Choisir l'espérance

On ne soulignera jamais assez que le plus grand tabou actuel, et donc le plus grand obstacle à la capacité d'espérer, est, non pas la sexualité, mais le refoulement et la déshumanisation de la mort - et donc du sacré - par une société qui a peur du réel.

Espérer, pour un homme ou une femme d'aujourd'hui, c'est donc pouvoir affronter lucidement l'expérience de la mort, disparition individuelle, mais aussi l'expérience de la conscience de soi et celle d'exister en relation...

Affrontant une mort "culturelle" (puisque la conscience de soi est liée à la culture et que la mort individuelle est aussi un produit de la culture), l'individu humain s'efforcera de transcender, par la religion et la sexualité notamment, sa propre condition. Dans l'histoire humaine, à chaque époque, la religion, comme la sexualité, s'est toujours présentée comme une défense contre la mort. Le rituel religieux est libérateur en ce sens qu'il détache le sujet du temps pour le pousser dans l'éternité.

La conception du temps mesure donc aussi la capacité d'espérer. Dans la civilisation occidentale, le temps est conçu comme un axe linéaire, évoluant de façon irréversible, et morcelé en passé, présent et futur. L'attitude religieuse - l'ouverture à une espérance absolue - implique un temps réel où la conscience du sujet se saisit elle-même comme vivant une certaine totalité, une certaine plénitude. Il y aura donc des victoires à remporter sur le temps bourgeois pour pouvoir vivre une durée d'où l'espérance ne soit pas exilée...

Par la voie de l'espérance, la foi pourra faire advenir des modes relationnels nouveaux entre les hommes et Dieu. Dieu ne sera plus considéré comme l'être fort et compétitif, du type capitaliste, écrasant toujours l'autre partenaire, l'homme. Mais il sera plutôt un libérateur, qui permet l'accès à la fraternité divine... sans céder au sentiment de culpabilité et de compensation.

A. Laudouze, M. et J.P. Viale, Le choix de l'espérance