LA SACRAMENTALITE CHRETIENNE

 

 

Le Christ a mené une vie d’homme

 

Quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la Loi, pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la Loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs. Fils, vous l’êtes bien : Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! Gal. 4, 4-6.

Dans l’ordre chronologique de la rédaction du Nouveau Testament, la lettre de Paul aux Galates est un des premiers textes : on le situe habituellement vers les années 55-56. C’est donc un texte très proche de l’événement pascal, de la mort et de la résurrection du Seigneur. Évidemment, les traditions évangéliques commencent à prendre corps, mais aucun texte définitif n’est encore rédigé.

La notion de l’accomplissement du temps n’est pas dépourvue d’intérêt, si l’on pense que Marc, disciple de Paul, inaugurera son récit de la prédication de Jésus, en lui faisant dire : Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à l’Évangile (Mc. 1, 15).

A la manière des prophètes de l’Ancien Testament, Jésus est envoyé par Dieu, tout en étant investi d’une mission, celle de la libération de ceux qui sont soumis à la Loi. Paul souligne que le Fils, envoyé par Dieu, est né d’une femme. Être né d’une femme est une expression biblique courante pour marquer la pauvreté de la condition humaine, son impuissance radicale, et parfois même son impureté. L’apôtre veut indiquer, avant toutes choses, que le Christ Jésus s’est inséré dans la condition humaine jusque dans sa faiblesse la plus radicale.

Participant à la condition humaine par sa naissance, le Fils participe aussi à la condition d’un peuple déterminé. Il est soumis à la Loi juive, et le terme d’assujettissement souligne ce caractère de l’asservissement par rapport à cette Loi. Le Fils de Dieu s’est fait homme, un homme comme tous les autres, et de plus il s’est soumis à la Loi d’un peuple repérable historiquement. Par là, Paul indique la manière divine du Fils de vivre comme un homme. Le Fils de Dieu s’est plié à la même servitude, au même esclavage que tous ses frères humains, en vivant une solidarité complète avec eux, avec leur chair, avec leur destin, en toutes choses " à l’exception du péché ", soulignera la lettre aux Hébreux (Héb. 4, 15). Le Christ n’a pas connu le péché, mais il a fait l’expérience de tout ce qui accompagne la condition de l’homme pécheur, c’est-à-dire l’obscurité de la conscience, la limitation de l’intelligence, et surtout l’impression déchirante d’avoir perdu son intimité totale avec Dieu.

Par l’incarnation du Fils, la grandeur de Dieu s’est manifestée dans la faiblesse et la fragilité de l’humanité : le Fils de Dieu s’est fait homme pour que tous les hommes puissent devenir à leur tour " fils " de ce même Dieu. Livré à ses seules forces, l’homme ne pouvait pas connaître la vie de Dieu, alors Dieu lui-même a partagé totalement la vie de l’homme. Et le partage de la condition humaine, le Fils de Dieu l’a manifesté de deux manière : par la parole et par des gestes.

Tout au long de son existence publique, le Christ a montré à ceux qu’il rencontrait qu’il vivait une certaine intimité avec ce Dieu qu’il appelait son Père. Cette intimité, il l’a traduite par des paroles. Son enseignement n’est pas un exposé systématique et théologique sur la nature de Dieu : Jésus n’a pas enseigné la théologie ! Il a simplement souligné des comportements, et il a invité ses disciples à le suivre d’une manière inconditionnelle : Viens, suis-moi !

Au cours de sa vie également, Jésus a multiplié les gestes de miséricorde pour les pécheurs. Ses miracles portaient déjà le signe de la venue du Royaume de Dieu. Aux disciples de Jean-Baptiste qui étaient venus l’interroger, Jésus fait cette réponse : Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (Mc. 11, 4-5).

Les paroles et les gestes de Jésus sont parvenus jusqu’à nous par une double tradition : un tradition scripturaire (le Nouveau Testament) et une tradition gestuelle (les sacrements). Ce serait une erreur de séparer hâtivement les deux sources de la tradition chrétienne. Le message chrétien nous apprend quelque chose de Dieu, non pas d’un Dieu lointain comme peut l’être celui des diverses métaphysiques, mais d’un Dieu qui se fait proche des hommes tout au long d’une histoire : il est le Dieu qui s’est fait connaître à Abraham, Isaac et Jacob, il est le Dieu qui s’est révélé à Moïse sur le mont Sinaï, il est le Dieu-Père de Jésus-Christ. La conception de Dieu, dans le christianisme, est celle d’un Dieu qui non seulement parle aux hommes, mais encore qui agit avec eux, car il a le souci personnel de l’homme. Il s’est engagé par une alliance avec des hommes concrets.

Le salut qui est proposé en Jésus-Christ, la libération de l’assujettissement de la Loi (ce qui constitue l’aspect négatif du salut), notre condition de fils adoptifs (et cela constitue l’aspect positif de ce salut), s’exprime donc à la fois par des paroles et par des gestes. Cela est d’autant plus manifeste que c’est la Parole même de Dieu qui s’est faite chair, ainsi que l’exprime Jean, dans le Prologue du quatrième évangile : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu... En lui était la vie, et la vie était la lumière du monde, et la lumière brille dans les ténèbres... Et le Verbe fut chair, et il a habité parmi nous, nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient de son Père (Jn. 1, 1...14).