Les disciples se mettent en marche

Ils proclament la résurrection de Jésus

 

Le livre des Actes des apôtres présente la vie des premières communautés chrétiennes jusqu'au moment de la mort de Pierre et de Paul. Au début, et pendant longtemps, les disciples (qui ne prendront le nom de chrétiens que quelques années après la résurrection) apparaissent comme une secte à l'intérieur du Judaïsme : Pierre et Jean vont prier au Temple, Paul prêche dans les synagogues, il va au temple pour accomplir un voeu... Il y a certainement des divergences dans la doctrine, mais les pratiques restent les mêmes. Le rejet va commencer quand les Hellénistes (des croyants de la Dispersion établis à Jérusalem, mais parlant le grec et non l'araméen) vont mettre en question la vénération du Temple et les sacrifices sanglants.

Le fossé se creusera encore davantage quand l'Église accueillera des païens parmi ses membres, notamment au moment du Concile de Jérusalem, vers 48-49.

Il est important de constater que les premières communautés s'attachent d'abord à vivre selon l'Évangile avant de rédiger des textes. Les disciples, à la lumière de la résurrection de Jésus, vivent, prêchent, enseignent et célèbrent. Église est l'assemblée de ceux qui ont entendu la Parole de Dieu et qui se réunissent au nom de Jésus, Christ et Seigneur, animés par l'Esprit. Trois aspects caractérisent cette Église :

- les disciples sont assidus à l'enseignement des apôtres. Dans la catéchèse aux nouveaux convertis, on interprète les Écritures à la lumière du Christ ressuscité, on se rappelle les actes et les paroles de Jésus pour y trouver une règle de vie.

- les disciples sont assidus à la communion fraternelle, une communion des coeurs qui se traduit par le partage des biens : il n'y a plus de pauvres parmi les disciples, car tous les biens sont à la disposition de tous.

- les disciples sont assidus à la fraction du pain, c'est-à-dire à l'eucharistie, et aux prières. Ils prient au temple ou dans leurs maisons...

Nous nous attarderons d'abord sur la prédication des apôtres, particulièrement sur l'annonce de la résurrection, avant d'analyser la vie des premiers chrétiens.

 

Le plus ancien Credo

Paul le cite dans la lettre qu'il écrit aux Corinthiens vers Pâques 57; il leur rappelle Évangile qu'il leur a annoncé vers 50-51 et il cite ce Credo, en utilisant le vocabulaire technique indiquant, chez les rabbins, la transmission de traditions : recevoir.-. transmettre... Quand Paul l'a-t-il reçu ? Lors de son séjour à Antioche, vers 40-42, ou déjà au moment de son baptême par Ananie, à Damas, vers 36 ? En tout cas, ce texte (1 Co 15, 1-11) nous rapproche bien près de l'événement pascal.

1 Je vous rappelle, frères, Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés

2 et par lequel vous serez sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé : autrement vous auriez cru en vain.

3 Je vous ai transmis, en premier lieu, ce que j'avais moi-même reçu : Christ mourut (aoriste) pour nos péchés, selon les Écritures

4 Il fut enseveli (aoriste) Il est ressuscité (parfait) le troisième jour, selon les Écritures

5 Il apparut à Céphas, puis aux Douze... (aoriste)

8 En tout dernier lieu, il est aussi apparu à moi, l'avorton.

9 Car je suis le plus petit des apôtres...

11 Bref, que ce soit moi, que ce soit eux, voilà ce que nous proclamons et voilà ce que vous avez cru.

Retenons quatre affirmations de ce Credo.

- Le Christ mourut 

C'est l'affirmation d'un fait connu de tous. Il s'agit d'un acte, qui a eu lieu, une fois, dans le passé (sens d'un verbe en grec quand il est à l'aoriste).

Pour nos péchés, selon les Écritures : il s'agit là d'une interprétation théologique. Grâce surtout à la méditation du chant du Serviteur souffrant (Is 53), on sait que Jésus n'est pas mort à cause de ses fautes : c'était nos péchés qu'il portait ; il s'est offert en expiation.

- Il fut mis au tombeau. 

Le tombeau n'intervient pas ici comme preuve de la résurrection, mais comme preuve que Jésus était bien mort (Ac 13, 29). Le verbe est à l'aoriste : on s'intéresse donc à l'acte même de l'ensevelissement et non à la suite (un parfait aurai indiqué que Jésus a été enseveli et y est toujours).

- Il est ressuscité

ou il a été ressuscité et il le demeure. Le verbe est au passif : ce n'est pas Jésus qui s'est ressuscité. (On ne trouve une telle affirmation que dans quelques rares textes de Jean, par exemple : j'ai le pouvoir de déposer ma vie et de la reprendre, Jn 10, 18). Souvent, dans l'Écriture, quand un verbe est au passif, le sujet de l'action est Dieu qu'on évite de nommer, par respect. D'autres textes le diront explicitement : Dieu a ressuscité Jésus.

Le verbe est ici au parfait : le parfait indique, en grec le résultat présent et durable d'un acte passé ; on peut le traduire aussi bien par un présent, mais avec cette nuance que la situation présente n'existe pas depuis toujours, mais qu'elle est le résultat d'un acte passé C'est le seul verbe au parfait dans ce Credo : au milieu des divers événements contingents qui ont lieu dans un instant du temps et se terminent avec lui, un seul dure dans son résultat : Jésus est vivant parce que Dieu l'a ressuscité.

- Il apparut. 

Paul y insiste en citant de nombreux témoins. Le verbe est à l'aoriste : il s'agit donc d'actes précis dans le temps.

La forme verbale du verbe "voir" utilisée ici (ophté) correspond, dans la traduction grecque de l'Ancien Testament, à un mode du verbe hébreu, mode qui a un sens précis : il ne s'agit pas d'un passif (il a été vu) mais de l'acte de se présenter ou de se montrer à quelqu'un : il se fit voir. L'insistance est sur l'initiative de celui qui se présente. Un texte du philosophe juif Philon, à la même époque, le montre bien : ce n'est pas Abraham qui a vu Dieu, mais c'est Dieu qui s'est fait voir à Abraham. L'essentiel est de ne pas nous laisser enfermer dans le dilemme : vision intérieure ou extérieure aux disciples. Il s'agit d'une expérience unique en son genre, où Jésus s'est imposé à la foi de ses disciples comme vivant, d'une vie nouvelle, par delà la mort.

 

Le christianisme est d'abord une rencontre personnelle du ressuscité, une reconnaissance du Dieu qui s'est livré à nous pour nous libérer de la mort... Ce n'est pas seulement l'humanité du Christ qui meurt sur la croix. Mais une personne divine. Par là même, il consume la mort et toutes les situations de mort dans notre existence. Ici éclate le sens dé Pâques... Le Christ a laissé entrer en lui toute la détresse du monde, toute la tragédie de l'histoire. Il laisse entrer en lui la mort et l'enfer pour les brûler dans le gouffre de feu de sa divinité. Le diable, l'enfer et la mort croient engloutir un homme et ils sont engloutis par Dieu. La mort de Dieu sur la croix s'identifie à la vie. C'est le chant de Pâques : " à ceux qui vivent dans les tombeaux, il a donné la vie ". Toutes les réalités humaines et cosmiques sont transfigurées, Le monde entier est devenu le corps du Christ. Tissé de notre chair, de notre existence la plus concrète, de toute la chair de la terre.

Olivier Clément, Revue Panorama aujourd'hui,janvier 1971