Faut-il croire à l'Église ?

 

Le terme d'"église" est un mot emprunté au vocabulaire grec profane pour exprimer un terme hébreu (kahal) signifiant la convocation. Ekklesia avait donc deux sens : d'abord, rassemblement d'hommes sur convocation personnelle, et, ensuite, peuple rassemblé et organisé par cette démarche commune. Ces deux sens conviennent à ce que peut et doit être l’Église de Jésus-Christ, l’Église chrétienne, celle qui peut servir d'exemple, dans le contexte occidental, pour exprimer le double caractère de toute démarche religieuse.

Le chrétien est celui qui répond à une invitation, à un appel de Dieu et qui se retrouve ainsi en Église En ce sens, on ne se rallie pas à l’Église comme on pourrait se rallier à un parti politique, de quelque nature qu'il soit, mais on se rallie à Dieu, en réponse à son appel, par la médiation de l'institution ecclésiale. L’Église n'a donc aucun besoin objectif de faire de la propagande et du recrutement pour accroître sa propre puissance ; elle est simplement un moyen qui permet aux hommes d'exprimer leur relation à Dieu d'une manière visible. Le chrétien fait ainsi partie d'un ensemble, d'un peuple organisé par l'appel de Dieu. L’Église ne se présenterait pas comme une foule anonyme dans laquelle l'homme finirait par éprouver la plus vive solitude, mais elle ressemblerait davantage à un meeting, composé d'hommes et de femmes répondant à une convocation qui leur était adressée personnellement, afin qu'il se rassemblent dans un même mouvement, dans une même communauté. C'est pourquoi l’Église ne cesse d'être une réalité sociale, qui risque de ne pas être toujours bien comprise, comme toutes les réalités humaines et sociales, véhiculant une idéologie qui échappe au contrôle de la raison.

Quand le chrétien proclame qu'il croit à l’Église, il ne fait rien d'autre que de reconnaître cette dimension sociale et donc visible du rassemblement proposé par le Dieu invisible. Mais il sait, dans le même acte de foi, que cette réalité empirique n'a pas sa propre fin en elle-même : l’Église n'est pas un but, elle est appelée à disparaître, lorsque prendra corps ce que le chrétien appelle le Royaume de Dieu, qui a été promis par le Christ. L’Église est, en quelque sorte, un relais entre un ensemble indifférencié d'hommes vivant dans le monde présent et une réalité toute spirituelle, qui ne peut être définie actuellement, mais dont il est possible, pour le croyant, de percevoir certaines prémices. Il est alors évident que l’Église ne peut s'enfermer dans une dimension purement sociale, comme un groupe politique, comme une force culturelle ou comme un témoin du passé... Elle est, avant tout et par-dessus tout une communauté de foi : elle doit donc, sans relâche, lutter contre elle-même, lutter contre tout ce qui pourrait la faire stagner dans une représentation étriquée d'elle-même, elle doit se réformer pour attester qu'elle accompagne l'homme dans chacune de ses démarches.

Ainsi, elle prend en quelque sorte le relais du Seigneur qui était aux côtés du patriarche Abraham dans ses pérégrinations jusqu'au pays de Mambré, le relais de la Shékina, de la présence divine, manifestée dans une colonne de nuée, qui précédait le peuple d'Israël dans sa marche à travers le désert, depuis la sortie d'Égypte Jusqu'à son installation au pays de Canaan. L’Église succède alors, d'une certaine manière à Jésus qui accompagnait ses disciples, d'une manière visible, sur les routes de Palestine, ou d'une manière invisible par son Esprit, depuis sa résurrection d'entre les morts, le matin de Pâques.

L'ambivalence "objectivité-subjectivité" dans le domaine du sentiment religieux se retrouve, d'une certaine manière, dans la conception de l’Église Celle-ci repose sur l'Intériorité de la convocation divine et sur l'extériorité du rassemblement des chrétiens.

Il convient de noter que ces deux aspects de l’Église relèvent d'un même dynamisme, celui de l'Esprit-Saint, dont l’Église est une manifestation concrète. Il revient donc à cette dernière de se soumettre à l'action dynamique de l'Esprit de Dieu qui "souffle où il veut", sans que l'organisation juridique de la communauté puisse intervenir d'une manière toujours efficace.

En cela, le christianisme peut se caractériser par une très grande liberté : le chrétien est un homme libre, un homme qui ne peut se laisser enfermer dans une structure aliénante. Cependant, cette dimension de liberté n'est pas spécifique à la foi chrétienne : toute religion a une visée certaine, libérer l'homme des contingences qui peuvent être les siennes dans le moment présent.