu'ici chez saint Jean) reprend certainement l'expression « plein de grâce et de vérité » du verset 14. La plénitude de la divinité que le Fils reçoit du Père, le Fils la transmet aux hommes « qui croient en son nom » et qui l'ont reçu. L'évangéliste s'adresse alors directement aux croyants auxquels lui-même s'adjoint, en se désignant avec eux comme « tous, nous » (c’est-à-dire : tous, nous qui l’avons reçu et qui croyons en lui). En recevant le Fils, les croyants reçoivent de lui « et grâce sur grâce ». Cette expression est difficile : la préposition grecque qui est traduite par « sur » signifie « à la place de » ou « après ». Si l'on accepte le premier sens, l'évangéliste dirait que l'Ancien Testament était déjà une grâce, mais si cette première grâce de Dieu a dû être supplantée par une autre, c'est qu’elle aurait manqué son but... Comme, dans le prologue, il existe une opposition constante entre l'Ancien Testament et le Nouveau, il est difficile de penser que l'évangéliste ait pu penser à une grâce en désignant l'Ancien Testament. Mais si on accepte le sens de « après », la référence n'est plus faite à l'Ancien Testament ; dans la nouvelle économie du salut, apportée en Jésus-Christ, nous recevons grâce après grâce, si bien que l'Ancien Testament ne compte plus.
Rôle de re-création
« Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».
Tout l'Ancien Testament peut se résumer en un seul mot « la Loi », une Loi qui finissait par être extérieure aussi bien à Dieu qui la donnait qu'à l'homme qui la recevait. La Loi mosaïque était loin d'être une grâce ; dans ses applications religieuses, elle exigeait la soumission de l'homme. Dans la mesure où celui-ci se soumettait à cette Loi, Dieu gardait son peuple et le protégeait contre ses ennemis, mais si le peuple abandonnait la Loi, Dieu cessait de le protéger et le peuple tombait sous les coups de ses ennemis. En fait, le peuple ne s'est jamais soumis complètement à la Loi, expression de l'alliance entre Yahwé et Israël. Les prophètes ont sans cesse proclamé la nécessité de renouveler l'alliance, qui ne serait plus inscrite sur des tables de pierre, mais dans le cœur des hommes : « Voici venir des jours, parole du Seigneur, où je conclurai une alliance nouvelle avec la maison d'Israël et la maison de Juda. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Jér. 31, 31-32). Ezéchiel annonçait aussi la venue des temps messianiques, comme d'un renouvellement de l'alliance : « Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai au fond de vous un esprit nouveau, j'enlèverai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (Ez. 35, 26).
Toute l'alliance nouvelle est centrée non pas sur la Loi, mais sur l'amour. Et l'évangéliste va présenter Jésus comme le médiateur de l'alliance nouvelle qui sera faite de « grâce et de vérité », de la miséricorde divine elle-même. La grâce et la fidélité que l'homme ne pouvait conserver sous le régime de la Loi, Dieu les a déposées dans le cœur même des hommes par Jésus-Christ, dont le nom est indiqué pour la première I'ois dans ce prologue: l'alliance nouvelle est ainsi inaugurée. La création ancienne disparaît pour faire place à la création nouvelle.
Le Fils dans le Père
« Personne n'a jamais vu Dieu. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a dévoilé ».
Reprenant l'antique croyance, Jean affirme que personne ne peut voir Dieu sans mourir. Personne, sinon le Fils qui a été identifié précédel1m1ent au Verbe, lequel « était au commencement tourné vers Dieu ».
La finale du prologue reprend donc le thème initial et annonce la suite de l'évangile Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, va dévoiler aux hommes Dieu son Père. Jamais aucun homme, même les plus grands de l'histoire du peuple juif, n'avait été admis en présence de Dieu, jamais aucun homme non plus n'avait pu parler parfaitement et adéquatement de Dieu. Seul, le Fils sera capable de le manifester aux hommes. Personne ne pouvait parler mieux du Père que le Fils. Jésus-Christ sera « l'exégète » de Dieu. C'est tout ce que veut montrer l'évangile johannique.