L’apocalypse
Le
terme « apocalypse », qui est le nom attribué
au dernier livre canonique du Nouveau Testament, et donc de
l’ensemble de la Bible chrétienne, est une transcription
littérale d’un mot grec qui signifie : lever le voile,
dévoiler ce qui est caché. Par suite, le terme
« apocalypse » a signifié la révélation
faite par Dieu à des hommes des mystères cachés
que lui seul connaissait.
La Bible chrétienne s’achève ainsi de la même manière que s’ouvrait l’Ancien Testament, par une sorte de vision. Mais elle ne décrit plus, sous une forme poétique, les origines du monde, ainsi que le faisait le livre de la Genèse. Elle présente ce qu’un demi-siècle de vie et d’expérience chrétiennes a permis aux chrétiens de découvrir, le projet de Dieu sur le monde et sur l’humanité en vue d’établir le monde nouveau et l’humanité nouvelle, au jour de la venue de son Royaume.
L’Apocalypse de saint Jean est le seul livre biblique à porter ce titre bien que d’autres livres, inspirés par les prophètes pourraient le revendiquer également, car le genre littéraire de la « révélation » était très courant dans la littérature extra-biblique, dans le premier siècle avant Jésus-Christ comme dans le siècle qui le suivit. C’est donc dans un courant littéraire bien défini que s’inscrit l’Apocalypse de saint Jean, mais, puisque c’est une oeuvre chrétienne, elle prend une dimension différente des écrits juifs de la même époque.
L’auteur de l’Apocalypse donne lui-même son nom : il s’appelle Jean et il se désigne comme « prophète » et comme témoin de Jésus-Christ vivant. La première tradition chrétienne qui attribuait directement la composition de ce livre de révélation à l’apôtre Jean a été rapidement contestée. Il est très vraisemblable que cet ouvrage est l’œuvre d’une école se rattachant directement à l’enseignement oral de l’apôtre, cette école se situant à Ephèse après l’année 70 mais avant la fin du premier siècle de l’ère chrétienne.
Dans
ce livre, unique en son genre dans le Nouveau Testament, tout semble
étrange, et l’on comprend pourquoi il fut souvent sujet à
de vives discussions relatives à sa canonicité. Le
symbolisme y prend une place considérable, permettant
d’évoquer sous les aspects les plus directement perceptibles
des réalités spirituelles ou abstraites, l’auteur se
présentant comme le prophète, c’est-à-dire le
héraut, le porte-parole de Dieu, qui interprète tout ce
que Dieu peut dévoiler de lui-même, de sa vie intime et
de son projet sur l’ensemble du monde et de l’humanité,
mais aussi comme « le voyant », celui qui
reçoit des visions de la part de Dieu avec lequel il
entretient des relations mystiques qui lui permettent de parvenir à
une connaissance de Dieu qui dépasse toutes les connaissances
sensibles. Il n’est alors pas possible de comprendre directement
les images symboliques que ce voyant propose à la manière
des réalités physiques. Il convient de découvrir
progressivement le symbolisme sans se laisser dérouter par des
particularités qui peuvent paraître étonnantes.
Il ne faudrait pas davantage essayer de chercher à comprendre
ce que pourra être l’avenir de l’Église à
travers les présentations qui sont faites dans ce livre. Il
s’agit simplement de découvrir la réalité de
la vie quotidienne des chrétiens, à la fin du premier
siècle. Ils étaient affrontés à une
persécution sanglante. L’auteur de ce livre veut leur
adresser un message de consolation et d’espérance. Car ces
chrétiens connaissaient un moment de désarroi profond :
la foi qu’ils avaient reçue de la tradition apostolique leur
enseignait que la résurrection du Christ marquait le début
d’un monde nouveau, que le Royaume de Dieu allait survenir avec
toute sa gloire, que le retour » du Christ était
imminent, puisque Jésus, vainqueur de la mort, avait
définitivement vaincu le monde... et voici que la persécution
la plus violente s’abattait sur ceux qui avaient mis leur foi en
Jésus-Christ, mort et ressuscité. La persécution
semblait être le signe de la ruine de tout le message chrétien.
Alors, l’auteur de l’Apocalypse veut redonner confiance aux
chrétiens en reprenant les grandes lignes de l’argumentation
prophétique de l’Ancien Testament : la persécution
n’aura qu’un temps, il faut garder l’espérance, Dieu
interviendra lui-même au moment où il le voudra pour
faire triompher ceux qui ont mis leur foi dans la parole de
Jésus-Christ. Sans souligner ce désir de l’auteur,
qui veut redonner confiance et espérance à ses
lecteurs, le message de l’Apocalypse n’est guère
compréhensible.
A une Église universelle, répartie en communautés locales, qui est ainsi enracinée dans des réalités humaines, le Voyant propose de faire un examen de conscience à partir des réalités concrètes que les sept Églises vivent. En effet, pour ce visionnaire, c’est dans la vie des communautés que le Christ intervient pour adresser son appel à chaque chrétien comme à chaque communauté. Le Royaume que le Christ peut établir sur la terre n’est pas une réalité de pure fiction mais une réalité qui se construit dans les différentes communautés. La parole prophétique du Voyant invite alors chaque croyant à se situer en vérité devant les expériences concrètes et à découvrir que le Jour même du Seigneur ne se trouve pas dans un avenir lointain : l’instant présent est le moment même de la révélation de Dieu. Cette Église, incarnée dans le monde, est aussi une Église engagée, affrontée aux problèmes de son époque, se détachant et rompant définitivement avec le monde juif qui n’a pas reconnu Celui qui était envoyé comme Christ et Sauveur, mais aussi rencontrant un monde païen qui lui est hostile et qui la persécute. Les chrétiens vont être contraints de choisir entre le culte de l’empereur et celui du Christ : malgré le martyre qu’ils seront appelés à connaître pour avoir voulu rester fidèles à Jésus-Christ, les chrétiens ne doivent pas perdre confiance. Le Voyant de l’Apocalypse leur annonce que Dieu lui-même interviendra pour renverser les puissances qui s’opposent à la foi chrétienne, qu’il jugera et condamnera les persécuteurs de l’Église. Ceux qui reconnaissent en Jésus-Christ le sauveur du monde seront associés à son triomphe, tandis que ceux qui ne le reconnaissent pas et qui demeurent, par le fait même, en situation d’opposition avec Dieu seront voués à la condamnation définitive, suivant dans sa ruine Satan, l’auteur du péché de ce monde, tel qu’il pouvait être dépeint dans le livre de la Genèse qui ouvrait la Bible.
Dans le monde présent, pétri de contradictions, conséquences du péché, l’Église est appelée à poursuivre l’œuvre de Jésus-Christ, en la menant à son plein accomplissement. L’Église sera transfigurée avec la venue du monde nouveau, elle descendra du ciel, véritable paradis pour les hommes qui l’auront cherché tout au long de leur existence. Ce paradis est l’objet de toute l’espérance chrétienne, mais il ne doit pas faire oublier la réalité de l’histoire la cité terrestre est une préparation de la cité éternelle. Et le croyant découvre que l’histoire humaine, dans son ensemble, n’est -pas dépourvue de sens. Le monde présent est certainement appelé à disparaître, à cause de sa perversité, mais cette disparition permettra l’avènement d’un monde nouveau qui marquera le triomphe filial de Dieu, lors de la Parousie, c’est-à-dire lors du retour glorieux du Christ qui viendra rétablir toutes choses selon la justice de Dieu.
Un royaume de prêtres
« Jean aux sept Églises qui sont en Asie : grâce et paix vous soient données de la part de Celui qui est, qui était et qui vient, de la part des sept esprits qui sont devant son trône, et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts et le prince des rois de la terre. A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. Amen. Voici, il vient au milieu des nuées, et tout oeil le verra, et ceux même qui l’ont percé ; toutes les tribus de la terre seront en deuil à cause de lui. Oui ! Amen ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant » (Ap. 1, 4-8).
Ce
paragraphe commence par l’adresse proprement dite de l’ensemble
du livre, avec la mention de l’auteur (Jean), des destinataires
(les sept Églises d’Asie, qui seront énumérées
au verset 11 : il s’agit de communautés situées dans
la province d’Asie Mineure, aux environs d’Éphèse)
et de la salutation initiale (grâce et paix) qui va se déployer
dans une grande formule de bénédiction. La salutation
de l’auteur est une formule proprement religieuse ; il offre
la paix (shalom) qui vient de Dieu et, dans une telle présentation,
il évoque la réalité divine elle-même, par
une formulation trinitaire : Père, Esprit-Saint (les
« sept esprits » désignent l’Esprit de
Dieu dans sa plénitude), Fils. Une telle présentation
de la Trinité permet alors de concentrer toute l’attention
de l’auteur sur la personne et le rôle éminent du
Christ. Le Père est désigné comme celui qui
s’est manifesté à Moïse (« Celui qui
est » Ex. 3, 14), mais son nom est étendu au passé
et à l’avenir, épuisant ainsi toutes les dimensions
du temps dans son éternité. Les sept esprits présents
devant le trône de Dieu désignent les sept dons de
l’Esprit... La grâce et la paix de Dieu se communiquent aux
hommes par la médiation de Jésus, le Fils de Dieu,
devenu homme parmi les hommes et retourné auprès du
Père après sa résurrection d’entre les morts.
L’auteur de l’Apocalypse donne alors des titres à la suite
du nom humain de Jésus : il est le Christ, c’est-à-dire
le Messie attendu qui a été reconnu par les croyants,
il est le témoin fidèle, celui qui a rapporté
clairement les vues de Dieu sur l’humanité et sur le sens
final de toute l’aventure du monde et de l’histoire humaine, il
est le premier-né d’entre les morts, celui qui, par la
puissance de sa propre résurrection, peut entraîner
l’ensemble de l’humanité dans l’espérance et la
certitude de la résurrection de tous les hommes, il est enfin
le prince des rois de la terre, celui qui dépasse en pouvoir
les puissances totalitaires de ce monde et tous les persécuteurs
des croyants.
Après avoir rappelé les titres de Jésus, Jean se laisse aller à un cantique de louange de la gloire du Fils de Dieu (doxologie) le Christ a joué le rôle d’une victime d’expiation pour le péché des hommes qu’il rétablit ainsi dans l’intimité de Dieu son Père, il est le véritable agneau pascal qui constitue le peuple nouveau, l’Église, peuple de prêtres.
Après avoir rendu grâces pour l’action libératrice du Christ sauveur, Jean tourne son regard vers l’avenir, vers la parousie du Seigneur, son retour dans la gloire. Le sauveur est venu dans l’humilité d’une vie terrestre et d’une mort ignominieuse, mais il revient au milieu des nuées, c’est-à-dire enveloppé de la gloire même de Dieu. Alors tous les hommes le reconnaîtront, même ceux qui n’ont pas voulu le reconnaître aux jours de sa vie terrestre, même ceux qui l’ont fait crucifier, et toutes les nations de la terre se lamenteront à cette vue, car tous les hommes découvriront alors que chacun a été responsable de la mort du Fils de Dieu sur la croix.
Devant toutes les nations qui reconnaîtront le sauveur du monde, au jour de son retour glorieux, Dieu lui-même donnera sa propre confirmation à l’œuvre de Jésus il est l’Alpha et l’Oméga, la première et la dernière lettre de l’alphabet grec, il est le commencement et la fin, il est le Dieu éternel qui s’est manifesté à Moïse, il est le Tout-Puissant, le maître de toutes choses, le Pantocrator, le dominateur souverain, celui que l’Ancien Testament présentait comme le Seigneur des armées et des puissances.
Vision
du Fils de l’homme
« Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvais dans l’île de Patmos à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus saisi par l’Esprit au jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une puissante voix, telle une trompette, qui proclamait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le au sept Églises, à Ephèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et à Laodicée. Je me retournais pour regarder la voix qui me parlait ; et m’étant retourné, je vis sept chandeliers d’or, et, au milieu des chandeliers, quelqu’un qui semblait un fils d’homme. il était vêtu d’une longue robe, une ceinture d’or lui serrait la poitrine, sa tête et ses cheveux étaient blancs « comme laine blanche, et ses yeux comme une flamme ardente, ses pieds semblaient d’un bronze précieux, purifié au creuset, et sa voix était comme la voix des océans, dans sa main droite il tenait sept étoiles, et de sa bouche sortait un glaive acéré à deux tranchants. Son visage resplendissait tel le soleil dans tout son éclat. A sa vue, je tombai comme mort à ses pieds, mais il posa sur moi sa droite et dit : Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, et le Vivant, je fus mort, et voici, je suis vivant pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et de l’Hadès. Ecris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui doit arriver » (Ap, 1, 9-19).
L’Apocalypse commence pratiquement par la vision du Fils de l’homme, que l’auteur identifie au Christ ressuscité et qu’il présente comme le chef de l’Église et le Maître de l’histoire.
L’auteur
se présente sous le nom de Jean, le frère des chrétiens
persécutés, lui-même exilé dans l’île
de Patmos, à cause du témoignage qu’il rendait à
l’Évangile. Habituellement, les auteurs de récits
apocalyptiques se réfugient très volontiers dans
l’anonymat: mais Jean se situe d’emblée dans la ligne des
grands prophètes, en assumant la pleine responsabilité
de son écrit. Jean se présente comme « frère »
cette fraternité s’exprimant dans la fraternité
commune en Jésus-Christ, dans la fraternité ecclésiale,
mais cette fraternité est encore soulignée par le terme
de « compagnon » ; la fraternité
n’est pas seulement verticale (en Jésus) elle est aussi
horizontale (avec les autres chrétiens). Et ce compagnonnage
s’exprime aussi bien dans l’épreuve que dans le Royaume et
la persévérance de la foi au Christ Jésus. Il
n’existe pas de distinction entre plusieurs états de vie
chrétienne par exemple, les souffrances de l’épreuve
et la persécution dans le monde présent et la joie du
Royaume à venir. L’existence chrétienne trouve son
assise dans la persévérance de la foi, qui se manifeste
dans l’épreuve, celle-ci étant déjà une
expression de la vie du Royaume. Les chrétiens participent
déjà à cette vie alors qu’ils sont soumis à
l’humiliation, ce Royaume ayant été inauguré
par la croix du Christ. Et il se poursuit dans ce qui n’est pas une
résignation mais une puissance de la foi.
L’auteur, qui se présente sous le nom de Jean affirme qu’il se trouve dans l’île de Patmos. Irénée de Lyon, qui a été disciple de Polycarpe, celui-ci ayant comme Jean, affirme, au deuxième siècle, que Jean se trouvait en exil à Patmos. Jean partageait donc la même épreuve que les chrétiens auxquels il adressait un message de consolation. Cet exil, il le connaît à cause de sa prédication de l’Évangile et du témoignage qu’il rendait à Jésus-Christ, mort et ressuscité. Comme dans les autres écrits johanniques, la proclamation de la Parole et le témoignage sont toujours intimement liés : ceux qui proclament la Parole de Dieu sont toujours les témoins de la résurrection du Christ, et c’est la raison pour laquelle ils se trouvent en opposition avec le monde (des ténèbres) qui refuse de reconnaître en Jésus-Christ l’Envoyé de Dieu.
Jean
tombe en extase : il est saisi par l’Esprit de Dieu ; le
témoignage qu’il va apporter dans son Apocalypse ne vient
pas du témoignage de l’homme, mais du témoignage que
l’Esprit de Dieu est capable de rendre au Christ et à Dieu
lui-même. Cette extase, cette vision se situe le jour du
Seigneur. Cette expression du « jour du Seigneur »
est très fréquente dans l’Ancien Testament : le jour
de Yahwé, c’est le jour où Dieu intervient en faveur
de son peuple, et il désigne plus particulièrement son
intervention à la fin des temps. Pour les chrétiens, la
fin des temps a été inaugurée par la
résurrection du Christ. Dans le Nouveau Testament, le jour du
Seigneur désigne très rapidement le jour où le
Christ triompha de toutes les puissances de mort dans sa victoire
pascale, et cela toutes les semaines, au premier jour de la semaine,
jour de la résurrection, le dimanche. Ce jour du dimanche est,
à la fois, le rappel de la victoire du Christ sur la mort et
l’annonce de son triomphe définitif, au jour où il
reviendra dans la gloire à la Parousie, à la fin des
temps. Le dimanche, jour où les chrétiens se
réunissent, est déjà l’anticipation de cette
fin des temps.
La vision que Jean va avoir est une vision qui trouve son cadre dans les différentes manifestations de Dieu : « Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; alors toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine, et elles verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel dans la plénitude de la puissance et de la gloire. Et il enverra ses anges avec la grande trompette, et des quatre vents, d’une extrémité des cieux à l’autre, ils rassembleront les élus » (Mt. 24, 30-31), « Je vais vous faire connaître un mystère. Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons rassemblés, en un instant, en un clin d’œil, au son de la trompette finale. car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles et nous, nous serons transformés » (1 Co. 15, 51-52).
L’allusion à la trompette est toujours liée dans les écrits néotestamentaires à une vision de la fin des temps, à l’eschatologie. Le Voyant reçoit deux ordres : celui d’écrire sa vision et celui de la communiquer aux Églises. Au verset 19 est exprimé le contenu du message à transmettre : « Ecris ce que tu as vu, ce qui est et ce qui doit arriver ». Mais avant cela se place une vision proprement dite, qui est une manifestation du Christ, une christophanie.
Ce qui frappe le Voyant, ce n’est pas le Christ pris isolément, c’est le Christ dans son union avec les Églises : il est au milieu des sept chandeliers d’or qui symbolisent les sept Églises. Et cette vision du Christ, vivant en relation intime avec les Églises, se présente sous une forme mystérieuse : « quelqu’un qui semblait un fils d’homme ». Le thème du « Fils de l’homme » est un des sujets les plus difficiles de toute la théologie, de toute la christologie du Nouveau Testament.
Dans
un premier sens, l’expression « Fils de l’homme »
désigne un homme, un membre de la race humaine, avec tout ce
que cette appartenance peut impliquer de faiblesse, de fragilité,
de souffrance et de mort. Dans un second sens, qui se place dans la
ligne des récits apocalyptiques de Daniel, ce Fils de l’homme
est plus qu’un homme ordinaire c’est un homme proche de Dieu qui
exécutera ses volontés au jour du jugement. Le secret
de Jésus n’est-il pas d’être Fils de l’homme dans
les deux sens à la fois ?
Une étude très approfondie des textes évangéliques montrerait que Jésus ne s’est jamais présenté comme fils de Dieu aux hommes de son époque. D’ailleurs, l’expression « fils de Dieu » était particulièrement dévaluée, elle s’appliquait aux rois, aux prophètes, aux sages, à tous les membres du peuple de Dieu. Si Jésus s’était présenté comme « fils de Dieu », ses contemporains l’auraient compris dans le sens de la longue tradition juive et ne l’auraient pas conduit jusqu’à la mort. Aussi Jésus n’a-t-il pas utilisé cette expression pour se désigner lui-même. En revanche, il est certain qu’il s’est appelé lui-même « le Fils », et de cela, nous avons des traces, dans les évangiles, par des paroles que ses disciples n’auraient pas pu mettre dans sa propre bouche : « Quant à la date de ce jour et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père » (Mc.13, 32).
Jésus semble préférer le titre de « Fils de l’homme ». Il est remarquable que, très souvent en parlant de lui-même, Jésus emploie cette expression ; jamais les évangélistes ne l’utilisent pour qualifier Jésus. Selon les apparences, c’est le nom que Jésus lui-même s’est donné de préférence à tout autre titre, afin d’éviter toute confusion sur sa mission. Dans la mentalité de l’époque, le Christ de Dieu serait un roi victorieux, alors que, pour Jésus, il sera le Fils de l’homme, non pas nécessairement celui qui devait venir sur les hauteurs du ciel, ainsi que le voyait le prophète Daniel, mais bien celui qui sera un serviteur souffrant, ainsi que le voyait Isaïe. Le titre de « Fils de l’homme » apparaît une cinquantaine de fois dans les récits évangéliques, alors que les communautés chrétiennes ne s’en servaient plus pour désigner Jésus. Cela prouve que cette désignation remonte bien au Jésus historique. Cette expression est un titre qui vient de la vision du prophète Daniel : « Je contemplais dans les visions de la » nuit. Voici venant sur les nuées du ciel comme un fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. A lui fut conféré pouvoir, honneur et royaume. Et tous les peuples, nations et langues le servirent. Son pouvoir est pouvoir à jamais, qui ne sera point détruit, et son royaume ne passera point » (Dan. 7, 13-14). A plusieurs reprises, Jésus parle de ce personnage qui viendra sur les nuées du ciel, qui siégera sur le « trône de gloire pour juger les hommes, et il s’identifie à ce personnage : « Je vous le déclare, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel » (Mc. 15, 62)
C’est
à ce titre que Jésus méritera la condamnation du
grand-prêtre. Siéger à la droite de Dieu et venir
sur les nuées du ciel, comme un personnage divin, était
un privilège du Messie qui devait venir de la part de Dieu. Le
sacerdoce officiel ne pouvait qu’accuser Jésus de blasphème.
En
employant le titre de Fils de l’homme, Jésus lui donne un
sens différent de celui que lui décernait Daniel. Les
déclarations eschatologiques s’inspirant de Daniel
présentent le Fils de l’homme comme un être
surnaturel. Et Jésus présente le Fils de l’homme
comme un homme qui devra subir l’humiliation, la souffrance et la
mort, de la part des hommes pour leur apporter le salut et la
délivrance. Pour le Nouveau Testament, le Fils de l’homme
est à la fois un personnage céleste et transcendant et
un personnage proprement humain qui réalise son oeuvre de
salut par la croix. Et Jean, dans son Apocalypse, va poursuivre
encore plus loin cette présentation du Fils de l’homme en
l’identifiant au Ressuscité. Dans sa description : « il
était vêtu d’une longue robe, une ceinture d’or lui
serrait la poitrine », Jean reprend des images
traditionnelles de l’Ancien Testament pour symboliser le pouvoir
royal et sacerdotal du Christ. mais ce qui attire plus spécialement
l’attention de Jean, au-delà de la symbolique tirée
de Daniel » c’est la présence même de ce
Fils d’homme qui lui parle et qui lui révèle sa
propre identité : c’est un être divin, c’est le
ressuscité, maître de l’histoire et chef de l’Église.
Le Fils de l’homme est un personnage divin. A sa vue, Jean tombe
comme mort déjà l’Ancien Testament indiquait qu’il
n’était pas possible de voir Dieu sans mourir. En tombant
comme mort, le Voyant indique qu’il se trouve devant le mystère
de la transcendance de Dieu. Toutefois, comme dans l’Ancien
Testament, cette présence mystérieuse de Dieu qui se
révèle à un homme veille à ce que l’homme
ne soit pas terrifié : Ne crains pas ! Chaque fois que Dieu
signale sa présence auprès d’hommes ou de femmes
qu’il choisit pour une mission déterminée, il les
invite à ne pas craindre, à ne pas être effrayés
par sa présence. Ce Fils d’homme se présente comme un
personnage divin, en dévoilant son identité : Je
suis... Cette expression évoque les nombreux : « Je
suis » que l’on retrouve dans le quatrième
évangile mais aussi dans la révélation
fondamentale de l’Ancien Testament Yahwé peut se traduire
simplement par : « Je suis ». Il est « le
Premier et le Dernier », c’est-à-dire l’Alpha
et l’Oméga du verset 8, il est le Principe et la Fin ;
toutes ces expressions équivalentes désignent la
personne même de Dieu, et le Fils de l’homme se les attribue
à lui-même, en précisant en outre qu’il est le
Vivant. C’est toujours Dieu qui est le vivant, qui est source de
toute vie : le Fils de l’homme reçoit ici ce titre, et, dans
l’ensemble de l’Apocalypse, il est possible de découvrir
qu’il possède la vie en plénitude pour la communiquer
aux siens. Le Fils de l’homme, ce n’est pas simplement un
quelconque personnage divin, c’est le Ressuscité : « Je
fus mort, et voici, je suis vivant pour les siècles des
siècles, et je tiens les clefs de la mort et de l’Hadès ».
Il faut noter la distinction de l’état de mort qui
appartient au passé et l’état de vie qui appartient
au présent et au futur : la mort appartient définitivement
au passé tandis que la vie relève du présent,
mais aussi de l’éternité. Et il serait même
possible de découvrir les trois moments de l’existence de
Jésus dans cette description du Fils de l’homme. Comme Fils
de Dieu, Jésus est toujours le Vivant, ce qui souligne sa
préexistence de toute éternité dans le Père
(cf. le prologue du quatrième évangile). Comme Fils de
l’homme, humilié et crucifié, il est .un être
mortel, ce qui souligne l’existence temporelle du Christ. Comme
Fils de l’homme glorifié par sa résurrection d’entre
les morts, il est devenu immortel, ce qui souligne son existence
éternelle. par sa résurrection, le Fils de l’homme,
qui était un personnage humain, reconnu comme tel par ses
contemporains, a reçu de Dieu l’investiture royale et divine
: il est le propre Fils de Dieu qui détient tous les pouvoirs
de Dieu et particulièrement le pouvoir sur la vie puisqu’il
détient les clefs de la mort et de son royaume. Le ressuscité
détient ainsi la maîtrise sur toute l’histoire humaine
et sur la vie de l’Église : le Fils de l’homme connaît
le présent et l’avenir et il lui est possible de le révéler,
notamment dans son Église, symbolisée par les sept
chandeliers d’or, qui évoquent sans doute également
le chandelier à sept branches, lequel symbolisait tout le
judaïsme.
En inaugurant l’Apocalypse par une vision du Fils de l’homme, Jean semble vouloir dire aux chrétiens à qui il s’adresse que l’épreuve n’est que pour un temps : le Fils de l’homme a connu ces mêmes souffrances et il a été glorifié. Jean invite à la confiance : le Christ a vaincu le monde et la mort.
Le cantique nouveau
« Alors je vis et j’entendis la voix d’anges nombreux autour du trône, des animaux et des anciens. leur nombre était myriades de myriades et milliers de milliers. Ils proclamaient d’une voix fort : Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange. Et toute créature du ciel, sur terre, sous terre et sur mer, toutes les créatures qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : A celui qui siège sur le trône et à l’Agneau, louange, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. Et les quatre animaux disaient : Amen ! » (Ap. 5, 11-14).
Ce
texte est une doxologie, une manière d’exprimer la gloire
qui doit être rendue à Dieu, mais contrairement aux
écrits bibliques, les anges, aussi nombreux soient-ils,
n’adressent pas leur chant de louange à Dieu lui-même,
ils ne le servent pas, mais ils s’adressent à l’Agneau de
Dieu immolé. La vision des anges est une vision de l’ensemble
de l’armée céleste les milliers et les myriades
(10000) sont des termes qui désignent les unités
militaires. Daniel, qui donnait aussi une vision céleste (7,
10), s’exprimait dans les mêmes termes pour dire que toute
l’armée céleste est au service de la puissance
souveraine de Dieu. Tous les anges du ciel sont au service de
l’Ancien des jours, c’est-à-dire Dieu, dont ils forment la
cour et l’armée. Cette présence angélique
rehausse ainsi la grandeur de Dieu. Mais dans l’Apocalypse de saint
Jean, la présence de ces mêmes anges n’exprime plus la
grandeur et la puissance souveraine de Dieu, elle révèle
plutôt la grandeur de l’Agneau immolé les anges
proclament la gloire de l’Agneau. Ainsi, Jean exprime rapidement
que cet Agneau se situe bien au-dessus des anges, puisque ceux-ci lui
rendent gloire. En soulignant qu’il s’agit de l’Agneau immo1é,
Jean ne fait pas seulement un rappel historique de la mort
sacrificielle du Christ, il indique fortement que l’objet de
l’acclamation des anges est précisément pour cet
Agneau pour autant qu’il a été immolé : il
reçoit la louange unanime en raison de son sacrifice.
Reprenant la théologie paulinienne de la kénose (Phi.
2), il est possible de dire que c’est à cause de son
abaissement jusque dans l’humiliation de la croix que le Christ a
été élevé et placé plus haut que
toutes les créatures du ciel et de la terre et qu’il a reçu
ainsi le nom qui est au-dessus de tout nom, puisque jamais à
aucun de ses anges Dieu n’a jamais dit : « Tu es mon
fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré »
(Héb. 1, 5).
Par son sacrifice volontaire, l’Agneau de Dieu a eu accès à la plénitude des trésors de la divinité, particulièrement à sa toute-puissance évoquée par trois termes (puissance, richesse, force) et à sa sagesse. La toute-puissance de Dieu et sa sagesse sont les deux attributs que Dieu a manifestés à son peuple tout au long de son histoire, et ils reviennent maintenant à l’Agneau immolé, au Fils de l’homme, au maître de l’histoire.
Cette
louange se trouve renforcée par l’intervention de tous les
êtres vivants dans la vision classique de la cosmologie
biblique : ciel, terre, mer, à quoi vient s’ajouter la
puissance souterraine, soulignant ainsi l’universalité de la
louange céleste. Cependant, il ne faudrait pas penser que ce
monde souterrain regroupe les puissances infernales qui viendraient
joindre leurs voix à l’acclamation de l’Agneau immolé
: tout au plus peut-il s’agir de ceux qui sont morts pour avoir
rendu témoignage au Christ. En évoquant ainsi
brièvement le monde des morts, l’auteur de l’Apocalypse ne
fait rien d’autre que de souligner que tous les êtres ne
cessent de s’associer à la louange de l’Agneau immolé.
Une deuxième louange reprend les membres de la doxologie précédente : louange, honneur et gloire, en leur ajoutant la toute-puissance, le pouvoir pour les siècles des siècles. Cette louange adressée à Dieu est partagée par l’Agneau immolé qui se situe ainsi sur un plan d’égalité parfaite avec celui qui siège sur le trône et avec qui il vit dans la communion, puisque l’Agneau partage la divinité, il est légitime qu’il reçoive l’action de grâce de tous les êtres qui peuplent le monde.
Les
quatre animaux fournissent la conclusion de ce texte, par une formule
liturgique courante dans le judaïsme comme dans le
christianisme : « Amen ». La tradition
chrétienne, influencée par les affirmations symboliques
d’Irénée de Lyon, a souvent regardé ces quatre
animaux comme des représentations des quatre évangélistes
: « Le premier ressemblait à un lion, le deuxième
à un jeune taureau, le troisième avait comme une face
humaine et le quatrième semblait un aigle en plein vol »
(Ap. 4, 7). Jean s’inspire ici d’une vision du prophète
Ezéchiel : « Leurs visages ressemblaient à
un visage d’homme ; tous les quatre avaient, à droite, une
face de lion, à gauche, une face de taureau et tous les quatre
avaient une face d’aigle : c’étaient leurs faces ».
(Ez. 1, 10-11).
Ces animaux sur lesquels repose le trône de Dieu représentent l’ensemble du monde créé, et c’est sans doute injustement que l’on considérerait que Jean ait voulu signifier les quatre évangélistes... Les Anciens se prosternent et adorent c’est 1a manière solennelle de reconnaître la Seigneurie et de Dieu et de l’Agneau immolé. Toute la création d’unit dans une même vénération de celui qui apporte le salut à l’ensemble de l’humanité et à l’ensemble du cosmos.
L’Église, multitude des élus
« Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau cent quarante-quatre mille marqués du sceau, de toutes les tribus des fils d’Israël. Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main. Et ils proclamaient d’une voix forte : Le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône et par l’Agneau ! Tous les anges, qui se tenaient en cercle autour du trône, autour des Anciens et des quatre Vivants, se prosternèrent devant le trône, la face contre terre pour adorer Dieu. Ils disaient : Amen. Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles ! Amen ! L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : Tous ces gens vêtus de blancs, qui sont-ils et d’où viennent-ils ? Je lui répondis : C’est toi qui le sais, mon Seigneur ». Il reprit : Ils viennent de la grande épreuve, ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu et lui rendent un culte jour et nuit dans son temple. Et celui qui siège sur le trône les abritera sous sa tente. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus, car l’Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur berger, il les conduira vers des sources d’eaux vives. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap. 7, 4...17)
Le
nombre des élus (144000 : 12000 de chacune des 12 tribus
d’Israël) symbolise l’absolue plénitude du peuple de
Dieu. A cette plénitude du peuple de Dieu vient s’ajouter la
multitude des élus qui unissent leurs louanges aux voix
célestes qui proclament la gloire de Dieu et de l’Agneau
immolé. Cette foule des élus est absolument universelle
: ils viennent de toutes les nations, de toutes les races, de tous
les peuples et ils s’expriment dans toutes les langues : le Royaume
de Dieu, en s’instaurant, réduit à rien tous les
grands empires de la terre ou plus exactement les rassemble dans
l’unité. Le rassemblement des élus ne souffrira
d’aucune discrimination raciale ou linguistique : tous les hommes,
d’où qu’ils viennent, seront réunis devant le trône
de Dieu et devant l’Agneau immolé.
Les élus se tiendront debout devant le trône. « Se tenir debout devant » est une expression qui indique le service royal et le service divin : l’assemblée des élus aura une mission liturgique, honorer Dieu et l’Agneau immolé. Dieu est adoré et servi comme celui qui accorde le salut et l’Agneau comme celui qui se présente comme le médiateur privilégié et unique de ce salut, ce qui lui vaut de partager le trône du Père. Cette assemblée liturgique peut exprimer sa joie et son triomphe: le blanc de la robe des élus symbolise la victoire de ceux qui ont surmonté l’épreuve, tout comme les palmes qu’ils portent à la main.
Mais
qui sont ces élus ? L’un des Anciens donne la réponse
: Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve. Il ne s’agit
pas seulement de l’épreuve suprême du martyre, mais
aussi de l’épreuve que tous les chrétiens peuvent
rencontrer tout au long de leur vie, l’épreuve de la foi qui
doit s’exprimer dans le monde des ténèbres, dans le
monde qui refuse le témoignage rendu à Jésus-Christ.
Il ne s’agit pas simplement des martyrs, bien que l’ensemble du
livre de l’Apocalypse soit écrit pour confirmer les
chrétiens dans les épreuves de la persécution,
mais de tous ceux qui sont appelés à « vaincre
le monde », comme le Christ lui-même l’a vaincu,
de tous ceux qui ont participé directement, dans leur vie, et
parfois même dans leur mort, au sacrifice de l’Agneau :
l’image de « purifier » (ou blanchir) dans le
sang de l’Agneau évoque le baptême beaucoup plus que
la mort sacrificielle de chacun des chrétiens. C’est dans le
sang versé par le Christ que les hommes sont purifiés,
c’est dans le baptême qu’ils participent effectivement à
la mort du Christ. Toute la théologie chrétienne,
depuis les origines, présente le baptême comme une
plongée dans la mort avec le Christ pour une résurrection
avec lui dans sa vie : le bain dans l’eau baptismale est un
bain dans le sang du Christ.
La vie des élus se résume dans l’assemblée liturgique, dans le service divin qu’ils assurent jour et nuit dans le temple céleste et auprès de la tente qui abrite la présence divine elle-même, comme la présence de Dieu accompagnait le peuple d’Israël dans ses pérégrinations dans le désert au temps de l’Exode.
Les élus connaîtront le bonheur, exprimé en des termes matériels : ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus. Ce bonheur eschatologique est décrit en des termes empruntés au prophète Isaïe (Is. 4.9, 10) qui exprimait ainsi le bonheur paradisiaque pour les nomades habitués à l’ardeur de la vie dans le désert. Mais il ne faut pas se laisser prendre au piège de la littéralité des images, d’autant plus que le verset suivant présente aussi une autre image qui parait presque incohérente. L’Agneau devient leur pasteur ! Dans le psaume 22, c’est Yahwé lui-même qui est le Pasteur d’Israël, son peuple, mais la Bible n’ignore pas le fait que l’envoyé du Seigneur pourra être le pasteur des brebis de la maison d’Israël. C’est que l’Agneau de Dieu a rassemblé tout le peuple par son sacrifice rédempteur et qu’il conduit la multitude des élus vers les sources d’eau vive, vers les eaux de la vie.
Le monde nouveau
« Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n’est plus. Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. Et j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes, il demeurera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux. La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu. Et celui qui siège sur le trône dit : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap. 21, 1-5).
La
création ancienne est passagère. Toute la littérature
apocalyptique parle de la disparition de cette création.
Pourtant, Jean ne dit pas explicitement que le ciel ancien et la
terre ancienne seront détruits la création nouvelle
reste une création à la mesure des hommes, déjà
le monde nouveau paraît dans le monde ancien : «
Voici que je fais toutes choses nouvelles qui déjà
paraissent, ne l’apercevez-vous pas ? » (Is. 43, 18).
C’est la figure de ce monde visible qui passe : la nouvelle
création ne sera plus terrestre, mais céleste et elle
durera toujours, quand l’humanité aura atteint sa plénitude
en accédant à la dimension du Christ Seigneur. La mer
n’aura plus sa place dans cette nouvelle création, parce
qu’elle est, dans la pensée biblique, un reste du chaos
primitif d’où Dieu lui-même a tiré la première
création. La restauration finale de l’univers mettra
définitivement un terme à l’existence de la mer qui
est considérée par la mentalité hébraïque
comme le lieu des puissances de la mort. Il n’y aura plus de place
pour la mort dans le monde nouveau. Et si le peuple hébreu se
réjouissait de savoir Jérusalem fondée sur la
montagne solide de Sion, combien plus faut-il se réjouir de la
venue de la Jérusalem céleste, dans un lieu où
la mer n’aura plus de place.
Ce qui importe, c’est de découvrir que les élus ne montent pas vers le ciel, mais que c’est Dieu lui-même qui vient à leur rencontre la cité sainte descend du ciel d’auprès de Dieu. Dieu accomplit en faveur de l’homme ce que l’homme avait vainement tenté de faire: l’orgueil de l’homme le poussait à dresser des tours pour conquérir le ciel, l’amour de Dieu fait descendre la cité sainte vers le monde des hommes.
Cette Jérusalem nouvelle est présentée sous les traits d’une épouse qui s’est parée pour son époux, rappelant le thème des noces de l’Agneau (Ap. 19, 7-8). Toute la Bible parle avec des images de tendresse et d’amour pour évoquer les relations qui peuvent exister entre Dieu et son peuple, et l’image des noces est fréquente ; avec le Nouveau Testament, c’est le Christ qui est l’époux de l’Église, et les noces de l’Agneau et de la Jérusalem nouvelle sont la réalisation parfaite de l’alliance entre Dieu et l’humanité qui aura lieu à la fin des temps.
La Jérusalem nouvelle sera la demeure de Dieu parmi les hommes. Dieu sera « Dieu avec eux », Dieu avec les hommes, c’est la transcription de « Emmanuel » qui indique la communion parfaite de Dieu avec son peuple il n’y aura plus de séparation entre l’humanité et Dieu.
Une vie nouvelle Fourra s’inaugurer alors pour l’ensemble du peuple élu qui assemblera tous les peuples qui ont cherché Dieu, toutes les nations ressuscitées qui constitueront alors les véritables tribus du Seigneur. Cette vie nouvelle sera faite d’une bonheur sans failles : plus de larmes, plus de deuil, plus de cri, plus de souffrance, car le monde ancien aura disparu, les choses anciennes s’en seront allées.
Dieu lui-même prend la parole pour déclarer qu’il fait toutes choses nouvelles. Seul il est capable de dire en vérité cette parole de la nouvelle création qu’il a inaugurée dans la résurrection de son Fils et qu’il peut mener jusqu’à son extension universelle.
Bien des gens pensent que l’Apocalypse désigne quelque chose de terrifiant, de terrible qui doit s’abattre sur le monde et sur l’humanité, à la fin des temps. C’est une erreur, l’Apocalypse est une révélation, une manifestation de Dieu à l’ensemble de ses élus. Et même la création ne sera pas détruite, elle sera transformée, transfigurée pour apparaître aux yeux de Dieu comme conforme au dessein initial qu’il avait sur elle, en formant la première création : la figure de ce monde passera, mais l’humanité nouvelle atteindra sa plénitude en devenant conforme au modèle de l’humanité parfaite, exprimée en Jésus-Christ.
La nouvelle Jérusalem
« L’un des sept anges me transporta en esprit sur une haute et grande montagne, et il me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu. Elle brillait de la gloire même de Dieu. Son éclat rappelait une pierre précieuse, comme une pierre d’un jasmin cristallin. Elle avait d’épais et hauts remparts. Elle avait douze portes, et aux portes, douze anges, et des noms inscrits : les noms des douze tribus d’Israël. A l’Orient, trois portes, au nord, trois portes, au midi, trois portes et à l’occident, trois portes. Les remparts avaient douze assises, et sur elles les noms des douze apôtres de l’Agneau... Mais, de temple, je n’en vis point dans la cité, car son temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, ainsi que l’Agneau. La cité n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine et son flambeau, c’est l’Agneau. Les nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre y apporteront leur gloire » (Ap. 21, 10-14 et 22-24).
C’est
encore un texte rempli de réminiscences de l’Ancien
Testament... La présence d’un
des sept anges justiciers de
Dieu tend à montrer que Jean n’est pas capable d’épuiser
par lui-même le mystère divin qu’il devine dans son
élan mystique ; dans ce monde nouveau, une nouvelle vue lui a
été donnée pour qu’il puisse percer les
secrets de Dieu et les porter à leur pleine révélation.
Et cette nouvelle vision qui lui est accordée, c’est la
contemplation de la Jérusalem céleste, qui descendait
du ciel, d’auprès de Dieu, à la rencontre de
l’humanité. C’est la cité céleste qui
descend à la rencontre de la cité humaine, à la
rencontre de l’Église présente qui est le prélude
de cette cité sainte.
La Jérusalem céleste resplendit de la gloire de Dieu. Son éclat ne vient pas d’elle-même mais de la gloire divine, c’est le présence même de Dieu qui l’illumine et qui l’habite. Dans les écrits juifs du premier siècle de l’ère chrétienne, la présence de Dieu au milieu de son peuple était appelée Shékina, elle avait accompagné le peuple d’Israël dans ses pérégrinations à travers le désert au temps de l’exode, sous la forme d’une colonne de nuée et de flammes. Ici, pour Jean, elle se manifeste sous une forme définitive, sans éblouir ni anéantir ceux qui la perçoivent, elle permettra à tous les élus d’être transfigurés.
L’éclat de la cité sainte est suggéré simplement par l’éclat d’une pierre précieuse, et Jean énumérera du verset 18 au verset 21 toute une gamme de pierres précieuses dont les noms ne sont plus les noms actuels, mais qui visent simplement à souligner le caractère absolument translucide de toutes ces pierres qui ne peuvent que suggérer l’éclat particulier de la cité sainte toute illuminée de la gloire céleste divine.
Le
voyant s’attarde longuement à la description extérieure
de cette cité, ce qui n’est pas si extraordinaire puisqu’il
visite la cité du dehors. Les villes antiques étaient
ceinturées d’épaisses murailles pour se protéger
des attaques des ennemis. Il ne saurait être question de
retenir une telle interprétation pour justifier la
présentation de la cité sainte. Ses murailles semblent
simplement signifier le caractère très délimité
de cette cité. Pourtant, cette ville sainte, clairement
délimitée reste une cité ouverte, notamment en
raison de ses douze portes, qui lui permettent de s’ouvrir sur
l’ensemble de l’humanité. Le nombre de douze peut
s’expliquer comme la multiplication du chiffre de Dieu (3) par
celui du monde (4). Ce nombre se retrouve partout dans l’Apocalypse
: douze portes, douze anges, douze tribus, douze apôtres, douze
milles élus de chacune des douze tribus d’Israël, douze
mille stades de côté pour la cité sainte, cent
quarante-quatre (douze fois douze) coudées... Ce nombre,
appliqué à la structure de la Jérusalem
nouvelle, indique que cette cité se place sous le régime
de l’ordre divin et qu’elle vise à s’accomplir dans la
totalité du monde humain. Les douze anges, qui se tiennent aux
portes de la cité signifient la communion qui existe entre ces
personnages célestes et les hommes de cette humanité
nouvelle. Les douze portes de la cité sainte sont sans cesse
ouvertes pour permettre à toutes les nations de la terre de
monter en pèlerinage vers la nouvelle Jérusalem, comme
elles se mettaient déjà en route vers la Jérusalem
terrestre. Jérusalem est toujours considérée
comme le lieu de rassemblement de toutes les nations, comme le centre
spirituel de l’humanité. Les remparts de cette cité
reposent sur douze assises, qui portent le nom des douze apôtres :
Jean a voulu signifier que la Jérusalem céleste
établissait l’union entre l’Ancien Testament (mentionné
par la présence des douze tribus d’Israël) et le
Nouveau Testament. La Jérusalem céleste sera une cité
universelle, catholique, elle rassemblera tous les hommes d’Israël
et du Nouvel Israël. Ce qui a été faible et
fragile, dans toute l’histoire de l’humanité, toutes les
vicissitudes de l’histoire d’Israël n’ont pas compromis le
salut, pas plus que les incertitudes des douze apôtres (faut-il
rappeler la trahison de Judas et le reniement de Pierre ?). Le plan
divin sera mené à bonne fin : ce qui a été
humainement fragile devient divinement fort, ce qui a été
humaine infidèle devient fidèle et assure une assise
inébranlable.
Dans cette cité sainte, il n’y a pas de temple, alors que la vision d’Ezéchiel dont ce passage est inspiré culminait dans la description du sanctuaire : affirmer que la Jérusalem nouvelle ne comporte plus de temple est une idée qui ne recevrait pas l’approbation de la tradition juive, dont l’espérance ne cesse d’affirmer la restauration finale du Temple de Jérusalem dans toute sa splendeur. Mais le monde nouveau est tout autre : il n’est pas question de réserver une place limitée à Dieu. Le Temple n’est pas détruit mais il est simplement porté à son parfait accomplissement, avec la plénitude de la présence divine dont la gloire servira de lumière pour l’ensemble du peuple élu de Dieu. Tout deviendra clair pour ceux qui contempleront la cité sainte, la Jérusalem d’en haut.
Le langage des chiffres dans l’Apocalypse
les couleurs
blanc : victoire et pureté
rouge : meurtre, violence, sang des martyrs
noir: mort et impiété
les nombres
trois : chiffre de Dieu
quatre: le monde créé
six : imperfection (sept moins un)
sept : chiffre parfait, plénitude
douze : Israël (ancien ou nouveau)
mille : une très grande quantité
ces chiffres peuvent être multipliés...
les images traditionnelles
corne : puissance
cheveux blancs : éternité
longue robe : dignité sacerdotale
ceinture en or : pouvoir royal.