La relation de Dieu avec l'homme

 

L'univers est-il signe de Dieu ? 

Je pense que l'univers est un signe ambigu : il est merveilleux et il est cruel. La rigidité de ses lois nous sert et nous dessert.

"Cette ambiguïté de la création, nous la projetons assez spontanément par le Créateur qui nous ferait, au gré d'un mystérieux dessein, tour à tour du mal et du bien. Mais quelle image de Dieu avons-nous quand nous pensons de la sorte ?" (J. Le Du). En fait, une image de bleu très dépendante de notre point de vue d'homme. Et c'est la même image, que nous le prions ou que nous l'injurions.

Cette image de Dieu (supplié ou blasphémé) est très dépendante de notre besoin de trouver un bienfaiteur ou un coupable, quelqu'un à remercier ou quelqu'un à accuser. Et s'il n'y avait ni bienfaiteur ni coupable immédiat ? Si les choses étaient simplement ce qu'elle sont : "C'est comme ça, brutalement". Notre façon de rendre grâce ou de blasphémer est une expression toute naturelle de notre sentiment religieux : nous voulons trouver un sens à ce monde, mais quel est ce sens ? Nous disons que ce monde a un créateur (et l'action de grâce et la révolte s'adressent à ce créateur. A quoi bon se révolter s'il n'y a personne ?). Mais quel est le lien entre ce monde et ce créateur ?

Il faut quand même prendre conscience du caractère très approximatif de nos images de Dieu-Créateur. Nos images sont ce qu'elles sont, elles jaillissent spontanément mais il ne faut pas nous laisser piéger à ces images. Surtout à notre époque, les chrétiens doivent filtrer une certaine naïveté. Ce qu'on dit de Dieu est toujours à dépasser. La foi est la recherche de Dieu dans le dépassement continuel des images qu'on s'en fait. C'est un peu comme la nage : il faut se plonger dans l'eau et repousser l'eau pour avancer.

La foi, surtout actuellement, rencontre presque fatalement le silence de Dieu, et expérimente souvent que le ciel parait vide. Il ne faut pas essayer de combler trop vite, à coup de bonnes paroles et de raisonnements hâtifs, ce vide. Car cette absence ressentie de Dieu peut avoir un sens très positif. Passer par le désert est une étape quasi obligée de la foi.

L'absence de Dieu n'est pas le contraire de sa présence mais l'espace laissé à Dieu pour être Dieu, à l'homme pour être homme, et au monde pour être monde. Il faut que Dieu soit vu autrement qu'au bout du désir, du besoin de l'homme. Un Dieu dont l'homme a besoin d'une façon trop immédiate est encore une idole (même si ce Dieu-là est une étape vers une foi plus pure ou moins impure). Il faut que l'homme soit vu autrement qu'un objet, qu'un jouet aux mains de la Providence, du Maître du monde. Pour être vraiment libre, il faut accepter la distance entre la source de notre liberté et nous-mêmes. Tout amour doit créer la distance pour éviter la confusion et fournir la base d'un véritable dialogue.

"Le partage total entre deux êtres est impossible

et chaque fois que l'on pourrait croire qu'un tel partage a été réalisé,

il s'agit d'un accord qui frustre l'un des partenaires,

ou même tous les deux de la possibilité de se développer pleinement.

Mais lorsque l'on a pris conscience de la distance infinie

qu'il y aura toujours entre deux êtres humains,

quels qu'ils soient,

une merveilleuse vie "côté à côte" devient possible :

il faudra que les deux partenaires deviennent

capables d'aimer cette distance qui les sépare

et grâce à laquelle chacun des deux aperçoit

l'autre entier, découpé sur le ciel". (R. M. Rilke)

J'aurais tendance à penser qu'actuellement le point de départ de la foi est très souvent l'athéisme. Et en contrepartie que l'athéisme, de plus en plus massif, peut être la chance d'une foi renouvelée.

La foi est une audace, une marche en avant, la certitude du Nouveau Monde par-delà l'océan sans repères. La foi proclame : il y a quelque chose en avant de tout cela, il y a une Parole Tout Autre, il y a un Avenir réellement nouveau, il y a même un Moi totalement inconnu. Et l'on retrouve ainsi la note principale de la Bible sur la création, à savoir la nouveauté.

En somme, croire, c'est ne jamais s'arrêter.

Paul Guérin, Je crois en Dieu 1974