Le sens des miracles dans l'évangile
La foi, condition du Royaume
Jésus
a surtout été connu et reconnu comme un guérisseur. Sa réputation
d'accomplir des miracles était grande et le précédait de ville en ville.
C'est parce qu'il guérissait malades et infirmes que Jésus a connu une vaste
renommée. Les quatre évangiles relatent à son actif un certain nombre de
guérisons. On parle beaucoup des "miracles". Ce mot vient du latin
mirari, s'étonner ; il s'agit donc d'événements extraordinaires. En fait, le
mot miracle ne se trouve pas dans le texte original des évangiles qui utilisent
plutôt les expressions : actes de puissance et signes. Et c'est révélateur !
Que Iecschoua ait accompli des guérisons étonnantes ressort des textes eux-mêmes. Il se peut que l'Église primitive ait attribué à Jésus certains miracles dans un but pédagogique ou apologétique, pour souligner la puissance de son Seigneur et l'annoncer dans le langage familier aux hommes de ce temps. On trouve aussi, au premier siècle, des récits de guérisons opérées par des guérisseurs non-chrétiens, juifs, grecs, dieux païens. Mais il ne s'agit que de quelques rares cas qu'étudient les historiens et les exégètes.
La critique la plus rigoureuse garantit qu'on ne peut gommer à son aise ces récits qui occupent dans nos évangiles une place notable, dans Marc notamment. Il se dégage même un solide noyau historique saisissable. Des traditions nombreuses, constantes et fort bien attestées, assurent que le rabbi galiléen accomplissait des guérisons qui étendaient sa renommée bien au-delà de la Galilée. Sans cela, aurait-il attiré tant de foules, soulevé tant de haine ?
L'homme moderne, il faut l'admettre, répugne au miracle. Le scientifique y voit un fait encore non expliqué par les sciences, l'incroyant prétend que les évangiles sont des légendes sous prétexte que le miracle, événement violant les lois de la nature, est une absurdité. Le chrétien même, tant sa mentalité est imprégnée de rationalisme scientifique, croit parfois en Jésus non à cause de ses miracles, mais malgré eux. Pour beaucoup, les seuls miracles admis de nos jours sont ceux de la science et de l'économie. Ce qui n'empêche pas l'homme de la rue de parler de miracle à tort et à travers : " C'est miracle si j'ai échappé à cet accident... ! "
En fait, qui connaît les constituants ultimes de la matière
et de la vie ? On vient même de découvrir, en 1977, aux USA, une nouvelle
forme de vie, insoupçonnée à ce jour, un organisme de taille microscopique,
baptisé méthanobactérie, qui pourrait être le plus ancien organisme vivant
sur Terre. Nos connaissances ne cessent de s'accroître. Nous avons vu que la
nature était en évolution depuis des milliards d'années, des êtres nouveaux
apparaissant dans cette nature, au cours du temps, qui étaient théoriquement
impossibles, imprévisibles même, parce qu'ils ne préexistaient pas. En
créant les êtres vivants, il y a trois milliards d'années, le créateur ne
violait pas les lois physiques existantes dans l'univers dépourvu de vie. Il
informait du dedans ces lois physiques, la matière, et créait un type nouveau
de réalité.
L'esprit de Beethoven n'était pas précontenu dans les nuées d'hydrogène d'il y a dix milliards d'années. Son apparition eût paru même théoriquement impossible à un observateur éventuel : et pourtant ! Alors, dans une création inachevée, qui peut empêcher le créateur du continuer à inventer des êtres nouveaux qui ne préexistaient pas ou à informer ce qui était déformé.
Jésus, dans ses guérisons appelées miracles, ne violait pas les lois naturelles. Il les rétablissait, au contraire. Ses miracles étaient des régénérations : il avait le pouvoir de régénérer ce qui était malade, de réinformer du dedans ce qui était déformé, de rétablir les lois physiologiques abîmées ; il réorganisait ce qui avait été désorganisé par la maladie. Cela ne se voit pas tous les jours, certes, mais nous n'avons pas le droit de dire, a priori, que c'est impossible. Qui peut empêcher le créateur de donner à la matière désorganisée une information nouvelle, par l'intermédiaire de Jésus ?
En réalité, les miracles évangéliques sont moins des actions d'éclat que des signes. Ils sont d'abord un enseignement, un langage, un message ; les actes de puissance de Ieschoua sont des paraboles en acte. Jésus, pédagogue, les utilise pour compléter et confirmer ses discours. Ils ont pour but de révéler ce qu'est le royaume de Dieu et qui est celui qui le révèle.
Signes de la venue du Royaume : les miracles de Jésus
veulent signifier toute la tendresse de Dieu pour l'homme, la puissance de son
amour. Par Jésus, Dieu vient apporter un salut concret touchant les besoins
fondamentaux des êtres humains : santé, faim, soif de bonheur. Le royaume est
bonne nouvelle pour les plus pauvres : les lépreux, les paralytiques, les
boiteux, par exemple, qui étaient les exclus de la société civile et
religieuse du temps. Ieschoua leur redonne la santé, le goût de vivre, une
dignité nouvelle.
Signes de reconnaissance : les actes de puissance des évangiles ont pour but également de dire aux foules qui est Jésus. Ils sont des signes de reconnaissance de cet exceptionnel envoyé de Dieu. Ils peuvent le faire reconnaître comme " celui qui devait venir ". Ils sont signes de sa tendresse envers ceux qui souffrent. Ils l'accréditent comme libérateur du mal profond de l'homme, le péché, puisqu'il lui est tout aussi facile de pardonner les péchés que de guérir de la paralysie l'infirme de Capharnaüm.
Signes de victoire sur le mal : en effet, derrière le mal,
le péché, les Synoptiques voient un adversaire redoutable de Dieu et des
hommes qui a nom Satan. Jésus est celui qui vient briser son pouvoir avec la
toute puissance de Dieu. Il l'affronte personnellement pour le vaincre, Un
certain nombre de guérisons sont, en fait, perçues par les contemporains comme
des exorcismes. Il ne faut pas oublier qu'en ce temps-là des maladies de tout
genre étaient imputées aux démons, particulièrement les diverses formes de
maladies mentales. En utilisant le langage et les idées du temps, les
évangélistes représentent ces maladies mentales comme des possessions
diaboliques. Ce qui ne veut pas dire que Jésus ne se soit pas trouvé parfois
en présence de véritables cas de possession. En tout cas, Ieschoua est celui
qui agit dans ce monde asservi par Satan, chef des démons, avec la toute
puissance de Dieu pour ouvrir une brèche dans la toute puissance du mal. Ses
exorcismes et ses guérisons manifestent qu'il est celui qui vient de la part du
Très-Haut mettre l'homme en route vers une libération complète du mal
physique et moral.
Appels à la conversion et à la foi : Jésus donne également un sens nouveau au langage des miracles. Enseignement, ils sont aussi des appels lancés à la liberté de l'homme pour se convenir et pour croire : "Convertissez-vous et croyez à l'Évangile". Ils invitent à un retournement radical de tout l'être vers le Dieu vivant. Ils appellent à la foi en Jésus ou ils confirment une foi déjà existante. Le rabbi veut amener ses auditeurs à croire que, par lui, le royaume de Dieu est en train d'arriver. Il est significatif que Jésus ait refusé tout acte de puissance là où il ne trouvait pas un minimum de confiance en lui. Soit dit en passant, le fait que Ieschoua n'ait pas voulu faire de miracles en certaines circonstances, quand les gens doutaient de lui ou lui étaient hostiles, est la meilleure preuve qu'il en a effectivement opérés par ailleurs.
Jacques Lebreton est grièvement blessé en 1942 par l'explosion d'une grenade qui l'a laissé " sans yeux et sans mains ". Après s'être révolté contre son sort il connaît un temps la perte de la foi. Mais il refait surface car il découvre que Quelqu'un porte avec lui son mal.
Oui, Dieu est venu en moi
Et avec moi il a été aveugle et sans mains.
Avec moi il a porté ma souffrance
Et mon fardeau est devenu léger.
Et j'ai trouvé la joie.
stupéfiant paradoxe. Je perds mes yeux et mes mains
Et je découvre la Joie.
Je lui ai donné toute ma tristesse
Et il m'a donne toute sa joie
La grande infirmité
c'est de ne plus aimer ou de n'être plus aimé.
Jacques Lebreton,
Sans yeux et sans mains, Les Forces de l'Amour, S.O.S. 1976.
Dieu n'est pas juste !
Dieu n'est pas juste !
Il fait briller son soleil
sur les incroyants comme sur les croyants.
Dieu n'est pas juste !
Il donne un festin au fils prodigue
et ne fait rien de plus pour le " fidèle ".
Dieu n'est pas juste !
L'ouvrier de la " onzième heure " (17 heures)
reçoit le même salaire
que celui qui embauche à 9 heures.
Dieu n'est pas juste !
Il réprouve celui qui,
sans le faire fructifier, remet
le " talent " qu'il avait reçu.
Dieu n'est pas juste !
Il délaisse quatre vint dix-neuf fidèles
pour courir après un seul égaré.
Dieu n'est pas juste !
Il ouvre son ciel aux prostituées,
il fait entrer le voleur le premier.
Dieu n'est pas juste !
Il se détourne d'un pratiquant de la loi
pour accueillir un non pratiquant.
Dieu n'est pas juste !
à mon égard...
il oublie mes infidélités
et ne se souvient que de mon amour...
Dieu n'est pas juste...
à notre façon...
heureusement !
L'homme d'aujourd'hui et le miracle
Les miracles nous gênent. A une époque, on a cru à cause d'eux ; aujourd'hui, on croirait plutôt malgré eux! Mais peut-être est-ce seulement parce que nous nous en faisons une fausse idée. Reprenons quelques points.
Le miracle est un signe. Le poteau indicateur sur le bord de la route a une réalité (fer, ciment), une forme (rond, triangle) ; celles-ci peuvent varier, cela n'a pas d'importance, l'essentiel est le message qu'il livre : annoncer un virage, un croisement. De même, le miracle a une réalité historique : un fait qui sort assez de l'ordinaire pour qu'on le remarque. Mais l'essentiel est son message, ce qu'il annonce. Que dit-il ?
Le miracle n'est signe que pour le croyant. Un cadeau entre
amis n'est "cadeau" que parce que, déjà, ils sont amis ; l'objet
donné dans la rue par un inconnu n'est pas un signe, mais une question. Pour
connaître, dans un fait donné, un " miracle ", il faut déjà avoir
la foi. Le Bureau médical de Lourdes, composé de médecins croyants et
incroyants, déclare seulement : Telle guérison est inexplicable par la
science. Le croyant pourra ensuite, s'il le veut, y voir un "miracle".
Et pour cela, il faut que l'événement se passe dans un certain contexte, il
doit être en rapport avec d'autres faits, avec des paroles. Lourdes est d'abord
un lieu de prière, et c'est dans ce contexte que des guérisons peuvent prendre
sens.
Les miracles de Jésus sont toujours liés à son enseignement. Pour l'incroyant, le miracle est une question, jamais une "preuve". Si j'ignore le code de la route, cet objet étrange sur l'accotement me pose question ; mais il ne me sert à rien de l'examiner ; je dois me renseigner près de quelqu'un qui est au courant. Celui-ci me donne la signification et c'est celle que j'admets. De même, un fait inexpliqué peut faire poser à l'incroyant la question : Qu'est-ce que c'est ? Le croyant peut alors lui donner son interprétation : C'est un signe de mon Dieu. L'incroyant acceptera cette interprétation en devenant croyant, ou il la refusera, en cherchant une autre explication. Le miracle n'est pas une "preuve" ; on ne se convertit pas à cause du miracle - celui-ci ouvre seulement une interrogation - mais à cause du sens transmis par des croyants.
Le miracle est un signe relatif à une époque. Des faits peuvent être " extraordinaires " à une époque et ne plus l'être à une autre. Le Bureau médical de Lourdes déclare : Telle guérison est inexplicable actuellement par la science. Elle pourra le devenir un jour. Peu importe. Si le miracle était une preuve, ce serait malhonnête de la part de Dieu de profiter de notre ignorance pour nous "avoir", comme un missionnaire qui prouverait Dieu en faisant marcher un magnétophone. Si c'est un signe, peu importe le support : on s'engage sur une doctrine et non sur un prodige. Certains miracles de Jésus nous paraîtraient peut-être explicables aujourd'hui. Mais c'est une fausse piste que de chercher à reconstituer "ce qui s'est passé". Prenons un exemple : un noir animiste m'annonce : Les dieux sont en colère ; ils crachent le feu sur la montagne ! Il me donne là son interprétation de croyant. Mais quel est le fait ? Si j'ignore tout du pays, je sais qu'il y a eu quelque chose, mais je suis incapable de dire s'il s'agit d'une éruption volcanique, d'un feu de forêt ou d'un orage.
A l'époque de Jésus, le "miracle" était courant chez les Juifs, et les grands sanctuaires miraculeux grecs, comme Pergame ou Epidaure, avec leurs ex-voto et leurs hôpitaux étaient aussi importants que Lourdes. Jésus n'aurait pas été un homme religieux de son temps s'il n'avait pas fait de miracles. L'essentiel n'est sans doute pas de vérifier l'historicité de tel miracle, mais de voir ce qui, aujourd'hui, peut être "miracle" pour nos contemporains.
Et l'"extraordinaire" s'est déplacé. Il est peut-être moins du domaine matériel - la science nous a appris qu'on peut (qu'on pourra ?) tout expliquer - que du domaine spirituel : ce pourra être, par exemple, un geste de pardon. Dans un monde dur, violent, de lutte pour la vie, le geste gratuit - et encore plus celui du pardon - devient extraordinaire et peut amener l'incroyant à poser la question : Pourquoi fais-tu cela ?
Les récits de miracle de la Bible devraient nous amener moins à poser la question : "Qu'est-ce qui s'est passé ?" que celle-ci : Comment, aujourd'hui, puis-je être "miracle" signe posant question, pour ceux avec qui je vis ? Entre époux, tout devient signe d'amour. La fréquentation de la Bible doit amener le croyant à découvrir que le monde entier est "miracle", signe de la tendresse de Dieu.