L'efficacité de la prière pour l'homme de l'Ancien Testament

 

Avec la présentation du psaume 50, exprimant une démarche pénitentielle d'un pécheur de l'Ancien Testament, nous sommes entrés dans le domaine de la prière pour les membres du peuple de Dieu. Il y a dans la Bible un recueil entier de prières, ce sont les Psaumes, qui sont au nombre de cent cinquante. Ils expriment différents thèmes de prière :

- prière de louange au Dieu créateur,

- prière de louange au dieu présent dans son temple

- prière d'espérance,

- prière de demande ou d'action de grâces,

- prière pour vivre,

- prière de la montée à Jérusalem, le lieu de pèlerinage.

Il serait toujours possible dans l'un ou l'autre groupe d'étudier un psaume dans toute sa richesse, afin de mieux le prier, à la manière du peuple juif, ou bien à la manière de l'Église, même si certains psaumes peuvent nous scandaliser encore aujourd'hui : comment demander à Dieu de tuer nos ennemis, de les étriper, de leur casser les dents...

L'homme, fût-il le plus grand des pécheurs, pouvait s'adresser à Dieu, en ayant l'assurance d'être entendu et d'être exaucé dans sa prière. Nous allons revenir sur un exemple de prière, celle d'Abraham, reconnu comme le père de tous les croyants : Abraham intervient auprès de Dieu pour sauver la ville de Sodome.

Les trois visiteurs d'Abraham allaient partir pour Sodome. Le Seigneur dit : Comme elle est grande, la clameur qui monte de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu'à moi. Si c'est faux, je le reconnaîtrai. Les deux hommes se dirigèrent vers Sodome, tandis qu'Abraham demeurait devant le Seigneur. Il s'avança et dit : Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le pécheur ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Est-ce que tu ne pardonneras pas à cause des cinquante justes qui sont dans la ville ? Quelle horreur si tu faisais une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le pécheur, traiter le juste de la même manière que le pécheur, quelle horreur ! Celui qui juge toute la terre va-t-il rendre une sentence contraire à la justice ? Le Seigneur répondit : Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause eux, je pardonnerai à toute la ville. Abraham reprit : Oserai-je parler encore à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre ? Peut-être, sur les cinquante justes en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? Il répondit : Non. je ne la détruirai pas, si j'en trouve quarante-cinq. Abraham insista : Peut-être en trouvera-t-on seulement quarante ? Le Seigneur répondit : Pour quarante, je ne le ferai pas. Abraham dit : Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j'ose parler encore : peut-être y en aura-t-il seulement trente ? Il répondit : Si j'en trouve trente, je ne le ferai pas. Abraham dit alors : Oserai-je parler encore à mon Seigneur ? Peut-être en trouvera-t-on seulement vingt ? Il répondit : Pour vingt, je ne détruirai pas. Il dit : Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, je ne parlerai plus qu'une fois. Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? Et le Seigneur répondit : Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome.

Comme pour le déluge, la destruction de Sodome est présentée en termes de châtiment. Le péché ne peut pas être sans conséquences pour celui qui ne se convertit pas. Pourtant, par la voix d'Abraham, qui implore un maximum de pardon, la conscience humaine s'éveille à la délicatesse de la miséricorde. C'est aussi l'éveil de la conscience individuelle : il n'est pas normal que les justes soient sanctionnés par le châtiment des coupables, en raison de la responsabilité collective.

L'histoire de Sodome permet de prolonger la réflexion sur le mal, mais elle débouche immédiatement sur la question de la justice de Dieu. Dieu est celui qui aime tous les hommes et il voudrait qu'aucun de ceux qu'il a créés ne se perde. Peut-il y avoir une justice sans amour ? Et, réciproquement, peut-il y avoir un amour sans justice ?

Le sacrifice d'Isaac

Pour répondre à l'appel de Dieu, Abraham avait quitté son pays, Ur en Mésopotamie, et il était parti pour le pays que Dieu lui montrerait. Abraham n'avait pas d'enfant et sa femme Sara était avancée en âge... Dieu lui promet une descendance, et la promesse de Dieu se réalise avec la naissance d'Isaac ("Dieu a souri"). Et pourtant, Abraham n'est peut-être pas encore bien dégagé des moeurs et des coutumes des gens de son ancien pays qui pratiquaient rituellement des sacrifices d'enfants. On offre aux dieux ce qu'on a de meilleur, en complément de la prière.

Abraham croit comprendre que Dieu lui de mande d'immoler son fils. C'est le récit qui se trouve ci-dessous où se manifeste également la foi d'Abraham en la Parole de Dieu et l'espérance que sa promesse se réalisera par les moyens qu'il voudra.

Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il lui dit : Abraham ! Celui-ci répondit : Me voici ! Dieu dit : Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l'offriras en sacrifice sur la montagne que je t'indiquerai. Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois pour le sacrifice, et se mit en route vers l'endroit que Dieu lui avait indiqué. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit l'endroit de loin. Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne. Moi et l'enfant nous irons jusque  là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous. Abraham prit le bois pour le sacrifice et le chargea sur son fils Isaac ; il prit le feu et le couteau, et tous deux s'en allèrent ensemble. Isaac interrogea son père Abraham : Mon père ! - Eh bien, mon fils ? Isaac reprit : Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? Abraham répondit : Dieu saura bien trouver l'agneau pour l'holocauste, mon fils, et ils s'en allaient tous les deux ensemble. Ils arrivèrent à l'endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y éleva l'autel et disposa le bois, puis il lia son fils Isaac et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais l'Ange du Seigneur l'appela du haut du ciel et dit : Abraham ? Abraham ! Il répondit : Me voici ! L'Ange lui dit : Ne porte pas la main sur l'enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique. Abraham leva les yeux et vit un bélier, qui s'était pris les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils. Du ciel l'Ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham : Je le jure par moi-même, déclare le Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance tiendra les places fortes de ses ennemis.

La foi d'Abraham est certainement très grande. Elle se traduit par la stricte obéissance. Un parallèle est frappant. "Parce que tu ne m'as pas refusé ton fils unique, je te comblerai de bénédictions", vient de dire le Seigneur à Abraham. Plusieurs siècles plus tard, saint Paul dira de ce même Dieu : "Lui n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous".

Isaac et Jacob

L'épopée du clan d'Abraham se poursuit avec Isaac et Jacob. Il est toujours possible de relire tel ou tel texte de la Genèse, en se souvenant qu'il y a parfois des répétitions de récit concernant les mêmes personnages. L'explication en est relativement simple, même s'il faut effectuer un grand travail pour dégager les récits imbriqués les uns dans les autres. Les Anciens n'avaient pas la même notion de propriété littéraire que nous. Un récit appartenait à l'ensemble de la communauté et non pas à un seul rédacteur. De plus, la tradition orale développait les récits... Quand il est apparu important de regrouper par écrit tous ces récits, les rédacteurs n'ont voulu oublier aucune des traditions.

Jacob sortit de Béer-Sheva et partit pour Harran. Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et coucha en ce lieu. Il eut un songe : voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel, des anges de Dieu y montaient et y descendaient.

Voici que le Seigneur se tenait près de lui et dit : Je suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l'ouest, à l'est, au nord et au sud. En toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. Vois ! je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que j'aie accompli ce que j'ai dit.

Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria : Vraiment, c'est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas ! Il eut peur et s'écria : Que ce lieu est redoutable ! Il n'est autre que la maison de Dieu, c'est la porte du ciel. Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet. Il appela ce lieu Béthel, c'est-à-dire Maison de Dieu, mais auparavant le nom de la ville était Louz.     Gen. 28, 10-19

Cette nuit-là, Jacob se leva, il prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabboq. Il leur fit traverser le torrent et il fit passer aussi tout ce qui lui appartenait. Jacob resta seul. Or quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. L'homme, voyant qu'il ne pouvait pas le vaincre, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat. L'homme dit : Lâche-moi, car l'aurore est levée. Jacob répondit : Je ne te lâcherai que si tu me bénis. L'homme lui demanda : Quel est ton nom ? - Je m'appelle Jacob. - On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, parce que tu as lutté contre Dieu comme on lutte contre les hommes, et tu as vaincu. Jacob lui fit cette demande : Révèle-moi ton nom, je t'en prie. Il répondit : Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Et à cet endroit, il le bénit. Jacob appela ce lieu Penouël, ce qui signifie : Face de Dieu, car il disait : J'ai vu Dieu face à face, et j'ai eu la vie sauve. Au lever du soleil, il traversa le torrent à Penouël. Il resta boiteux de la hanche.     Gen. 32, 23-32

Jacob, revenant de la plaine d'Aram, arriva sain et sauf à la ville de Sichem au pays de Canaan et il campa devant la ville. Pour cent pièces d'argent, il acquit de la main des fils de Hamor, père de Sichem, une parcelle de champ où il avait planté sa tente.    Gen. 33, 18-19

Le songe de Jacob et son combat avec Dieu sont deux récits qui nous permettent de découvrir que Dieu lui-même n'est pas étranger à notre monde. Même l'homme de l'Ancien Testament éprouvait cette présence de Dieu à ses côtés. Dieu habite parmi les hommes. C'est le sens du terme "bethel". Dieu a dressé sa tente parmi les hommes, il les accompagne au long de leur vie.

La présence de Dieu n'est pas de tout repos pour le croyant : Dieu n'est pas, il n'a jamais été la solution toute faite à tous les problèmes que l'homme peut se poser au cours de son existence : "J'ai été un homme, disait GOETHE, c'est-à-dire un lutteur". Le croyant également se trouve ainsi défini comme un lutteur, et celui contre qui il lutte, c'est Dieu lui-même.