Le salut apporté en Jésus-Christ

 

La foi nous conduit à penser que le Royaume prêché par Jésus n'est ni le chaos ni le moindre mal. Jésus dit qu'il y a une alternative à ce mal mortel qu'est la peur de l'autre et l'agressivité qu'elle engendre. Pour cela, il parle d'abord de Dieu, et il le révèle comme autre, différent des images que les hommes en donnent. Dieu est Trois, Trinité, Père, Fils, Esprit. Ces trois sont différents l'un de l'autre, sont des personnes pleines et entières. Leur unité parfaite, qui fait que l'on peut parler d'un seul Dieu, ne résulte pas d'une réussite totale de l'équilibre des forces sociales que les hommes recherchent en vain, mais de ce que Dieu est amour. C'est l'amour et non les rapports de force qui cimente l'unité divine. L'amour apparaît ainsi comme l'opposé des forces que la société humaine met en oeuvre pour la réussite de sa cohésion.

Par là, le mal nous est présenté non plus comme la menace que l'autre fait peser sur nous parce qu'il est différent, mais comme ce qui en nous le fait considérer comme une menace et nous pousse à le dominer ou à l'effacer. Tourner le dos au mal, ce n'est plus renoncer à être soi-même, mais au contraire libérer ce qu'il y a de plus fort, de plus authentiquement humain en nous, pour aimer l'autre par un acte de volonté qui supplée aux faiblesses de l'instinct.

L'amour dont Jésus parle, ce n'est évidemment pas ce que ce mot évoque pour nous, un sentiment, un acte sexuel ou une manifestation de bienfaisance. C'est un courant puissant qui non seulement permet de tolérer l'autre, mais conduit à l'accepter comme autre. L'amour est donc à la source d'une contre-société comme la force est à la source de nos sociétés.

A travers cette prédication du Royaume comme contre-société, Jésus appelle bien à une conversion, littéralement à une sorte de demi-tour. Il nous faut tourner le dos à ce que l'instinct nous conseille et vivre une relation à tout autre, dynamique, libératrice, proche de la vie vraie, celle du Dieu Trinité.

Il faudrait revoir avec cette clé toute la prédication évangélique. On peut évoquer rapidement, le choix de la pauvreté par Jésus, ce qui, pour nous, qui ne cherchons que l'enrichissement, est assez choquant. Mais cette pauvreté est peut-être moins le renoncement à l'argent qu'à la puissance qu'il confère.

En présentant de cette manière le Royaume de Dieu, Jésus inquiète la société juive dont il menace le fondement. Nous réagirions nous-mêmes comme les chefs des Juifs devant un homme nous proposait une alternative aussi radicale qui pour nous est le chaos, devant un homme qui nous affirmerait que la loi est détestable, parce qu'elle n'est là qu'à cause de la dureté de notre coeur.

Pour exorciser la menace que Jésus fait peser, il est donc tué. S'offrant aux coups pour désarmer la force, il e"t pris au mot et devient une victime de la force. Ses disciples apeurés se dispersent, sa prédication est vaine. La contre-société du Royaume demande trop à l'homme et doit être mise au rang des utopies. Le mal reste bien une fatalité dont il faut s'accommoder, faute de pouvoir s'en libérer.

L'événement qui inaugure et fonde le Royaume, c'est la résurrection bientôt suivie de l'effusion de l'Esprit à la Pentecôte. Notre identité de chrétien découle de notre foi en cet événement. Désormais, le germe du Royaume est planté dans notre histoire. Ce germe, c'est l'Église constamment convoquée par l'Esprit-Saint.

L'Église est donc ou devrait être le modèle de la contre-société. Par nature, elle est égalitaire et communautaire sur le modèle de la Trinité.

Depuis la résurrection de Jésus, toute l'histoire devient affrontement entre société et Royaume, entre force et amour, entre animal et humain, entre nature et surnature. Dans le monde, mais pas du monde, l'Église est au coeur de cet affrontement.

Gabriel Marc, Passion pour l'essentiel, 1976