La première lettre de saint Jean
L’évangile
selon saint Jean avait pour but de montrer à ses lecteurs que
Jésus était bien le Christ, le Fils de Dieu, afin que
ceux-ci puissent croire en lui et obtenir ainsi la vie au nom de
Jésus-Christ : « Jésus a opéré
sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas
consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été
pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu
et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom »
(Jn. 20, 30-31). L’auteur de la première lettre de saint
Jean s’efforce plutôt de fortifier la foi de ses lecteurs et
de les mettre en garde contre les fausses doctrines qui pouvaient les
troubler.
Proposition d’une structure pour cette lettre
En lisant cette lettre, le lecteur, surtout s’il est un occidental soucieux de rigueur logique, est embarrassé : c’est en vain qu’il cherche une progression logique de la pensée. L’auteur revient régulièrement sur les mêmes thèmes, et sa pensée se déploie, à la manière d’une spirale, autour d’une idée directrice la communion des croyants avec Dieu. Cette idée est évoquée dès le prologue : « Notre communion est communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ » (1 Jn. 1, 3). Cette idée est d’ailleurs reprise, en termes équivalents, en finale : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (1 Jn 5, 13).
Toute la lettre se présente comme une analyse des différents critères qui permettent aux croyants de reconnaître qu’ils vivent bien en communion avec Dieu et qu’ils participent ainsi à la vie éternelle.
Le prologue
De même que l’évangile s’inaugure par une hymne solennelle à propos du Verbe, le Fils de Dieu venu dans la chair des hommes, de même cette première lettre commence par l’énoncé du thème principal, sous une forme qui rappelle le prologue de l’évangile par son rythme et par ses idées principales : le Verbe de vie, voir, témoigner... Le rédacteur exprime le thème fondamental assurer la communion des croyants avec le Père et avec le Fils, et assurer la communion des croyants entre eux en gardant fidèlement le témoignage apostolique.
Le croyant participe à la lumière de Dieu
Le premier critère qui assure la communion des croyants avec Dieu le Père et avec son Fils, c’est de participer à la lumière de Dieu : Dieu est lumière. Ce premier critère est exposé de trois manières successives :
marcher dans la lumière, rompre avec le péché : 1, 5- 2, 2
observer le commandement d’amour : 2, 3-11
se garder du monde et des antichrists : 2, 12-28
Le croyant est fils de Dieu
Le deuxième critère qui assure cette communion, c’est la filiation des hommes en Dieu : Dieu est Père. Et ce critère de filiation divine est lui aussi exposé de trois manières successives :
pratiquer la justice et ne pas pécher : 2, 29 - 3, 10
pratiquer la justice à l’exemple du Fils de Dieu : 3, 11-24
discerner les esprits par la foi en Jésus-Christ : 4, 1-6
Le croyant vit de l’amour
Le troisième critère (qui ne se développe que sous son aspect positif, puisque la mention de la fuite du péché est totalement omise, affirme la grande réalité de Dieu : Dieu est Amour. Le critère est explicité de deux manières :
l’amour vient de Dieu et s’enracine dans la foi : 4, 7-21
la foi dans le Fils est la racine de l’amour : 5, 1-12
Conclusion
Elle s’exprime en une phrase : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (5, 13). Cette finale peut être comparée avec la finale de l’évangile.
Epilogue
La reprise commencée au verset 14 fait penser à un post-scriptum qui rappelle les idées essentielles de la lettre. Après une recommandation sur la prière, spécialement pour les pécheurs, le rédacteur de la lettre résume l’enseignement qui vient d’être donné.
Seulement, cette lettre apporte une difficulté supplémentaire. A la différence des lettres de l’Antiquité et des lettres apostoliques, elle commence sans nom d’auteur et sans indication de destinataires, sans salutations et sans vœux d’usage à la fin... on a donc pensé que cette lettre relevait du genre de l’homélie, puisque, à la manière du prédicateur, le rédacteur s’adresse à ses lecteurs comme à ses enfants...
Le prologue : message d’un témoin oculaire
Dans une introduction, qui n’est pas sans rappeler le prologue du quatrième évangile, le rédacteur de cette première lettre de Jean identifie le Verbe au Fils, puis le Fils à Jésus-Christ. Le prologue de la lettre rappelle les grands thèmes du prologue du quatrième évangile :
Ce qui était au commencement ce que nous avons entendu ce que nous avons vu de nos yeux ce que nous avons contemplé ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, car la vie s’est manifestée
et nous avons vu
et nous rendons témoignage
et nous vous annonçons la vie éternelle qui était tournée vers le Père et s’est manifestée à nous - Ce que nous avons vu et entendu nous vous l’annonçons à vous aussi afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ. Et nous vous écrivons cela pour que votre joie soit complète. |
Au commencement était le Verbe, ...et le Verbe fut chair il a habité parmi nous nous avons vu sa gloire
En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière brille dans les ténèbres Il y eut un homme, envoyé de Dieu, son nom était Jean. Il vient en témoin pour rendre témoignage à la lumière
et le Verbe était tourné vers Dieu. |
Le rédacteur souligne d’une manière particulièrement intense la réalité de la nature humaine en Jésus, par l’emploi de verbes qui indiquent les différents modes de perception sensorielle voir, entendre, toucher. C’est le dualisme gnostique, sous une forme primitive, qui est ainsi visé. Ce dualisme affirmait que ce qui relevait de la chair était irrémédiablement mauvais, alors que la réalité spirituelle ne pouvait être que bonne puisqu’elle venait de Dieu. L’auteur, en posant l’incarnation du Verbe de Dieu, en affirmant son existence réelle dans la chair, une chair semblable à celle des hommes, refuse de reconnaître cette dualité, refuse de reconnaître que la chair est nécessairement et radicalement mauvaise, puisque le Verbe s’est réellement incarné en Jésus-Christ.
Dès
le commencement de cette lettre, le rédacteur se situe donc
dans la même perspective que le rédacteur de l’évangile.
Les mêmes thèmes sont repris de part et d’autre :
· la préexistence du Verbe
· son incarnation
· l’identification du Verbe à la vie
· le témoignage qu’il faut lui porter
Mais aussitôt la visée du rédacteur épistolaire change. Le but de l’évangile était de faire connaître le Père, dont le Fils devenait l’exégète. Le but de la lettre sera d’annoncer Jésus-Christ, le Verbe de Dieu venu dans la chair. Toutefois, cette annonce de Jésus-Christ a pour visée ultime de faire entrer le croyant dans la communion divine, c’est-à-dire dans la vie éternelle comme le dira la finale de la lettre : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (1 Jn 5, 13).
La personne de Jésus-Christ dans cette lettre
Toute la lettre insiste sur le fait que Jésus est le Christ, le Fils unique de Dieu. Mais, pas une seule fois, Jésus n’est désigné sous le nom de Seigneur. Le souci majeur de l’école johannique est de montrer que Jésus est, avant tout le Fils de Dieu. L’affirmation de la seigneurie de Jésus lui parait insuffisante pour exprimer la filiation divine.
Mais si le rédacteur insiste sur cette filiation, il ne parle jamais du lien d’amour qui peut exister entre le Père et le Fils alors qu’il insiste longuement sur l’amour que les croyants doivent se témoigner les uns aux autres en raison de l’amour que le Père a témoigné à l’humanité en lui envoyant le Fi1s unique, car l’envoi du Fils dans le monde apparaît bien comme une preuve d’amour, mais celle-ci est appliquée aux hommes et non pas au seul Fils. Toutefois, comme dans l’évangile d’ailleurs, le Fils apparaît dans une relation très étroite avec le Père, sans que celle-ci ne reçoive de nomination précise : la communion des chrétiens est communion avec le Père et avec le Fils.
La personne du Fils, Jésus-Christ, outre son identification initiale avec le Verbe, dès avant la création du monde, reçoit la mission de son Père pour le salut des hommes :
· il est victime d’expiation (2, 1-2)
· il vient pour enlever le pêché (4, 10)
· pour détruire les oeuvres du Diable (3, 8)
· pour donner sa vie pour nous (3, 16)
· afin que nous vivions par lui (4, 9)
· afin que nous connaissions l’amour (3, 16)
· il est notre défenseur auprès du Père (2, 1).
Le
Christ est « victime d’expiation » Dans
toutes les religions de type sacrificiel, le sacrifice suppose une
mise à part, une séparation la victime est un trait
d’union entre la communauté humaine et le sacré
divin. La victime n’appartient pas totalement à la société
: le meurtre, même rituel, d’un membre de celle-ci exigerait
et engendrerait la vengeance. La victime n’est jamais le coupable
lui-même, car faire violence au violent, c’est rester dans le
monde de la violence, alors que l’on veut précisément
exorciser la violence. Le sacrifice suppose aussi toujours un
sentiment de culpabilité, mais il comporte aussi une dimension
de réconciliation. Il existe comme une structure d’échange
entre l’homme et la divinité, un échange qui fait
précisément que l’homme reste l’homme et que le
dieu reste le dieu. Le sacrifice du Christ comme « victime
d’expiation », est le sacrifice de Dieu lui-même :
il n’appartient pas totalement à la société
des hommes, il est une victime qui pourra assurer la réconciliation
sans engendrer la violence.
La christologie, exprimée dans cette première lettre, relie aussi l’œuvre de Jésus à sa personne. Et cette doctrine peut paraître plus complète que celle qui se trouvait dans l’évangile, puisque la mention de l’expiation des péchés ne se rencontre pas dans le quatrième évangile, si l’on excepte le témoignage que le Baptiste rend à Jésus : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn. 1, 29).
Encore faudrait-il préciser ce qu’est le péché pour le rédacteur de cette lettre, le péché consiste en ce que l’on ne croit pas au Christ. En comparaison de l’incrédulité, tous les péchés ne sont que des réalités transitoires que la foi peut surmonter. Le péché, dans la littérature johannique, n’est en rien comparable à ce que les adversaires de .Jésus appelaient son péché, au cours de sa vie publique : sa non-observance du repos sabbatique, son non-respect des ablutions rituelles, sa prétention à se présenter comme le Fils de Dieu.
Et c’est précisément cette prétention de Jésus qui retombe sur ses détracteurs aidés par les Écritures, ils auraient dû reconnaître en Jésus le Christ, le Fils de Dieu, ils auraient dû découvrir que ses paroles et ses actes justifiaient sa prétention. Le péché, c’est de refuser de reconnaître Jésus comme 1e Christ, comme le Fils de Dieu.
Toutes les manifestations de péché tombent d’elles- mêmes quand on reconnaît dans la foi l’identité véritable de ce Jésus. Quand l’homme refuse de reconnaître cette identité, il participe directement à l’œuvre du Diable que le Fils de Dieu est venu détruire : « C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors. Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 31-32), « Le prince de ce monde a été jugé » (Jn 16, 11).
Ce jugement et cette destruction des oeuvres du Diable s’opèrent dans le don que le Fils fait de sa vie pour les hommes. C’est dans le sacrifice que Jésus-Christ fait de lui- même que les hommes peuvent trouver le salut. La première lettre de Jean est remplie d’affirmations concernant la mort de Jésus : cette mort indique à l’homme le chemin du pardon, elle lui donne l’exemple de l’amour. Le Christ peut accomplir son oeuvre parce qu’il est lui-même sans péché (3, 5), parce qu’il est une victime innocente, et sa mort sera une victoire sur le péché : « Le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché ». (1 ln. 1, 7).
Mais cette purification n’est obtenue par les hommes que dans la communion ecclésiale, que dans la mesure où les hommes peuvent marcher dans le lumière : « Si nous marchons dans la lumière, comme lui-même est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché » (1 Jn. 1, 7)
C’est dans l’Église que continue de s’opérer cette oeuvre de salut, notamment par les sacrements qui actualisent la mort sacrificielle du Christ. Un extrait de cette lettre parle des sacrements : « C’est lui qui est venu, par l’eau et par le sang, Jésus-Christ, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang, et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est vérité. C’est qu’ils sont trois à rendre témoignage, l’Esprit, l’eau et le sang, et ces trois convergent dans l’unique témoignage » (1 Jn. 5, 6-8).
Jean
parle d’abord des événements qui se sont passés
une fois pour toutes dans la vie de Jésus-Christ : il est
venu. Mais seulement, il n’est pas venu par le seul témoignage
que lui rend le baptême de Jean-Baptiste, comme pouvaient
encore l’enseigner certains disciples de ce dernier. En effet, à
cette époque, certains annonçaient la venue du Christ
en s’appuyant uniquement sur le témoignage du Baptiste. On
en trouve une illustration dans le livre des Actes des apôtres
: « Un juif nommé Apollos, originaire d’Alexandrie,
était arrivé à Ephèse. C’était
un homme savant, versé dans les Écritures. Il avait été
informé de la Voie du Seigneur et, l’esprit plein de
ferveur, il prêchait et enseignait exactement ce qui concernait
Jésus, tout en ne connaissant que le baptém1e de Jean.
Il se mit donc à enseigner avec assurance dans la synagogue.
Mais lorsqu’ils l’eurent entendu, Priscille et Aquilas le prirent
avec eux et lui présentèrent plus exactement encore la
Voie de Dieu. Comme il avait l’intention de se rendre en Achaïe,
les frères l’approuvèrent et écrivirent aux
disciples de lui faire bon accueil... Ce fut pendant le séjour
d’Apollos à Corinthe que Paul arriva à Ephèse
en passant par le haut pays. Il y trouva quelques disciples et leur
demanda : Avez-vous reçu l’Esprit-Saint quand vous êtes
devenus croyants ? Mais, lui répondirent-ils, nous n’avons
même pas entendu parler d’Esprit-Saint. Paul demanda : Quel
baptême, alors avez-vous reçu ? Ils lui répondirent
: Le baptême de Jean. Paul reprit : Jean donnait un baptême
de conversion et il demandait au peuple de croire en celui qui
viendrait après lui, c’est-à-dire en Jésus.
Ils l’écoutèrent et reçurent le baptême
au nom du Seigneur Jésus. Paul leur imposa les mains et
l’Esprit-Saint vint sur eux ils parlaient en langues et
prophétisaient. Il y avait en tout environ douze personnes »
(Ac. 18, 24- 19, 7).
Bien que, dans ce texte des Actes, le baptême au nom de Jésus soit distingué du baptême de Jean, indépendamment même de l’imposition des mains (puisque ces croyants sont de nouveau baptisés), l’eau désigne quand même le baptême que Jean pratiquait sur les bords du Jourdain, ce baptême que Jésus lui-même a reçu. Mais Jésus n’est pas venu seulement par ce baptême d’eau. Il « est venu, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang ». Cette expression désigne la mort sacrificielle du Christ, sa mort une fois pour toutes « en victime d’expiation pour les péchés, et pas seulement pour les nôtres, mis encore pour ceux du monde entier » (2, 1-2).
Toutefois, cette oeuvre commencée en Jésus-Christ, cette oeuvre entièrement réalisée par son baptême d’eau et son baptême de sang, se prolonge dans l’activité de l’Église. Cette oeuvre est celle de la foi donnée par l’Esprit, qui est cet autre « Paraclet » promis par Jésus : « Moi, je prierai le Père, il vous donnera un autre Paraclet, qui restera toujours avec vous. C’est lui, l’Esprit de vérité... » (Jn. 14, 16-17).
L’évangéliste parle d’un autre Paraclet qui désigne l’Esprit, et le rédacteur de cette lettre présente Jésus comme notre « défenseur devant le Père ». L’Esprit rend témoignage au Fils venu dans la chair. Et c’est lui qui porte à son achèvement toute l’œuvre de salut inaugurée par Jésus-Christ, dans l’eau et dans le sang. Cette double expression fait aussi directement allusion à la mort de Jésus telle qu’elle est rapportée dans le quatrième évangile : « Arrivés à Jésus, ils (les soldats) constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais, un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu a rendu témoignage et son témoignage est conforme à la vérité et d’ailleurs celui-là sait qu’il dit ce qui est vrai afin que vous aussi vous croyiez » (Jn. 19, 33-35).
Par les sacrements, symbolisés par l’eau et par le sang, sortis du côté du Christ, le chrétien trouve sa part dans la mort expiatoire du Christ. Et la victoire de ce dernier sur la mort devient la victoire du chrétien animé par l’Esprit qui rend témoignage au Christ sauveur. La foi a pour objet Jésus-Christ, venu par l’eau et par le sang. Cette foi est mise en péril par des négations hérétiques. Elle n’est possible que grâce au témoignage de l’Esprit qui affermit les croyants dans leur foi. Et la foi en Jésus s’exprime par le témoignage de l’Esprit, comme par celui de l’eau et du sang. En réalité, ces trois témoignages n’en font qu’un seul, celui par lequel Dieu lui-même révèle aux hommes la vie éternelle et la leur communique : « Et voici ce témoignage Dieu nous a communiqué la vie éternelle, et cette vie est en son Fils » (1 Jn 5, 11).
Les chemins de la connaissance de Dieu
« Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père, Jésus-Christ, qui est juste, car il est, lui, victime d’expiation pour nos péchés, et pas seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. Et à ceci, nous savons que nous le connaissons, si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : je le connais, mais ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. Mais celui qui garde sa parole, en lui, vraiment, l’amour de Dieu est accompli, à cela nous reconnaissons que nous sommes en lui. Celui qui prétend demeurer en lui, il faut qu’il marche dans la voie où, lui, Jésus, a marché » (1 Jn. 2, 1-6).
Le problème posé par le rédacteur de cette lettre est de découvrir comment les chrétiens peuvent faire une authentique expérience religieuse. Comment un chrétien peut-il savoir s’il est en communion avec Dieu ? L’expérience religieuse est un contact avec le divin invisible, aussi est-il toujours difficile de découvrir un moyen de vérification à ce contact avec Dieu.
Le premier moyen pour vivre en communion avec Dieu, c’est de mener une existence sans péché : « je vous écris cela pour que vous ne péchiez pas ». Cette exhortation à une vie sans péché s’adresse non pas seulement à des nouveaux venus dans le christianisme, mais aussi à des chrétiens de longue date. Pécher, c’est enfreindre la loi de Dieu, c’est ne plus vivre à l’imitation du Seigneur Jésus-Christ. Il ne s’agit pas d’un retour à une mauvaise interprétation du légalisme juif. La Loi, dans le judaïsme n’est pas une force coercitive, mais bien le moyen dont disposent les hommes pour prouver leur amour de Dieu. Enfreindre la loi de Dieu, c’est du fait même montrer que l’on ne vit plus en harmonie avec Dieu, que l’on a rompu la relation d’amour qui existait entre l’homme et Dieu. Cette relation, telle que l’entend la communauté chrétienne primitive, est une relation d’amour et de filiation. La foi chrétienne ne cesse de rappeler que Dieu veut le salut des hommes et qu’il poursuit son oeuvre d’amour pour chacun d’entre eux. Refuser d’accepter cette volonté, c’est commettre le péché. Mais, tout en recommandant une vie parfaite pour le chrétien, l’auteur de cette lettre reconnaît aussi que, malgré les très hautes exigences morales du christianisme, le chrétien peut encore se laisser entraîner par les forces du mal. Les premières communautés chrétiennes ne connaissaient pas de rite pénitentiel, comme peut en connaître aujourd’hui l’Église catholique. Ce n’est qu’au deuxième siècle qu’un texte, connu sous le nom du Pasteur d’Hermas, viendra proposer d’admettre que les chrétiens qui étaient tombés dans le péché puissent âtre réintégrés dans la communion de l’Église : la proposition de la pénitence n’était valable qu’une seule et unique fois. C’est dans ce texte que l’on peut trouver le point de départ de toute la recherche théologique sur la pénitence dans l’Église. Mais saint Jean ignore une telle proposition. Aussi lui est-il nécessaire de chercher une solution dans un acte de foi au salut que le Christ seul peut apporter : il est alors possible de découvrir une valeur beaucoup plus importante au sacrement de la réconciliation, tel qu’il est actuellement vécu par les communautés chrétiennes. Il s’agit de bien saisir la hiérarchie des valeurs : le rite ecclésial n’est pas premier, ce qui compte, c’est le salut apporté par le Christ Jésus, et le rite pénitentiel n’a de valeur que s’il s’inscrit dans cette foi qu’il doit entretenir et vivifier.
Le deuxième moyen pour vivre en communion avec Dieu, c’est d’avoir foi en Jésus-Christ : celui-ci, malgré le péché des hommes, se présente comme « notre défenseur devant le Père ». Le terme, traduit par « défenseur », est le mot grec « Paracletos » qui se traduit difficilement et qui ne se trouve dans le Nouveau Testament que dans la littérature johannique. Étymologiquement, il signifie « celui qui est appelé à côté d’un autre, une aide judiciaire, un avocat, un défenseur, celui qui réconforte » Dans la première lettre de saint Jean, le Paraclet est Jésus lui-même qui est le médiateur entre les hommes et Dieu. La littérature juive connaissait aussi cette notion de Paraclet ; elle attribuait ce rôle aux anges, aux patriarches, à Moïse, à la Loi qui servaient d’intermédiaires entre les hommes et Dieu. Moïse était l’intermédiaire privilégié puisqu’il intervenait sans cesse auprès de Dieu pour obtenir de lui le pardon des péchés d’Israël comme il le faisait au long de sa vie, pendant l’exode. Mais, contrairement à Moïse, qui intercédait pour le peuple juif uniquement, Jésus ne limite pas son rôle de médiateur: il est le Paraclet pour tous les hommes. Ce rôle, joué par Jésus, est celui d’une victime d’expiation. Là aussi, le vocabulaire de l’expiation ne se rencontre que dans cette lettre de Jean : « hilasmos » ne se rencontre qu’en 1 Jn 21 2 et 4, 10, bien que d’autres textes néotestamentaires emploient des mots dérivés de la même racine. Les traducteurs du Nouveau Testament proposent différentes interprétations de ce terme grec : propitiation, expiation, victime expiatoire, pardon… Selon son étymologie, ce terme vient d’une racine qui signifie rendre agréable ; et il a pris, dans le langage religieux le sens de : contenter, d’apaiser la divinité. Cet apaisement est rendu par la traduction « propitiation » et la traduction « expiation » traduit la réparation des péchés. En tout cas, dans la première lettre de saint Jean, ce terme vise l’initiative de Dieu en Jésus, et non pas une manœuvre humaine pour apaiser ou contenter Dieu, en lui payant un tribut pour l’offense qui lui a été faite. ce sens existait déjà dans certains textes de l’Ancien Testament qui soulignaient que Dieu me se laissait pas manœuvrer à la manière des divinités païennes et qui soulignaient également que toutes les initiatives pour rendre l’homme agréable à Dieu trouvaient leur source en Dieu et non pas en l’homme. En affirmant que Jésus est la victime d’expiation pour le pardon des péchés du monde entier, saint Jean souligne que Dieu pardonne les péchés des hommes de sa propre initiative. En Jésus ressuscité, Dieu crée un homme nouveau qui lui plait parfaitement et qui permet aux hommes qui s’unissent à lui, par la foi, de recevoir le pardon de Dieu et toute la faveur qui vient de la grâce de Dieu.
Le troisième moyen pour vivre en communion avec Dieu, c’est de garder ses commandements. Déjà, l’accomplissement de la Loi était, pour le judaïsme, la preuve de l’amour de Dieu. Suivre ses commandements, c’était faire preuve d’une fidélité certaine à celui qui était le Dieu fidèle. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir mentionner la connaissance de Dieu dans les moyens de vivre en communion avec lui. A l’époque de la rédaction de cette première lettre de saint Jean, certains chrétiens se laissaient séduire par la gnose, qui préconisait la connaissance intellectuelle de Dieu par le biais de l’intelligence, cette étincelle divine répandue en chaque homme. Saint Jean s’oppose à cette tendance, en précisant que la connaissance de Dieu ne relève pas de l’intellectualisme mais de la connaissance de la volonté qui est la sienne et qu’il a exprimée dans ses commandements. Que peut bien signifier « garder ses commandements » ? C’est refuser de pactiser avec les convoitises charnelles : « N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui, puisque tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et la convoitise orgueilleuse dans les biens ne provient pas du Père, mais provient du monde. Or, le monde passe, lui et sa convoitise, mais celui qui fait la volonté du Père demeure à jamais » (1 Jn 2, 15-17).
Cela n’implique toutefois pas un code législatif néotestamentaire mais la nécessité de conformer toute l’existence chrétienne sur le modèle de l’existence de Jésus-Christ : « Et voici son commandement : adhérer avec foi à son Fils Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement » (1 Jn 3, 23). Ce sont là les deux moyens pour accéder à la véritable connaissance de Dieu. Saint Jean insiste sur ces deux voies d’accès au point de devenir monotone... Pour lui, l’homme ne peut découvrir Dieu que par la médiat1on du Christ Jésus, dans sa personne historique elle-même, que les apôtres ont pu voir, toucher, entendre : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie... » (1 Jn 1, 1).
Pour saint Jean, Jésus est le Dieu véritable qui nous ouvre la vie éternelle : refuser de reconnaître que Jésus est l’unique sauveur, c’est refuser de connaître Dieu. Et d’autre part, cette connaissance de Dieu est intimement liée à l’amour des autres. Et cet amour des autres atteint sa perfection, ainsi que le souligne l’évangile johannique, dans le don de sa vie pour ses frères. C’est ainsi que l’amour de Jésus a atteint sa perfection. L’amour de Dieu se manifeste dans le fait qu’il accepte que les hommes participent à sa vie : l’amour, dans sa perfection fait participer les hommes au salut offert en Jésus-Christ.
Les lettres johanniques
La première lettre de Jean se présente comme une exhortation d’un homme qui possédait une véritable autorité sur ceux qu’il appelait « ses petits enfants », pour que ces chrétiens demeurent fidèles à la foi commune reçue par le témoignage apostolique. C’est une lettre pastorale visant à soutenir la foi dans les combats qu’elle est amenée à livrer contre toutes les tentations d’erreur et d’égarement. L’auteur veut montrer aux chrétiens auxquels il s’adresse qu’ils possèdent la véritable foi et qu’ils sont par là déjà engagés dans la vie éternelle. Sa certitude première est que Dieu a aimé les hommes en premier et, par suite, c’est par l’amour que les chrétiens se manifestent les uns aux autres, qu’ils entrent dans la véritable communion de Dieu. Aimer ses frères est le signe manifeste, tangible, perceptible de l’amour porté à Dieu. la preuve que le chrétien peut donner de sa foi en Dieu par le Christ Jésus, c’est l’amour qu’il porte à ses frères.
La deuxième lettre de Jean est un court billet adressé à « la Dame élue et à ses enfants », c’est-à-dire à une Église et aux membres qui composent la communauté. Cette Église demeure fidèle à la foi chrétienne, mais elle est menacée par la présence de faux docteurs qui ne reconnaissent pas la réalité de l’Incarnation, et qui, en conséquence, ne sont pas fidèles à la véritable foi reçue des apôtres. Le but de cette courte lettre, qui se présente également comme un condensé de la première, est d’insister sur la nécessité de l’attachement à la foi et à la vie fraternelle qui permettront de se préserver de l’enseignement dangereux des faux docteurs.
La troisième lettre est adressée à un certain Gaïus que l’auteur de ce billet félicite parce qu’il reste fidèle à la vérité de la foi. Mais elle concerne un conflit qui oppose le chef d’une communauté chrétienne à l’auteur des billets qu’il lui avait adressés par des messagers. Diotrophès, ce chef de communauté, a refusé de recevoir les porteurs de ces lettres, et il a même expulsé de la communauté les chrétiens qui avaient accepté de les recevoir. Mais Gaïus ne s’est pas laissé entraîner. Aussi reçoit-il les éloges de l’auteur de cette lettre qui le presse à continuer son oeuvre de soutien à ses émissaires et missionnaires. Bien que cette lettre porte une dimension personnelle importante, puisqu’elle souligne la conduite inhospitalière (et non pas l’hérésie) indigne d’un chef de véritable communauté chrétienne, elle indique quand même que l’amour chrétien trouve son origine dans la vérité révélée en Jésus-Christ.