Le message de Paul dans ses lettres

 

Paul a la réputation d'être un auteur difficile. Et c'est vrai. Mais il est tellement attachant ! A travers ses lettres, il se révèle tel qu'il est, un saint bourré de défauts : il parle tout le temps de lui ; affectif, il a besoin d'avoir auprès de lui des amis fidèles ; intégriste dans le judaïsme, il garde, devenu chrétien, son caractère entier et bien des collègues ou des fidèles l'apprendront à leurs dépens : Pierre (Je lui résistais en face parce qu'il ne marchait pas droit ! Ga 2,11), Barnabé qui veut emmener en mission son jeune cousin Jean-Marc dont Paul ne veut pas (On s'échauffa tellement, écrit Luc, qu'on se sépara ! Ac 15,39), les Corinthiens à qui Paul propose de venir rétablir l'ordre chez eux à coups de trique (1 Co 4,21 ; voir 11,16)... Et en même temps un être tout donné à sa mission, pour qui seul compte l'amour de son Seigneur et le service de ses communautés, de ses fils très chers pour qui il se sent des entrailles de mère...

Bien des passages de ses lettres nous paraissent obscurs (et déjà à l'auteur de 2 P 3,16). Nous ne nous y attarderons pas : vous pourrez y revenir plus tard. Nous essayerons, surtout de découvrir les grands traits de sa théologie et lirons quelques-uns de ces passages merveilleux où l'on découvre la foi chrétienne dans sa première jeunesse, où l'on perçoit aussi, à travers Paul, ce que peut faire la grâce de Dieu dans un coeur d'homme.

La vie de Paul se divise en deux parties à peu près égales : pendant trente ans (né, peut-être, vers 5 de notre ère, il a son chemin de Damas vers 36), il est pharisien ; puis pendant trente ans (il meurt martyr à Rome, sans doute en 67), devenu chrétien, il est ce missionnaire infatigable qui fonde des communautés dans tout le bassin méditerranéen et écrit à ses chrétiens.

Paul pharisien

Né à Tarse, capitale de la Cilicie, en Asie Mineure, une ville universitaire de plus de 300000 habitants peut-être, Paul est au carrefour de deux civilisations. Juif, pharisien, il étudie à Jérusalem près d'un des plus grands rabbis de l'heure, Gamaliel (voir Ac 22,3 et 5,37). Il était de retour à Tarse pendant les années de prédication de Jésus qu'il ne semble pas avoir connu. Il a appris (chez ses parents ?) a tisser cette rude étoffe faite de poils de chèvre, le cilice, qui tire son nom de la Cilicie. Sans doute était-il rabbin et donc marié.

Mais en même temps, il a reçu de ses parents le titre de citoyen romain dont il fera parfois usage avec fierté (Ac 22,25-28). Il a sans doute fréquenté l'université dont il utilise les procédés littéraires et il cite à l'occasion des poètes (Ac 17,28). Son double nom, Saul (nom juif) et Paulos (nom grec} indique son appartenance à ces deux civilisations.

Pharisien sincère, Paul alors n'a qu'une passion : servir Dieu en pratiquant minutieusement la Loi. " Ma vie, c'est la Loi " pouvait-il dire. Quand il revient à Jérusalem, vers 36, il est affolé de la prédication de Pierre et des autres. Parce qu'il est théologien, il perçoit mieux que Pierre sans doute que les discours des apôtres risquent de bouleverser le judaïsme : ils mettent ce Jésus, pourtant à juste titre condamné comme blasphémateur par les autorités, sur le même plan que Dieu. Pharisien intransigeant quand il s'agit de la pureté de la foi, il est décidé à combattre cette nouvelle secte, il approuve la mort d'Etienne et il part à Damas pour y pourchasser les disciples d'Etienne qui y ont trouvé refuge.

Sur le chemin de Damas

Le Seigneur glorifié qui lui apparaît, c'est le maudit de la croix : toute la théologie de Paul tient dans ce renversement. Jésus avait été condamné par la Loi dont les autorités religieuses étaient les garants, il était maudit de Dieu qui n'avait rien fait pour le délivrer, comme il est écrit : Maudit (par Dieu) celui qui pend sur le bois (Dt 21,23 ; cf. Ga 3,13). Or Dieu a glorifié ce " maudit " ! C'est donc qu'il se déclare d'accord avec lui. Et la Loi qui l'a condamné est donc elle-même condamnée par Dieu ! La Loi n'est plus rien. Pour Paul, c'est le sens même de sa vie qui s'écroule... Et l'on comprend qu'il reste trois jours prostré, aveugle, à Damas, à faire le bilan de tout ce qui est par terre. Mais dans ce grand vide douloureux, Jésus s'est installé. Désormais, Paul dira : " Ma vie, c'est le Christ. "

Toute sa théologie est en germe ici comme une intuition qu'il mettra une vie entière à inventorier. Nous allons en repérer quelques points forts.

Justifié par la foi. 

Pharisien, Paul croyait être justifié par sa pratique loyale de la Loi: il pensait que tout ce qu'il faisait, ses efforts, ses oeuvres, comme il dit, le rendaient juste devant Dieu. Ici, il découvre que seul le Christ peut rendre juste. Il ne s'agit donc pas de faire son salut, mais de le recevoir gratuitement, de la main de Dieu, par la foi.

En croyant en Dieu, en adhérant de tout son être au Christ, en lui faisant totalement confiance, on est sauvé par lui, rendu juste. Cela ne veut évidemment pas dire qu'il suffit de croire et de se conduire n'importe comment. Si l'on croit, si l'on aime, on essaie de vivre en conséquence ; mais les oeuvres qu'on fait alors ne sont pas accomplies pour forcer l'autre à nous aimer, mais parce qu'on se sait aimé.

La grâce de Dieu devient un mot-clé de la théologie de Paul. Il découvre qu'il est aimé par Dieu, gratuitement, miséricordieusement. Dieu ne nous aime pas parce que nous sommes bien, mais pour que nous le devenions. Et c'est là la source de la joie et de la sécurité de Paul et du croyant qui ne s'appuient pas sur ce qu'ils font ou ce qu'ils sont (ce serait souvent démoralisant !) mais sur l'amour de Dieu qui, lui, est fidèle.

Jésus-Christ crucifié. Le maudit de la croix glorifié... 

Paul cherche à comprendre: si Dieu le glorifie, c'est que cette mort entrait dans son projet; il faut donc relire les Écritures, et les poèmes du Serviteur souffrant, notamment, lui apportent une réponse : Jésus n'a pas été condamné à cause de ses péchés à lui, mais il était broyé à cause de nos péchés et dans ses plaies se trouvait notre guérison (Is 53,4-5). La croix, toujours illuminée par la résurrection, sera désormais au coeur de la théologie de Paul.

C'est là, aux pieds du Crucifié, qu'il se découvre pécheur, mais pécheur gracié. Ruminer ses péchés ne peut conduire qu'au remords stérile ; c'est sur le visage des autres qu'on perçoit son péché, dans le mal qu'on leur a fait. Paul le voit dans le torture de la croix. Mais ce qu'il y voit avant tout, c'est le pardon. La prise de conscience de notre péché est désormais action de grâces à Dieu qui nous en purifie par Jésus-Christ.

L’Église corps du Christ. 

Pourquoi me persécutes-tu? demande Jésus à celui qui persécute des chrétiens... Paul perçoit là l'union intime entre Jésus et ses disciples: ils forment un seul corps, Église Voilà désormais le fondement de la morale de Paul : par la foi et le baptême, vous avez revêtu le Christ, vous êtes devenus son corps, vivez donc en conséquence.

Apôtre de Jésus-Christ. 

Nous ne pouvons pas ne pas parler, disaient les apôtres. Quand on se découvre aimé d'un tel amour et que cela devient le sens même de sa vie, on ne peut pas ne pas avoir envie de le faire connaître aux autres. Prêcher Jésus-Christ devient pour Paul une nécessité vitale (1 Co 9,16) et l'annoncer à tous les hommes. Juifs et non-juifs, un besoin d'amour.

Entré dans une tradition. 

Paul avait tout ce qu'il fallait pour devenir un chef de secte : intelligent, passionné, choisi directement par Dieu. Et pourtant, c'est de la main d'Ananie qui ne brille, apparemment, ni par sa science ni par son courage (Ac 3,13), qu'il est baptisé. Sa vocation à Damas, si exceptionnelle qu'elle soit, l'amène à entrer, humblement, dans la tradition de Église Et c'est au moment où il reçoit le baptême de cette Église que ses yeux s'ouvrent.

Il serait faux de croire que Paul a reçu à Damas une théologie toute faite qu'il n'aurait plus ensuite qu'à monnayer. Le Seigneur l'a empoigné alors (Ph 3, 12) ou l'a impressionné. Pour que cette image du Ressuscité se révèle pleinement à lui, il faudra la vie quotidienne avec les différentes communautés dont les questions forceront Paul à approfondir sa connaissance du Christ.