La littérature johannique

 

Introduction générale

 

Le Nouveau Testament est composé de différents écrits rédigés selon des genres littéraires variés :

Dans le Nouveau Testament, le terme « évangile » ne désigne jamais un écrit, mais une proclamation orale. C’est l’annonce de la Bonne Nouvelle. De plus, ce terme ne se rencontre qu’au singulier, alors que nous parlons des quatre évangiles, mis à part ceux qui sont dits apocryphes...

Dans le courant de la prédication apostolique, il y a donc eu un passage progressif de la prédication de Jésus à la prédication sur Jésus. Les textes se sont fixés et les évangiles sont issus de l’Évangile. Les rédacteurs ont puisé leurs récits dans une abondante tradition orale qui circulait à propos de Jésus ; ils ont voulu entretenir la foi des disciples ou susciter cette foi chez ceux qui ne partageaient pas encore cette certitude du Christ mort et ressuscité. Le témoignage des évangélistes trouve sa force dans ce que Jésus a fait ou dit : « Ces signes ont été relatés pour que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn. 20, 31).

C’est une oeuvre originale de Luc, qui se situe dans la continuité du troisième évangile. C’est une chronique historique mais aussi théologique des premiers événements de la vie de l’Église.

Les vingt et une lettres du Nouveau Testament sont très diversifiées dans leur style littéraire : du billet personnel adressé à un chrétien particulier jusqu’à l’écrit impersonnel proche du traité théologique, en passant par une lettre personnelle adressée à toute une communauté...

C’est une oeuvre de révélation dont le genre littéraire est voisin de la prophétie : le message chrétien est présenté de manière imagée, dans un langage chiffré qui donne certaines clés de lecture.

 

 

 

 

Jean et la tradition johannique

 

La tradition ou l’école johannique rassemble toute une communauté de disciples qui prêchaient en se rattachant au témoignage de l’apôtre. Celui-ci était en quelque sorte le garant de l’authenticité de leurs paroles.

Pour répondre aux besoins des premiers chrétiens, le témoignage de Jean s’est moulé dans des structures tantôt catéchétiques, tantôt liturgiques, tantôt polémiques, mais toujours en visant à faire apparaître l’actualité de la vie et des paroles de Jésus.

De cet enseignement oral sont nés des matériaux écrits, plus ou moins élaborés. Un disciple les a recueillis et disposés dans un ensemble structuré. Ainsi, la plupart des exégètes finissent par se mettre d’accord sur la question de l’auteur du quatrième évangile. Jean, le fils de Zébédée, serait bien la source de cet évangile, mais il ne l’aurait pas rédigé lui-même. Comment, en effet, pourrait-on expliquer qu’un pêcheur de Galilée, sans instruction, ait pu écrire un texte si élaboré, si adapté à la pensée de son auditoire de culture hellénique ?

Dès le deuxième siècle, l’Apocalypse était réunie au quatrième évangile et à la première lettre de Jean, sous le patronage du fils de Zébédée, mais les problèmes d’attribution à un auteur n’ont pas manqué. Cet auteur se qualifie lui-même de « prophète » Justin (vers 150) l’identifiait à Jean l’apôtre, mais au troisième siècle on conteste cette origine apostolique...

En ce qui concerne le problème de l’auteur des écrits johanniques, « on se trouve devant le dilemme suivant : si l’on veut maintenir l’authenticité johannique intégrale du quatrième évangile, il faudra attribuer la rédaction de l’Apocalypse à un disciple de l’apôtre ; si l’on veut maintenir l’authenticité johannique de l’Apocalypse, en s’en tenant spécialement au témoignage de Justin et d’Irénée, il faudrait dire alors que l’évangile, tout en nous donnant le contenu de la prédication johannique, fut rédigé par un disciple de l’apôtre ou un groupe de disciples » (M.E. BOISNARD).

 

Plan succinct du quatrième évangile

 

1/ Prologue (1, 1-18)

2/ Le livre des signes (1, 19- 12, 50)

A/ L’annonce de la vie

a) l’accès à la foi

épisode de Cana

purification du Temple

ultime témoignage de Jean

entretien avec la Samaritaine

b) Jésus, Parole qui transmet la vie

second miracle de Cana

le paralytique de Bezatha

c) Jésus, le pain de vie

la multiplication des pains

le discours sur le pain de vie

crise de la foi et confession de Pierre

B/ Les refus de la vie et les menaces de mort

a) controverses pour la fête des Tabernacles

b) Jésus, lumière du monde

l’aveugle-né

le pasteur et la porte

le conflit pendant la fête de la Dédicace

c) Jésus, vie et résurrection du monde

résurrection de Lazare

délibération chez Caïphe

onction de Béthanie

épisode des Grecs et révélation ultime

d) conclusion du livre des signes

3/ Le livre de l’heure (13, 1- 21, 25)

A/ Le repas d’adieu

a) le lavement des pieds

b) le discours d’adieux

c) la prière sacerdotale

B/ Le récit de la Passion

a) arrestation de Jésus et reniement de Pierre

b) le procès

c) la crucifixion

C/ Les apparitions du Ressuscité

a) les apparitions à Jérusalem

b) les apparitions au bord du lac

4/ Double conclusion de l’évangile

Déroulement de cette étude

Comme il ne sera pas possible d’épuiser toute la richesse des écrits johanniques en un temps limité, il est préférable de se limiter à quelques textes particulièrement significatifs.

Les visages de l’Église dans le quatrième évangile

Le rôle des signes dans l’accès à la foi : l’aveugle-né

La résurrection de Lazare

La prière sacerdotale

Le prologue de l’Évangile

Les lettres johanniques

L’apocalypse

 

 

Les visages de l’Église dans le quatrième évangile

 

L’intention de l’auteur du quatrième évangile

Le travail que réalise l’auteur du quatrième évangile suppose une fidélité très attentive au passé, mais cette fidélité est nécessairement éclairée par l’événement pascal, par la résurrection de Jésus. De plus, cette fidélité, l’auteur veut la vivre à l’intérieur de l’Église naissante. Son « livre » n’est pas seulement l’œuvre d’un témoin, fut-il le témoin oculaire qui a vu et qui porte témoignage, il est aussi une oeuvre de l’Esprit. C’est déjà ce que Jésus lui-même annonçait dans son discours d’adieux : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi ; et vous, à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement (Jn. 15, 26-27). L’Esprit rend témoignage à Jésus ressuscité : l’histoire de Jésus ne peut être écrite que sous l’inspiration de cet Esprit qui lui rend un témoignage véritable. Enfin, l’histoire de Jésus a un rapport constant avec le présent dans lequel vit l’Église.

Dire que l’évangile johannique est le témoignage d’un christianisme individuel, spirituel ou mystique est une affirmation qui ne résiste pas à l’examen : cet évangile est un témoignage sur la vie de l’Église, il est ecclésiologique, il présente les différents visages de l’Église naissante. Pour argumenter ce propos, il suffit de s’attacher aux relations des deux disciples, qui occupent une place privilégiée dans les quatre traditions évangéliques : Pierre et Jean. Ils sont deux des trois témoins de la résurrection de la fille de Jaïre, de la transfiguration, et de l’agonie au Jardin des Oliviers. Et pour éclairer davantage encore les visages de l’Église, il suffira de regarder la place et la fonction de certaines femmes.

L’évangile du nouveau peuple de Dieu

L’évangile selon saint Jean veut être lu en Église, tout comme il fut élaboré dans un milieu d’Église. Celle-ci, jamais nommée, est toujours présente. Si le terme lui-même n’apparaît pas, l’idée de l’Église domine la pensée johannique aussi réellement qu’elle domine dans la pensée paulinienne. Comment peut-on reconnaître la présence de l’Église ? D’abord, par un subtil passage du « je » au « nous » : « En vérité, en vérité, je te le dis : nous parlons de ce que nous savons, nous témoignons de ce que nous avons vu et pourtant vous ne recevez pas notre témoignage » (Jn. 3, 11). Ensuite, par 1a présence de confessions de foi chrétienne qui viennent orchestrer les révélations de Jésus : « Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tout. Celui qui est de la terre est terrestre et parle de façon terrestre. celui qui vient du ciel témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage. Celui qui reçoit son témoignage ratifie que Dieu est véridique. En effet celui que Dieu a envoyé dit les paroles que lui donne l’Esprit sans mesure. Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main. Celui qui croit le Fils a la vie éternelle, celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui » (Jn. 3, 31-36).

Enfin, par des gloses de l’évangéliste qui donnent aux paroles de Jésus le sens plénier qu’elles ont pris après la résurrection : « Mais lui parlait du temple de son Corps. Aussi, lorsque Jésus se leva d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait parlé ainsi et ils crurent à l’Écriture, ainsi qu’à la parole qu’il avait dite » (Jn. 2, 21-22).

En lisant le quatrième évangile comme un texte où l’Église est toujours présente, il est possible de découvrir que les récit de la guérison de l’aveugle-né est le centre de toute la rédaction : i1 souligne la découverte progressive du mystère de Jésus, mais il marque surtout le passage de la synagogue à l’Église, du judaïsme au christianisme, c’est-à-dire également le passage de la cécité spirituelle à la lumière de la foi. C’est par ce biais que nous pouvons déjà percevoir le symbolisme qui préside à la rédaction évangélique. L’aveugle-né accepte d’être exclu de la synagogue, c’est-à-dire de perdre toute place dans la société de son temps, en raison de la confiance qu’il place en la personne de Jésus : il obtient ainsi la lumière de la vie et il entre dans l’Église.

Dans le quatrième évangile, nous apprenons comment Jean conçoit la nature et la mission de l’Église. Il en donne des images symboliques : le nouveau sanctuaire (Jn. 2, 20), le troupeau du bon pasteur (Jn. 10), la vigne de Dieu (Jn. 15), la collectivité donnée par le Père au Fils (Jn. 17, 2), la communion d’amour qui s’origine en Dieu (Jn. 17, 26). Fondamentalement et radicalement, c’est l’amour seul qui peut constituer la véritable appartenance à l’Église, le commandement d’amour incluant tous les autres (Jn. 15, 17). Ainsi, l’Église apparaît finalement comme une organisation fondée sur l’amour. Et les relations entre Pierre et Jean éclairent ces deux aspects de la nature de l’Église. Pierre apparaît comme le symbole même de l’Église instituée, Jean celui de l’Église charismatique (par charisme, il faut entendre le don gratuit de Dieu qui se manifeste dans l’amour du disciple).

A la lecture des textes, il est possible de constater que Pierre est, parmi le Douze, celui qui est nommé le plus souvent par l’auteur du quatrième évangile, il est même nommé plus souvent que l’autre disciple. Qui plus est, l’emploi de son nom, sous ses différentes formes (Céphas, Simon, Pierre, Simon-Pierre) a une fréquence plus grande encore que dans les Synoptiques : Matthieu mentionne 27 fois Pierre, Marc 26 fois, Luc 31 fois et Jean le mentionne 53 fois.

 

Tableau des interventions de Pierre et de l’autre disciple

1, 40 Simon est prévenu par André

1, 42 Simon devient Céphas, Pierre

6, 68 Seigneur, à qui irions-nous ?

13, 6 s Toi, me laver les pieds !

13, 24 Pierre fait interroger Jésus

13, 36 Seigneur, où vas-tu ?

37 Seigneur, je te suivrai

18, 10 Pierre et l’épée

18. 15 Pierre et

18, 16 Pierre est dehors

18, 17 s Triple reniement de Pierre

19, 27

20, 2 Marie prévient Pierre

20, 3 Pierre

 

20, 4 Pierre et

 

20, 5

20, 6 Pierre arrive, entre le premier

examine le tombeau

 

21, 2 Pierre avec des disciples

21, 3 Pierre décide d’aller pêcher

21, 7 qui se précipite vers la berge

21, 11 Pierre dirige la manœuvre

21, 15 s Le pastorat de Pierre

21, 20 s Pierre interroge Jésus

Un autre disciple n’est pas nommé

 

 

 

par le disciple que Jésus aimait

 

 

 

l’autre disciple,

suivent Jésus jusqu’au palais

l’autre le fait entrer

 

Voici ta mère

et l’autre disciple

et l’autre disciple

courent vers le tombeau

l’autre disciple couraient ensemble

mais l’autre courut plus vite

l’autre attend Pierre

 

l’autre peut entrer

il vit et il crut

dont les fils de Zébédée

 

l’autre prévient Pierre .

 

sur l’autre disciple

 

A la simple lecture de ce tableau, il est facile de constater que Pierre est nettement plus souvent mentionné que l’autre disciple, « celui que Jésus aimait ». Et cette mention plus fréquente est particulièrement remarquable dans les moments importants pour la tâche pastorale de Pierre. La présence de l’autre disciple n’est pas de celles qui cachent la présence principale : il n’est donc pas permis, ni possible de penser que Jean a voulu rabaisser Pierre. Au contraire, il semble même que parfois l’autre disciple met en relief la forte personnalité, impétueuse il est vrai, mais combien humaine, de Pierre.

Pierre et Jean sont deux amis. Et leurs relations amicales se retrouvent plus manifestement que dans les Synoptiques : Pierre demande à Jean de questionner Jésus à propos de celui qui va le livrer (Jn. 131 24), ils sont ensemble lorsque Marie de Magdala vient les rejoindre pour annoncer la nouvelle du tombeau vide (Jn. 20, 2), ils sont dans la même barque sur le lac, lors de l’apparition à Tibériade (Jn. 21, 7).

L’importance de Pierre dans l’évangile johannique

Si l’évangéliste avait voulu diminuer le rôle de Pierre, il semble qu’il aurait lamentablement échoué dans son entreprise, car Pierre manifeste une très grande personnalité, ce qui lui vaut d’être reconnu comme ayant une certaine supériorité, une primauté par rapport à l’autre disciple. Pierre est celui qui prend d’abord les initiatives, et c’est finalement lui qui aura la charge de faire paître le troupeau : « Fixant son regard sur lui, Jésus dit : Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Képhas, ce qui veut dire Pierre » (Jn. 1, 42). Jésus donne un nouveau nom à Simon. Dans toute la vie et la pensée du peuple juif, le nom a une importance capitale. Le nom, donné à la naissance ou au moment de la circoncision, exprime la destinée de celui qui le porte, il est confondu avec sa personnalité même. Aussi changer de nom signifie-t-il, par le fait même, changer de personnalité. Ainsi Dieu a changé le nom d’Abram, celui de Saraï, celui de Jacob : « Simon-Pierre lui répondit Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn. 6, 68).

Tout d’abord, l’intervention de Pierre, comme plusieurs autres, souligne le fait que Pierre appelle Jésus du titre de « Seigneur ». C’est une manière d’indiquer que l’ecclésiologie, la vie de l’Église, se construit toujours sur une christologie, sur la reconnaissance effective de Jésus comme Christ et Seigneur. Mais cette première confession de foi de Pierre est immédiatement suivie par une annonce de la Passion : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et cependant, l’un de vous est un diable ! Il désignait ainsi Judas, le fils de Simon l’Iscarioth, car c’était lui qui allait le livrer, lui, l’un des Douze » (Jn. 6, 71). C’est donc dans l’événement de la mort et de la résurrection de Jésus, son affirmation comme Christ, que l’Église trouve son origine. 

« Il arrive ainsi à Simon-Pierre qui lui dit : Toi, me laver les pieds ! Jésus lui répond : Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras. Pierre lui dit : Me laver les pieds, à moi, jamais ! Jésus lui répondit : Si je ne te lave pas, tu ne pourras avoir part avec moi. Simon-Pierre lui dit : Alors, Seigneur. non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête » (Jn. 13, 6-9).

Le lavement des pieds est une parabole en action, puisque le Maître se fait le serviteur. On peut lire ce texte avec comme toile de fond la pratique baptismale : « Celui qui s’est baigné n’a nul besoin d’être lavé, car il est entièrement pur » (Jn. 13, 10). La purification des disciples et celle de tous les hommes sera obtenue par la croix. Mais il reste à l’homme la tâche de croire. La foi nécessite, semble-t-il, le baptême et le geste d’amour qui se traduit dans l’accomplissement d’une tâche réservée aux esclaves.

« Simon-Pierre lui dit : Seigneur, où vas-tu ? Jésus lui répondit : Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. Seigneur, lui répondit Pierre, pourquoi ne puis-je te suivre à l’instant ? Je me dessaisirai de lIa vie pour toi. Jésus répondit : Te dessaisir de ta vie pour moi ! En vérité, en vérité, je te le dis, trois fois tu m’auras renié avant qu’un coq ne se mette à chanter » (Jn. 13, 36-38).

Dans un élan spontané, Pierre se propose de suivre Jésus et même de mourir à sa place. Il est mis en garde par Jésus qui lui annonce son reniement.

« Alors Simon-Pierre, qui portait un glaive, dégaina et frappa le serviteur du grand-prêtre, auquel il trancha l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malchus » (Jn. 18, 10). Pierre dégaine un glaive, mais d’où vient ce glaive ? peut-être faut-il voir une influence lucanienne sur la composition du récit johannique : « Maintenant. par contre, celui qui a une bourse, qu’il la prenne ; de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une. Car, je vous le dis, il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : On l’a compté parmi les criminels. Et, de fait, ce qui me concerne va être accompli. Seigneur, dirent-ils, voici deux épées. Il leur répondit : C’est assez ! » (Lc. 22, 36-38).

L’évangéliste Jean est le seul à mentionner Pierre comme intervenant personnellement au moment de l’arrestation de Jésus. Cette mention repose vraisemblablement sur un fait historique. Elle n’a, en aucun cas, une valeur péjorative : Pierre est le seul qui prenne positivement la défense de son maître.

Ce qu’il importe de retenir du reniement de Pierre (Jn. 18, 17-27), c’est la mise à l’épreuve : elle est une condition de la foi authentique. Avant l’arrestation de Jésus, la foi de Pierre était une foi non critique. L’épreuve lui permet de faire la lumière sur sa foi. C’est à lui seul qu’est rapportée cette épreuve décisive, comme c’était lui seul qui était intervenu directement pour manifester son attachement à Jésus.

La place du disciple que Jésus aimait

Pour l’instant, nous laissons en suspens la lecture continue de cet évangile dans l’optique des interventions de Pierre. Nous reviendrons ultérieurement sur la finale si importante de cet évangile.

Au côté de Pierre, le disciple bien-aimé du maître joue aussi un grand rôle avant la résurrection. Après l’événement pascal, les deux disciples sont tellement unis dans leurs interventions qu’il est difficilement concevable de les séparer. La présence de cet « autre » disciple est un argument de poids pour montrer qu’il y a non seulement « un autre disciple » mais surtout qu’il y a « une autre façon » de se manifester comme disciple de Jésus et que cette façon est regardée avec amour par Jésus. A côté du pastorat de Pierre, il est possible d’attester la vérité de l’Évangile par la dimension de l’amour.

« Près de la croix de Jésus se tena1ent débout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : Femme, voici ton fils. Il dit ensuite au disciple : Voici ta mère. Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui » (Jn. 19, 25-27).

La présence du disciple et de la Mère de Jésus au pied de la croix apparaît comme un épisode très difficile pour l’interprétation. Il faut souligner que la piété catholique lui a fait dire beaucoup de choses. Il semble que Jésus désigne ce disciple pour tenir sa place auprès de sa mère, pour tenir son rôle sur la terre, pour continuer son oeuvre dans le monde. De plus, le disciple apparaît comme le modèle de tout croyant, il tient lieu de représentant de l’humanité, qui se voit confier la mission de poursuivre l’œuvre de Jésus qui va se terminer par : « Tout est achevé » (Jn. 19, 30). La piété catholique a vu dans Marie debout au pied de la croix la proclamation de la maternité spirituelle de Marie par rapport à l’Église. La tradition continue de dire que Marie est la Mère de l’Église depuis cet instant.

La place occupée par les femmes

Les interventions féminines sont relativement peu nombreuses dans le quatrième évangile :

Marie, Mère de Jésus, à Cana (Jn. 21 1-12)

La Samaritaine (Jn. 4, 1-42)

La femme adultère (Jn. 8, 1-m)

Les sœurs de Lazare (Jn. 11, 20-42)

Marie au pied de la croix (Jn. 19, 25-27)

Marie de Magdala au tombeau (Jn. 20, 1-2 et m-18)

La constatation qui s’impose, c’est le côté humain révélé par la présence féminine : la délicatesse de Marie à Cana, le péché de la Samaritaine et de la femme adultère, le chagrin des sœurs de Lazare et de Marie de Magdala, le silence de Marie devant la mort de Jésus. A l’exception de ce dernier épisode, la confiance que les femmes placent en Jésus est toujours récompensée immédiatement. Marie, la Mère de Jésus, est présente à l’occasion du premier « signe », de la première oeuvre de Jésus. La Samaritaine découvre le Messie et va l’annoncer aux hommes. La femme adultère est graciée et libérée de son péché. Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, après leur acte de foi, retrouvent leur frère vivant. Marie de Magdala reconnaît le Seigneur qui appelle par son nom et qui lui confie une mission. L’évangéliste n’a sans doute pas eu l’intention de donner une ecclésiologie féminine mais, à l’intérieur même de l’Église, dans la première communauté qui se constitue autour de Jésus, les femmes ont un rôle à jouer. Elles ont un ministère à exercer, qui les rend quelque peu comparable au disciple que Jésus aimait. Elles doivent porter le témoignage de Jésus, soit en effectuant un acte de foi soit en portant un message aux autres. La division des sexes est transcendée par la foi : « Il n’ y a plus l’homme et la femme, car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ », écrira saint Paul dans sa lettre aux Galates (Gal. 3, 28). L’Église naissante s’assure la collaboration des femmes en vue du Royaume qui vient. La théologie de la femme sera plus développée par les lettres apostoliques de Pierre et de Paul, ainsi 1 Co. 11, 2-16 ; 14, 34-37 ; 1 P. 3, 1-7.

Les deux disciples au tombeau

Nombreux sont les exégètes et les théologiens qui ont utilisé ce texte pour défendre des positions tout à fait différentes. Cela n’est pas le propre des écrivains catholiques, les théologiens protestants ont aussi pris leur parti de ce type de lecture. Les catholiques soutiennent volontiers que, en attendant la venue de Pierre, Jean lui reconnaît une certaine supériorité et même une primauté effective. Les protestants mettent en relief la foi de Jean et sa valeur, ce qui leur permet de protester contre les prétentions et les ambitions de Pierre et de ses successeurs.

Pierre et le disciple bien-aimé sont avertis par Marie de la disparition du cadavre de Jésus. Tous deux se précipitent vers le tombeau ; l’amour, qui n’est pas encombré de fardeaux, qui n’est pas chargé par une lourde expérience, arrive le premier, alors que la fonction hiérarchique, surchargée de soucis, n’atteint le but que plus tard. L’amour voit ce que l’on peut voir sans même entrer dans le tombeau : il laisse passer l’autorité. Pierre considère tout, même ce qui n’était pas visible de l’extérieur. Ce que voit le disciple bien-aimé est contenu dans un demi-verset, et ce que Pierre examine occupe un verset et demi. Pierre parvient à une sorte de « nihil obstat » qui laisse l’amour entrer librement, de sorte que tous deux parviennent à la foi. Pas plus que Pierre, le disciple bien-aimé n’avait compris le sens de l’Écriture avant d’arriver au tombeau : « Il vit et il crut » (Jn. 20, 8). A la lecture de ce texte, il est possible de constater l’existence de deux priorités reconnues implicitement par l’évangéliste : l’autorité à laquelle il faut faire une référence constante pour demeurer dans le sein de la communauté ecclésiale et l’amour qui ne peut vagabonder indépendamment de cette référence, même s’il lui arrive d’avoir des intuitions plus rapides et peut-être même plus justes. En somme, ce texte suggère deux visages de la même Église, entre lesquels règne une tension harmonieuse, la fonction pastorale travaillant pour l’amour et l’amour laissant le premier pas au pastorat officiel.

Marie de Magdala au tombeau

La visite de Marie au tombeau se décompose en deux scènes : la constatation du tombeau vide (Jn. 20, 1-2) et l’apparition de Jésus (Jn. 20, 11-18). Que Marie se présente comme une figure de l’Église dans ces deux récits semble évident. Elle aussi éprouve le besoin d’en référer à l’autorité pour se faire une opinion de ce qui s’est passé, puisque « la pierre a été enlevée du tombeau ». L’apparition du Ressuscité à Marie implique qu'elle devient porteuse d’une mission auprès des disciples. Voilant sa présence, Jésus se laisse reconnaître par Marie en l’appelant par son nom (de la même manière que le bon pasteur appelle les brebis chacune par son nom : Jn. 10, 3) et il lui confie un message : « Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu » (Jn. 20, 17). Ce message ne porte pas sur la résurrection elle, mais plutôt sur la montée de Jésus vers son Père : ainsi, dans le quatrième évangile le triple événement Résurrection-Ascension-Pentecôte se trouve résumé en un seul temps, alors que Luc le décompose sur une période de cinquante jours. Le contenu du message pascal n’est pas l’annonce du kérygme, de la proclamation de foi primitive : « Jésus est ressuscité » ; c’est plutôt l’annonce du fait que nous sommes tous « enfants de Dieu ». Et seule une femme pouvait annoncer cette paternité.

Les apparitions à Jérusalem

A Marie de Magdala qui le retenait, Jésus annonce qu’il remonte vers son Père. Dans la première apparition aux disciples le soir de Pâques (Jn. 20, 19-23), Jésus leur remet l’Esprit avant de les envoyer en mission. Une nouvelle fois, l’apparition du Christ ressuscité est source d’un envoi en mission, et d’une mission qui passe dans le cadre de l’Église, avec notamment la, charge de « remettre les péchés ». Ce passage fait part d’une mission apostolique, même si certaines difficultés peuvent surgir quant aux disciples qui bénéficient de cette première apparition. S’agit-il uniquement des Onze ? Mais alors l’absence de Thomas pose une sérieuse question... Et s’il ne s’agit pas des Onze, mais d’un nombre plus important de disciples, comment peut-on faire le lien avec la mission de libérer du péché ? Pour faire bref, il est possible de conclure que cette apparition manifeste que tout disciple a la mission de mettre les hommes en face de l’annonce de leur libération du péché.

Thomas, l’absent, est celui des disciples qui apparaît comme le plus humain, le plus réaliste : il lui faut une preuve matérielle pour donner sa foi (Jn. 20, 24-29) et il l’obtient car il bénéficie du statut privilégié de premier disciple. Est-ce dire que les autres ne connaîtront qu’un statut inférieur ? Il ne le semble pas, car la dernière parole de Jésus contient une béatitude : « Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru » Les disciples, qui croiront grâce au témoignage des premiers disciples, iront aussi jusqu’à la véritable confession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ».

L’apparition sur les bords du lac

Ce dernier chapitre de l’évangile johannique, que certains considèrent comme un appendice, s’inaugure par le premier départ de l’Église sans son Seigneur. La tentative de pêche est infructueuse. Mais, au miracle, le disciple bien-aimé reconnaît le Seigneur et il prévient Pierre de ce qu’il vient de constater. L’autorité sait ce qu’il faut faire : rejoindre le Seigneur sur la berge, berge qui apparaît comme le symbole du fondement ferme (de l’infaillibilité, pourrait-on dire). Pierre assume sa responsabilité de chef en dirigeant la manœuvre et en tirant sur la berge le filet débordant. De même qu’il avait pris l’initiative du départ, de même il dirige la manœuvre. Le filet ne se déchire pas (Jn. 21, 11) alors qu’il se déchirait en Luc 5, 1-11. Là aussi, le symbolisme permet de dire quel malgré certaines rivalités, notamment entre les communautés d’origine juive et les communautés d’origine païenne, l’unité est encore ferme dans cette Église naissante qui compose l’évangile johannique.

Puis, c’est un repas pris sur la rive (Jn. 21, 9-13). Faut-il y voir un repas eucharistique, puisque Jean ne rapporte pas de récit de la Cène ? En considérant les récits synoptiques, il ne peut plus être question d’eucharistie de Jésus après la résurrection, tout étant accompli. Mais il faut aussi considérer ce récit avec son aspect symbolique. Il s’agit de pain, mais il s’agit aussi de poisson, or le poisson qui est mangé n’est pas un des poissons ramenés par les pécheurs... De plus, le terme grec de poisson constitue l’anagramme du Christ lui-même. Le symbole du poisson exprime la réalité du Christ en personne. C’est le Christ lui-même qui nourrit ses disciples après leur travail ; et, dans une certaine mesure, ce récit se présente comme un repas eschatologique.

A l’issue de ce repas, Pierre se voit confier non pas la succession de Jésus, mais la tâche de conduire le troupeau à la place de Jésus. La tâche pastorale de Pierre est fondée sur l’amour du Seigneur la responsabilité qu’il doit assumer dans l’Église en tant que pasteur est une responsabilité d’amour, un service (Jn. 21, 15-19). C’est ainsi que se fait, dans le quatrième évangile, l’unité entre l’autorité et l’amour.

Somme toute, l’évangile de l’amour, ou plus exactement celui que l’on présumait tel, se termine par une apothéose de la fonction officielle. C’est Pierre qui est choisi comme celui qui aime le Seigneur plus que tous les autres. Il faut dire que Pierre lui-même semble très étonné de se voit confier ce charisme de l’amour et il se retourne vers le disciple que Jésus aimait et qui était, jusqu’à présent, le médiateur idéal entre Pierre et Jésus (Jn. 21, 20-23). Pierre ne comprend pas, mais il cherche à pénétrer cette situation, puisque sa fonction est de comprendre et de décider pour les autres. La réponse de Jésus reste énigmatique. Pierre doit accomplir sa fonction de serviteur, le reste - entre autres les limites entre l’institution et l’amour - ne le concerne en rien. Ce qu’il faut que Pierre comprenne, c’est que l’Église officielle doit être l’Église de l’amour, et que c’est dans cet esprit qu’il doit diriger le troupeau. L’essentiel n’est pas dans une question de personne privilégiée, mais dans l’Évangile qui reste à proclamer après la mort de Pierre, après la disparition même du disciple bien-aimé.

Conclusion : la mission de l’Église

A travers son évangile, Jean fait découvrir que la mission de l’Église est de proclamer la Bonne Nouvelle, d’apporter au monde la Révélation ultime de Dieu opérée en Jésus-Christ, afin de rassembler tous les hommes comme enfants de Dieu. Ainsi, par le témoignage de la communion et de l’amour fraternel, les disciples manifesteront l'amour et l’unité qui existent entre le Père et le Fils. Seul l’amour constitue la véritable appartenance à l’Église, mais cet amour ne peut être compris qu’en référence au Christ qui annonce l’amour du Père et du Fils.

Cet amour de Dieu pour tous les hommes, cet amour qui est le lien d’unité en Dieu, ne peut pas être connu par la seule raison. Aussi l’Église invite-t-elle ses enfants à purifier, à confirmer et à approfondir leur foi en ce Jésus qui est Seigneur et Christ : « Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (20, 30-31).

La rencontre de Jésus-Christ est une condition de la foi. Et cette rencontre a été sensible pour les disciples, pour les foules qui suivaient Jésus, pour les personnes qui ont rencontré cet homme durant son ministère et qui ont vu les signes qu’il accomplissait, même si elles refusaient ces signes. La rencontre, pour les disciples actuels, n’est pas une rencontre du même ordre. La rencontre de Jésus, comme Christ, n’est pas une pure rencontre spirituelle, comme pourrait le laisser croire une interprétation trop « spiritualisante » du quatrième évangile, mais elle est surtout sa rencontre dans les événements de l’existence humaine. Pour le chrétien, l’acte élémentaire de la foi est un « je ne sais quoi » qu’on ne peut qualifier autrement que par les paroles de Marie de Magdala ou des disciples : « Nous avons vu le Seigneur ».

Si l’Église est le lieu de la rencontre de Jésus-Christ, qui révèle le Père et qui nous atteint dans notre acte de foi, si elle manifeste cette rencontre par le témoignage de l’amour et de la communion fraternelle, il ne faut pas oublier que ce qui constitue l’Église, dans l’unité de ses membres, c’est l’Esprit-Saint qui maintient le contact avec le Christ. L’évangile de Jean n’est pas seulement l’œuvre d’un témoin oculaire, il est d’abord et surtout une œuvre de l’Esprit. C’est ce que Jésus annonçait dans son dernier discours : le rôle de l’Esprit est de porter à son achèvement la compréhension du mystère de Jésus.

L’Église ne peut prétendre rendre présente la révélation par elle Son action ne peut se substituer à celle de Dieu. Elle n’est pas maîtresse, mais servante de la Parole qui lui a été confiée dans la tâche pastorale. Et elle doit assurer ce service dans l’amour qui la conduit au cœur même de la Trinité.

 

 

Le rôle des signes dans l’accès à la foi

 

La notion de signe

Le rédacteur du quatrième évangile place en conclusion de son livre les phrases suivantes : « Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que. en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jn. 20, 30-31).

Ces deux phrases ont permis de voir dans l’évangile johannique comme une sorte de « livre des signes » accomplis par Jésus durant sa vie publique. Le caractère fondamental des quatre évangiles réside dans la constante que l’on retrouve toujours : chaque récit présente à la fois un fait et une interprétation. C’est là que réside précisément le signe, en même temps dans le fait annoncé et dans son interprétation. On peut lire dans cette perspective non seulement les récits de miracles, mais aussi tous les faits de la vie quotidienne de Jésus. Chaque fois, l’interprétation est donnée au lecteur attentif : la manière de lire le signe est présente dans le texte lui-même. Les actes de Jésus sont mis en relation avec ses paroles : les discours sont préparés par un signe et les signes sont mis dans leur vraie lumière par les discours.

Seulement, il convient de ne pas se fourvoyer dans la conception même du signe. Ce n’est pas un acte magique qui pourrait répondre d’emblée aux interrogations des Juifs : « Mais toi-même, quel signe fais-tu, en sorte que nous voyions et que nous puissions te croire ? » (Jn. 6, 30) .

Jésus ne donne jamais de signes pour montrer sa propre puissance, mais pour manifester sa référence au Père, « pour que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui » (Jn. 9, 3). C’est pourquoi l’évangile selon saint Jean, ainsi que son rédacteur le précise lui-même, ne rapporte que quelques signes de Jésus afin de montrer que celui-ci est le Christ, le Fils de Dieu, et de faire accéder ainsi les hommes à la foi en Jésus-Christ.

Le récit de l’aveugle-né peut être considéré comme le centre de tout l’évangile johannique. C’est le récit qui manifeste le mieux la découverte progressive du mystère de Jésus. En effet, il révèle peu à peu l’identité de Jésus : celui qui confesse que Jésus est le Christ accède à la lumière et à la foi, tandis que celui qui refuse de le reconnaître reste dans les ténèbres. En outre, cet accès à la foi marque le passage de la Synagogue à l’Église, le passage du judaïsme au christianisme, ou, encore, dans une perspective polémique, le passage de la cécité spirituelle à la lumière de la foi.

Propositions pour une structure du texte

En lisant ce récit de l’aveugle-né, il est facile de repérer une succession de différents tableaux. Un récit est toujours composé d’épisodes qui permettent de suivre l’histoire qui est proposée. Essayons de redécomposer le texte en une suite de tableaux :

 

Jésus voit, parle, guérit,

disparaît de la scène (1-7)

 

 

 

 

Jésus est absent,

les voisins s’interrogent (8-12)

 

 

 

 

Premier interrogatoire

de l’aveugle guéri. (13-22)

 

 

 

 

« Jésus est le Christ » (22 fin)

 

 

Second interrogatoire

de l’aveugle guéri (23-34)

 

 

Jésus rencontre l’aveugle

qui proclame sa foi (35-38)

 

 

Jésus est présent,

il parle et sanctionne (39-41)

 

 

 

 

Pour l’instant, le texte n’est que décomposé en différentes parties. Mais on s’aperçoit immédiatement qu’il existe une certaine correspondance entre les trois premiers épisodes et les trois derniers, le tout étant articulé autour d’un petit segment de phrase « Jésus est le Christ ». C’est d’ailleurs par cette seule affirmation qu’il est possible de constater dans la Bible la distinction entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Pour les Juifs, il n’y a pas de Nouveau Testament. La Bible hébraïque contient ce que nous appelons l’Ancien Testament, mais les Juifs refusent cette appellation : il ne peut pas y avoir d’ancien s’il n’y a pas de nouveau. De plus, il ne peut être question de « Testament », puisque ce terme suppose que quelqu’un est mort ; or, la Loi de Moïse, l’alliance de Dieu avec son peuple est toujours vivante.

Cette répartition ne s’attache qu’aux thèmes qui parcourent le texte. Elle ne peut être que provisoire, car elle peut n’être qu’une construction de l’esprit. Il faut creuser davantage, verset par verset, pour découvrir des similitudes plus intéressantes encore. Le tableau suivant présente brièvement les différentes correspondances qui. existent entre les versets quand on les prend isolément.

1 Jésus vit un homme

2 qui a péché ?

3 les oeuvres de Dieu se manifestent

4 celui qui m’a envoyé

mission de Jésus

5 Je suis la lumière du monde

6 de la boue avec la salive

7 se laver -il voyait

8 les voisins

9 c’est bien moi

10 comment se sont-ils ouverts ?

m j’ai retrouvé la vue

12 où est-il, celui-là ?

absence de Jésus

13 chez les pharisiens

14 un jour de sabbat

15 comment il a recouvré la vue

16 il n’est pas de Dieu

comment un homme pécheur ?

division des pharisiens

17 c’est un prophète

18 convocation des parents

19 comment voit-il maintenant ?

20 c’est notre fils, demandez-lui

21 refus de prendre position

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22 « Jésus est le Christ »

 

41 votre péché demeure

40 sommes-nous des aveugles ?

39 je suis venu en ce monde

mission de Jésus

 

38 il se prosterna

37 tu l’as vu

 

37 c’est lui qui te parle

36 qui est-il ?

35 crois-tu au Fils de l’homme ?

35 il vient alors le trouver

présence de Jésus

34 ils le jetèrent dehors

 

32 quelqu’un ait ouvert les yeux

33 s’il n’était pas de Dieu

31 Dieu n’exauce pas les pécheurs

30 étonnement devant l’ignorance

28-29 Moïse et Jésus

26-27 nouvelle explication

25 et maintenant je vois

24 nouvel interrogatoire

23 explication de ce refus

 

 

Une telle lecture serait insatisfaisante si elle en restait à ce simple point de vue d’un découpage systématique des versets, si elle ne pouvait servir que de trame pour comprendre le déroulement de l’histoire.

Tout d’abord, nous pouvons remarquer que les correspondances ne s’établissent pas toujours : il y a des « blancs » qui apparaissent, et ce sont souvent ces « blancs » qui donnent la signification à un texte. Ce qui n’est pas dit, ou ce qui est sous-entendu, est souvent plus important que ce qui est dit. Quatre versets de la première partie n’ont pas de correspondant dans la seconde partie. Il s’agit des versets 1, 5, 8 et 14. Quelle peut être la signification de ces versets isolés ? Il ne s’agit pas ici de faire une longue démonstration sur les thèmes esquissés dans ces versets, mais simplement de faire une constatation qui sera utile pour la suite du développement.

« En passant, Jésus vit un aveugle de naissance »

Dans l’évangile johannique, la foi inclut la vision : elle suppose que l’on regarde, puisque le Verbe s’est fait chair et qu’il se manifeste dans des miracles visible et signifiants. Le texte de l’aveugle-né présente un cas exceptionnel. En effet, habituellement, pour que le miracle puisse s’accomplir, il requiert la foi du malade, une démarche de sa part. Or, ici, rien de tel. Ce n’est pas le malade qui fait une démarche, c’est Jésus qui va à sa rencontre, un peu comme par hasard. L’initiative vient de Jésus, celle ne vient pas de l’homme. La foi n’est pas autre chose qu’une grâce, c’est-à-dire un don gratuit de Dieu. Si la vision est importante dans l’accès à la foi, la vue n’est toutefois pas une condition suffisante pour croire. Les pharisiens ont vu et ils n’ont pas cru. Et même la vision n’est plus une condition nécessaire pour croire : « Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jn. 20, 29). La foi est un don. C’est son premier caractère. Si nous regardons l’ensemble de l’Écriture, nous constatons que c’est toujours Dieu qui prend l’initiative, aussi bien dans l’œuvre de création que dans l’œuvre de salut.

« Je suis la lumière du monde »

Au niveau du texte que nous lisons, cette affirmation vient corroborer le verset 1, lui donner un poids supplémentaire. Le Christ est lumière pour ceux qui acceptent de voir. Mais, si on se place dans l’ensemble de la Bib1e, nous constatons que la lumière a une importance capitale. C’est la première création, de Dieu, au livre de la Genèse. Il ne s’agit pas seulement de la lumière visible, puisque les astres qui diffusent cette lumière seront créés ultérieurement, il s’agit de la lumière de vie, qui est le symbole même du salut, ainsi que l’exprime le prophète Isaïe : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is, 9, 1), Ce même livre d’Isaïe annonce que la lumière sera le Seigneur lui-même : « Désormais ce n’est plus le soleil, qui sera pour toi la lumière du jour, ce n’est plus la lune, avec sa clarté qui sera pour toi la lumière de la nuit. C’est le Seigneur qui sera pour toi la lumière de toujours, c’est ton Dieu qui sera ta splendeur » (Is. 60, 19). De plus, on peut souligner quelques connotations supplémentaires : le fait de dire « Je suis » est une prérogative divine. C’est par ce nom que Dieu se donne à connaître à Moïse au Sinaï. De plus, « aussi longtemps que je suis dans le monde » donne, une idée d’avant la venue au monde et d’après la venue dans ce monde. Cela donne à penser que l’existence terrestre de Jésus est une étape transitoire. ailleurs, cela est encore souligné ultérieurement par la détermination du nom de la piscine : Siloé. En soi, le nom même de la piscine est insignifiant, mais une accentuation est mise par le rédacteur de l’évangile : « ce qui signifie : Envoyé » Le verset 5 récapitule ainsi toute la mission de Jésus, en l’identifiant à la lumière incréée, à la lumière des origines.

« Les gens du voisinage et ceux qui, auparavant, avaient l’habitude de le voir - car c’était un mendiant - disaient : N’est-ce pas celui qui était assis à mendier ? »

L’attitude des voisins est particulièrement importante dans l’accès à la foi pour ceux qui n’ont pas vu directement les signes que Jésus pouvait accomplir, mais qui ont pu en constater les effets. On retrouve des exemples similaires dans l’Évangile johannique : ce sont eux qui discutent, mais la foi ne l’emporte pas toujours. Tout reste en suspens. Ils demeurent au stade dubitatif et demandent toujours de nouveaux signes. Le rôle joué par les voisins dans ce texte est comparable à celui des nations voisines d’Israël au temps de son installation en Terre Promise. L’histoire de la nation se répète au niveau individuel : c’est toujours dans un rapport avec le voisinage que s’est affirmée la foi d’Israël. Le peuple était signe parmi les nations, signe du salut de Dieu. Tant qu’il restait signe, le peuple vivait dans la prospérité, mais quand il copiait ses voisins, voulant établir sa puissance au rang des pouvoirs humains, il succombait aux pression politiques extérieures.

« Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue…»

La question du travail le jour du sabbat est une question primordiale dans les discussions de Jésus avec les représentants de la Loi mosaïque, aussi bien dans les synoptiques que chez Jean. Ici, l’absence de correspondance semble déjà marquer que la loi ancienne se trouve abolie pour faire place au règne de la foi. Mais cette question sur le sabbat fait aussi une allusion implicite au récit de la création : « Dieu acheva au septième jour l’œuvre qu’il avait faite, il arrêta au septième jour toute l’œuvre qu’il faisait. Dieu bénit le septième jour et le consacra, car il avait alors arrêté toute l’œuvre qu’il avait créée lui-même par son action » (Gen. 2, 2-3). Et le rappel de cette création se trouvait dans la Loi de Moïse : « Tu travailleras six jours, faisant ton ouvrage, mais le septième jour, c’est le sabbat du Seigneur. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes. Car, en six jours, le Seigneur a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a consacré » (Ex. 20, 9-11). Le rôle joué par Jésus, aux jours de sa vie terrestre, est un rôle de salut, c’est-à-dire un renouvellement de la création. La loi ancienne disparaît pour faire place au régime de la foi.

Outre ces quatre « blancs » qui mériteraient certainement d’être plus amplement explicités en dehors de la seule perspective de l’accès à la foi, il faut encore souligner la présence de ce qu’il serait possible de considérer comme « le creuset » de ce récit : « quiconque confesserait que Jésus est le Christ ». C’est sans aucun doute la première forme de la confession de foi dans l’Église primitive. Il semble que le Credo de l’Église ancienne se soit d’abord limité à cette seule affirmation de la reconnaissance de Jésus comme Christ, c’est-à-dire comme celui qui a été envoyé par Dieu dans le monde. Il suffisait d’affirmer que Jésus était le Christ, le Messie, pour entrer dans l’Église. Et l’attachement à la Synagogue se manifestait par le refus d’une telle reconnaissance. Affirmer que Jésus est le Christ, c’est quitter la Synagogue pour entrer dans l’Église, c’est effectuer le passage de la Loi de Moïse à la foi en Jésus-Christ. Cependant, il n’est absolument pas certain que l’exclusion de la Synagogue soit un phénomène contemporain de Jésus. Lui-même aurait été exclu des synagogues, or ce ne fut jamais le cas ; et même dans les Actes des Apôtres, on voit les apôtres annoncer le message chrétien à l’intérieur des synagogues de la Diaspora C’est la raison pour laquelle il faut se méfier, dans l’évangile, de tout prendre au pied de la lettre, comme s’il s’agissait d’un reportage précis sur la vie de Jésus ou sur la vie des hommes de son époque. L’évangile est un témoignage d’hommes sur Jésus. Ces hommes expriment ce que peuvent vivre les communautés dans lesquelles ils sont insérés. Il y a toujours une interprétation de l’événement, liée à ce que vit la communauté dans laquelle les récits évangéliques ont été composés. En l’occurrence, ce récit nous renvoie aussi à un état postérieur à l’événement précis de la guérison de l’aveugle, à une époque où l’exclusion positive de la Synagogue était un fait réel pour tous ceux qui confessaient que Jésus était le Christ, le Messie annoncé par les prophètes.

La foi chrétienne présentée dans ce récit

Jusqu’à présent, nous avons fait une analyse des versets qui n’avaient pas de correspondances. Et, progressivement, nous avons perçu que ce récit de la guérison de l’aveugle-né était bien plus qu’un reportage sur le miracle et qu’il contenait une sorte de résumé de toute la Bible, aussi bien en aval qu’en amont de Jésus, pris comme référence. Le reste de l’analyse sera un peu plus sommaire, car il ne s’attachera plus aux versets pris isolément mais aux grands thèmes qui sont exprimés dans le texte.

La question du péché

Elle est évoquée par les disciples : « Rabbi (maître), qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » Il y a là une réminiscence du troisième chapitre de la Genèse, où est décrit le péché d’Adam, ce péché « originel » qui se transmet de génération en génération. Pour la foi chrétienne, ce péché est pardonné dans les eaux du baptême qui est évoqué au verset 7 : « Va te laver à la piscine ». Le péché, c’est ce qui empêche de voir, ce qui empêche de rencontrer Jésus. Mais les pharisiens sont aussi aveuglés par leur entêtement à ne pas reconnaître Jésus. Accepter de reconnaître que nous ne voyons pas clair, c’est le premier pas à faire pour reconnaître l’envoyé de Dieu.

Création et adoration

Le second récit de la création, celui de Genèse 2, est aussi évoqué par l’action de Jésus modelant de la boue, avec la poussière du sol : « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol » (Gen. 2, 7).

Au verset 38, l’aveugle guéri se prosterne, c’est-à-dire qu’il retourne au niveau du sol. C’est un geste d’adoration envers celui qui apporte le salut. Mais ce geste de l’homme caractérise particulièrement le respect que l’homme éprouve au moment où il rencontre le monde sacré. Ainsi est exprimée la tentation de Jésus, dans l’évangile selon saint Matthieu : « Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne, il lui montre tous les royaumes de la terre avec leur gloire et il lui dit : Tout cela, je te le donnerai si tu te prosternes et m’adores » (Mt. 4, 8-9) .

Mission de Jésus

Tout au long de ce texte, la mission de Jésus est présentée. Il doit travailler « aux oeuvres de Celui qui l’a envoyé » (v. 4), car il est « la lumière du monde » (v. 6), et sa mission a pour objet une « remise en question » : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question, afin que ceux qui ne voyaient pas voient et que ceux qui voyaient deviennent aveugles » (v. 39). L’envoyé de Dieu vient dans le monde pour opérer un jugement. Mais ce jugement n’est pas immédiatement une condamnation. C’est un discernement, une mise en évidence de la séparation entre les hommes qui sont nés de Dieu et ceux qui ne sont pas nés de Dieu. Jésus veut qu’aucun homme ne soit perdu (Jn. 17, 12), c’est l’homme lui-même qui se condamne, en refusant de reconnaître en Jésus le Christ, l’envoyé de Dieu.

Identité de Jésus

La question qui se pose à tout homme dans ce récit de l’aveugle-né, c’est la question de l’identité de Jésus. Tous les personnages de ce récit se posent la même question avec une grande acuité : mais qui donc est-il ?

Pour ses disciples, il est le « rabbi », c’est-à-dire un maître qui connaît la Loi de Moïse et qui l’enseigne.

La première réponse de l’aveugle guéri, quand on lui demande comment ses yeux se sont ouverts, souligne l’humanité de Jésus : « l’homme qu’on appelle Jésus » (v. m). Il souligne ainsi sa difficulté de préciser l’identité de Jésus. Cette difficulté vient du fait qu’il ne respecte pas la Loi dans son intégrité, puisqu’il opère un travail le jour même du sabbat. D’une certaine manière, Jésus s’oppose donc à la loi, à la Torah, le premier groupe des livres de la Bible hébraïque. C’est ce que lui reprochent les pharisiens qui se réclament de Moïse comme de leur maître, ils sont les tenants de la tradition écrite dans sa plus grande pureté.

Face à cette affirmation, l’ancien aveugle estime alors que Jésus est un prophète (v. 17). Il y a là une distinction qui se fait entre les livres mêmes de la Bible hébraïque : la Loi et les Prophètes (Torah et Nevihim). La Torah contenait les règles de la vie courante, tandis que les prophètes entretenaient la source de l’espérance, dans ce qu’on appelait la « haggadah ». Il semble que l’aveugle se réfère directement à cette source qui restait encore très diversifiée et susceptible de multiples interprétations, alors que les pharisiens se situent davantage au niveau de la discipline contenue dans la Loi. De même, l’enseignement de Jésus relève aussi de la « haggadah », ce qui va le conduire à un affrontement définitif avec les autorités juives.

Finalement, Jésus se présente à l’aveugle guéri en lui demandant s’il croit au « Fils de l’homme » (v. 35). Ce Fils de l’homme est un titre qui vient du prophète Daniel dans une vision apocalyptique. Il désigne un personnage céleste qui apparaîtra à la fin des temps et qui jugera tous les hommes. Ce titre, à l’époque de Jésus, était beaucoup plus chargé d’importance que le titre de « Fils de Dieu », car c’était le Fils de l’homme qui devait instaurer définitivement le Royaume de Dieu sur le monde. Et, à plusieurs reprises, Jésus parle de ce personnage auquel il s’identifie, qui viendra sur les nuées du ciel, qui siègera sur un trône de gloire pour juger toute l’humanité. En se déclarant « Fils de l’homme », Jésus affirmait une prétention d’égalité avec Dieu. C’est ce qui lui vaudra sa condamnation pour blasphème.

Procès de l’aveugle et procès de Jésus

L’aveugle guéri doit subir deux interrogatoires de la part des pharisiens, qui sont les représentants de l’autorité. Il est condamné à l’exclusion de la synagogue (avec les connotations soulignées précédemment) : l’exclusion est la manifestation visible de la fin de l’appartenance au peuple d’Israël. C’est une manière non sanglante de condamner un homme à mort. Car en dehors de la communauté, il est impossible de vivre. Cette exclusion de l’ancien aveugle est comparable à l’exclusion définitive de Jésus de cette même communauté. Exclu lui aussi de la synagogue, il sera traduit devant le tribunal populaire du gouverneur romain. Le procès de Jésus, comme celui de l’aveugle, se fait en deux temps une comparution devant les autorités religieuses (Jn 18, 12-28) et une comparution devant l’autorité civile (Jn. 181 29- 19, 16).

Rencontre avec Jésus et apparition du Ressuscité

La rencontre de Jésus avec l’aveugle guéri est construite sur le modèle des récits d’apparitions après la résurrection. On y retrouve en effet la reconnaissance de Jésus comme Christ et Seigneur qui s’ajoute à la vision précédente. A cette reconnaissance viennent s’ajouter un acte de foi et une révélation qui concernent l’ensemble du monde (vv. 38-39). Bien sûr cette comparaison peut sembler incomplète puisque, dans les récits d’apparition, la dimension de la mission à accomplir est également soulignée. Mais la mission n’a-t-elle pas déjà précédé la rencontre au point que celle-ci n’est plus qu’une récompense couronnant la mission accomplie et menée à son terme dans la proclamation de la foi.

Le tableau ci-dessous permet de constater la place que pourrait occuper le texte de l’aveugle-né dans l’ensemble du corpus biblique. Ainsi, Jean 9 devient comme une sorte de condensé de toute la révélation chrétienne.

Régime de la Loi

Jean 9

Régime de la foi

Création: Genèse 1-2

Péché: Genèse 3

Pharisiens

Moise

 

Synagogue

Loi

Vie ancienne

Lumière créée

Nations

Livres historiques

Salut

Eau (Siloé)

Jésus

Prophètes

Fils de l’homme

Exclusion

Procès

Mort

Lumière du monde

Voisins

 

Adoration: Évangiles

Baptême

Aveugle guéri

Christ, Seigneur

Fils de Dieu

Église

Foi

Résurrection

Voir les oeuvres du Père

Disciples

Actes des apôtres

Condition pour accéder à la foi au Nom de Jésus

Le quatrième évangile est essentiellement centré sur la foi en celui qui s’est rendu visible aux yeux des hommes. Jean insiste énormément sur l’importance de l’acte de croire en celui qui s’est manifesté comme le Christ, le Fils de Dieu. Ce souci se retrouve également dans les lettres johanniques.

Tout l’itinéraire de la foi développé dans le récit de Jean 9 va d’une sorte de rencontre purement humaine à une rencontre spirituelle Si très souvent il existe un parallélisme évident entre des formules comme « qui vient à moi » et des formules comme « qui croit en moi », pour l’aveugle-né, la démarche de foi ne vient pas du malade, ni de ses proches, ni de la foule, la démarche de foi trouve son origine en la personne de Jésus, c’est lui qui va à la rencontre de l’aveugle. C’est bien la manifestation de la gratuité du don de Dieu qui se met à la recherche de l’homme. C’est ce même aspect de la gratuité qui était souligné dans le Prologue : « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme » (Jn. 1, 9).

La foi nécessite une rencontre avec Jésus, peu importe si c’est une démarche de l’homme ou une démarche de Jésus. Il est essentiel qu’il y ait une rencontre primitive qui permettra à la foi de s’épanouir progressivement. Cette première rencontre avec Jésus invite l’aveugle à accepter l’inacceptable : traverser Jérusalem les yeux couverts de boue pour voir ! C’est déjà croire que l’impossible est possible. Comment l’obstruction de l’organe de la vue elle permettre son ouverture ?

L’acceptation de cette première épreuve manifeste une foi première, une foi en l’incroyable. Cela est permis par une rectitude du cœur, laquelle se traduit par une prise de conscience de sa faiblesse, de son péché. N’est-il pas remarquable de constater que la question des disciples sur le péché de cet homme (alors que Jésus avait montré que la souffrance était une conséquence du péché, en Jn. 5, 14) est repoussée par Jésus et que, finalement, le péché est renvoyé sur les pharisiens ? Celui qui a conscience de son péché n’est déjà plus englué dans son péché, s’il accepte que son salut lui vienne d’un autre. C’est parce que les pharisiens savaient, parce qu’ils possédaient la Loi qu’ils étaient et qu’ils demeurent dans le péché. L’aveugle-né se remet dans une situation de dépendance vis-à-vis de Jésus et accepte son action sans discussions préalables.

Le péché est un refus de cette dépendance, c’est ainsi qu’il est présenté en Genèse 3. Il y a, dans la situation de l’aveugle, une sorte de retour à l’origine, une référence discrète à la création. Il en revient en quelque sorte à un état de l’homme d’avant la chute, et c’est la raison pour laquelle il sera guéri. Il reconnaît la nécessité de faire dépendre son existence d’un autre. Contrairement à l’aveugle, les pharisiens, sous prétexte qu’ils ont la Loi de Moïse, sous prétexte qu’ils savent ce qui est juste, ne peuvent pas découvrir la Lumière du monde. Avant la venue de la Lumière, tous étaient aveugles ; mais, avec la venue de la Lumière, la distinction s’opère : ceux qui s’imaginent voir sont aveugles, ceux qui reconnaissent leur cécité voient.

La première démarche de la foi réside donc dans une foi implicite, une « foi d’avant la foi » qui accepte avant de chercher à comprendre. Mais aussitôt après, il importe de justifier cette foi, qui n’est pas seulement une démarche spirituelle ou mystique, mais bien une foi justifiée dans son objet, c’est-à-dire dans le salut apporté par Jésus-Christ.

Dans le récit, la foi est explicitement liée à la vision, ce qui constitue un grand thème johannique. La foi aiguise toujours la pénétration du regard pour celui qui croit en Jésus. En tant que vision, la foi est une réponse, mais ce n’est pas seulement la perception de ce qui est devant les yeux ou une perception purement intérieure qui n’aurait pas besoin de la vue. Les juifs, les pharisiens, qui ont pourtant vu les signes que Jésus accomplissait n’ont pas cru : ils avaient des yeux et ne voyaient rien. Leur raisonnement de justification était fortement argumenté par la Loi, alors que l’aveugle guéri réaffirme sa foi en proclamant sa guérison : « Je vois » (vv. 11, 15, 25).

Ainsi, devant la personne même du Jésus historique, chacun est invité à prendre position : c’est dans cette décision que se manifeste déjà le jugement apporté par le Christ dans le monde. C’est l’homme lui-même qui se condamne en refusant de voir en Jésus le Christ, l’Envoyé de Dieu. La réponse de l’homme devant Jésus est la preuve ultime de son acceptation ou de son refus.

Les signes ne sont donnés aux hommes que comme supplément de preuve pour ceux qui acceptent, mais comme une sorte de confusion pour ceux qui refusent la lumière. Mais, en face du monde, il ne suffit pas d’affirmer cette vision, il faut encore la justifier, en porter le témoignage. Et si le témoignage n’apparaît plus dans l’Évangile selon saint Jean après le chapitre 5, il est quand même assez évident que l’aveugle guéri témoigne de sa foi devant les juifs qui représentaient l’autorité du monde.

La démarche de foi de cet aveugle a donc été, pour schématiser un peu, la suivante. D’une prédisposition à la foi, il a reçu le don de Jésus, qui s’est manifesté à lui en le guérissant. En réponse à ce don, l’homme a pris position pour Jésus en face des juifs qui optaient résolument contre lui. Sa prédisposition à la foi s’est transformée sous l’effet du signe en une foi confessante, passant même par une forme du martyre (l’exclusion de la synagogue) dont l’achèvement définitif et la récompense se trouvent dans la rencontre avec Jésus, le Seigneur.

La rencontre de Jésus-Christ est une condition de la foi. Si elle a été une rencontre sensible de la personne même de Jésus pour les disciples, pour l’aveugle et pour d’autres personnes qui ont vu et compris les signes que Jésus accomplissait, elle n’est pas pour les disciples actuels une rencontre du même ordre...

La rencontre du Christ n’est pourtant pas une rencontre purement spirituelle Elle est sa rencontre dans les événements quotidiens de l’existence. C’est là que doit s’opérer une décision qui engendrera une seconde rencontre par la reconnaissance de celui qui est la Lumière du monde.

 

 

Le Christ, maître absolu de la vie et de la mort

 

Les deux signes de la guérison de l’aveugle-né et de la résurrection de Lazare se répondent. Ils gravitent tous les deux autour de l’expression majeure du don de Dieu : la lumière et la vie. Jésus, lumière véritable, s’affronte au péché (et la lumière pour l’aveugle est le signe d’une autre lumière qui est donnée à ceux qui ont foi en Jésus-Christ et en son Père). Jésus redonne la vie à son ami Lazare (et cette vie est le signe d’une autre vie, celle qui est donnée à. tout croyant). Ce « miracle », ce dernier signe, Jésus le fait devant les Juifs : c’est le signe le plus important qu’il donne de sa puissance. il ne s’agit plus seulement de multiplier les pains ou de guérir, mais de faire revenir quelqu’un du monde des morts, un pouvoir qui est propre à Dieu seul. Et Jésus en fait une preuve importante de sa mission : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort. Elle servira à la gloire de Dieu, c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié » (Jn. 11, 4), « Je suis heureux de n’avoir pas été là afin que vous croyiez » (Jn. 11, 15), « Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé. Certes, je savais bien que tu m’exauces toujours, mais j’ai parlé à cause de cette foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jn. 11, 41-42).

Le cadre et les personnages

Ce signe se passe à. Béthanie, près de Jérusalem. En hébreu. Béthanie signifie : la maison du pauvre, la maison  de l’humilité. Actuellement, c’est le village de « El Azarieh », à deux kilomètres environ de la capitale, où l’on montre encore le tombeau de Lazare creusé dans le roc... Ce village est celui de Marthe et de Marie, deux femmes que l’auteur du quatrième évangile pense bien connues des chrétiens pour qui il rédige son texte. Très rapidement, on les a identifiées aux deux femmes présentées dans un épisode de Luc.

« Comme ils étaient en route, il entra dans un village et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur nommée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe s’affairait à un service compliqué. Elle survint et dit : Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissée seule à faire le service ? Dis-lui donc de m’aider. Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée » (Lc. 10, 38-42).

Luc n’a pas indiqué l’endroit où s’est passée cette scène. Il n’est pas impossible que ce soit Béthanie, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude qu’il s’agit des mêmes personnes. Marie est présentée comme cette « même Marie qui avait oint le Seigneur d’une huile parfumée et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux » (Jn. 11, 2). Cette action est racontée au passé, mais l’évangéliste parle d’une action qui se déroulera au chapitre suivant de sa rédaction (Jn. 12, 1-2) ; et en 12, 1, il mentionnera le récit de la résurrect1on de Lazare comme étant aussi un fait passé. Au moment où l’évangéliste rédige son texte, les deux événements sont bien passés et il y a pour lui comme un télescopage dans le temps. Toutefois, rien ne permet d’identifier cette Marie avec la pécheresse qui est présentée par Luc (7, 36-50). Lazare n’est pas connu par ailleurs, et il ne semble même pas être connu par les lecteurs de cet évangile, puisqu’il est simplement présenté comme « le frère » des deux femmes. Pourtant, il porte un nom prédestiné : « Dieu vient en aide » ; et ses deux sœurs le présentent comme un ami de Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade » (Jn. 11, 3). Cette amitié sera rappelée : « or Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare » (v. 5) ; « notre ami Lazare s’est endormi, je vais amer le réveiller » (v. 11). Cette même amitié sera encore soulignée par les juifs : « voyez comme il l’aimait » (v. 36). Une semblable insistance sur les sentiments de Jésus est exceptionnelle chez Jean : tout semble amener à conclure que c’est l’amour qui fait vivre.

Proposition de structure pour ce texte

Dans une première partie, tout se passe selon une référence constante à la maison de Lazare et de ses sœurs. Cette maison constitue un système clos : l’amour qui peut unir les sœurs et le frère est un amour sans fécondité, sans postérité possible, ce qui était difficilement admis par le judaïsme de l’époque.

« Il y avait un homme malade » (v. 1). La maladie peut connaître deux solutions : la guérison qui marque un retour à l’état précédent ou la mort qui constitue une nouveauté. Le vide qui sera causé par la mort de Lazare est immédiatement comblé par la présence des juifs dans la maison des deux sœurs.

Dans la seconde partie, tout va se dérouler selon un processus de sortie : la maison, comme système clos, s’ouvre, se vide de tous ses occupants, puis le tombeau va être également vidé. Mais, rien, dans le texte ne permet de dire ce qu’il advient de Lazare et de ses sœurs après la résurrection. Le « déliez-le et laissez-le amer » (v. 44 b) laisse simplement supposer qu’il ne peut s’agir d’un simple retour à l’état antécédent.

Une maison et ses habitants : vv. 1-2

Annonce de la maladie à Jésus : v. 3

Jésus reste sur place : vv. 4-6

Annonce de la mort de Lazare par Jésus : vv. 7-14

Départ de Jésus et des disciples : vv. 15-17

Les juifs viennent consoler les deux sœurs : vv. 18-19

Marthe sort vers Jésus : vv. 20-27

Marthe vient vers Marie : v. 28

Marie et les juifs sortent ensemble : vv. 29-37

Jésus s’adresse à Lazare : vv. 38-43

Lazare sort du tombeau vivrant mais lié : v. 44 a

Lazare est libéré : v. 44 b

Une maison et ses habitants

Voir ce qui a été dit précédemment sur la recherche d’identification des personnages et des lieux dans le cadre des évangiles de Luc et de Jean.

Annonce de la maladie à Jésus

« Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que tu aimes est malade » (v. 3). C’est une manière pour elles de dire : « Nous voulons qu’il guérisse ! » ailleurs les deux sœurs reprocheront à Jésus son absence, en lui disant que sa présence aurait pu guérir leur frère : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (v. 21 et v. 32) .

Jésus reste sur place

Alors qu’il sait que Lazare est malade, à la porte de la mort, Jésus ne se dérange pas, il reste « deux jours encore à l’endroit où il se trouvait » (v. 6). Déjà, aux noces de Cana, il n’avait pas répondu immédiatement au désir exprimé par sa mère : « Mon heure n’est pas encore venue » (Jn. 2, 4). Jésus ne règle pas sa conduite sur des sentiments humains, mais sur la volonté de son Père, il veut servir la gloire de Dieu : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu, c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié » (v. 4). Cette réponse ressemble étrangement à la réponse que Jésus avait faite à la question de ses disciples quant à l’origine de la cécité de l’aveugle-né : « Ni lui ni ses parents (n’ont péché). Mais c’est pour que se manifestent en lui les oeuvres de Dieu » (Jn. 9, 3). La gloire de Dieu n’est pas une sorte de satisfaction égoïste que Dieu se réserverait au détriment de ses créatures (aveugle-né, Lazare) : chaque fois qu’il est question de la gloire de Dieu, c’est toujours pour le bien du peuple tout entier, ou pour le bien de ceux qu’il aime. Il manifeste pour eux sa volonté de salut. Et celle-ci se manifestera d’une façon particulièrement éclatante pour Jésus que le Père ressuscitera lui-même d’entre les morts : en lui, il propose sa présence et son salut.

Annonce de la mort de Lazare par Jésus

Ayant laissé deux jours s’écouler, Jésus annonce à ses disciples son intention de retourner en Judée. Ceux-ci voudraient l’en dissuader en raison du danger que Jésus peut alors courir : « Les juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider... Ce n’est pas pour une belle oeuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème parce que toi qui es un homme, tu te fais Dieu » (Jn.10, 31-33). Mais on ne peut arrêter la marche de Jésus, on ne peut pas davantage le lapider tant que son « heure n’est pas encore venue ». C’est ce qu’il fait entendre à ses disciples, en citant une sorte de proverbe populaire : « N’ y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu’un marche le jour, il ne trébuche pas parce qu’il voit la lumière de ce monde, mais si quelqu’un marche de nuit, il trébuche parce que la lumière n’est pas en lui » (vv. 9-10), parole qui est à rapprocher de ce qu’il disait aussi à ses disciples avant la guérison de l’aveugle-né : « Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de Celui qui m’a envoyé ; la nuit vient où personne ne peut travailler Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jn. 9, 4-5). Ultérieurement, Jésus utilisera la même image pour faire comprendre à ses adversaires qu’il est encore temps de rendre gloire à Dieu : « La lumière est encore parmi vous pour un peu de temps. Marchez tandis que vous avez la lumière, pour que les ténèbres ne s’emparent pas de vous, car celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière pour devenir des fils de lumière » (Jn. 12, 35-36) .

Sauver Lazare de la mort sera, pour Jésus, le signe ultime, celui que les juifs réclamaient : « Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement » (Jn. 10, 24), mais cela sera aussi le signe de sa propre condamnation : la gloire qui va rejaillir de ce miracle, gloire annoncée au v. 4, sera finalement la glorification de Jésus sur la croix. Jésus reste sur place pendant deux jours, et il se met en route le troisième jour, comme c’est le troisième jour qu’il ressuscitera des morts.

En employant le vocabulaire du sommeil pour désigner la mort de Lazare, Jésus change la signification de la mort. Elle n’est pas un châtiment, mais un passage qui conduit au réveil de la résurrection. Mourir, dans toute la littérature biblique, était considéré comme une conséquence du péché, et donc comme le pire des châtiments. Pourtant, la mort perdait son caractère tragique quand la vie avait été longue et heureuse, particulièrement comblée par la bonté divine. Jésus, en dédramatisant la mort, lui donne le sens du sommeil : ceux qui sont morts ne sont qu’endormis, dans l’attente d’un réveil. Jésus se réjouit de la mort de Lazare, non pas parce que, ayant attendu, il manifestera sa puissance avec plus d’éclat aux yeux de ses disciples, mais parce qu’ils croiront. Le motif de la joie ne se trouve pas dans l’acte que Jésus va réaliser, mais dans l’acte de foi qui pourra s’ensuivre de la part des disciples. ailleurs, l’attitude de Jésus devant le tombeau prouve qu’il ne se réjouit pas de la mort de son ami, mais bien que celle-ci l’ébranle dans toute sa dimension humaine (vv. 33-36).

Départ de Jésus et des disciples

« Allons à lui ! Alors, Thomas, celui que l’on appelle Didyme, dit aux autres disciples : Allons nous aussi et nous mourrons avec lui » (vv. 15-17). Thomas donne le sens du départ : celui de la mort « avec lui ». Le caractère de ce « lui » est assez ambigu : s’agit-il de Lazare ou s’agit-il de Jésus ? De fait, les disciples doivent partager complètement la destinée de Jésus et mourir avec lui. De plus, les disciples meurent symboliquement dans ce récit, ils disparaissent complètement de la scène... A son arrivée (alors qu’il était accompagné de ses disciples), Jésus trouve Lazare au tombeau depuis quatre jours : c’est dire qu’il est mort depuis quatre jours, car l’ensevelissement se faisait le jour même. Dans la mentalité populaire, l’âme continuait à tourner autour du cadavre pendant trois jours, et lorsque le visage commençait à se décomposer, elle quittait pour toujours les alentours de la tombe. Marthe reviendra sur cet aspect : « Seigneur, il doit déjà sentir... Il y a en effet quatre jours... » (v. 39).

Les juifs viennent consoler les deux sœurs.

Contrairement aux autres juifs, présentés dans les chapitres précédents, ces juifs ne sont pas hostiles à Jésus : ils seront les témoins oculaires de la résurrection de Lazare, et l’évangéliste notera même que certains crurent en Jésus après ce signe (v. 45).

 

RECAPITULATION DE LA PREMIERE PARTIE

 

du côté de la maison

du côté de Jésus

Lazare est malade (v. 1)

Nous voulons qu’il guérisse (v. 3)

Cette maladie n’aboutira pas à la mort (v. 4)

donc elle conduit à la guérison, et à la vie.

Lazare doit donc guérir

et pourtant Lazare meurt

Il laisse un vide dans la maison,

vide comblé par la présence des Juifs

VIVRE EST CONDITION POUR MOURIR

Lazare est mort (v. 14)

Nous mourrons aussi (v. 16)

Je me réjouis... afin que vous croyiez (v. 15)

 

 

 

 

 

MOURIR EST CONDITION POUR CROIRE

 

Marthe sort vers Jésus

Après avoir présenté l’attitude des deux sœurs (Marie reste à la maison alors que Marthe part à la rencontre de Jésus) l’évangéliste propose une catéchèse de la foi. C’est d’abord le reproche affectueux de Marthe : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort », autrement dit : « tu n’es pas venu et mon frère est mort, alors qu’il n’aurait pas dû mourir ». En cela, elle présente l’état de sa foi en Jésus au moment présent. Mais elle poursuit et montre l’endroit où sa foi doit aboutir à la fin de l’entretien : « Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (v. 22). La foi de Marthe est liée à la présence matérielle de Jésus, et sa demande s’exprime en termes de connaissance : « si tu avais été là... je sais... ». Jésus lui-même fera écho à la demande de Marthe, telle elle l’exprime, dans sa prière d’action de grâce : « Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé. Certes, je savais bien que tu m’exauces toujours... » (vv. 41-42). Pour l’instant, Jésus veut la faire progresser dans sa foi : « Ton frère ressuscitera » Marthe comprend cette proposition de Jésus dans le sens de la tradition juive. Sous l’influence du pharisaïsme (dont il faut reconnaître les nombreux aspects positifs, même si les pharisiens sont souvent caricaturés dans les récits évangéliques), l’espérance en la résurrection des morts s’était développer pour rétribuer les justes qui étaient morts sans avoir connu le bonheur.

Ainsi, vers les années 100 avant Jésus-Christ, un auteur anonyme expose comment des croyants, sûrs de la résurrection, ont assumé jusqu'au bout la fidélité â Yahwé. Il faudrait relire intégralement le chapitre 7 du deuxième livre des Martyrs d’Israël. Le roi Antiochus voulait contraindre sept frères et leur mère â manger de la viande interdite par la Loi mosaïque. Au moment de son supplice, le deuxième frère s'écrie : « Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 M. 7, 9). Ainsi se trouve affirmé le fait que ceux qui meurent pour leur foi ressusciteront, car cela est nécessaire à la justice de Dieu. Et la mère de ces sept frères les encourageait dans leur supplice : « Je ne sais comment vous avez apparu dans mes entraimes. Ce n'est pas moi qui vous ai gratifiés de l'esprit et de la vie, et ce n'est pas moi qui ai organisé les éléments dont chacun de vous est composé. Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l'homme à sa naissance et qui est à l'origine de toute chose vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l'esprit et la vie parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour ses lois » (7, 22-24) .

Peu à peu, les développements de la pensée juive, sous l'influence des pharisiens, amenaient à penser que chaque membre du peuple élu bénéficierait de la résurrection « au dernier Jour » quand la justice même de Dieu rétablirait toute chose dans l'équité. Mais le fait de la résurrection n’était pas admis par tous, et particulièrement pas par les sadducéens. C'est ainsi que Paul, arrêté à Jérusalem, aux portes du Temple et traduit devant le Sanhédrin, peut utiliser cette opposition entre pharisiens et sadducéens pour échapper à la colère des Juifs (Ac. 23, 6-10).

Mais autre chose est d'affirmer la résurrection eschatologique (au dernier jour) autre chose est de dire : « Je suis la résurrection et la vie » (v. 25). Ce qui est remarquable dans ce récit de la résurrection de Lazare, c'est précisément que cette révélation précède le signe, alors habituellement la révélation suit le miracle. L'explicitation de Jésus commence par un « Je suis » qui indique la présence divine elle : le nom de Dieu s'exprimait simplement par ce terme. On peut y voir la prétention de Jésus à l'égalité avec Dieu... Mais il y a plus : la résurrection n'est pas pour un au-delà, elle est exprimée au présent : « Je suis la résurrection et la vie ». Maintenant que Jésus est présent, auprès de Marthe - alors qu'il est très proche de sa propre mort - la mort ne pose plus de problème pour Lazare et pour tous ceux qui croient en Jésus. Et au-delà de la mort de Lazare, il est question de la mort de tout croyant : la mort est devenue irréelle, elle était déjà présentée comme un sommeil (v. 22). Celui qui croit est déjà passé de la mort à la vie. Jésus essaie donc d'élever l'esprit de la sœur de Lazare vers cette idée qu'il y a déjà résurrection et vie pour ceux qui croient en lui. Cependant, il y a une condition à l'obtention de la résurrection et de la vie, c'est la foi : « Crois-tu cela ? » Par sa foi, le croyant possède l'espérance d'avoir déjà part à la vie même de Jésus, qui se présente comme le principe, l'auteur et la source de la vie et du salut.

Lorsque Jésus affirme : « Je suis la résurrection et la vie », il se révèle lui-même comme celui qui communique la vie par ce qui sera sa glorification sur la croix : la vie est reçue à travers la mort à soi-même. Jésus, en montant en Judée pour amer réveiller son ami Lazare marchait vers sa mort : le don de sa vie permettait de redonner la vie à Lazare. Et la résurrection de Lazare devient, inversement, le signe de la glorification de Jésus et le gage de notre propre résurrection.

La foi de Marthe doit amer jusqu'à cette affirmation que la mort même de Jésus est source de vie. La réponse de Marthe sera nette : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (v. 27). En posant cette affirmation, Marthe progresse, dans sa foi : elle ne perçoit plus Jésus comme un puissant faiseur de miracles. Mais elle découvre en Jésus celui que le Père a envoyé. En reconnaissant et en confessant la qualité messianique de Jésus, Marthe reconnaît qu'il possède la pleine puissance de la résurrection. Il y a là une triple profession de foi qui est affirmée par Marthe :

· Jésus est le Christ (traduction de l’hébreu : Messie),

· il est le Seigneur, le Fils du Dieu vivant,

· il est celui qui vient.

C'est le modèle même de la foi qui est demandé à tout chrétien. Il n'est pas nécessaire d'avoir rencontré le Christ pour croire en sa parole : « Bienheureux ceux qui sans avoir vu ont cru » (Jn. 20, 29).

Marthe vient vers Marie

Après sa profession de foi, Marthe court prévenir sa sœur, tout bas. Pour Jean, Marthe a fait ce qu'el1e devait : elle a professé sa foi, elle prévient Marie pour elle accomplisse la même démarche. Si « le Maître est là et il appelle », c'est qu'il va faire progresser Marie sur le même chemin de la foi et de l'espérance.

Marthe et les Juifs sortent ensemble

L'acte de foi de Marie commence par manifester que la foi de l'homme est toujours une réponse à une initiative du Maître. Les juifs sortent de la maison et suivent Marie. Toute la scène se passe" à l'extérieur, la maison se vide entièrement de ses occupants, comme le tombeau va bientôt se vider de son occupant, mais il convient de noter la différence d’attitude entre Marie et les juifs. Marie s’empresse d'aller rejoindre Jésus pour se jeter à ses pieds, alors que les juifs pensent qu'elle part se lamenter au tombeau. Mais l'essentiel, pour Jésus et pour l'évangéliste, n'était-il pas simplement d’amener les témoins vers le lieu du signe ? Marie reprendra la même supplique que sa sœur : tu n'étais pas là et mon frère est mort ! Elle se plaint de la même manière que sa sœur, mais son attitude est plus démonstrative : elle se jette à ses pieds pour reprendre le refrain qui exprime toute sa désillusion, voire la désespérance qui est la sienne depuis ces derniers jours.

« Lorsqu'il la vit se lamenter, elle et les juifs qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et se troubla ». La démonstration de la peine de Marie est tout orientale, elle se lamente à grands cris, ainsi que les juifs qui l'accompagnaient. Et l'évangéliste emploie deux termes pour désigner les sentiments de Jésus à ce moment: il frémit intérieurement (en esprit) et il se troubla. On s'est beaucoup interrogé sur le sens de ces deux sentiments de Jésus. Pour certains, Jésus se serait ému du chagrin éprouvé par Marie, il aurait été complètement remué par la tristesse des deux sœurs et de leurs amis. Pour d'autres, il se serait indigné devant ce deuil purement conventionnel, que les juifs soulignent au verset 37 : « Celui qui a ouvert les yeux de l’aveugle n’a pas été capable d'empêcher Lazare de mourir », ce qui motiverait la colère de Jésus contre l'incrédulité des Juifs. D'autres encore pensent que Jésus manifeste alors sa colère, ou du moins son aversion envers la mort (et son auteur) qui a atteint son ami Lazare, et qui va bientôt l'atteindre. Il est vrai que Jésus pleure (v. 35), et ses pleurs manifestent simplement l'amitié qu'il éprouvait pour Lazare, et ils provoquent une double réaction : la sympathie des uns et le mécontentement des autres. Certains Juifs rappellent donc la guérison de l'aveugle-né et mettent en doute la puissance de Jésus : pourquoi n'est-il pas venu pendant la maladie ? Maintenant, il est trop tard il aurait pu prévenir cette mort. Mais c'est précisément ce que Jésus a voulu éviter : il devait laisser mourir Lazare s'il voulait faire éclater la gloire de Dieu.

Jésus s'adresse à Lazare

Jésus arrive alors au tombeau, situé vraisemblablement dans une grotte. L'évangéliste dit simplement qu'une pierre en fermait l'entrée. Alors, Jésus donne un ordre bref : « Enlevez la pierre ». Mais les témoins élèvent des objections que Marthe traduit aussitôt : « Seigneur, il doit sentir... il y a quatre jours déjà... ». Sa remarque montre simplement qu'elle n’a pas réalisé entièrement la portée de sa profession de foi, et Jésus rappelle une fois encore ce qu'il a promis. Avant de réaliser ce qui sera son dernier signe, le plus grand miracle de sa vie, « Jésus leva les yeux », comme il le fera au cours de sa dernière prière (Jn. 17, 1).

L’expression « lever les yeux » est typique de la tradition liturgique chrétienne, alors que les juifs se tournaient plutôt vers le Temple de Jérusalem. Sa prière ne sera pas une supplication, mais davantage une action de grâce. C'est le type même de la prière de Jésus (elle est toujours action de grâce, car il sait que son Père l'écoute toujours). A la limite, Jésus n'avait pas besoin de prier car toute son existence est en harmonie, en communion avec la volonté du Père, toute sa vie est une prière - toute prière des chrétiens sera aussi exaucée dans la mesure où elle s'accorde avec la volonté du Père. Mais Jésus prie à cause des témoins, « afin qu'ils croient que tu m'as envoyé ».

Il faut attendre les deux derniers versets d'un long récit inauguré par le « il y avait un homme malade » (v. 1) pour que l'évangéliste nous conduise là où il voulait en venir : le miracle de la résurrection de Lazare. Le principal intéressé par l'ensemble de ce texte n'occupe que quelques lignes... Alors Jésus commande : « Lazare, sors ! »

Lazare sort du tombeau vivant, mais lié

« Et celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains attachées par des bandes et le visage enveloppé d’un linge ».

Tandis que, pour Lazare, il a fallu rouler la pierre qui obstruait l'entrée du tombeau et le détacher de tout ce qui pouvait l'entraver, lors de la résurrection de Jésus, Marie de Magdala ne pourra que constater que « la pierre a été enlevée du tombeau » (Jn. 20, 1) et les deux disciples constateront « les bandelettes posées là et le linge qui avait recouvert la tête ; celui-ci n'avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre endroit » (Jn. 20, 6-7).

RECAPITULATION DE LA DEUXIEME PARTIE

 

du côté de la maison

du côté de Jésus

Lazare aurait dû guérir (v. 21 et 32)

sorties successives

Je sais qu'il ressuscitera (v. 24)

Crois-tu ?

VIVRE EST CONDITION CROIRE

Lazare est vivant (v. 44)

 

Je suis la résurrection (v. 25)

Oui, Seigneur, je crois (v. 27)

CROIRE EST CONDITION POUR VIVRE

 

SCHEMA RECAPITULATIF

 

les hommes

Jésus

Lazare est malade

Nous voulons qu'il guérisse

Cette maladie n’aboutira pas à la mort

 

VIVRE EST CONDITIQN POUR MOURIR

Lazare est mort

Mourons avec lui

Je me réjouIs que Lazare soit mort afin que vous croyiez

MOURIR EST CONDITION POUR CROIRE

Lazare aurait dû guérir

Il ressuscitera

Crois-tu ?

VIVRE EST CONDITION POUR CROIRE

Lazare est vivant

Je suis la résurrection

Je crois

CROIRE EST CONDITION POUR VIVRE

 

La foi en Jésus

Tout le quatrième évangile est l'évangile de la foi en Jésus envoyé par le Père, et cette foi en Jésus donne la vie éternelle. En réponse aux « oeuvres de Dieu » accomplies par Jésus, en réponse aux différents signes, l'homme est amené à prendre position. Les hommes sont appelés à croire en Celui que Dieu a envoyé. Mais dans le procès qu'ils intentent à Jésus, tout au long de l'évangile johannique, les juifs refusent de croire, malgré les témoignages rendus. Ils accusent Jésus de revendiquer l'égalité avec Dieu, ils l'accusent de se faire Dieu, et, avec la résurrection de Lazare, la tension est à son point maximum. Les juifs l'avaient sommé de répondre clairement à leur interrogation : « Jusqu'à. quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement ! » (Jn. 10, 24) .

La réponse de Jésus se trouvera dans la résurrection de Lazare : la vie appartient à Dieu, et Jésus possède en lui la puissance de la vie et de la résurrection, parce qu’il est l’envoyé du Père. Mais cette réponse sera précisément la cause de sa condamnation à mort. A la suite de ce miracle, les grands prêtres et les pharisiens réunissent le Sanhédrin, une instance de décision dans les affaires religieuses juives : ils reconnaissent que Jésus accomplit beaucoup de signes, peut-être même trop de signes. Et, au lieu de le reconnaître comme le Messie attendu, ils lancent un appel à la prudence : il faut se soucier du bien commun. Si Jésus est vraiment le Messie, s'il est celui qui doit libérer le peuple de l'oppression étrangère, il est permis de craindre une réaction de la part de la puissance d'occupation qui pourrait détruire la nation et le Temple. Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là (en principe, dans la religion juive, 1es grands-prêtres étaient élus à vie, mais les Romains destituaient souvent les grands-prêtres, ce qui pouvait donner à penser qu'ils n'étaient élus que pour une année ; lors de sa consécration, le grand-prêtre recevait des insignes qui faisaient de lui une sorte de prophète pour la nation ; c'est ainsi que Jean va montrer que Caïphe va se mettre à prophétiser involontairement). Caïphe déclare donc que Jésus doit mourir pour le peuple, pour le bien de la nation, mais l'évangéliste va préciser que Jésus ne meurt pas seulement pour la nation juive, mais pour « réunir dans l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés » (Jn. 11, 52).

Jésus va donc mourir pour permettre la constitution d'un nouveau peuple de Dieu. Alors, le grand conseil décide de faire périr Jésus. La Passion commence donc à ce moment, avec l'onction de Béthanie qui apparaît comme l'ensevelissement préfiguré de Jésus. Jésus va mourir mais c'est pour vivre pour toujours, car il est la résurrection et la vie.

La résurrection de Lazare est le signe de la résurrection de Jésus, mais la réalité de cette dernière dépasse de beaucoup la figure qui est proposée par le retour à la vie de Lazare. Si Lazare revit, i1 se voit quand même menacé d'un retour de la mort. La mort n'aura plus d'emprise sur Jésus après sa résurrection. Il est le maître absolu de la mort et de la vie.

La crainte des chefs des prêtres pour leur Temple est justifiée : ce Temple sera bientôt détruit par les Romains, non pas parce qu’ils ont cru que Jésus était le Messie, mais plutôt parce qu'ils ont refusé de croire. Pour les chrétiens, le Temple de Jérusalem n’a plus d'importance, parce que Jésus, dans son corps ressuscité a remplacé ce Temple. Il est le Temple vivant en qui les croyants peuvent rendre un culte « en esprit et en vérité » (Jn. 4, 24), il rassemble les enfants de Dieu qui étaient dispersés (Jn. 11, 52), il donne la vie à ceux qui croient en lui (Jn. 11, 25-26). La fête de la Dédicace du Temple, qui était la toile de fond temporelle du miracle de la résurrection de Lazare, s'accomplit en Jésus.

 

 

 

 

Le discours d’adieux pour l’unité des croyants

 

Le discours d’adieux, rapporté au chapitre 17 du quatrième évangile, constitue une unité littéraire qui s’inaugure par une prise de parole de Jésus : « Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit... » (v. 1) et s’achève par le départ vers le torrent du Cédron : « Ayant ainsi parlé, Jésus s’en alla avec ses disciples, au-delà du torrent du Cédron » (18, 1).

La délimitation formelle du texte se trouve ainsi très précise. Mais l’architecture même de ce chapitre permet de nombreuses hypothèses quant aux unités textuelles internes. Ainsi, les commentateurs johanniques subdivisent ce chapitre en deux, trois ou quatre unités sans pour autant jamais épuiser le dynamisme profond qui traverse ce texte...

André Laurentin remarque la récurrence signifiante du « Et maintenant ». Il suggère alors une structure en deux parties (vv. 1-12 et vv. 13- 23), commençant l’une et l’autre par « et maintenant », et incluses entre deux remarques à propos du « avant que le monde fût » (vv. 5-6 et v. 24). Il relève alors une introduction (vv. 1-4) et une conclusion (vv. 25-26) qui forment une inclusion pour l’ensemble du développement.

La subdivision en trois unités est la plus courante. Jésus prie pour lui-même (vv. 1-5), pour ses disciples immédiats (vv. 6-19) et pour tous les croyants. A cette opinion se rattachent des exégètes tels que R.E. BROWN, W.THUSING.

D’autres préfèrent y voir quatre unités, comme M-J. LAGRANGE, C-H. DODD et H. VAN DEN BUSSCHE...On peut y voir aussi cinq unités qui se structurent les unes par rapport aux autres…

Les uns se montrent sensibles à l’enchaînement des motifs traités, soulignant ainsi l’importance de ce que Jésus veut dire, les autres préfèrent être attentifs à une formalité objectivement repérable, dans les leitmotive qui reviennent à intervalles réguliers dans la prière de Jésus pour la rythmer selon une harmonie extensive. En repérant la récurrence de certaines expressions caractéristiques, il est possible de structurer, d’une double façon, cette prière de Jésus.

La glorification du Fils

La construction de ce premier paragraphe, retenu par certains comme étant la prière de Jésus pour lui-même, permet d’établir un parallélisme chiasmatique, notamment grâce à la mention de la gloire et de l’œuvre que Jésus a dû accomplir.

Père,

l’heure est venue

glorifie ton Fils

 

 

afin que ton Fils

te glorifie

et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné,

il donne la vie éternelle

à tous ceux que

tu lui as donnés

 

Et maintenant,

Père,

glorifie-moi auprès de Toi de cette gloire que j’avais auprès de Toi avant que le monde fût.

Je

t’ai glorifié sur la terre

 

 

j’ai achevé l’œuvre

que

tu m’as donnée à faire.

 

Or la vie éternelle,

c’est qu’ils te connaissent,

toi, le seul vrai Dieu,

et celui que tu as envoyé,

Jésus-Christ.

 

 

De part et d’autre du verset 3, il est possible de discerner des correspondances, qui permettent une identification entre le Fils et le « je » qui désigne Jésus qui parle, entre l’œuvre de Jésus qui s’achève sur la terre et qui doit cependant continuer. Jésus s’identifie au Fils du Père (v. 1 et vv. 4-5), grâce à la médiation du verset 3, qui présente Jésus comme l’envoyé du Père : il se désigne alors comme Jésus-Christ. Cette expression, placée dans la bouche de Jésus lui-même, paraît curieuse : elle résume la profession de foi de l’Église primitive. La foi au Dieu unique de l’Ancien Testament s’exprime dans la révélation apportée en Jésus-Christ il n’est pas possible de connaître Dieu, sinon en Jésus-Christ.

L’œuvre de Jésus, personnage historique, se termine sur la terre (v. 4), alors même qu’elle n’est pas achevée, en ce que la vie éternelle qu’il donne (v. 2) et qui est connaissance du seul vrai Dieu et de son envoyé n’est pas encore donnée comme un passé défini, mais qu’elle se donne dans un présent proche et à venir (v. 2).

L’œuvre de Jésus parmi ses disciples

Adoptant le même principe de structuration que pour le premier paragraphe, ce qui est notamment commandé par la situation du verset 8 b, qui revient sur la connaissance de l’Envoyé de Dieu, il devient possible de constater que les versets se répondent également de part et d’autre de 8 b.

 

J’ai manifesté ton nom

aux hommes

que tu m’as donnés

du milieu du monde.

Ils étaient à toi

tu me les as donnés

 

 

et ils ont observé ta parole.

Ils savent maintenant

 

 

que tout ce

que tu m’as donné

vient de toi,

que les paroles

que je leur ai données sont celles que tu m’as données

 

et c’est ainsi que j’ai été

glorifié en eux

 

 

Ils sont à toi

et tout ce qui est à moi

est à toi comme

tout ce qui est à toi est à moi.

 

 

Je prie pour eux,

je ne prie pas pour le monde

mais pour ceux

que tu m’as donnés

 

ils les ont reçues,

ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi

et ils ont cru

que tu m’as envoyé.

 

 

Il est aussi possible de remarquer que la manifestation du Nom aux hommes est déjà la forme de la glorification de Jésus et qu’il y a un mouvement de don du Père vers le Fils (v. 6) qui est contre-balancé par le même don de Jésus vers le Père (v. 10 ab) : ce don manifeste une identité dans l’appropriation des hommes. Cela peut déjà suggérer que la communication que Jésus fait du Dieu-Père aux hommes les entraîne dans la communion à l’intimité qui existe entre le Père et le Fils.

L’œuvre de Jésus continuée dans les disciples

Désormais, je ne suis plus

dans le monde,

eux restent dans le monde

tandis que moi je vais à toi.

Père saint, garde-les en ton nom

 

que tu m’as donné,

pour qu’ils soient un

comme nous sommes un.

Lorsque j’étais avec eux,

je les gardais en ton nom

que tu m’as donné,

je les ai protégés,

et aucun ne s’est perdu

sinon le fils de perdition

de sorte que

l’Écriture est accomplie.

 

Je ne te demande pas de les ôter

du monde

 

 

mais de les garder du Mauvais

 

 

 

 

 

Je leur ai donné ta parole

 

et le monde les a pris en haine,

 

 

 

 

parce qu’ils ne sont pas du monde

comme je ne suis pas du monde .

 

Maintenant, je vais à Toi

et cependant je continue

en ce monde à dire ces choses pour qu’ils aient en eux ma joie dans sa plénitude.

 

 

Continuant à observer le même type de construction, il est possible de constater un déplacement dans la situation même de Jésus, telle qu’elle est exprimée dans le verset 13 : il ne se présente plus comme l’envoyé du Père, mais comme celui qui va vers le Père. De la sorte, il occupe la même place de signification que les verset 3 et 8 b, comme un tournant dans le texte : l’œuvre de Jésus est terminée en tant qu’il la menait lui-même, et pourtant, elle se continue dans les disciples. Dans le monde, ils occupent une position comparable à celle de Jésus (v. 14), leur œuvre est l’œuvre continuée de Jésus.

L’envoi dans le monde et la consécration

Le verset 18 permet de constater que ce qui était suggéré au verset 13 se réalise les disciples se substituent à Jésus, ils sont envoyés par lui de la même façon qu’il fut envoyé par le Père (v. 3 et v. 8 b). Il reviendra alors aux disciples de porter la parole de Dieu, parole qui est vérité (v. 17), vérité qui les consacre à l’œuvre du Père par la vérité duquel ils sont consacrés (v. 19). Le relais de la transmission est la parole (v. 20) : les disciples ont cru à la parole de Jésus qui présentait la parole du Père (v. 14) ; en l’absence de Jésus, les disciples auront une parole à porter, et d’autres croiront grâce à la parole qu’ils portent.

Ils ne sont pas du monde

 

 

comme je ne suis pas du monde.

 

Consacre-les par la vérité

 

ta parole est vérité.

 

Je ne prie pas seulement pour eux 

je prie aussi pour ceux qui,

grâce à leur parole, croient en moi.

 

Et pour eux

je me consacre moi-même

afin qu’eux aussi soient consacrés

par la vérité.

 

Comme tu m’as envoyé

dans le monde,

je les envoie dans le monde.

 

 

Le but de l’œuvre de Jésus

Le verset 23 b reprend, en l’amplifiant, la donnée des versets 3, 8 b, et 18 : l’envoi du Fils dans le monde. Et, de là, il est possible de constater le but ultime de l’œuvre inaugurée par Jésus : que le monde parvienne à la connaissance du seul vrai Dieu (v. 3) par la connaissance de l’envoyé que le Père a aimé avant la création du monde. Ce but ne sera atteint que par l’unité que les disciples réaliseront entre eux (v. 23 a), mais il n’est pas certain que cette unité soit réalisable historiquement. Rien, dans cette prière-discours de Jésus, ne permet d’aboutir à cette conclusion. Et si cette unité doit se faire, c’est au Père qu’il revient de la faire. En conséquence, le but de l’œuvre de Jésus est de faire « connaître le Père, pour que celui-ci réalise l’unité entre les disciples, afin que ceux-ci puissent, à leur tour, faire connaître le Dieu-Père.

Que tous soient un, comme Toi,

Père

tu es en moi.

et que je suis en toi

qu'ils soient en nous eux aussi

afin que le monde croie

que tu m'as envoyé

et moi je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée

pour qu'ils soient un

comme nous sommes un

 

moi en eux

comme toi en moi

pour qu'ils parviennent

à l'unité parfaite

 

 

Père juste,

tandis que le monde ne t’a pas connu,

je t'ai connu,

et ceux-ci

ont reconnu

que tu m'as envoyé

et qu'ils contemplent la gloire

que tu m'as donnée

 

car tu m'as aimé

dès avant la fondation du monde.

Père, je veux que

là où je suis ceux que tu m'as donnés

soient eux aussi

avec moi

 

et qu'ainsi le monde puisse connaître que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

 

 

La communion dans l'amour

Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore

afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux.

 

Cette finale (v. 26) revient sur le but de l’œuvre de Jésus qui est de faire connaître le nom du Père, c'est-à-dire l'identité même de la personne de ce Dieu-Père. Cependant, il ne s'agit pas d'une connaissance intellectuelle, mais d'une connaissance d'amour qui achève l'unité. Ce qui importe fina1ement, dans l’œuvre de Jésus, c'est de faire entrer les hommes dans la communion d'amour qui unit le Père et le Fils de telle manière que le Père porte l'amour dont il aime le Fils aux hommes, en tant qu'ils lui sont incorporés. Il ne s'agit pas d'une fusion (comme dans les religions païennes à mystères) des hommes ni avec le Père ni avec le Fils, mais d'une communion qui est à la fois connaissance (et, comme telle, la communion marque la différence) et amour (et, comme telle, la communion vise à réduire la différence, mais non à l'abolir).

Récapitulation de cette lecture

Au long de cette lecture analytique, il a été facile de remarquer principalement une certaine continuité entre les versets 3, 8 b, 13, 18 et 23 b, continuité qui était indiquée par des repères facilement observables : la connaissance de Dieu d'une part et la situation d'envoyé de l'autre. Cette remarque permet de définir un axe qui sera porteur de ces versets, marquant l'accès à la vie par la connaissance de Dieu et de son envoyé. Cet axe s’achève lui-même dans la finale du verset 26, lequel marque la communion des hommes dans l’amour et l’intimité de Dieu. Cette lecture analytique permettrait également de discerner une identité de structuration interne des cinq unités :

 

 

 

Cela peut alors se résumer sur un schéma unique :

 

 

 

Le parallélisme de structure entre les cinq unités permet de dégager de grands axes, qui autoriseront une lecture « symphonique » de ce discours-prière d'adieux :

A : l'unification

B : le don

C : l'accès à la vie

D : l'opposition du monde

E : la glorification

Pour constater la présence de cet axe de l'unification, il suffit de relire, à la suite, les versets constitutifs: 1 b, 6, 11, 16 et 21 :

« Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie. J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu m'as donnés du milieu du monde : ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole. Désormais, je ne suis plus dans le monde, eux restent dans le monde, tandis que moi, je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m'as donné pour qu'ils soient un comme nous sommes un. Ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde. Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé ».

Ces cinq versets constituent une unité littéraire, dont le leitmotiv est celui de l'union entre le Père et le Fils, entre le Fils et les disciples, entre les disciples eux-mêmes, entre les disciples et le Père.

Il est d'abord question de la gloire (v. 1), de la gloire du Fils et de celle du Père, de celle que le Fils rend au Père et de celle que le Père rendra au Fils. Dans ce don réciproque de gloire, il y va de l'union du Père et du Fils, en tant qu'ils se donnent l'un à l'autre la gloire qui est la leur. Mais cette union est encore marquée par une seule et unique appropriation des hommes : le Père donne au Fils les hommes qui lui appartiennent, et ceux-ci, en observant la Parole du Père présentée par le Fils, montrent qu'ils reviennent au Père (v. 6). L'union manifestée entre le Père et le Fils est une union selon l'appartenance de l'humanité : le Père et le Fils sont unis comme co-possesseurs des hommes.

A un moment de transition (le départ même de Jésus), le texte suggère plus que l'union Père-Fils qui s'effectue par le retour de Jésus vers le Père (v. 11). Il est surtout question de l'unification des disciples dans le nom donné par le Père à Jésus, de l'union des disciples entre eux comme de la manifestation de l'union qui existe entre le Père et le Fils. Dans la distinction d'avec le monde (v. 16) se manifeste une similitude entre les disciples et Jésus. Cette union des disciples avec Jésus se manifeste premièrement dans une commune distinction d'avec le monde qui n'enferme ni les uns ni l'autre. Aussi l'union des disciples entre eux n'est-elle pas simplement juxtaposée à l'union du Père et du Fils : elle entre dans l'unité même formée par le Père et le Fils (v. 21) afin que le monde puisse croire que le Fils, Jésus, a été envoyé par le Père. C'est pourquoi il est légitime de penser que nous sommes en présence de la communion divine dans l'acte même de l'unification des disciples et que cette union se traduira par l'accès des hommes à la foi.

« Et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi, que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m'as données. Lorsque j'étais avec eux, je les gardais en ton nom que tu m'as donné, je les ai protégés, et aucun d'eux ne s'est perdu, sinon le fils de perdition de sorte que l'Écriture est accomplie. Consacre-les par la vérité, ta parole est vérité. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en eux Comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite ».

La répétition constante du verbe « donner » à l'intérieur de ces versets peut servir de clef de lecture pour déterminer cet axe du don. Ce qui est donné par le Père au Fils, c'est un pouvoir qui pourra s'exercer sur l'ensemble des hommes, et c'est cet ensemble des hommes qui est également donné par le Père au Fils (v. 2). Toutefois, ce pouvoir n'est pas simplement une puissance de possession ni un pouvoir d'autorité, mais un pouvoir de don, un véritable service. Ce qui est donné, ou ce qui peut être donné aux hommes par le Fils, c'est la vie éternelle. Et ceux qui ont reçu ce don doivent le transmettre à leur tour (vv. 7-8a). L'origine de tout pouvoir, l'origine de toute l’œuvre de Jésus se trouve dans le Père qui a tout donné à son Fils, particulièrement les « paroles » : les disciples ont bien reconnu que la parole de Jésus venait du Père qui s'est entièrement donné en Jésus. Celui-ci leur a révélé le nom du Père : ce don a permis à Jésus de ne perdre aucun de ceux qui lui ont été remis, à l'exception du « fils de perdition » (v. 12), car il fallait que la Parole de Dieu dans l'Écriture se réalise. Ce don de la parole venant du Père, ce nom même du nom du Père peut alors s'identifier au don de la vérité, laquelle consacre les hommes dans la parole donnée (v. 17). Cette vérité donnée comme une consécration des hommes les fait entrer dans la gloire du Père (vv. 22-23a). Mais le don de cette gloire n'exprime pas la finalité même du don : cette finalité doit se réaliser dans le don de l'unité qui peut exister entre les disciples. En considérant l'axe du don, il est possible de remarquer que le don peut s'exprimer sous la forme de différents dons particuliers pouvoir, hommes, paroles, vérité, gloire, unité. Mais ces dons n'épuisent jamais la réalité même du don qui circule et qu'il n'est possible de conserver que dans la mesure où il continue de se donner.

« Or la vérité, c'est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Ils ont reçu les paroles, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi. Maintenant, je vais à toi et cependant je continue en ce monde à dire ces choses pour qu'ils aient en eux ma joie dans sa plénitude. Comme tu m'as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde afin que le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé ». L'accès à la vie n'est autre qu'un envoi : c'est l'envoi qui fait naître à la vie éternelle. Cependant, l'envoi ne peut pas s'épuiser quand un seul ou plusieurs seulement sont envoyés. L'envoi se prolonge sans cesse et même il se renouvelle dans des hommes particuliers : accéder à la vie, c’est, en quelque sorte, recevoir la mission de transmettre cette vie. Recevoir la vie, c'est être amené à la donner, comme signe de l'amour du Père pour le Fils et pour les disciples de ce dernier.

« Je t'ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l’œuvre que tu m'as donné à faire. Je prie pour ceux que tu m’as donnés, je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés. Je leur ai donné ta parole et le monde les a pris en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu'eux aussi soient consacrés par la vérité. Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé, dès avant la fondation du monde ».

Il aurait été aussi légitime de continuer à porter l'attention sur l'aspect du donné, qui revient aussi souvent, mais il semble préférable de souligner l'opposition que le monde fait à ce don de Dieu. Le terme « monde » dans la théologie johannique a une double signifiance : il marque le lieu de la mission de Jésus et de ses disciples, mais il marque aussi le lieu de l'opposition à cette mission. La mission de Jésus, mission de glorification du Père (v. 4) s'achève sur cette terre : l’œuvre en elle-même est achevée en ce qui concerne Jésus, sans pour autant que la glorification du Père soit, quant à elle, achevée. En effet, le monde reste un monde hostile. Dans la prière de Jésus, la distinction entre les disciples et le monde conçu comme le refus de reconnaître l'envoyé de Dieu est nettement marquée (v. 9ab).

Le terme « monde » désigne, semble-t-il, tous ceux qui n'ont pas été donnés par le Père au Fils, tous ceux qui s'opposeront aux disciples. Et cependant, il faut remarquer que ce sont ces opposants qui permettront aux disciples de prolonger l’œuvre du Fils. L'opposition des disciples au monde se trouve une nouvelle fois soulignée dans une identification de la situation des disciples à celle même de Jésus (v. 14). La haine du monde vient de ce que ni les disciples ni Jésus n'appartiennent à ce monde vis-à-vis duquel les disciples sont consacrés, devenant l’identification du Fils (v. 19). Cette identification n'est pas à concevoir sur le monde de l'assimilation pure et simple : les disciples sont identifiés au Fils dans une même distinction d'avec le monde, mais ils ne se confondent pas avec le Fils qu'ils seront amenés à contempler quand ils auront reçu la gloire qu’il avait « dès avant la fondation du monde » (v. 24). Ainsi, le rapport existant entre le Père et le Fils est antérieur à la création du monde ; et, contrairement à tout ce qui se manifeste sous les traits de rapport dans ce ]monde matériel, le rapport du Père et du Fils n'est en aucune façon un rapport d'opposition, un rapport de force, mais un rapport de gloire. Le lien qui unit le Père et le Fils est nettement différent du rapport qui existe entre la parole de Dieu et le monde, que cette parole soit donnée par Jésus ou par ses disciples.

« Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j'avais auprès de toi, avant que le monde fût. Ils sont à toi et tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi. C'est ainsi que j'ai été glorifié en eux. Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du mauvais. Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croient en moi. Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé ».

La gloire du Fils s'est quelque peu éclipsée au cours de l'existence de Jésus, même si dans l'humanité de Jésus, les disciples ont pu discerner la gloire du Fils (vv. 9c-l0). L'humilité de ce Jésus qui se reçoit (tout ce qui est à toi est à moi) et qui se donne (comme tout ce qui est à moi est à toi) est source et cause de sa glorification en Fils. Reconnaître Jésus comme envoyé par le Père est source de vie pour les hommes (v. 3), mais c'est aussi la source de la gloire du Fils. Cette glorification n'entraîne ni ne réclame la suppression des disciples, ni même leur entrée immédiate dans la gloire (v. 15). Au contraire, elle demande la vie concrète des disciples au milieu du monde, pour autant qu'ils soient gardés du « mauvais » (v. 15), autrement dit : pour autant qu'ils sont gardés dans le nom du Père (cf. v. 11). Car la glorification du Fils se prolonge dans les disciples, non pas seulement les premiers, ceux qui ont vécu avec Jésus, mais aussi ceux qui viendront par la suite, tous ceux qui croient au Fils, en écoutant et en recevant la parole des disciples, qui ne feront rien d'autre que de transmettre la parole reçue de Jésus, c'est-à-dire finalement la connaissance du Dieu de Jésus-Christ. Aussi la finale s'inscrit-elle dans la ligne de la glorification du Fils, comme l’entrée des disciples et des hommes qui auront reçu la parole dans la communion divine, communion faite de connaissance et d’amour. De plus cette finale peut être considérée comme l’aboutissement du v. 1 a : « Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel ». En effet, c'est entre cette élévation des yeux au ciel et l'entrée dans la communion divine que se fait le jeu de la communication qui introduit dans la communion divine.

Les tableaux suivants permettent de rassembler toutes les données accumulées au cours des deux lectures faites de ce texte. Ce qui apparaît central dans le premier genre de lecture, c'est l’œuvre de Jésus continuée par ses disciples, et, dans le second genre, c'est l'accès à la vie. L'intersection de ces deux 1ectures se fait au verset 13, qui est le centre de la prière de Jésus : « Maintenant, je vais à toi, et cependant, je continue en ce monde à dire ces choses pour qu'ils aient en eux ma joie dans sa plénitude ».

A la fois se trouvent exprimées la glorification de Jésus comme Fils par le retour auprès du Père et la nécessité pour les disciples de continuer l’œuvre entreprise, afin de connaître également la gloire du Fils qui est « joie dans sa plénitude ». Le retour de Jésus auprès du Père est source de joie : il coïncide avec le don de l'Esprit qui enseignera toutes choses (Jn. 14, 26).




L'Esprit est mouvement, communication

A lire cette prière de Jésus, il est permis d'être quelque peu surpris de n'y voir aucune mention directe de l'Esprit comme effectuant le lien d'unité entre le Père et le Fils. Bien plus, il faut tirer le texte à soi si l'on veut découvrir des mentions indirectes de l'Esprit, même dans l’union du Père et du Fils, ou même dans ce qui relève de la connaissance et de l'amour de Dieu.

Seulement, cette absence matérielle, textuelle de l'Esprit permet de découvrir une forme de présence particulière : l'Esprit est dans les disciples, c'est par eux qu'il agit. Sa présence se manifeste particulièrement dans la communication à autrui de ce qui a été donné et reçu. Le fait même de l'absence de l'Esprit n'est pas ressenti comme un manque théologique dans la prière de Jésus. Au contraire, cette absence permet une ouverture dans l'intimité entre le Père et le Fils, ouverture par laquelle les disciples pourront entrer dans la communion divine. Ainsi, la finale (v. 26) fait entrer les disciples dans l'intimité du Père et du Fils, en les incorporant au Fils, pour autant qu'ils poursuivent l’œuvre entreprise par Jésus. En entrant dans un processus de connaissance et d'amour, en communiquant leur foi, les disciples se donnent les uns aux autres la vie éternelle dans la connaissance du vrai Dieu et de son envoyé, Jésus-Christ.

Cette vie éternelle les fait pénétrer dans la communion divine. Et le fait qu'ils se donnent les uns aux autres cette vie, c'est cela l’œuvre positive de l'Esprit dans la constitution d'une communauté de disciples, dont la visée ultime est la communion à l'intimité divine. Incorporés au Fils, les disciples sont animés de l'Esprit, au moment même où ils se communiquent la foi qui est communication des paroles de Jésus. Cela amène nécessairement à penser que la constitution d'une communauté n'a pas sa fin en elle-même que les disciples se regroupent en Communautés, cela répond au don même du Père, mais cette réponse n'est pas simplement situable sur un réseau de communications interhumaines, elle a une visée d'un autre axe, la vie éternelle, en notant cependant que cette vie n'est pas pour un au-delà, mais pour le présent, en ce sens qu'elle est connaissance de Dieu et de son envoyé. Aussi la formation de la communauté n'est-elle pas achevée : elle se réalise au cours même de la connaissance de Dieu et de celui qu'il a envoyé.

Si l'Esprit n'est pas présent, s'il n'est pas immédiatement discernable, cela ne veut pas dire qu'il n'est pas à l’œuvre, et cette oeuvre ne peut se terminer que dans une communion d'amour. Le Fils qui s’est incarné en Jésus ne laisse pas une oeuvre achevée. Certes, il a bien donné la parole du Père aux hommes, et cependant il n'a pas fait fusionner les disciples dans la gloire, d'une façon immédiate. Ce qui importe, dans l’œuvre du Fils, comme dans celle du Père, c'est précisément la médiation, et la médiation particulière des hommes. La façon, pour le Fils, d'achever l’œuvre qui lui a été donnée, c'est de la laisser inachevée, afin de permettre aux hommes, aux disciples de la poursuivre jusqu'à son terme. La perfection même de l’œuvre de Dieu pour l’homme, c'est de la laisser inachevée pour le « temps de l’homme »...

Cela ne revient pas à dire que l'homme reste passif après une intervention de Dieu en sa faveur. Au contraire, c'est le début même de l'action de l'homme que l'aspect inachevé de l’œuvre de Dieu. L'extension progressive de l’œuvre de Jésus ne comporte d'autre point final que la communion divine, que l’entrée de l'homme dans cette communion définitive, inaugurée dès à présent dans la communication de la connaissance et de l'amour.

C'est par là qu'il est possible de comprendre la prière de Jésus, la prière de tout homme. Prier, ce n'est pas tant hâter la réalisation définitive de l’œuvre de Dieu pour l'homme que de permettre à Dieu de continuer à donner, à se donner, et que de permettre à l'homme de continuer à recevoir, à se recevoir de Dieu, jusqu'au jour de la communion définitive avec lui.

 

 

 

 

Le prologue à l’Évangile

 

Quand on lit le prologue de l'évangile selon Jean, on découvre qu'il ne ressemble en rien à ce qui caractérise habituellement les récits évangéliques : paraboles, discours, récits de miracles... On perçoit, dans ce prélude, que le rédacteur place en tête de son évangile, comme une hymne majestueuse, aussi bien dans l'équilibre des propositions que dans l'harmonie de la forme littéraire. La pensée du lecteur se déplace progressivement. Du monde divin, le lecteur est amené sur la terre avant d'être emporté de nouveau dans le monde de Dieu.

Le prologue semble constituer une sorte de parabole géométrique dont la base toucherait la terre et dont les extrémités se perdraient dans l'infini divin. Au cours du mouvement descendant comme au cours du mouvement ascendant, on retrouve les mêmes propositions qui se répondent. Cette structuration que l'on retrouve assez fréquemment dans les évangiles procède par englobement, par inclusion. C'est un procédé qui devait servir à mémoriser plus facilement les textes les plus riches et les plus denses de la pensée antique.

Les versets du prologue se répondent par groupes, de sorte qu'il est possible de tracer la figure suivante pour comprendre le mouvement interne qui préside à tout le développement :

le Verbe avec Dieu

son rôle dans la création

le don aux hommes

le témoignage de Jean

la venue du Verbe

le Fils dans le Père

le rôle de re-création

le don aux hommes

le témoignage de Jean

l'incarnation

 

La pensée du rédacteur du prologue est animée d'un mouvement qui part de Dieu pour faire retour vers Dieu après avoir rencontré le monde des hommes. Le Verbe, la Parole de Dieu, était auprès de Dieu. Il vient à la rencontre des hommes avant de retourner vers Dieu, le Père.

Mais la venue du Verbe dans le monde communique aux hommes le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Et c'est en ce qu'il permet aux hommes de devenir enfants de Dieu que le Verbe s'appelle désormais le Fils. Ce Fils retourne vers le Père, en emportant les hommes à sa suite.

Au commencement était le Verbe,

et le Verbe était tourné vers Dieu,

et le Verbe était Dieu.

Il était au commencement tourné vers Dieu.

Tout fut par lui

et rien de ce qui fut ne fut sans lui.

 

En lui était la vie

et la vie était la lumière des hommes

et la lumière brille dans les ténèbres

et les ténèbres ne l'ont point comprise

Il y eut un homme envoyé de Dieu,

son nom était Jean.

Il vient en témoin

rendre témoignage à la lumière

afin que tous croient par lui.

Il n'était pas la lumière

mais il devait rendre témoignage à la lumière.

Le Verbe était la vraie lumière

qui, en venant dans le monde,

illumine tout homme.

Il était dans le monde

et le monde fut par lui

et le monde ne l'a pas reconnu

Il est venu dans son propre bien

et les siens ne l'ont pas accueilli

Mais, à ceux qui l'ont reçu

à ceux qui croient en son nom

il a donné le pouvoir

 

nous l'a dévoilé

qui est dans le sein du Père

le Fils unique

Personne n'a jamais vu Dieu

la grâce et la vérité sont venues

par Jésus-Christ

Si la Loi fut donnée par Moïse,

et grâce sur grâce

nous avons reçu

tous

De sa plénitude, en effet,

parce que, avant moi, il était.

après moi vient un homme qui m'a devancé

Voici celui dont j'ai dit :

 

 

Jean lui rend témoignage et proclame :

 

il tient du Père

Fils unique, plein de grâce et de vérité,

 

 

nous avons vu sa gloire, cette gloire que,

il a habité parmi nous

et le Verbe fut chair

mais de Dieu.

ni d’un vouloir d'homme

ni d’un vouloir de chair

Ceux-là ne sont pas nés du sang

 

de devenir enfants de Dieu

 

 

Le Verbe avec Dieu

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu ».

Chaque évangile s’inaugure par une introduction qui est propre à l’évangéliste. Marc, qui semble le moins doué des narrateurs, qui semble aussi très peu porté sur la contemplation mystique, réduit son introduction à une seule phrase, qui semble être un simple titre : « Commencement de l'Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». Matthieu commence par une liste généalogique typiquement juive pour placer son évangile sous le signe de l'attente de la réalisation des promesses faites dans l'Ancien Testament. Luc se situe dans le genre littéraire de l'hellénisme, en présentant le but et le contenu de l'ouvrage qu'il entreprend. Jean commence son évangile par une des pages les plus majestueuses et les plus denses du Nouveau Testament.

Au commencement...

Le premier mot du prologue est également le premier mot qui ouvre la Bible dans le récit de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa ». Il ne semble pas s'agir d'une coïncidence, mais bien d'une volonté délibérée de Jean, puisqu’il affirme clairement le rôle que peut avoir le Verbe dans la création. C’est par sa parole que Dieu crée le monde, dans le livre de la Genèse : « Dieu dit... et il en fut ainsi ». De même, la distinction entre la lumière et les ténèbres rappellent la séparation que Dieu fit entre les ténèbres et la lumière. Le rédacteur de l'évangile commence dont par l'affirmation d'une nouvelle création divine, en se situant immédiatement dans la perspective de la création première. En rappelant le premier mot de la Bible, l'évangéliste souligne qu'une nouvelle ère de l'humanité commence. Mais l'expression « au commencement » signifie même « dès avant le commencement ». La révélation qui sera faite de Dieu en Jésus-Christ trouve son origine dès avant le commencement de la création.

était le Verbe

Le Verbe désigne Jésus-Christ, mais celui-ci n'est nommément désigné qu'au verset 17 du prologue. Il est étonnant que Jean utilise ce nom pour désigner Jésus, alors qu'il ne le présente jamais comme tel dans son texte. Dans le prologue, le rédacteur évangélique désigne Jésus-Christ comme le Verbe sans donner aucune explication à ce terme. On a pensé que les contemporains de Jean, à la fin du premier siècle, étaient capables de faire l’identification avec le Logos grec, le démiurge de la philosophie issue du platonisme, l'intermédiaire divin qui assurait toute la création. Mais cette identification ne doit pas faire oublier que le Logos de la philosophie populaire de cette époque était un être impersonnel, une abstraction de la pensée métaphysique, alors que, pour l'école johannique, le Verbe est une réalité bien personnelle, bien concrète et repérable dans le cours de l'histoire.

Après avoir souligné l'origine intemporelle du Verbe, après avoir laissé penser que Jésus-Christ était le Verbe, le rédacteur du prologue utilise quatre fois l'imparfait du verbe « être » pour désigner les aspects de ce Verbe :

· était le Verbe

· et le Verbe était (tourné) vers Dieu

· et le Verbe était Dieu.

· Il était, au commencement, (tourné) vers Dieu.

Ce verbe « être » a sensiblement la même signification. Pourtant, dans la première phrase, il a le sens fort d'exister. C'est l'affirmation de la préexistence du Verbe, avant toute création. Dans la deuxième phrase, le sens de cet auxiliaire est quelque peu atténué par la présence d'un complément circonstanciel c'est plutôt la présence du Verbe qui est ainsi affirmée. Dans la troisième phrase, le rôle de cet auxiliaire semble encore davantage atténué au point de ne jouer que le rôle d'une copule reliant un sujet (le Verbe) à son attribut (Dieu). Dans la quatrième phrase, le rédacteur reprend l'idée de la création par le Verbe et l'idée de la présence de ce Verbe auprès de Dieu.

Comme le Verbe désigne, dans la pensée johannique, le Jésus historique, Jean veut montrer que cette personne appartient à un autre monde que celui des hommes : il appartient au monde de Dieu. Dieu, celui que les juifs appelaient Yahwé, celui que les premières générations chrétiennes désignaient comme le Père, est éternel. Mais, dès avant toute création, Dieu n'est pas seul. Il a auprès de lui sa Parole, son Verbe. Toutefois, il semble que ce que l'évangéliste veut souligner, ce n'est pas la proximité du Verbe par rapport à Dieu, mais surtout sa distinction d'avec Dieu le Père. S'il précise que le Verbe était Dieu, c'est que, d'une certaine manière, il n'est pas identique au Père il est autre que le Père, mais cette distinction ne porte pas sur la nature divine. Le Verbe n'est pas un autre Dieu, il est d'essence et de nature divines. De cette personne historique, Jésus de Nazareth, l'évangéliste pose une affirmation inouïe pour un juif monothéiste : il était non seulement avec Dieu, mais encore il était Dieu. Et Jean éprouve la nécessité de reprendre cette affirmation dans sa quatrième phrase, qui apparaît comme la répétition des précédentes : « Il était, au commencement, (tourné) vers Dieu ». La théologie chrétienne ultérieure précisera que le Père et le Verbe sont distincts dans leurs personnes, tout en étant un Dieu unique selon la nature divine qui est indivisible. Le Père et le Fils sont deux personnes distinctes, et, cependant, ils ne font qu'un seul et même être.

Son rôle de création

« Tout fut par lui et rien de ce qui fut ne fut sans lui ».

Après avoir décrit les rapports du Verbe avec la divinité du Père, Jean va montrer le rôle que le Verbe va jouer dans la création, dans deux phrases successives, d'un parallélisme antithétique la deuxième proposition reprend, en effet, sous forme négative, ce qu'affirmait la première. L'indication du verbe (au passé simple, alors que ce qui était relatif à la personne du Verbe était marqué à l'imparfait) souligne l'état du devenir des choses créées, alors que l'imparfait pour le Verbe marquait sa préexistence éternelle. Tout devient, à un moment précis du temps, à l'exception du Père et de son Verbe. Le passage au devenir, du non-être à l'être, s’est effectué par l'entremise du Verbe même de Dieu qui était avant la création. Et l’évangéliste reprend cette affirmation sous une forme négative rien n'a pu devenir sans l'action du Verbe.

« Tout fut par lui et rien... ne fut... » Ce parallélisme, dans la construction des deux phrases, est encore souligné par les deux expressions : « par lui » et « sans lui ». Tout a été fait par l'action du Verbe et sans cette action rien n’a pu être fait. Toutefois, il faut peut-être creuser plus loin que dans le simple ordre naturel. De même que, dans l'ordre naturel, rien ne peut être fait sans l'action du Verbe, de même, dans l'ordre surnaturel, rien ne se fait sans l'action du Fils. L'homme n'est rien, spirituellement parlant, sinon dans le Fils, de même que, dans l'ordre naturel, rien n'a pu être fait sinon dans l'action du Verbe. C'est dans le Verbe que toutes les créatures trouvent la source de leur existence, comme c'est dans le Fils que tous les hommes trouvent la source de leur vie spirituelle.

Le don aux hommes

« En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point comprise ».

En ne précisant pas si la vie dont il s'agit est la vie naturelle ou la vie spirituelle, l'évangéliste souligne le fait que toute forme de vie vient de Dieu et se répand dans toute la création, des êtres naturels jusqu'aux êtres spirituels. La vie, dans toute la création, a son origine dans le Verbe de Dieu. Le Verbe n'est pas appelé « vie » pour lui-même, mais en tant qu'il dispense sa vie aux créatures, en tant qu'il fait participer les hommes à la vie de Dieu. Et l'évangéliste fait passer son lecteur d'une vie participée à une vie dans un sens absolu, qui est d'être la lumière des hommes. La littérature johannique souligne souvent ces deux états de « vie », surtout dans la première lettre : « Car la vie s'est manifestée, et nous avons vu, et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle qui était tournée vers le Père et s'est manifestée à nous » (1 Jn. 1, 3). En ce sens, il désigne la vie absolue du Verbe qui s'est manifestée aux hommes pour les entraîner dans une participation à sa vie. La Vie éternelle, qui est dans le Fils, devient vie éternelle participée dans la créature. Tout ce qui a été créé par le Verbe est vie par le Verbe. Et si l'on peut appeler « vie » le Verbe, c'est parce qu'il est source de toute vie dans le monde de la création.

Dans la littérature biblique, lumière et vie vont de pair. Dans le récit de la Genèse, la lumière est antérieure à toute forme de vie. Si, dans le prologue de Jean, la lumière n'est pas dite source de vie, les deux idées sont pourtant unies. Le Verbe est source de vie et source de lumière. Quand la lumière est venue dans le monde des hommes, le monde entier était plongé dans l'obscurité, il avait besoin de la lumière. Les ténèbres dont il est ici question ne peuvent donc pas désigner les hommes. L'évangéliste souligne souvent que les hommes marchent dans les ténèbres : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marche pas dans les ténèbres » (Jn. 8, 12), mais jamais il ne dit que les hommes sont eux-mêmes les ténèbres. Il faudrait plutôt voir dans cette opposition de la lumière et des ténèbres une image qui illustre le combat entre le Messie et Satan, le monde de la lumière et le monde des ténèbres, dont le combat était développé dans la littérature juive du premier siècle, particulièrement chez les membres de la communauté de Qumram. cependant, Jean n'hésite pas à personnifier la nuit, les ténèbres, dans un individu particulier : « Quant à Judas. ayant pris la bouchée, il sortit immédiatement. Il faisait nuit » (Jn. 13, 31).

Aussi devient-il difficile d'identifier les ténèbres johanniques avec le monde satanique. Quand il écrit que la lumière est venue dans les ténèbres, il ne peut pas désigner le monde satanique, mais bien le monde des hommes qui peuvent se laisser prendre par le refus de Dieu et de sa révélation, devenant ainsi eux-mêmes ténèbres, monde incroyant. Mais si le monde des ténèbres ne peut pas comprendre la lumière, celle-ci n'en continue pas moins de briller dans les ténèbres. Ces dernières peuvent vaincre le monde des hommes, mais elles n'arriveront jamais à vaincre la lumière.

Le témoignage de Jean-Baptiste

« Il y eut un homme, envoyé de Dieu, son nom était Jean. Il vient en témoin pour rendre témoignage à la lumière afin que tous croient par lui. Il n'était pas la lumière mais il devait rendre témoignage à la lumière ».

Après des considérations sur la nature et l'action extratemporelle du Verbe, l'évangéliste le fait entrer dans le monde des hommes, en indiquant l'apparition prophétique de son précurseur. La tournure de cette présentation, qui relève plus de la prose que de la poétique, de même que son correspondant au v. 15, a donné à penser à certains critiques qu'il s'agissait d'une addition au texte primitif du prologue, tel qu'il avait été édité par l'école johannique,

Le nouveau personnage qui apparaît sur la scène historique est introduit à la manière des grands hommes de l'Ancien Testament : « Il y eut un homme... », formule protocolaire pour signifier l'importance de l'homme dont on va parler. La qualification de cet homme suit immédiatement, avant même l’indication de son identité : il est « envoyé de Dieu », il est investi d'une mission par Dieu, son rôle sera d'être prophète, de sorte que la parole qu'il prononcera ne viendra pas de lui, mais bien de Dieu qui l'a envoyé. « Son nom était Jean » ; c’est un nom fréquent chez les juifs, il signifie : Dieu fait grâce, Dieu est clément. Rien, dans le texte ne permet de dire si l'évangéliste établit une relation entre le nom de Jean et celui de Jésus, qui signifie Dieu sauve. Le rédacteur se limite à l'essentiel en indiquant simplement le nom de l'envoyé, sans lui attribuer de généalogie. La mission de cet envoyé sera d'être « témoin, pour rendre témoignage à la lumière ». Comme tout prophète, Jean doit s'effacer devant sa mission, devant le message qu'il proclame. Le quatrième évangile tout entier se présente d'ailleurs davantage comme un témoignage que comme un récit circonstancié de la vie de Jésus : il retrace son existence historique comme un conflit opposant Jésus au monde incrédule, aboutissant au procès de Jésus et à sa mise à mort ; et même, ce conflit se poursuit après la mort de Jésus, puisque l'Esprit continue de témoigner au cœur des disciples : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi, et à votre tour, vous me rendrez témoignage parce que vous êtes avec moi depuis les commencement » (Jn. 15, 26-27).

Le témoignage apparaît, dans le quatrième évangile comme une prise de position par rapport à Dieu. Ici, le Baptiste prend position par rapport au Verbe de Dieu, à la Lumière qu'il apporte dans le monde. Il peut paraître quelque peu étonnant que la lumière ait besoin d'un témoignage : n'est-elle pas visible et reconnaissable par elle-même ? Mais c'est précisément parce que la lumière qui se manifeste dans l'incarnation du Verbe se voile aux yeux des hommes qu'il est nécessaire que quelqu'un lui rende témoignage, un témoignage qui provoquera la foi chez ceux qui le recevront, C'est ce que le quatrième évangile souligne, en présentant la vocation des premiers disciples : « Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples. Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : Voici l'Agneau de Dieu. Les deux disciples écoutèrent cette parole et suivirent Jésus » (Jn. 1, 35-37). La manière dont le Baptiste rendit ce témoignage est également explicitée, dans le récit très sobre par lequel il évoque le baptême de Jésus : « Et Jean porte ce témoignage en disant : J'ai vu l'Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui... et moi j'ai vu et j'atteste qu'il est, lui, le Fils de Dieu » (Jn. 1, 32 et 34).

La définition du témoignage est l'affirmation de ce qui a été vu et entendu par quelqu'un devant ceux qui ne voient pas ou n'ont pas vu. Jean-Baptiste est celui qui a vu, il a porté témoignage pour que les hommes puissent croire en Jésus et le suivre, ce que firent les premiers disciples, venus des milieux fréquentant le Baptiste. L'insistance du verset 8, qui souligne que Jean n'était pas la lumière, peut s'expliquer par les dissensions qui existaient, à la fin du premier siècle, entre communautés chrétiennes et communautés fidèles au Baptiste. Ces dernières prétendaient que Jean-Baptiste était supérieur à Jésus et que, seul, le baptême de Jean avait le pouvoir de remettre les péchés. Le rédacteur oppose à cette prétention une négation radicale : « Il n'était pas la lumière ».

La venue du Verbe

« Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. Il était dans le monde et le monde fut par lui et le monde ne l'a pas reconnu. Il est venu dans son propre bien et les siens ne l'ont pas accueilli ».

Jésus, le Verbe de Dieu, est désigné comme la vraie lumière, non pas seulement en comparaison de Jean-Baptiste qui sera présenté comme « la lampe qu'on allume et qui brille, et vous avez bien voulu vous réjouir pour un moment à sa lumière » (Jn. 5, 35), mais surtout en comparaison de l'Ancien Testament. Le Verbe est la révélation définitive de Dieu, sa Parole. La vérité, dans la pensée sémitique, est synonyme de la réalité : est vrai ce qui est réel, est vrai ce qui correspond bien à ce qu'on attend. L'Ancien Testament apportait quelque vérité, mais il n'était pas la Vérité, parce que Dieu n'avait pas encore achevé d'effectuer sa révélation aux hommes. Non seulement, le Verbe est la Lumière, mais surtout il est la Vraie Lumière. Pour l'évangéliste, Jésus apporte la révélation définitive de Dieu. En lui, cette révélation est devenue réalité.

Cette lumière est venue dans le monde. Jean ne précise pas encore le mode de la venue de la lumière dans le monde. Il ne faudrait sans doute pas limiter cette venue à la seule incarnation, alors que l'évangéliste vient aussi de parler de différentes présences successives du Verbe dans le monde : sa présence comme principe créateur, sa présence dans le peuple juif, sa présence par l'incarnation. Si la venue dans le monde du Verbe s'adresse d'abord au peuple juif, à qui la première révélation de Dieu a été faite, la lumière du Verbe s'adresse aussi à tout homme. L'expression « venant dans le monde » indique, dans le quatrième évangile, la personne du Messie : « Je crois que tu es le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde » (Jn. 11, 27), affirme Marthe à Jésus, avant la résurrection de Lazare. Et les versets suivants du Prologue expriment la venue du Verbe dans le monde créé, puis chez les siens. La révélation s'adresse au monde entier, mais elle devait passer par le peuple juif. Le monde créé par le Verbe ne l'a pas reconnu, et même Israël, son peuple, ne l'a pas accueilli. L'évangéliste ne peut pas parler de la lumière du Verbe sans évoquer immédiatement la présence des ténèbres qui refusent de recevoir la lumière. Ce monde a été créé par la volonté de Dieu et il est bon en lui-même ; il ne devient mauvais que par la volonté de l’homme qui refuse de recevoir la lumière. Le rédacteur évangélique fait ainsi une allusion directe au récit de la chute. Depuis les origines, Satan apporte dans le monde le mensonge. Et, depuis lors, le monde ne peut connaître que les ténèbres, alors qu'il attend avec impatience la venue de la lumière. Dans une même phrase, l'évangéliste parle du monde dans deux sens différents. Le monde, c'est l'ensemble des choses créées, particulièrement les hommes qui constituent un ensemble privilégié dans la création. En lui-même, le monde n'est pas mauvais, puisque Dieu l'aime et lui envoie son Fils : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn. 3, 16-17). En fait, le monde créé par Dieu et son Verbe, a refusé de recevoir le message du Verbe, et c'est pourquoi, ici, le monde prend un sens péjoratif, celui du monde hostile au Christ et à ses fidèles : « je leur ai donné ta parole et le monde les a pris en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde. Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du mauvais » (Jn. 17, 14-15).

Le fait, pour le monde, de « reconnaître » le Verbe renvoie à la pensée sémitique selon laquelle la connaissance d'une personne n'est pas uniquement une indication sur son identité, mais une connaissance par l'intime. Connaître quelqu'un, c'est découvrir qui il est en profondeur, bien plus que par son simple comportement. Reconnaître en Jésus la lumière du monde, le Verbe de Dieu, c'est découvrir qu'il est l'envoyé de Dieu, celui qui vient dans le monde pour que, par lui, le monde soit sauvé. De plus, non seulement le monde qu'il a créé ne l'a pas reconnu, mais aussi les siens, c'est-à-dire le peuple juif, ne l'a pas accueilli. Le peuple d'Israël n'a pas découvert en Jésus le Créateur du monde, le Sauveur du peuple. Même ceux qui pouvaient être les familiers de Dieu, grâce à l'alliance passée entre Yahwé et son peuple, n'ont pas accueilli celui qui devait venir dans le monde en réponse à l'attente prophétique et messianique.

Par le Verbe incarné, les hommes peuvent devenir enfants de Dieu.

« Mais, à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang ni d'un vouloir de chair ni d'un vouloir d'homme mais de Dieu ».

Dans l'expression même, l'évangéliste change de ton. Après avoir exprimé ce qui pouvait être la tristesse de ne pas voir le Verbe accueilli dans le monde, il va indiquer la joie qui sera celle de ceux qui, malgré les apparences parfois trompeuses, ont pu recevoir ce Verbe venu dans le monde. C'est la parole centrale du prologue qui se trouve exprimée le Verbe de Dieu, c'est-à-dire le Fils même de Dieu, s'est fait homme pour que tous les hommes puissent devenir enfants de Dieu. D'ailleurs, saint Jean ne désignera plus désormais Jésus sous le nom de Verbe, mais sous celui de Fils. Et tous ceux qui ont accueilli le Verbe connaissent alors une régénération spirituelle ils vont devenir enfants de Dieu.

L'évangéliste donne l'impression de faire une concession. Alors qu'il vient de dire que les hommes n'ont pas reçu le Verbe, il semble se contredire, puisqu'il reconnaît qu'un certain nombre pourtant le reçurent. Certes, le peuple juif, dans son immense majorité, a refusé de recevoir le Christ, mais il y a quand même eu des exceptions. A ceux-là, qui sont l'exception, le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Les juifs, en tant que nation, ont refusé de recevoir le Christ, mais ce rejet national a été souligné par la foi personnelle de quelques-uns : ceux-ci ont mis leur foi dans le Christ, non pas en tant que juifs, mais bien en tant qu'hommes. Il se peut que l'évangéliste fasse une discrète allusion à ce petit reste d'Israël dont parlaient les prophètes. Au milieu de l'idolâtrie générale, il reste un petit groupe d'hommes qui se préparent à former le peuple nouveau, le peuple de Dieu dans sa vérité.

Recevoir le Verbe entraîne pour ces hommes la foi en son nom : ceci indique clairement l’attachement des disciples à leur maître qui reçoit, comme le dit l'apôtre Paul : « le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au seul nom de Jésus, tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et sous la terre, et que toute langue proclame : Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Phi. 2, 9-11).

Croire en son nom, c'est s'en remettre totalement à sa personne. Tout le quatrième évangile indiquera, sous la forme du témoignage, comment la foi progresse, de son éclosion (dans la rencontre d'un homme) jusqu'à son plein épanouissement (dans le fait de reconnaître cet homme comme le Fils envoyé par le Père). Celui qui croit devient enfant de Dieu, ou du moins reçoit le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Le terme « pouvoir » ne doit cependant pas désigner une maîtrise absolue que les hommes pourraient acquérir sur la vie divine, mais simplement une possibilité que les hommes sont susceptibles d'accepter ou de refuser. La foi de l'homme ne le constitue pas immédiatement comme enfant de Dieu, mais Dieu, en raison de la foi de l’homme, fait de cet homme son enfant. Mais cette possibilité reste encore du domaine du devenir : « Dès à présent, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est » (1 Jn. 3, 2).

La présentation de l'homme comme enfant de Dieu est encore soulignée par l'image de la naissance, avec le parallélisme :

le recevoir

devenir enfants de Dieu

croire en son nom

être nés de Dieu

 

L'accueil du Verbe, du Fils de Dieu, par la foi, donne lieu à une nouvelle naissance, à une régénération spirituelle. L'homme devient à son tour fils de Dieu, non pas dans une naissance comparable à la naissance des hommes par l'impulsion charnelle. Naître de Dieu prend une dimension toute différente de naître de l'homme : « En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le royaume de Dieu... Nul, s'il ne naît de l'eau et de l'Esprit ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est Esprit » (Jn. 3, 3...8).

A ce niveau de la naissance spirituelle des hommes, le creux de l’incarnation est atteint : le but de la venue du Verbe dans le monde est réalisé. Les hommes peuvent devenir enfants de Dieu. Et le mouvement symbolique de la parabole géométrique va pouvoir remonter vers le Père, dans toute la seconde partie du prologue.

L'incarnation

« Et le Verbe fut chair, il a habité parmi nous. Nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique, plein de grâce et de vérité, il tient du Père ».

Le contraste le plus flagrant est celui qui existe entre le Verbe et la chair qui, dans la pensée sémitique, sont en opposition, comme le spirituel et le charnel dans la pensée occidentale. Le Verbe, Parole éternelle de Dieu, quitte son mode d'existence éternelle pour entrer dans le mode d'existence du devenir. La chair, ce n'est pas seulement le corps de l'homme, c'est surtout ce qui constitue la personne humaine dans son ensemble, c'est l'homme tout entier considéré dans sa vérité humaine d'être voué à la corruption et à la mort. La chair désigne l'humanité dans sa faiblesse.

Ainsi le Verbe est devenu chair, c'est-à-dire un être fragile et voué lui aussi à la mort pour répondre à la loi qui préside à toute humanité. Toutefois, il ne conviendrait pas de conclure trop rapidement que, pour Jean, le Verbe, en devenant chair, ait cessé d'être Dieu. Ce qu'il souligne, c'est que le Verbe est devenu semblable aux hommes, en revêtant une humanité semblable à la leur. Peut-être le rédacteur évangélique visait-il les docètes qui ne reconnaissaient pas en Jésus-Christ un homme semblable aux autres hommes mais simplement une apparence d'humanité. En tout cas, il apparaît que, dans le quatrième évangile, l'expression « Jésus-Christ » ou même « Jésus » ne désigne jamais le Fils de Dieu préexistant, mais simplement le Jésus de l'histoire. La révélation n'est pas une simple apparence, elle possède une réalité qui s'est faite proche des hommes, dans l'incarnation du Fils de Dieu.

« Il a habité parmi nous » (littéralement : il a dressé sa tente). Le verbe même désigne le fait que Dieu demeure parmi son peuple. Au temps de l'Exode, qui était le meilleur temps de l'histoire du peuple, Dieu habitait sous la tente comme tous les membres du peuple d’Israël, dans leur migration. Les pérégrinations d'Israël furent, pour le peuple, la période idéale, et le souvenir de Yahwé demeurant sous la tente est resté dans la tradition juive comme le signe de sa présence éternelle : « Quand Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait, se tenait à l'entrée de la tente et parlait avec Moïse. Tout le peuple voyait la colonne de nuée dressée à l'entrée de la tente tout le peuple se levait, et chacun se prosternait à l'entrée de sa tente » (Ex. 33, 9-10). Si, dans ce texte de l'Exode, la gloire de Yahwé envahissait la tente, dans le prologue, la gloire du Père va remplir toute l'humanité de Jésus.

« Nous avons vu sa gloire ». Cette vision de la gloire du Verbe n'est pas seulement une vision de la foi, elle est d'abord une vision physique : les disciples ont contemplé de leurs yeux la gloire dont a été investi Jésus de Nazareth. Jean n'est pas un rêveur, et il revient sur cette idée dans la première lettre : « Ce qui était, dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie - car la vie s'est manifestée et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle qui était tournée vers le Père et s'est manifestée à nous - ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous » (1 Jn 1, 1-3).

La gloire, contemplée par les disciples, est le signe de la présence de Dieu. C'est la forme caractéristique par laquelle Dieu se manifeste dans sa supériorité et dans sa transcendance. La gloire de Dieu, c'est Dieu lui-même qui se rendait présent à son peuple en contemplant la gloire de Yahwé, le peuple entrait dans la proximité du monde divin. L'évangéliste reviendra souvent sur cette mention de la gloire de Jésus, qui se manifeste dans tous les actes concrets de son existence terrestre : « Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (Jn. 2, 11) ; « Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verrais la gloire de Dieu ? » (Jn. 11, 40). La gloire de Dieu, dans le quatrième évangile, se manifeste dans les signes concrets que Jésus accomplit. Il montre ainsi la puissance divine qui agit en lui, et il signifie ainsi que Dieu s'est rendu présent à son peuple.

Certains auteurs pensent que Jean fait allusion à la transfiguration à laquelle, selon le témoignage des synoptiques, il aurait lui-même assisté. Mais le quatrième évangile n'a laissé aucune place à cet événement, préférant insister sur la gloire qui sera celle de Jésus après la résurrection. Jean n'emploie d'ailleurs pas le terme de gloire sans faire une référence plus ou moins explicite à l'heure de Jésus, cette heure qui lui fera connaître la gloire.

« Nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique, plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». La manifestation de la gloire de Jésus conduit l'évangéliste à poser l'identité même de ce Jésus : il est « le Fils unique » ; cette expression ne se trouve que chez Jean, les synoptiques nomment Jésus « le Fils bien-aimé » sans insister aussi fortement sur la filiation divine absolue de Jésus-Christ. Jean approfondit donc la connaissance que les premières communautés chrétiennes pouvaient avoir de Jésus. Non seulement il est le Fils bien-aimé du Père, mais aussi et surtout, il est le Fils unique. Et, en tant que tel, il possède la plénitude de la grâce et de la vérité. La grâce et la vérité désignent, dans l'Ancien Testament, la miséricorde de Dieu pour son peuple et la fidélité qu'il témoigne pour son alliance avec ce peuple. Pour l'évangéliste, l'amour fidèle de Dieu pour Israël a trouvé en Jésus une expression parfaite qui n'a jamais été atteinte dans toutes les manifestations antérieures de la miséricorde de Dieu.

Le témoignage de Jean-Baptiste

« Jean lui rend témoignage et proclame : Voici celui dont j'ai dit après moi vient un homme qui m'a devancé parce que, avant moi, il était ».

Comme les versets 6-8, ce verset 15 rompt le rythme poétique des idées exprimées. Certains critiques pensent qu'il a été introduit après coup. Pourtant, l’introduction de la grâce divine, dans le verset précédent, appelait presque nécessairement une comparaison entre l'Ancien Testament et le Nouveau. Et c'est Jean-Baptiste qui constitue une sorte de frontière entre les deux modes de la révélation divine. Le témoignage de Jean met une fin au régime provisoire de l'Ancien Testament. Et celui qui était reconnu comme « envoyé de Dieu » proclame que Jésus n'est pas un envoyé comme les autres, car il tire son origine de toute éternité. La préexistence du Fils (« avant moi, il était ») peut ainsi souligner une fois de plus le caractère définitif de sa mission. Il ne s'agit pas simplement d'une antériorité chronologique. Si, d'une certaine manière, Jésus peut apparaître comme le disciple du Baptiste, puisqu'il vient après lui, le Baptiste proclame que celui qui semble être un disciple est, en réalité, supérieur au maître la raison en est qu'avant lui il était. Et ce verbe exprime encore la préexistence du Fils, qui se place dans un absolu transcendant le temps : « En vérité, en vérité, je vous le dis : avant qu'Abraham fut, je suis » (Jn. 8, 58).

L'antériorité de Jésus sur Jean ne se situe pas sur le niveau de la simple chronologie, mais sur le niveau de l'ontologie, sur celui de l’être, puisqu'il était avant Abraham, le père de tous les croyants.

Le don aux hommes

« De sa plénitude, en effet, tous, nous avons reçu et grâce sur grâce »

Le terme « plénitude » (qui ne se trouve qu'ici chez saint Jean) reprend certainement l'expression « plein de grâce et de vérité » du verset 14. La plénitude de la divinité que le Fils reçoit du Père, le Fils la transmet aux hommes « qui croient en son nom » et qui l'ont reçu. L'évangéliste s'adresse alors directement aux croyants auxquels lui-même s'adjoint, en se désignant avec eux comme « tous, nous » (c’est-à-dire : tous, nous qui l’avons reçu et qui croyons en lui). En recevant le Fils, les croyants reçoivent de lui « et grâce sur grâce ». Cette expression est difficile : la préposition grecque qui est traduite par « sur » signifie « à la place de » ou « après ». Si l'on accepte le premier sens, l'évangéliste dirait que l'Ancien Testament était déjà une grâce, mais si cette première grâce de Dieu a dû être supplantée par une autre, c'est qu’elle aurait manqué son but... Comme, dans le prologue, il existe une opposition constante entre l'Ancien Testament et le Nouveau, il est difficile de penser que l'évangéliste ait pu penser à une grâce en désignant l'Ancien Testament. Mais si on accepte le sens de « après », la référence n'est plus faite à l'Ancien Testament ; dans la nouvelle économie du salut, apportée en Jésus-Christ, nous recevons grâce après grâce, si bien que l'Ancien Testament ne compte plus.

Rôle de re-création

« Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».

Tout l'Ancien Testament peut se résumer en un seul mot « la Loi », une Loi qui finissait par être extérieure aussi bien à Dieu qui la donnait qu'à l'homme qui la recevait. La Loi mosaïque était loin d'être une grâce ; dans ses applications religieuses, elle exigeait la soumission de l'homme. Dans la mesure où celui-ci se soumettait à cette Loi, Dieu gardait son peuple et le protégeait contre ses ennemis, mais si le peuple abandonnait la Loi, Dieu cessait de le protéger et le peuple tombait sous les coups de ses ennemis. En fait, le peuple ne s'est jamais soumis complètement à la Loi, expression de l'alliance entre Yahwé et Israël. Les prophètes ont sans cesse proclamé la nécessité de renouveler l'alliance, qui ne serait plus inscrite sur des tables de pierre, mais dans le cœur des hommes : « Voici venir des jours, parole du Seigneur, où je conclurai une alliance nouvelle avec la maison d'Israël et la maison de Juda. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Jér. 31, 31-32). Ezéchiel annonçait aussi la venue des temps messianiques, comme d'un renouvellement de l'alliance : « Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai au fond de vous un esprit nouveau, j'enlèverai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (Ez. 35, 26).

Toute l'alliance nouvelle est centrée non pas sur la Loi, mais sur l'amour. Et l'évangéliste va présenter Jésus comme le médiateur de l'alliance nouvelle qui sera faite de « grâce et de vérité », de la miséricorde divine elle-même. La grâce et la fidélité que l'homme ne pouvait conserver sous le régime de la Loi, Dieu les a déposées dans le cœur même des hommes par Jésus-Christ, dont le nom est indiqué pour la première I'ois dans ce prologue: l'alliance nouvelle est ainsi inaugurée. La création ancienne disparaît pour faire place à la création nouvelle.

Le Fils dans le Père

« Personne n'a jamais vu Dieu. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a dévoilé ».

Reprenant l'antique croyance, Jean affirme que personne ne peut voir Dieu sans mourir. Personne, sinon le Fils qui a été identifié précédel1m1ent au Verbe, lequel « était au commencement tourné vers Dieu ».

La finale du prologue reprend donc le thème initial et annonce la suite de l'évangile Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, va dévoiler aux hommes Dieu son Père. Jamais aucun homme, même les plus grands de l'histoire du peuple juif, n'avait été admis en présence de Dieu, jamais aucun homme non plus n'avait pu parler parfaitement et adéquatement de Dieu. Seul, le Fils sera capable de le manifester aux hommes. Personne ne pouvait parler mieux du Père que le Fils. Jésus-Christ sera « l'exégète » de Dieu. C'est tout ce que veut montrer l'évangile johannique.

 

 

 

 

La première lettre de saint Jean

 

L’évangile selon saint Jean avait pour but de montrer à ses lecteurs que Jésus était bien le Christ, le Fils de Dieu, afin que ceux-ci puissent croire en lui et obtenir ainsi la vie au nom de Jésus-Christ : « Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jn. 20, 30-31). L’auteur de la première lettre de saint Jean s’efforce plutôt de fortifier la foi de ses lecteurs et de les mettre en garde contre les fausses doctrines qui pouvaient les troubler.

Proposition d’une structure pour cette lettre

En lisant cette lettre, le lecteur, surtout s’il est un occidental soucieux de rigueur logique, est embarrassé : c’est en vain qu’il cherche une progression logique de la pensée. L’auteur revient régulièrement sur les mêmes thèmes, et sa pensée se déploie, à la manière d’une spirale, autour d’une idée directrice la communion des croyants avec Dieu. Cette idée est évoquée dès le prologue : « Notre communion est communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ » (1 Jn. 1, 3). Cette idée est d’ailleurs reprise, en termes équivalents, en finale : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (1 Jn 5, 13).

Toute la lettre se présente comme une analyse des différents critères qui permettent aux croyants de reconnaître qu’ils vivent bien en communion avec Dieu et qu’ils participent ainsi à la vie éternelle.

Le prologue

De même que l’évangile s’inaugure par une hymne solennelle à propos du Verbe, le Fils de Dieu venu dans la chair des hommes, de même cette première lettre commence par l’énoncé du thème principal, sous une forme qui rappelle le prologue de l’évangile par son rythme et par ses idées principales : le Verbe de vie, voir, témoigner... Le rédacteur exprime le thème fondamental assurer la communion des croyants avec le Père et avec le Fils, et assurer la communion des croyants entre eux en gardant fidèlement le témoignage apostolique.

Le croyant participe à la lumière de Dieu

Le premier critère qui assure la communion des croyants avec Dieu le Père et avec son Fils, c’est de participer à la lumière de Dieu : Dieu est lumière. Ce premier critère est exposé de trois manières successives :

marcher dans la lumière, rompre avec le péché : 1, 5- 2, 2

observer le commandement d’amour : 2, 3-11

se garder du monde et des antichrists : 2, 12-28

Le croyant est fils de Dieu

Le deuxième critère qui assure cette communion, c’est la filiation des hommes en Dieu : Dieu est Père. Et ce critère de filiation divine est lui aussi exposé de trois manières successives :

pratiquer la justice et ne pas pécher : 2, 29 - 3, 10

pratiquer la justice à l’exemple du Fils de Dieu : 3, 11-24

discerner les esprits par la foi en Jésus-Christ : 4, 1-6

Le croyant vit de l’amour

Le troisième critère (qui ne se développe que sous son aspect positif, puisque la mention de la fuite du péché est totalement omise, affirme la grande réalité de Dieu : Dieu est Amour. Le critère est explicité de deux manières :

l’amour vient de Dieu et s’enracine dans la foi : 4, 7-21

la foi dans le Fils est la racine de l’amour : 5, 1-12

Conclusion

Elle s’exprime en une phrase : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (5, 13). Cette finale peut être comparée avec la finale de l’évangile.

Epilogue

La reprise commencée au verset 14 fait penser à un post-scriptum qui rappelle les idées essentielles de la lettre. Après une recommandation sur la prière, spécialement pour les pécheurs, le rédacteur de la lettre résume l’enseignement qui vient d’être donné.

Seulement, cette lettre apporte une difficulté supplémentaire. A la différence des lettres de l’Antiquité et des lettres apostoliques, elle commence sans nom d’auteur et sans indication de destinataires, sans salutations et sans vœux d’usage à la fin... on a donc pensé que cette lettre relevait du genre de l’homélie, puisque, à la manière du prédicateur, le rédacteur s’adresse à ses lecteurs comme à ses enfants...

Le prologue : message d’un témoin oculaire

Dans une introduction, qui n’est pas sans rappeler le prologue du quatrième évangile, le rédacteur de cette première lettre de Jean identifie le Verbe au Fils, puis le Fils à Jésus-Christ. Le prologue de la lettre rappelle les grands thèmes du prologue du quatrième évangile :

Ce qui était au commencement

ce que nous avons entendu

ce que nous avons vu de nos yeux

ce que nous avons contemplé

ce que nos mains ont touché du Verbe de vie,

car la vie s’est manifestée

 

 

et nous avons vu

 

et nous rendons témoignage

 

et nous vous annonçons la vie éternelle

qui était tournée vers le Père

et s’est manifestée à nous -

Ce que nous avons vu et entendu

nous vous l’annonçons à vous aussi

afin que vous aussi

vous soyez en communion avec nous

Et notre communion est communion avec le Père

et avec son Fils, Jésus-Christ.

Et nous vous écrivons cela

pour que votre joie soit complète.

Au commencement était le Verbe,

...et le Verbe fut chair

il a habité parmi nous

nous avons vu sa gloire

 

En lui était la vie

et la vie était la lumière des hommes

et la lumière brille dans les ténèbres

Il y eut un homme, envoyé de Dieu,

son nom était Jean.

Il vient en témoin pour rendre témoignage

à la lumière

 

et le Verbe était tourné vers Dieu.

 

Le rédacteur souligne d’une manière particulièrement intense la réalité de la nature humaine en Jésus, par l’emploi de verbes qui indiquent les différents modes de perception sensorielle voir, entendre, toucher. C’est le dualisme gnostique, sous une forme primitive, qui est ainsi visé. Ce dualisme affirmait que ce qui relevait de la chair était irrémédiablement mauvais, alors que la réalité spirituelle ne pouvait être que bonne puisqu’elle venait de Dieu. L’auteur, en posant l’incarnation du Verbe de Dieu, en affirmant son existence réelle dans la chair, une chair semblable à celle des hommes, refuse de reconnaître cette dualité, refuse de reconnaître que la chair est nécessairement et radicalement mauvaise, puisque le Verbe s’est réellement incarné en Jésus-Christ.

Dès le commencement de cette lettre, le rédacteur se situe donc dans la même perspective que le rédacteur de l’évangile. Les mêmes thèmes sont repris de part et d’autre :

· la préexistence du Verbe

· son incarnation

· l’identification du Verbe à la vie

· le témoignage qu’il faut lui porter

Mais aussitôt la visée du rédacteur épistolaire change. Le but de l’évangile était de faire connaître le Père, dont le Fils devenait l’exégète. Le but de la lettre sera d’annoncer Jésus-Christ, le Verbe de Dieu venu dans la chair. Toutefois, cette annonce de Jésus-Christ a pour visée ultime de faire entrer le croyant dans la communion divine, c’est-à-dire dans la vie éternelle comme le dira la finale de la lettre : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (1 Jn 5, 13).

La personne de Jésus-Christ dans cette lettre

Toute la lettre insiste sur le fait que Jésus est le Christ, le Fils unique de Dieu. Mais, pas une seule fois, Jésus n’est désigné sous le nom de Seigneur. Le souci majeur de l’école johannique est de montrer que Jésus est, avant tout le Fils de Dieu. L’affirmation de la seigneurie de Jésus lui parait insuffisante pour exprimer la filiation divine.

Mais si le rédacteur insiste sur cette filiation, il ne parle jamais du lien d’amour qui peut exister entre le Père et le Fils alors qu’il insiste longuement sur l’amour que les croyants doivent se témoigner les uns aux autres en raison de l’amour que le Père a témoigné à l’humanité en lui envoyant le Fi1s unique, car l’envoi du Fils dans le monde apparaît bien comme une preuve d’amour, mais celle-ci est appliquée aux hommes et non pas au seul Fils. Toutefois, comme dans l’évangile d’ailleurs, le Fils apparaît dans une relation très étroite avec le Père, sans que celle-ci ne reçoive de nomination précise : la communion des chrétiens est communion avec le Père et avec le Fils.

La personne du Fils, Jésus-Christ, outre son identification initiale avec le Verbe, dès avant la création du monde, reçoit la mission de son Père pour le salut des hommes :

· il est victime d’expiation (2, 1-2)

· il vient pour enlever le pêché (4, 10)

· pour détruire les oeuvres du Diable (3, 8)

· pour donner sa vie pour nous (3, 16)

· afin que nous vivions par lui (4, 9)

· afin que nous connaissions l’amour (3, 16)

· il est notre défenseur auprès du Père (2, 1).

Le Christ est « victime d’expiation » Dans toutes les religions de type sacrificiel, le sacrifice suppose une mise à part, une séparation la victime est un trait d’union entre la communauté humaine et le sacré divin. La victime n’appartient pas totalement à la société : le meurtre, même rituel, d’un membre de celle-ci exigerait et engendrerait la vengeance. La victime n’est jamais le coupable lui-même, car faire violence au violent, c’est rester dans le monde de la violence, alors que l’on veut précisément exorciser la violence. Le sacrifice suppose aussi toujours un sentiment de culpabilité, mais il comporte aussi une dimension de réconciliation. Il existe comme une structure d’échange entre l’homme et la divinité, un échange qui fait précisément que l’homme reste l’homme et que le dieu reste le dieu. Le sacrifice du Christ comme « victime d’expiation », est le sacrifice de Dieu lui-même : il n’appartient pas totalement à la société des hommes, il est une victime qui pourra assurer la réconciliation sans engendrer la violence.

La christologie, exprimée dans cette première lettre, relie aussi l’œuvre de Jésus à sa personne. Et cette doctrine peut paraître plus complète que celle qui se trouvait dans l’évangile, puisque la mention de l’expiation des péchés ne se rencontre pas dans le quatrième évangile, si l’on excepte le témoignage que le Baptiste rend à Jésus : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn. 1, 29).

Encore faudrait-il préciser ce qu’est le péché pour le rédacteur de cette lettre, le péché consiste en ce que l’on ne croit pas au Christ. En comparaison de l’incrédulité, tous les péchés ne sont que des réalités transitoires que la foi peut surmonter. Le péché, dans la littérature johannique, n’est en rien comparable à ce que les adversaires de .Jésus appelaient son péché, au cours de sa vie publique : sa non-observance du repos sabbatique, son non-respect des ablutions rituelles, sa prétention à se présenter comme le Fils de Dieu.

Et c’est précisément cette prétention de Jésus qui retombe sur ses détracteurs aidés par les Écritures, ils auraient dû reconnaître en Jésus le Christ, le Fils de Dieu, ils auraient dû découvrir que ses paroles et ses actes justifiaient sa prétention. Le péché, c’est de refuser de reconnaître Jésus comme 1e Christ, comme le Fils de Dieu.

Toutes les manifestations de péché tombent d’elles- mêmes quand on reconnaît dans la foi l’identité véritable de ce Jésus. Quand l’homme refuse de reconnaître cette identité, il participe directement à l’œuvre du Diable que le Fils de Dieu est venu détruire : « C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors. Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 31-32), « Le prince de ce monde a été jugé » (Jn 16, 11).

Ce jugement et cette destruction des oeuvres du Diable s’opèrent dans le don que le Fils fait de sa vie pour les hommes. C’est dans le sacrifice que Jésus-Christ fait de lui- même que les hommes peuvent trouver le salut. La première lettre de Jean est remplie d’affirmations concernant la mort de Jésus : cette mort indique à l’homme le chemin du pardon, elle lui donne l’exemple de l’amour. Le Christ peut accomplir son oeuvre parce qu’il est lui-même sans péché (3, 5), parce qu’il est une victime innocente, et sa mort sera une victoire sur le péché : « Le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché ». (1 ln. 1, 7).

Mais cette purification n’est obtenue par les hommes que dans la communion ecclésiale, que dans la mesure où les hommes peuvent marcher dans le lumière : « Si nous marchons dans la lumière, comme lui-même est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché » (1 Jn. 1, 7)

C’est dans l’Église que continue de s’opérer cette oeuvre de salut, notamment par les sacrements qui actualisent la mort sacrificielle du Christ. Un extrait de cette lettre parle des sacrements : « C’est lui qui est venu, par l’eau et par le sang, Jésus-Christ, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang, et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est vérité. C’est qu’ils sont trois à rendre témoignage, l’Esprit, l’eau et le sang, et ces trois convergent dans l’unique témoignage » (1 Jn. 5, 6-8).

Jean parle d’abord des événements qui se sont passés une fois pour toutes dans la vie de Jésus-Christ : il est venu. Mais seulement, il n’est pas venu par le seul témoignage que lui rend le baptême de Jean-Baptiste, comme pouvaient encore l’enseigner certains disciples de ce dernier. En effet, à cette époque, certains annonçaient la venue du Christ en s’appuyant uniquement sur le témoignage du Baptiste. on en trouve une illustration dans le livre des Actes des apôtres : « Un juif nommé Apollos, originaire d’Alexandrie, était arrivé à Ephèse. C’était un homme savant, versé dans les Écritures. Il avait été informé de la Voie du Seigneur et, l’esprit plein de ferveur, il prêchait et enseignait exactement ce qui concernait Jésus, tout en ne connaissant que le baptém1e de Jean. Il se mit donc à enseigner avec assurance dans la synagogue. Mais lorsqu’ils l’eurent entendu, Priscille et Aquilas le prirent avec eux et lui présentèrent plus exactement encore la Voie de Dieu. Comme il avait l’intention de se rendre en Achaïe, les frères l’approuvèrent et écrivirent aux disciples de lui faire bon accueil... Ce fut pendant le séjour d’Apollos à Corinthe que Paul arriva à Ephèse en passant par le haut pays. Il y trouva quelques disciples et leur demanda : Avez-vous reçu l’Esprit-Saint quand vous êtes devenus croyants ? Mais, lui répondirent-ils, nous n’avons même pas entendu parler d’Esprit-Saint. Paul demanda : Quel baptême, alors avez-vous reçu ? Ils lui répondirent : Le baptême de Jean. Paul reprit : Jean donnait un baptême de conversion et il demandait au peuple de croire en celui qui viendrait après lui, c’est-à-dire en Jésus. Ils l’écoutèrent et reçurent le baptême au nom du Seigneur Jésus. Paul leur imposa  les mains et l’Esprit-Saint vint sur eux ils parlaient en langues et prophétisaient. Il y avait en tout environ douze personnes » (Ac. 18, 24- 19, 7).

Bien que, dans ce texte des Actes, le baptême au nom de Jésus soit distingué du baptême de Jean, indépendamment même de l’imposition des mains (puisque ces croyants sont de nouveau baptisés), l’eau désigne quand même le baptême que Jean pratiquait sur les bords du Jourdain, ce baptême que Jésus lui-même a reçu. Mais Jésus n’est pas venu seulement par ce baptême d’eau. Il « est venu, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang ». Cette expression désigne la mort sacrificielle du Christ, sa mort une fois pour toutes « en victime d’expiation pour les péchés, et pas seulement pour les nôtres, mis encore pour ceux du monde entier » (2, 1-2).

Toutefois, cette oeuvre commencée en Jésus-Christ, cette oeuvre entièrement réalisée par son baptême d’eau et son baptême de sang, se prolonge dans l’activité de l’Église. Cette oeuvre est celle de la foi donnée par l’Esprit, qui est cet autre « Paraclet » promis par Jésus : « Moi, je prierai le Père, il vous donnera un autre Paraclet, qui restera toujours avec vous. C’est lui, l’Esprit de vérité... » (Jn. 14, 16-17).

L’évangéliste parle d’un autre Paraclet qui désigne l’Esprit, et le rédacteur de cette lettre présente Jésus comme notre « défenseur devant le Père ». L’Esprit rend témoignage au Fils venu dans la chair. Et c’est lui qui porte à son achèvement toute l’œuvre de salut inaugurée par Jésus-Christ, dans l’eau et dans le sang. Cette double expression fait aussi directement allusion à la mort de Jésus telle qu’elle est rapportée dans le quatrième évangile : « Arrivés à Jésus, ils (les soldats) constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais, un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu a rendu témoignage et son témoignage est conforme à la vérité et d’ailleurs celui-là sait qu’il dit ce qui est vrai afin que vous aussi vous croyiez » (Jn. 19, 33-35).

Par les sacrements, symbolisés par l’eau et par le sang, sortis du côté du Christ, le chrétien trouve sa part dans la mort expiatoire du Christ. Et la victoire de ce dernier sur la mort devient la victoire du chrétien animé par l’Esprit qui rend témoignage au Christ sauveur. La foi a pour objet Jésus-Christ, venu par l’eau et par le sang. Cette foi est mise en péril par des négations hérétiques. Elle n’est possible que grâce au témoignage de l’Esprit qui affermit les croyants dans leur foi. Et la foi en Jésus s’exprime par le témoignage de l’Esprit, comme par celui de l’eau et du sang. En réalité, ces trois témoignages n’en font qu’un seul, celui par lequel Dieu lui-même révèle aux hommes la vie éternelle et la leur communique : «  Et voici ce témoignage Dieu nous a communiqué la vie éternelle, et cette vie est en son Fils » (1 Jn 5, 11).

Les chemins de la connaissance de Dieu

«  Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père, Jésus-Christ, qui est juste, car il est, lui, victime d’expiation pour nos péchés, et pas seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. Et à ceci, nous savons que nous le connaissons, si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : je le connais, mais ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. Mais celui qui garde sa parole, en lui, vraiment, l’amour de Dieu est accompli, à cela nous reconnaissons que nous sommes en lui. Celui qui prétend demeurer en lui, il faut qu’il marche dans la voie où, lui, Jésus, a marché » (1 Jn. 2, 1-6).

Le problème posé par le rédacteur de cette lettre est de découvrir comment les chrétiens peuvent faire une authentique expérience religieuse. Comment un chrétien peut-il savoir s’il est en communion avec Dieu ? L’expérience religieuse est un contact avec le divin invisible, aussi est-il toujours difficile de découvrir un moyen de vérification à ce contact avec Dieu.

Le premier moyen pour vivre en communion avec Dieu, c’est de mener une existence sans péché : «  je vous écris cela pour que vous ne péchiez pas ». Cette exhortation à une vie sans péché s’adresse non pas seulement à des nouveaux venus dans le christianisme, mais aussi à des chrétiens de longue date. Pécher, c’est enfreindre la loi de Dieu, c’est ne plus vivre à l’imitation du Seigneur Jésus-Christ. Il ne s’agit pas d’un retour à une mauvaise interprétation du légalisme juif. La Loi, dans le judaïsme n’est pas une force coercitive, mais bien le moyen dont disposent les hommes pour prouver leur amour de Dieu. Enfreindre la loi de Dieu, c’est du fait même montrer que l’on ne vit plus en harmonie avec Dieu, que l’on a rompu la relation d’amour qui existait entre l’homme et Dieu. Cette relation, telle que l’entend la communauté chrétienne primitive, est une relation d’amour et de filiation. La foi chrétienne ne cesse de rappeler que Dieu veut le salut des hommes et qu’il poursuit son oeuvre d’amour pour chacun d’entre eux. Refuser d’accepter cette volonté, c’est commettre le péché. Mais, tout en recommandant une vie parfaite pour le chrétien, l’auteur de cette lettre reconnaît aussi que, malgré les très hautes exigences morales du christianisme, le chrétien peut encore se laisser entraîner par les forces du mal. Les premières communautés chrétiennes ne connaissaient pas de rite pénitentiel, comme peut en connaître aujourd’hui l’Église catholique. Ce n’est qu’au deuxième siècle qu’un texte, connu sous le nom du Pasteur d’Hermas, viendra proposer d’admettre que les chrétiens qui étaient tombés dans le péché puissent âtre réintégrés dans la communion de l’Église : la proposition de la pénitence n’était valable qu’une seule et unique fois. C’est dans ce texte que l’on peut trouver le point de départ de toute la recherche théologique sur la pénitence dans l’Église. Mais saint Jean ignore une telle proposition. Aussi lui est-il nécessaire de chercher une solution dans un acte de foi au salut que le Christ seul peut apporter : il est alors possible de découvrir une valeur beaucoup plus importante au sacrement de la réconciliation, tel qu’il est actuellement vécu par les communautés chrétiennes. Il s’agit de bien saisir la hiérarchie des valeurs : le rite ecclésial n’est pas premier, ce qui compte, c’est le salut apporté par le Christ Jésus, et le rite pénitentiel n’a de valeur que s’il s’inscrit dans cette foi qu’il doit entretenir et vivifier.

Le deuxième moyen pour vivre en communion avec Dieu, c’est d’avoir foi en Jésus-Christ : celui-ci, malgré le péché des hommes, se présente comme « notre défenseur devant le Père ». Le terme, traduit par « défenseur », est le mot grec « Paracletos » qui se traduit difficilement et qui ne se trouve dans le Nouveau Testament que dans la littérature johannique. Étymologiquement, il signifie « celui qui est appelé à côté d’un autre, une aide judiciaire, un avocat, un défenseur, celui qui réconforte » Dans la première lettre de saint Jean, le Paraclet est Jésus lui-même qui est le médiateur entre les hommes et Dieu. La littérature juive connaissait aussi cette notion de Paraclet ; elle attribuait ce rôle aux anges, aux patriarches, à Moïse, à la Loi qui servaient d’intermédiaires entre les hommes et Dieu. Moïse était l’intermédiaire privilégié puisqu’il intervenait sans cesse auprès de Dieu pour obtenir de lui le pardon des péchés d’Israël comme il le faisait au long de sa vie, pendant l’exode. Mais, contrairement à Moïse, qui intercédait pour le peuple juif uniquement, Jésus ne limite pas son rôle de médiateur: il est le Paraclet pour tous les hommes. Ce rôle, joué par Jésus, est celui d’une victime d’expiation. Là aussi, le vocabulaire de l’expiation ne se rencontre que dans cette lettre de Jean : « hilasmos » ne se rencontre qu’en 1 Jn 21 2 et 4, 10, bien que d’autres textes néotestamentaires emploient des mots dérivés de la même racine. Les traducteurs du Nouveau Testament proposent différentes interprétations de ce terme grec : propitiation, expiation, victime expiatoire, pardon… Selon son étymologie, ce terme vient d’une racine qui signifie rendre agréable ; et il a pris, dans le langage religieux le sens de : contenter, d’apaiser la divinité. Cet apaisement est rendu par la traduction « propitiation » et la traduction « expiation » traduit la réparation des péchés. En tout cas, dans la première lettre de saint Jean, ce terme vise l’initiative de Dieu en Jésus, et non pas une manœuvre humaine pour apaiser ou contenter Dieu, en lui payant un tribut pour l’offense qui lui a été faite. ce sens existait déjà dans certains textes de l’Ancien Testament qui soulignaient que Dieu me se laissait pas manœuvrer à la manière des divinités païennes et qui soulignaient également que toutes les initiatives pour rendre l’homme agréable à Dieu trouvaient leur source en Dieu et non pas en l’homme. En affirmant que Jésus est la victime d’expiation pour le pardon des péchés du monde entier, saint Jean souligne que Dieu pardonne les péchés des hommes de sa propre initiative. En Jésus ressuscité, Dieu crée un homme nouveau qui lui plait parfaitement et qui permet aux hommes qui s’unissent à lui, par la foi, de recevoir le pardon de Dieu et toute la faveur qui vient de la grâce de Dieu.

Le troisième moyen pour vivre en communion avec Dieu, c’est de garder ses commandements. Déjà, l’accomplissement de la Loi était, pour le judaïsme, la preuve de l’amour de Dieu. Suivre ses commandements, c’était faire preuve d’une fidélité certaine à celui qui était le Dieu fidèle. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir mentionner la connaissance de Dieu dans les moyens de vivre en communion avec lui. A l’époque de la rédaction de cette première lettre de saint Jean, certains chrétiens se laissaient séduire par la gnose, qui préconisait la connaissance intellectuelle de Dieu par le biais de l’intelligence, cette étincelle divine répandue en chaque homme. Saint Jean s’oppose à cette tendance, en précisant que la connaissance de Dieu ne relève pas de l’intellectualisme mais de la connaissance de la volonté qui est la sienne et qu’il a exprimée dans ses commandements. Que peut bien signifier « garder ses commandements » ? C’est refuser de pactiser avec les convoitises charnelles : « N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui, puisque tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et la convoitise orgueilleuse dans les biens ne provient pas du Père, mais provient du monde. Or, le monde passe, lui et sa convoitise, mais celui qui fait la volonté du Père demeure à jamais » (1 Jn 2, 15-17).

Cela n’implique toutefois pas un code législatif néotestamentaire mais la nécessité de conformer toute l’existence chrétienne sur le modèle de l’existence de Jésus-Christ : «  Et voici son commandement : adhérer avec foi à son Fils Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement » (1 Jn 3, 23). Ce sont là les deux moyens pour accéder à la véritable connaissance de Dieu. Saint Jean insiste sur ces deux voies d’accès au point de devenir monotone... Pour lui, l’homme ne peut découvrir Dieu que par la médiat1on du Christ Jésus, dans sa personne historique elle-même, que les apôtres ont pu voir, toucher, entendre : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie... » (1 Jn 1, 1).

Pour saint Jean, Jésus est le Dieu véritable qui nous ouvre la vie éternelle : refuser de reconnaître que Jésus est l’unique sauveur, c’est refuser de connaître Dieu. Et d’autre part, cette connaissance de Dieu est intimement liée à l’amour des autres. Et cet amour des autres atteint sa perfection, ainsi que le souligne l’évangile johannique, dans le don de sa vie pour ses frères. C’est ainsi que l’amour de Jésus a atteint sa perfection. L’amour de Dieu se manifeste dans le fait qu’il accepte que les hommes participent à sa vie : l’amour, dans sa perfection fait participer les hommes au salut offert en Jésus-Christ.

Les lettres johanniques

La première lettre de Jean se présente comme une exhortation d’un homme qui possédait une véritable autorité sur ceux qu’il appelait « ses petits enfants », pour que ces chrétiens demeurent fidèles à la foi commune reçue par le témoignage apostolique. C’est une lettre pastorale visant à soutenir la foi dans les combats qu’elle est amenée à livrer contre toutes les tentations d’erreur et d’égarement. L’auteur veut montrer aux chrétiens auxquels il s’adresse qu’ils possèdent la véritable foi et qu’ils sont par là déjà engagés dans la vie éternelle. Sa certitude première est que Dieu a aimé les hommes en premier et, par suite, c’est par l’amour que les chrétiens se manifestent les uns aux autres, qu’ils entrent dans la véritable communion de Dieu. Aimer ses frères est le signe manifeste, tangible, perceptible de l’amour porté à Dieu. la preuve que le chrétien peut donner de sa foi en Dieu par le Christ Jésus, c’est l’amour qu’il porte à ses frères.

La deuxième lettre de Jean est un court billet adressée à « la Dame élue et à ses enfants », c’est-à-dire à une Église et aux membres qui composent la communauté. Cette Église demeure fidèle à la foi chrétienne, mais elle est menacée par la présence de faux docteurs qui ne reconnaissent pas la réalité de l’Incarnation, et qui, en conséquence, ne sont pas fidèles à la véritable foi reçue des apôtres. Le but de cette courte lettre, qui se présente également comme un condensé de la première, est d’insister sur la nécessité de l’attachement à la foi et à la vie fraternelle qui permettront de se préserver de l’enseignement dangereux des faux docteurs.

La troisième lettre est adressée à un certain Gaïus que l’auteur de ce billet félicite parce qu’il reste fidèle à la vérité de la foi. Mais elle concerne un conflit qui oppose le chef d’une communauté chrétienne à l’auteur des billets qu’il lui avait adressées par des messagers. Diotrophès, ce chef de communauté, a refusé de recevoir les porteurs de ces lettres, et il a même expulsé de la communauté les chrétiens qui avaient accepté de les recevoir. Mais Gaïus ne s’est pas laissé entraîner. Aussi reçoit-il les éloges de l’auteur de cette lettre qui le presse à continuer son oeuvre de soutien à ses émissaires et missionnaires. Bien que cette lettre porte une dimension personnelle importante, puisqu’elle souligne la conduite inhospitalière (et non pas l’hérésie) indigne d’un chef de véritable communauté chrétienne, elle indique quand même que l’amour chrétien trouve son origine dans la vérité révélée en Jésus-Christ.

 

 

 

L’apocalypse

 

Le terme « apocalypse », qui est le nom attribué au dernier livre canonique du Nouveau Testament, et donc de l’ensemble de la Bible chrétienne, est une transcription littérale d’un mot grec qui signifie : lever le voile, dévoiler ce qui est caché. Par suite, le terme « apocalypse » a signifié la révélation faite par Dieu à des hommes des mystères cachés que lui seul connaissait.

La Bible chrétienne s’achève ainsi de la même manière que s’ouvrait l’Ancien Testament, par une sorte de vision. Mais elle ne décrit plus, sous une forme poétique, les origines du monde, ainsi que le faisait le livre de la Genèse. Elle présente ce qu’un demi-siècle de vie et d’expérience chrétiennes a permis aux chrétiens de découvrir, le projet de Dieu sur le monde et sur l’humanité en vue d’établir le monde nouveau et l’humanité nouvelle, au jour de la venue de son Royaume.

L’Apocalypse de saint Jean est le seul livre biblique à porter ce titre bien que d’autres livres, inspirés par les prophètes pourraient le revendiquer également, car le genre littéraire de la « révélation » était très courant dans la littérature extra-biblique, dans le premier siècle avant Jésus-Christ comme dans le siècle qui le suivit. C’est donc dans un courant littéraire bien défini que s’inscrit l’Apocalypse de saint Jean, mais, puisque c’est une oeuvre chrétienne, elle prend une dimension différente des écrits juifs de la même époque.

L’auteur de l’Apocalypse donne lui-même son nom : il s’appelle Jean et il se désigne comme « prophète » et comme témoin de Jésus-Christ vivant. La première tradition chrétienne qui attribuait directement la composition de ce livre de révélation à l’apôtre Jean a été rapidement contestée. Il est très vraisemblable que cet ouvrage est l’œuvre d’une école se rattachant directement à l’enseignement oral de l’apôtre, cette école se situant à Ephèse après l’année 70 mais avant la fin du premier siècle de l’ère chrétienne.

Dans ce livre, unique en son genre dans le Nouveau Testament, tout semble étrange, et l’on comprend pourquoi il fut souvent sujet à de vives discussions relatives à sa canonicité. Le symbolisme y prend une place considérable, permettant d’évoquer sous les aspects les plus directement perceptibles des réalités spirituelles ou abstraites, l’auteur se présentant comme le prophète, c’est-à-dire le héraut, le porte-parole de Dieu, qui interprète tout ce que Dieu peut dévoiler de lui-même, de sa vie intime et de son projet sur l’ensemble du monde et de l’humanité, mais aussi comme « le voyant », celui qui reçoit des visions de la part de Dieu avec lequel il entretient des relations mystiques qui lui permettent de parvenir à une connaissance de Dieu qui dépasse toutes les connaissances sensibles. Il n’est alors pas possible de comprendre directement les images symboliques que ce voyant propose à la manière des réalités physiques. Il convient de découvrir progressivement le symbolisme sans se laisser dérouter par des particularités qui peuvent paraître étonnantes. Il ne faudrait pas davantage essayer de chercher à comprendre ce que pourra être l’avenir de l’Église à travers les présentations qui sont faites dans ce livre. Il s’agit simplement de découvrir la réalité de la vie quotidienne des chrétiens, à la fin du premier siècle. Ils étaient affrontés à une persécution sanglante. L’auteur de ce livre veut leur adresser un message de consolation et d’espérance. Car ces chrétiens connaissaient un moment de désarroi profond : la foi qu’ils avaient reçue de la tradition apostolique leur enseignait que la résurrection du Christ marquait le début d’un monde nouveau, que le Royaume de Dieu allait survenir avec toute sa gloire, que le retour » du Christ était imminent, puisque Jésus, vainqueur de la mort, avait définitivement vaincu le monde... et voici que la persécution la plus violente s’abattait sur ceux qui avaient mis leur foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité. La persécution semblait être le signe de la ruine de tout le message chrétien. Alors, l’auteur de l’Apocalypse veut redonner confiance aux chrétiens en reprenant les grandes lignes de l’argumentation prophétique de l’Ancien Testament : la persécution n’aura qu’un temps, il faut garder l’espérance, Dieu interviendra lui-même au moment où il le voudra pour faire triompher ceux qui ont mis leur foi dans la parole de Jésus-Christ. Sans souligner ce désir de l’auteur, qui veut redonner confiance et espérance à ses lecteurs, le message de l’Apocalypse n’est guère compréhensible.

A une Église universelle, répartie en communautés locales, qui est ainsi enracinée dans des réalités humaines, le Voyant propose de faire un examen de conscience à partir des réalités concrètes que les sept Églises vivent. En effet, pour ce visionnaire, c’est dans la vie des communautés que le Christ intervient pour adresser son appel à chaque chrétien comme à chaque communauté. Le Royaume que le Christ peut établir sur la terre n’est pas une réalité de pure fiction mais une réalité qui se construit dans les différentes communautés. La parole prophétique du Voyant invite alors chaque croyant à se situer en vérité devant les expériences concrètes et à découvrir que le Jour même du Seigneur ne se trouve pas dans un avenir lointain : l’instant présent est le moment même de la révélation de Dieu. Cette Église, incarnée dans le monde, est aussi une Église engagée, affrontée aux problèmes de son époque, se détachant et rompant définitivement avec le monde juif qui n’a pas reconnu Celui qui était envoyé comme Christ et Sauveur, mais aussi rencontrant un monde païen qui lui est hostile et qui la persécute. Les chrétiens vont être contraints de choisir entre le culte de l’empereur et celui du Christ : malgré le martyre qu’ils seront appelés à connaître pour avoir voulu rester fidèles à Jésus-Christ, les chrétiens ne doivent pas perdre confiance. Le Voyant de l’Apocalypse leur annonce que Dieu lui-même interviendra pour renverser les puissances qui s’opposent à la foi chrétienne, qu’il jugera et condamnera les persécuteurs de l’Église. Ceux qui reconnaissent en Jésus-Christ le sauveur du monde seront associés à son triomphe, tandis que ceux qui ne le reconnaissent pas et qui demeurent, par le fait même, en situation d’opposition avec Dieu seront voués à la condamnation définitive, suivant dans sa ruine Satan, l’auteur du péché de ce monde, tel qu’il pouvait être dépeint dans le livre de la Genèse qui ouvrait la Bible.

Dans le monde présent, pétri de contradictions, conséquences du péché, l’Église est appelée à poursuivre l’œuvre de Jésus-Christ, en la menant à son plein accomplissement. L’Église sera transfigurée avec la venue du monde nouveau, elle descendra du ciel, véritable paradis pour les hommes qui l’auront cherché tout au long de leur existence. Ce paradis est l’objet de toute l’espérance chrétienne, mais il ne doit pas faire oublier la réalité de l’histoire la cité terrestre est une préparation de la cité éternelle. Et le croyant découvre que l’histoire humaine, dans son ensemble, n’est -pas dépourvue de sens. Le monde présent est certainement appelé à disparaître, à cause de sa perversité, mais cette disparition permettra l’avènement d’un monde nouveau qui marquera le triomphe filial de Dieu, lors de la Parousie, c’est-à-dire lors du retour glorieux du Christ qui viendra rétablir toutes choses selon la justice de Dieu.

Un royaume de prêtres

« Jean aux sept Églises qui sont en Asie : grâce et paix vous soient données de la part de Celui qui est, qui était et qui vient, de la part des sept esprits qui sont devant son trône, et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts et le prince des rois de la terre. A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. Amen. Voici, il vient au milieu des nuées, et tout oeil le verra, et ceux même qui l’ont percé ; toutes les tribus de la terre seront en deuil à cause de lui. Oui ! Amen ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant » (Ap. 1, 4-8).

Ce paragraphe commence par l’adresse proprement dite de l’ensemble du livre, avec la mention de l’auteur (Jean), des destinataires (les sept Églises d’Asie, qui seront énumérées au verset 11 : il s’agit de communautés situées dans la province d’Asie Mineure, aux environs d’Éphèse) et de la salutation initiale (grâce et paix) qui va se déployer dans une grande formule de bénédiction. La salutation de l’auteur est une formule proprement religieuse ; il offre la paix (shalom) qui vient de Dieu et, dans une telle présentation, il évoque la réalité divine elle-même, par une formulation trinitaire : Père, Esprit-Saint (les « sept esprits » désignent l’Esprit de Dieu dans sa plénitude), Fils. Une telle présentation de la Trinité permet alors de concentrer toute l’attention de l’auteur sur la personne et le rôle éminent du Christ. Le Père est désigné comme celui qui s’est manifesté à Moïse (« Celui qui est » Ex. 3, 14), mais son nom est étendu au passé et à l’avenir, épuisant ainsi toutes les dimensions du temps dans son éternité. Les sept esprits présents devant le trône de Dieu désignent les sept dons de l’Esprit... La grâce et la paix de Dieu se communiquent aux hommes par la médiation de Jésus, le Fils de Dieu, devenu homme parmi les hommes et retourné auprès du Père après sa résurrection d’entre les morts. L’auteur de l’Apocalypse donne alors des titres à la suite du nom humain de Jésus : il est le Christ, c’est-à-dire le Messie attendu qui a été reconnu par les croyants, il est le témoin fidèle, celui qui a rapporté clairement les vues de Dieu sur l’humanité et sur le sens final de toute l’aventure du monde et de l’histoire humaine, il est le premier-né d’entre les morts, celui qui, par la puissance de sa propre résurrection, peut entraîner l’ensemble de l’humanité dans l’espérance et la certitude de la résurrection de tous les hommes, il est enfin le prince des rois de la terre, celui qui dépasse en pouvoir les puissances totalitaires de ce monde et tous les persécuteurs des croyants.

Après avoir rappelé les titres de Jésus, Jean se laisse aller à un cantique de louange de la gloire du Fils de Dieu (doxologie) le Christ a joué le rôle d’une victime d’expiation pour le péché des hommes qu’il rétablit ainsi dans l’intimité de Dieu son Père, il est le véritable agneau pascal qui constitue le peuple nouveau, l’Église, peuple de prêtres.

Après avoir rendu grâces pour l’action libératrice du Christ sauveur, Jean tourne son regard vers l’avenir, vers la parousie du Seigneur, son retour dans la gloire. Le sauveur est venu dans l’humilité d’une vie terrestre et d’une mort ignominieuse, mais il revient au milieu des nuées, c’est-à-dire enveloppé de la gloire même de Dieu. Alors tous les hommes le reconnaîtront, même ceux qui n’ont pas voulu le reconnaître aux jours de sa vie terrestre, même ceux qui l’ont fait crucifier, et toutes les nations de la terre se lamenteront à cette vue, car tous les hommes découvriront alors que chacun a été responsable de la mort du Fils de Dieu sur la croix.

Devant toutes les nations qui reconnaîtront le sauveur du monde, au jour de son retour glorieux, Dieu lui-même donnera sa propre confirmation à l’œuvre de Jésus il est l’Alpha et l’Oméga, la première et la dernière lettre de l’alphabet grec, il est le commencement et la fin, il est le Dieu éternel qui s’est manifesté à Moïse, il est le Tout-Puissant, le maître de toutes choses, le Pantocrator, le dominateur souverain, celui que l’Ancien Testament présentait comme le Seigneur des armées et des puissances.

Vision du Fils de l’homme

« Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvais dans l’île de Patmos à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus saisi par l’Esprit au jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une puissante voix, telle une trompette, qui proclamait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le au sept Églises, à Ephèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et à Laodicée. Je me retournais pour regarder la voix qui me parlait ; et m’étant retourné, je vis sept chandeliers d’or, et, au milieu des chandeliers, quelqu’un qui semblait un fils d’homme. il était vêtu d’une longue robe, une ceinture d’or lui serrait la poitrine, sa tête et ses cheveux étaient blancs «  comme laine blanche, et ses yeux comme une flamme ardente, ses pieds semblaient d’un bronze précieux, purifié au creuset, et sa voix était comme la voix des océans, dans sa main droite il tenait sept étoiles, et de sa bouche sortait un glaive acéré à deux tranchants. Son visage resplendissait tel le soleil dans tout son éclat. A sa vue, je tombai comme mort à ses pieds, mais il posa sur moi sa droite et dit : Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, et le Vivant, je fus mort, et voici, je suis vivant pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et de l’Hadès. Ecris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui doit arriver » (Ap, 1, 9-19).

L’Apocalypse commence pratiquement par la vision du Fils de l’homme, que l’auteur identifie au Christ ressuscité et qu’il présente comme le chef de l’Église et le Maître de l’histoire.

L’auteur se présente sous le nom de Jean, le frère des chrétiens persécutés, lui-même exilé dans l’île de Patmos, à cause du témoignage qu’il rendait à l’Évangile. Habituellement, les auteurs de récits apocalyptiques se réfugient très volontiers dans l’anonymat: mais Jean se situe d’emblée dans la ligne des grands prophètes, en assumant la pleine responsabilité de son écrit. Jean se présente comme « frère » cette fraternité s’exprimant dans la fraternité commune en Jésus-Christ, dans la fraternité ecclésiale, mais cette fraternité est encore soulignée par le terme de « compagnon » ; la fraternité n’est pas seulement verticale (en Jésus) elle est aussi horizontale (avec les autres chrétiens). Et ce compagnonnage s’exprime aussi bien dans l’épreuve que dans le Royaume et la persévérance de la foi au Christ Jésus. Il n’existe pas de distinction entre plusieurs états de vie chrétienne par exemple, les souffrances de l’épreuve et la persécution dans le monde présent et la joie du Royaume à venir. L’existence chrétienne trouve son assise dans la persévérance de la foi, qui se manifeste dans l’épreuve, celle-ci étant déjà une expression de la vie du Royaume. Les chrétiens participent déjà à cette vie alors qu’ils sont soumis à l’humiliation, ce Royaume ayant été inauguré par la croix du Christ. Et il se poursuit dans ce qui n’est pas une résignation mais une puissance de la foi.

L’auteur, qui se présente sous le nom de Jean affirme qu’il se trouve dans l’île de Patmos. Irénée de Lyon, qui a été disciple de Polycarpe, celui-ci ayant comme Jean, affirme, au deuxième siècle, que Jean se trouvait en exil à Patmos. Jean partageait donc la même épreuve que les chrétiens auxquels il adressait un message de consolation. Cet exil, il le connaît à cause de sa prédication de l’Évangile et du témoignage qu’il rendait à Jésus-Christ, mort et ressuscité. Comme dans les autres écrits johanniques, la proclamation de la Parole et le témoignage sont toujours intimement liés : ceux qui proclament la Parole de Dieu sont toujours les témoins de la résurrection du Christ, et c’est la raison pour laquelle ils se trouvent en opposition avec le monde (des ténèbres) qui refuse de reconnaître en Jésus-Christ l’Envoyé de Dieu.

Jean tombe en extase : il est saisi par l’Esprit de Dieu ; le témoignage qu’il va apporter dans son Apocalypse ne vient pas du témoignage de l’homme, mais du témoignage que l’Esprit de Dieu est capable de rendre au Christ et à Dieu lui-même. Cette extase, cette vision se situe le jour du Seigneur. Cette expression du « jour du Seigneur » est très fréquente dans l’Ancien Testament : le jour de Yahwé, c’est le jour où Dieu intervient en faveur de son peuple, et il désigne plus particulièrement son intervention à la fin des temps. Pour les chrétiens, la fin des temps a été inaugurée par la résurrection du Christ. Dans le Nouveau Testament, le jour du Seigneur désigne très rapidement le jour où le Christ triompha de toutes les puissances de mort dans sa victoire pascale, et cela toutes les semaines, au premier jour de la semaine, jour de la résurrection, le dimanche. Ce jour du dimanche est, à la fois, le rappel de la victoire du Christ sur la mort et l’annonce de son triomphe définitif, au jour où il reviendra dans la gloire à la Parousie, à la fin des temps. Le dimanche, jour où les chrétiens se réunissent, est déjà l’anticipation de cette fin des temps.

La vision que Jean va avoir est une vision qui trouve son cadre dans les différentes manifestations de Dieu : « Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; alors toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine, et elles verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel dans la plénitude de la puissance et de la gloire. Et il enverra ses anges avec la grande trompette, et des quatre vents, d’une extrémité des cieux à l’autre, ils rassembleront les élus » (Mt. 24, 30-31), « Je vais vous faire connaître un mystère. Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons rassemblés, en un instant, en un clin d’œil, au son de la trompette finale. car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles et nous, nous serons transformés » (1 Co. 15, 51-52).

L’allusion à la trompette est toujours liée dans les écrits néotestamentaires à une vision de la fin des temps, à l’eschatologie. Le Voyant reçoit deux ordres : celui d’écrire sa vision et celui de la communiquer aux Églises. Au verset 19 est exprimé le contenu du message à transmettre : « Ecris ce que tu as vu, ce qui est et ce qui doit arriver ». Mais avant cela se place une vision proprement dite, qui est une manifestation du Christ, une christophanie.

Ce qui frappe le Voyant, ce n’est pas le Christ pris isolément, c’est le Christ dans son union avec les Églises : il est au milieu des sept chandeliers d’or qui symbolisent les sept Églises. Et cette vision du Christ, vivant en relation intime avec les Églises, se présente sous une forme mystérieuse : « quelqu’un qui semblait un fils d’homme ». Le thème du « Fils de l’homme » est un des sujets les plus difficiles de toute la théologie, de toute la christologie du Nouveau Testament.

Dans un premier sens, l’expression « Fils de l’homme » désigne un homme, un membre de la race humaine, avec tout ce que cette appartenance peut impliquer de faiblesse, de fragilité, de souffrance et de mort. Dans un second sens, qui se place dans la ligne des récits apocalyptiques de Daniel, ce Fils de l’homme est plus qu’un homme ordinaire c’est un homme proche de Dieu qui exécutera ses volontés au jour du jugement. Le secret de Jésus n’est-il pas d’être Fils de l’homme dans les deux sens à la fois ?

Une étude très approfondie des textes évangéliques montrerait que Jésus ne s’est jamais présenté comme fils de Dieu aux hommes de son époque. D’ailleurs, l’expression « fils de Dieu » était particulièrement dévaluée, elle s’appliquait aux rois, aux prophètes, aux sages, à tous les membres du peuple de Dieu. Si Jésus s’était présenté comme « fils de Dieu », ses contemporains l’auraient compris dans le sens de la longue tradition juive et ne l’auraient pas conduit jusqu’à la mort. Aussi Jésus n’a-t-il pas utilisé cette expression pour se désigner lui-même. En revanche, il est certain qu’il s’est appelé lui-même « le Fils », et de cela, nous avons des traces, dans les évangiles, par des paroles que ses disciples n’auraient pas pu mettre dans sa propre bouche : « Quant à la date de ce jour et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père » (Mc.13, 32).

Jésus semble préférer le titre de « Fils de l’homme ». Il est remarquable que, très souvent en parlant de lui-même, Jésus emploie cette expression ; jamais les évangélistes ne l’utilisent pour qualifier Jésus. Selon les apparences, c’est le nom que Jésus lui-même s’est donné de préférence à tout autre titre, afin d’éviter toute confusion sur sa mission. Dans la mentalité de l’époque, le Christ de Dieu serait un roi victorieux, alors que, pour Jésus, il sera le Fils de l’homme, non pas nécessairement celui qui devait venir sur les hauteurs du ciel, ainsi que le voyait le prophète Daniel, mais bien celui qui sera un serviteur souffrant, ainsi que le voyait Isaïe. Le titre de « Fils de l’homme » apparaît une cinquantaine de fois dans les récits évangéliques, alors que les communautés chrétiennes ne s’en servaient plus pour désigner Jésus. Cela prouve que cette désignation remonte bien au Jésus historique. Cette expression est un titre qui vient de la vision du prophète Daniel : « Je contemplais dans les visions de la » nuit. Voici venant sur les nuées du ciel comme un fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. A lui fut conféré pouvoir, honneur et royaume. Et tous les peuples, nations et langues le servirent. Son pouvoir est pouvoir à jamais, qui ne sera point détruit, et son royaume ne passera point » (Dan. 7, 13-14). A plusieurs reprises, Jésus parle de ce personnage qui viendra sur les nuées du ciel, qui siégera sur le « trône de gloire pour juger les hommes, et il s’identifie à ce personnage : « Je vous le déclare, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel » (Mc. 15, 62)

C’est à ce titre que Jésus méritera la condamnation du grand-prêtre. Siéger à la droite de Dieu et venir sur les nuées du ciel, comme un personnage divin, était un privilège du Messie qui devait venir de la part de Dieu. Le sacerdoce officiel ne pouvait qu’accuser Jésus de blasphème.

En employant le titre de Fils de l’homme, Jésus lui donne un sens différent de celui que lui décernait Daniel. Les déclarations eschatologiques s’inspirant de Daniel présentent le Fils de l’homme comme un être surnaturel. Et Jésus présente le Fils de l’homme comme un homme qui devra subir l’humiliation, la souffrance et la mort, de la part des hommes pour leur apporter le salut et la délivrance. Pour le Nouveau Testament, le Fils de l’homme est à la fois un personnage céleste et transcendant et un personnage proprement humain qui réalise son oeuvre de salut par la croix. Et Jean, dans son Apocalypse, va poursuivre encore plus loin cette présentation du Fils de l’homme en l’identifiant au Ressuscité. Dans sa description : « il était vêtu d’une longue robe, une ceinture d’or lui serrait la poitrine », Jean reprend des images traditionnelles de l’Ancien Testament pour symboliser le pouvoir royal et sacerdotal du Christ. mais ce qui attire plus spécialement l’attention de Jean, au-delà de la symbolique tirée de Daniel » c’est la présence même de ce Fils d’homme qui lui parle et qui lui révèle sa propre identité : c’est un être divin, c’est le ressuscité, maître de l’histoire et chef de l’Église. Le Fils de l’homme est un personnage divin. A sa vue, Jean tombe comme mort déjà l’Ancien Testament indiquait qu’il n’était pas possible de voir Dieu sans mourir. En tombant comme mort, le Voyant indique qu’il se trouve devant le mystère de la transcendance de Dieu. Toutefois, comme dans l’Ancien Testament, cette présence mystérieuse de Dieu qui se révèle à un homme veille à ce que l’homme ne soit pas terrifié : Ne crains pas ! Chaque fois que Dieu signale sa présence auprès d’hommes ou de femmes qu’il choisit pour une mission déterminée, il les invite à ne pas craindre, à ne pas être effrayés par sa présence. Ce Fils d’homme se présente comme un personnage divin, en dévoilant son identité : Je suis... Cette expression évoque les nombreux : « Je suis » que l’on retrouve dans le quatrième évangile mais aussi dans la révélation fondamentale de l’Ancien Testament Yahwé peut se traduire simplement par : « Je suis ». Il est « le Premier et le Dernier », c’est-à-dire l’Alpha et l’Oméga du verset 8, il est le Principe et la Fin ; toutes ces expressions équivalentes désignent la personne même de Dieu, et le Fils de l’homme se les attribue à lui-même, en précisant en outre qu’il est le Vivant. C’est toujours Dieu qui est le vivant, qui est source de toute vie : le Fils de l’homme reçoit ici ce titre, et, dans l’ensemble de l’Apocalypse, il est possible de découvrir qu’il possède la vie en plénitude pour la communiquer aux siens. Le Fils de l’homme, ce n’est pas simplement un quelconque personnage divin, c’est le Ressuscité : « Je fus mort, et voici, je suis vivant pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et de l’Hadès ». Il faut noter la distinction de l’état de mort qui appartient au passé et l’état de vie qui appartient au présent et au futur : la mort appartient définitivement au passé tandis que la vie relève du présent, mais aussi de l’éternité. Et il serait même possible de découvrir les trois moments de l’existence de Jésus dans cette description du Fils de l’homme. Comme Fils de Dieu, Jésus est toujours le Vivant, ce qui souligne sa préexistence de toute éternité dans le Père (cf. le prologue du quatrième évangile). Comme Fils de l’homme, humilié et crucifié, il est .un être mortel, ce qui souligne l’existence temporelle du Christ. Comme Fils de l’homme glorifié par sa résurrection d’entre les morts, il est devenu immortel, ce qui souligne son existence éternelle. par sa résurrection, le Fils de l’homme, qui était un personnage humain, reconnu comme tel par ses contemporains, a reçu de Dieu l’investiture royale et divine : il est le propre Fils de Dieu qui détient tous les pouvoirs de Dieu et particulièrement le pouvoir sur la vie puisqu’il détient les clefs de la mort et de son royaume. Le ressuscité détient ainsi la maîtrise sur toute l’histoire humaine et sur la vie de l’Église : le Fils de l’homme connaît le présent et l’avenir et il lui est possible de le révéler, notamment dans son Église, symbolisée par les sept chandeliers d’or, qui évoquent sans doute également le chandelier à sept branches, lequel symbolisait tout le judaïsme.

En inaugurant l’Apocalypse par une vision du Fils de l’homme, Jean semble vouloir dire aux chrétiens à qui il s’adresse que l’épreuve n’est que pour un temps : le Fils de l’homme a connu ces mêmes souffrances et il a été glorifié. Jean invite à la confiance : le Christ a vaincu le monde et la mort.

Le cantique nouveau

« Alors je vis et j’entendis la voix d’anges nombreux autour du trône, des animaux et des anciens. leur nombre était myriades de myriades et milliers de milliers. Ils proclamaient d’une voix fort : Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange. Et toute créature du ciel, sur terre, sous terre et sur mer, toutes les créatures qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : A celui qui siège sur le trône et à l’Agneau, louange, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. Et les quatre animaux disaient : Amen ! » (Ap. 5, 11-14).

Ce texte est une doxologie, une manière d’exprimer la gloire qui doit être rendue à Dieu, mais contrairement aux écrits bibliques, les anges, aussi nombreux soient-ils, n’adressent pas leur chant de louange à Dieu lui-même, ils ne le servent pas, mais ils s’adressent à l’Agneau de Dieu immolé. La vision des anges est une vision de l’ensemble de l’armée céleste les milliers et les myriades (10000) sont des termes qui désignent les unités militaires. Daniel, qui donnait aussi une vision céleste (7, 10), s’exprimait dans les mêmes termes pour dire que toute l’armée céleste est au service de la puissance souveraine de Dieu. Tous les anges du ciel sont au service de l’Ancien des jours, c’est-à-dire Dieu, dont ils forment la cour et l’armée. Cette présence angélique rehausse ainsi la grandeur de Dieu. Mais dans l’Apocalypse de saint Jean, la présence de ces mêmes anges n’exprime plus la grandeur et la puissance souveraine de Dieu, elle révèle plutôt la grandeur de l’Agneau immolé les anges proclament la gloire de l’Agneau. Ainsi, Jean exprime rapidement que cet Agneau se situe bien au-dessus des anges, puisque ceux-ci lui rendent gloire. En soulignant qu’il s’agit de l’Agneau immo1é, Jean ne fait pas seulement un rappel historique de la mort sacrificielle du Christ, il indique fortement que l’objet de l’acclamation des anges est précisément pour cet Agneau pour autant qu’il a été immolé : il reçoit la louange unanime en raison de son sacrifice. Reprenant la théologie paulinienne de la kénose (Phi. 2), il est possible de dire que c’est à cause de son abaissement jusque dans l’humiliation de la croix que le Christ a été élevé et placé plus haut que toutes les créatures du ciel et de la terre et qu’il a reçu ainsi le nom qui est au-dessus de tout nom, puisque jamais à aucun de ses anges Dieu n’a jamais dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Héb. 1, 5).

Par son sacrifice volontaire, l’Agneau de Dieu a eu accès à la plénitude des trésors de la divinité, particulièrement à sa toute-puissance évoquée par trois termes (puissance, richesse, force) et à sa sagesse. La toute-puissance de Dieu et sa sagesse sont les deux attributs que Dieu a manifestés à son peuple tout au long de son histoire, et ils reviennent maintenant à l’Agneau immolé, au Fils de l’homme, au maître de l’histoire.

Cette louange se trouve renforcée par l’intervention de tous les êtres vivants dans la vision classique de la cosmologie biblique : ciel, terre, mer, à quoi vient s’ajouter la puissance souterraine, soulignant ainsi l’universalité de la louange céleste. Cependant, il ne faudrait pas penser que ce monde souterrain regroupe les puissances infernales qui viendraient joindre leurs voix à l’acclamation de l’Agneau immolé : tout au plus peut-il s’agir de ceux qui sont morts pour avoir rendu témoignage au Christ. En évoquant ainsi brièvement le monde des morts, l’auteur de l’Apocalypse ne fait rien d’autre que de souligner que tous les êtres ne cessent de s’associer à la louange de l’Agneau immolé.

Une deuxième louange reprend les membres de la doxologie précédente : louange, honneur et gloire, en leur ajoutant la toute-puissance, le pouvoir pour les siècles des siècles. Cette louange adressée à Dieu est partagée par l’Agneau immolé qui se situe ainsi sur un plan d’égalité parfaite avec celui qui siège sur le trône et avec qui il vit dans la communion, puisque l’Agneau partage la divinité, il est légitime qu’il reçoive l’action de grâce de tous les êtres qui peuplent le monde.

Les quatre animaux fournissent la conclusion de ce texte, par une formule liturgique courante dans le judaïsme comme dans le christianisme : « Amen ». La tradition chrétienne, influencée par les affirmations symboliques d’Irénée de Lyon, a souvent regardé ces quatre animaux comme des représentations des quatre évangélistes : « Le premier ressemblait à un lion, le deuxième à un jeune taureau, le troisième avait comme une face humaine et le quatrième semblait un aigle en plein vol » (Ap. 4, 7). Jean s’inspire ici d’une vision du prophète Ezéchiel : «  Leurs visages ressemblaient à un visage d’homme ; tous les quatre avaient, à droite, une face de lion, à gauche, une face de taureau et tous les quatre avaient une face d’aigle : c’étaient leurs faces ». (Ez. 1, 10-11).

Ces animaux sur lesquels repose le trône de Dieu représentent l’ensemble du monde créé, et c’est sans doute injustement que l’on considérerait que Jean ait voulu signifier les quatre évangélistes... Les Anciens se prosternent et adorent c’est 1a manière solennelle de reconnaître la Seigneurie et de Dieu et de l’Agneau immolé. Toute la création d’unit dans une même vénération de celui qui apporte le salut à l’ensemble de l’humanité et à l’ensemble du cosmos.

L’Église, multitude des élus

«  Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau cent quarante-quatre mille marqués du sceau, de toutes les tribus des fils d’Israël. Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main. Et ils proclamaient d’une voix forte : Le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône et par l’Agneau ! Tous les anges, qui se tenaient en cercle autour du trône, autour des Anciens et des quatre Vivants, se prosternèrent devant le trône, la face contre terre pour adorer Dieu. Ils disaient : Amen. Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles ! Amen ! L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : Tous ces gens vêtus de blancs, qui sont-ils et d’où viennent-ils ? Je lui répondis : C’est toi qui le sais, mon Seigneur ». Il reprit : Ils viennent de la grande épreuve, ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu et lui rendent un culte jour et nuit dans son temple. Et celui qui siège sur le trône les abritera sous sa tente. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus, car l’Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur berger, il les conduira vers des sources d’eaux vives. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap. 7, 4...17)

Le nombre des élus (144000 : 12000 de chacune des 12 tribus d’Israël) symbolise l’absolue plénitude du peuple de Dieu. A cette plénitude du peuple de Dieu vient s’ajouter la multitude des élus qui unissent leurs louanges aux voix célestes qui proclament la gloire de Dieu et de l’Agneau immolé. Cette foule des élus est absolument universelle : ils viennent de toutes les nations, de toutes les races, de tous les peuples et ils s’expriment dans toutes les langues : le Royaume de Dieu, en s’instaurant, réduit à rien tous les grands empires de la terre ou plus exactement les rassemble dans l’unité. Le rassemblement des élus ne souffrira d’aucune discrimination raciale ou linguistique : tous les hommes, d’où qu’ils viennent, seront réunis devant le trône de Dieu et devant l’Agneau immolé.

Les élus se tiendront debout devant le trône. « Se tenir debout devant » est une expression qui indique le service royal et le service divin : l’assemblée des élus aura une mission liturgique, honorer Dieu et l’Agneau immolé. Dieu est adoré et servi comme celui qui accorde le salut et l’Agneau comme celui qui se présente comme le médiateur privilégié et unique de ce salut, ce qui lui vaut de partager le trône du Père. Cette assemblée liturgique peut exprimer sa joie et son triomphe: le blanc de la robe des élus symbolise la victoire de ceux qui ont surmonté l’épreuve, tout comme les palmes qu’ils portent à la main.

Mais qui sont ces élus ? L’un des Anciens donne la réponse : Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve. Il ne s’agit pas seulement de l’épreuve suprême du martyre, mais aussi de l’épreuve que tous les chrétiens peuvent rencontrer tout au long de leur vie, l’épreuve de la foi qui doit s’exprimer dans le monde des ténèbres, dans le monde qui refuse le témoignage rendu à Jésus-Christ. Il ne s’agit pas simplement des martyrs, bien que l’ensemble du livre de l’Apocalypse soit écrit pour confirmer les chrétiens dans les épreuves de la persécution, mais de tous ceux qui sont appelés à « vaincre le monde », comme le Christ lui-même l’a vaincu, de tous ceux qui ont participé directement, dans leur vie, et parfois même dans leur mort, au sacrifice de l’Agneau : l’image de « purifier » (ou blanchir) dans le sang de l’Agneau évoque le baptême beaucoup plus que la mort sacrificielle de chacun des chrétiens. C’est dans le sang versé par le Christ que les hommes sont purifiés, c’est dans le baptême qu’ils participent effectivement à la mort du Christ. Toute la théologie chrétienne, depuis les origines, présente le baptême comme une plongée dans la mort avec le Christ pour une résurrection avec lui dans sa vie : le bain dans l’eau baptismale est un bain dans le sang du Christ.

La vie des élus se résume dans l’assemblée liturgique, dans le service divin qu’ils assurent jour et nuit dans le temple céleste et auprès de la tente qui abrite la présence divine elle-même, comme la présence de Dieu accompagnait le peuple d’Israël dans ses pérégrinations dans le désert au temps de l’Exode.

Les élus connaîtront le bonheur, exprimé en des termes matériels : ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus. Ce bonheur eschatologique est décrit en des termes empruntés au prophète Isaïe (Is. 4.9, 10) qui exprimait ainsi le bonheur paradisiaque pour les nomades habitués à l’ardeur de la vie dans le désert. Mais il ne faut pas se laisser prendre au piège de la littéralité des images, d’autant plus que le verset suivant présente aussi une autre image qui parait presque incohérente. L’Agneau devient leur pasteur ! Dans le psaume 22, c’est Yahwé lui-même qui est le Pasteur d’Israël, son peuple, mais la Bible n’ignore pas le fait que l’envoyé du Seigneur pourra être le pasteur des brebis de la maison d’Israël. C’est que l’Agneau de Dieu a rassemblé tout le peuple par son sacrifice rédempteur et qu’il conduit la multitude des élus vers les sources d’eau vive, vers les eaux de la vie.

Le monde nouveau

«  Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n’est plus. Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. Et j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes, il demeurera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux. La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu. Et celui qui siège sur le trône dit : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap. 21, 1-5).

La création ancienne est passagère. Toute la littérature apocalyptique parle de la disparition de cette création. Pourtant, Jean ne dit pas explicitement que le ciel ancien et la terre ancienne seront détruits la création nouvelle reste une création à la mesure des hommes, déjà le monde nouveau paraît dans le monde ancien : «  Voici que je fais toutes choses nouvelles qui déjà paraissent, ne l’apercevez-vous pas ? » (Is. 43, 18). C’est la figure de ce monde visible qui passe : la nouvelle création ne sera plus terrestre, mais céleste et elle durera toujours, quand l’humanité aura atteint sa plénitude en accédant à la dimension du Christ Seigneur. La mer n’aura plus sa place dans cette nouvelle création, parce qu’elle est, dans la pensée biblique, un reste du chaos primitif d’où Dieu lui-même a tiré la première création. La restauration finale de l’univers mettra définitivement un terme à l’existence de la mer qui est considérée par la mentalité hébraïque comme le lieu des puissances de la mort. Il n’y aura plus de place pour la mort dans le monde nouveau. Et si le peuple hébreu se réjouissait de savoir Jérusalem fondée sur la montagne solide de Sion, combien plus faut-il se réjouir de la venue de la Jérusalem céleste, dans un lieu où la mer n’aura plus de place.

Ce qui importe, c’est de découvrir que les élus ne montent pas vers le ciel, mais que c’est Dieu lui-même qui vient à leur rencontre la cité sainte descend du ciel d’auprès de Dieu. Dieu accomplit en faveur de l’homme ce que l’homme avait vainement tenté de faire: l’orgueil de l’homme le poussait à dresser des tours pour conquérir le ciel, l’amour de Dieu fait descendre la cité sainte vers le monde des hommes.

Cette Jérusalem nouvelle est présentée sous les traits d’une épouse qui s’est parée pour son époux, rappelant le thème des noces de l’Agneau (Ap. 19, 7-8). Toute la Bible parle avec des images de tendresse et d’amour pour évoquer les relations qui peuvent exister entre Dieu et son peuple, et l’image des noces est fréquente ; avec le Nouveau Testament, c’est le Christ qui est l’époux de l’Église, et les noces de l’Agneau et de la Jérusalem nouvelle sont la réalisation parfaite de l’alliance entre Dieu et l’humanité qui aura lieu à la fin des temps.

La Jérusalem nouvelle sera la demeure de Dieu parmi les hommes. Dieu sera « Dieu avec eux », Dieu avec les hommes, c’est la transcription de « Emmanuel » qui indique la communion parfaite de Dieu avec son peuple il n’y aura plus de séparation entre l’humanité et Dieu.

Une vie nouvelle pourra s’inaugurer alors pour l’ensemble du peuple élu qui assemblera tous les peuples qui ont cherché Dieu, toutes les nations ressuscitées qui constitueront alors les véritables tribus du Seigneur. Cette vie nouvelle sera faite d’une bonheur sans failles : plus de larmes, plus de deuil, plus de cri, plus de souffrance, car le monde ancien aura disparu, les choses anciennes s’en seront allées.

Dieu lui-même prend la parole pour déclarer qu’il fait toutes choses nouvelles. Seul il est capable de dire en vérité cette parole de la nouvelle création qu’il a inaugurée dans la résurrection de son Fils et qu’il peut mener jusqu’à son extension universelle.

Bien des gens pensent que l’Apocalypse désigne quelque chose de terrifiant, de terrible qui doit s’abattre sur le monde et sur l’humanité, à la fin des temps. C’est une erreur, l’Apocalypse est une révélation, une manifestation de Dieu à l’ensemble de ses élus. Et même la création ne sera pas détruite, elle sera transformée, transfigurée pour apparaître aux yeux de Dieu comme conforme au dessein initial qu’il avait sur elle, en formant la première création : la figure de ce monde passera, mais l’humanité nouvelle atteindra sa plénitude en devenant conforme au modèle de l’humanité parfaite, exprimée en Jésus-Christ.

La nouvelle Jérusalem

« L’un des sept anges me transporta en esprit sur une haute et grande montagne, et il me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu. Elle brillait de la gloire même de Dieu. Son éclat rappelait une pierre précieuse, comme une pierre d’un jasmin cristallin. Elle avait d’épais et hauts remparts. Elle avait douze portes, et aux portes, douze anges, et des noms inscrits : les noms des douze tribus d’Israël. A l’Orient, trois portes, au nord, trois portes, au midi, trois portes et à l’occident, trois portes. Les remparts avaient douze assises, et sur elles les noms des douze apôtres de l’Agneau... Mais, de temple, je n’en vis point dans la cité, car son temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, ainsi que l’Agneau. La cité n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine et son flambeau, c’est l’Agneau. Les nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre y apporteront leur gloire » (Ap. 21, 10-14 et 22-24).

C’est encore un texte rempli de réminiscences de l’Ancien Testament... La présence d’un des sept anges justiciers de Dieu tend à montrer que Jean n’est pas capable d’épuiser par lui-même le mystère divin qu’il devine dans son élan mystique ; dans ce monde nouveau, une nouvelle vue lui a été donnée pour qu’il puisse percer les secrets de Dieu et les porter à leur pleine révélation. Et cette nouvelle vision qui lui est accordée, c’est la contemplation de la Jérusalem céleste, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, à la rencontre de l’humanité. C’est la cité céleste qui descend à la rencontre de la cité humaine, à la rencontre de l’Église présente qui est le prélude de cette cité sainte.

La Jérusalem céleste resplendit de la gloire de Dieu. Son éclat ne vient pas d’elle-même mais de la gloire divine, c’est le présence même de Dieu qui l’illumine et qui l’habite. Dans les écrits juifs du premier siècle de l’ère chrétienne, la présence de Dieu au milieu de son peuple était appelée Shékina, elle avait accompagné le peuple d’Israël dans ses pérégrinations à travers le désert au temps de l’exode, sous la forme d’une colonne de nuée et de flammes. Ici, pour Jean, elle se manifeste sous une forme définitive, sans éblouir ni anéantir ceux qui la perçoivent, elle permettra à tous les élus d’être transfigurés.

L’éclat de la cité sainte est suggéré simplement par l’éclat d’une pierre précieuse, et Jean énumérera du verset 18 au verset 21 toute une gamme de pierres précieuses dont les noms ne sont plus les noms actuels, mais qui visent simplement à souligner le caractère absolument translucide de toutes ces pierres qui ne peuvent que suggérer l’éclat particulier de la cité sainte toute illuminée de la gloire céleste divine.

Le voyant s’attarde longuement à la description extérieure de cette cité, ce qui n’est pas si extraordinaire puisqu’il visite la cité du dehors. Les villes antiques étaient ceinturées d’épaisses murailles pour se protéger des attaques des ennemis. Il ne saurait être question de retenir une telle interprétation pour justifier la présentation de la cité sainte. Ses murailles semblent simplement signifier le caractère très délimité de cette cité. Pourtant, cette ville sainte, clairement délimitée reste une cité ouverte, notamment en raison de ses douze portes, qui lui permettent de s’ouvrir sur l’ensemble de l’humanité. Le nombre de douze peut s’expliquer comme la multiplication du chiffre de Dieu (3) par celui du monde (4). Ce nombre se retrouve partout dans l’Apocalypse : douze portes, douze anges, douze tribus, douze apôtres, douze milles élus de chacune des douze tribus d’Israël, douze mille stades de côté pour la cité sainte, cent quarante-quatre (douze fois douze) coudées... Ce nombre, appliqué à la structure de la Jérusalem nouvelle, indique que cette cité se place sous le régime de l’ordre divin et qu’elle vise à s’accomplir dans la totalité du monde humain. Les douze anges, qui se tiennent aux portes de la cité signifient la communion qui existe entre ces personnages célestes et les hommes de cette humanité nouvelle. Les douze portes de la cité sainte sont sans cesse ouvertes pour permettre à toutes les nations de la terre de monter en pèlerinage vers la nouvelle Jérusalem, comme elles se mettaient déjà en route vers la Jérusalem terrestre. Jérusalem est toujours considérée comme le lieu de rassemblement de toutes les nations, comme le centre spirituel de l’humanité. Les remparts de cette cité reposent sur douze assises, qui portent le nom des douze apôtres : Jean a voulu signifier que la Jérusalem céleste établissait l’union entre l’Ancien Testament (mentionné par la présence des douze tribus d’Israël) et le Nouveau Testament. La Jérusalem céleste sera une cité universelle, catholique, elle rassemblera tous les hommes d’Israël et du Nouvel Israël. Ce qui a été faible et fragile, dans toute l’histoire de l’humanité, toutes les vicissitudes de l’histoire d’Israël n’ont pas compromis le salut, pas plus que les incertitudes des douze apôtres (faut-il rappeler la trahison de Judas et le reniement de Pierre ?). Le plan divin sera mené à bonne fin : ce qui a été humainement fragile devient divinement fort, ce qui a été humaine infidèle devient fidèle et assure une assise inébranlable.

Dans cette cité sainte, il n’y a pas de temple, alors que la vision d’Ezéchiel dont ce passage est inspiré culminait dans la description du sanctuaire : affirmer que la Jérusalem nouvelle ne comporte plus de temple est une idée qui ne recevrait pas l’approbation de la tradition juive, dont l’espérance ne cesse d’affirmer la restauration finale du Temple de Jérusalem dans toute sa splendeur. Mais le monde nouveau est tout autre : il n’est pas question de réserver une place limitée à Dieu. Le Temple n’est pas détruit mais il est simplement porté à son parfait accomplissement, avec la plénitude de la présence divine dont la gloire servira de lumière pour l’ensemble du peuple élu de Dieu. Tout deviendra clair pour ceux qui contempleront la cité sainte, la Jérusalem d’en haut.

Le langage des chiffres dans l’Apocalypse

blanc : victoire et pureté

rouge : meurtre, violence, sang des martyrs 

noir: mort et impiété

trois : chiffre de Dieu

quatre: le monde créé

six : imperfection (sept moins un)

sept : chiffre parfait, plénitude

douze : Israël (ancien ou nouveau)

mille : une très grande quantité

ces chiffres peuvent être multipliés...

corne : puissance

cheveux blancs : éternité

longue robe : dignité sacerdotale

ceinture en or : pouvoir royal.