Chapitre 1

INVENTAIRE DE LA

SACRAMENTALITE CHRETIENNE

 

Il arrive souvent que des chrétiens fassent une distinction entre la foi et les sacrements. C'est la même opposition que l'on retrouve entre la foi et la religion, entre la vie spirituelle et l'institution ecclésiastique, entre la mission du chrétien et l'appareil gouvernemental de l'Église. Dans tous ces couples, c'est toujours le premier terme qui est privilégié.

Les signes extérieurs, les manifestations visibles de la foi, ne se trouvent plus alors dans les sacrements mais dans la vie chrétienne concrète. C'est la raison pour laquelle, dans la conscience de certains prêtres, il existe parfois une rupture : tout en restant l'homme des sacrements (c'est la manière dont il est le plus perçu dans l'exercice de son ministère), le prêtre essaie plutôt de se définir comme l'homme de la foi, comme le serviteur qui est chargé de l'annonce d'une parole prophétique. Et finalement, il se demande si les sacrements sont encore nécessaires pour la vie chrétienne.

Pour essayer de sauver cette rupture, et pour sauver ainsi et la foi et les sacrements, certains utilisent des formules qui sont issues du dernier Concile : C'est la messe qui est la vie et c'est la vie qui est la messe.

Le Christ est le Sacrement de Dieu

Chez les Pères de Église, le sacrement, ce qu'ils appellent le "mysterium", c'est le Christ. Il n'y a pas d'autre sacrement de Dieu que Jésus-Christ, c'est lui qui est l'expression achevée du salut des hommes. Il est le sacrement de leur salut qu'il exprime en sa propre personne. En lui s'épuise toute la réalité sacramentelle, puisque ses paroles et ses gestes sont totalement adéquats à la libération qu'il apporte, parfaitement adéquats à la filiation qu'il propose. Les actes de salut opérés par l'homme Jésus sont en même temps des actes posés par une personne divine, et ils possèdent ainsi une force divine. Mais comme cette force divine se manifeste sous une forme terrestre, humaine, visible, les actes de salut sont également sacramentels. Le salut, don divin et invisible, se concrétise dans des gestes humains parfaitement repérables. Ainsi, le Christ seul est, à proprement parler Sacrement de Dieu, et c'est lui seul qui agit dans tous les sacrements.

L’Église, sacrement de la présence du Christ

La Constitution dogmatique sur l'Église, Lumen Gentium, lors du concile Vatican II, a établi une analogie entre l'activité de l'Église et la médiation opérée par le Christ Jésus.

Le Christ, unique médiateur, crée et soutient continuellement sur la terre, comme un tout visible, son Église sainte, communauté de foi, d'espérance et de charité, par laquelle il répand, à l'intention de tous, la vérité et la grâce. Cette société organisée hiérarchiquement d'une part et Corps mystique d'autre part, l'assemblée discernable et la communauté spirituelle, l'Église terrestre et l'Église enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d'un double élément, humain et divin.

Autres formes sacramentelles

Si l'on prend le terme de sacrement dans son extension la plus grande, à savoir celle d'une réalité qui manifeste quelque chose de la volonté de salut par Dieu, la sacramentalité peut prendre des dimensions très importantes, dépassant ainsi très largement les sept sacrements classiques dans le catholicisme.

Teilhard de Chardin a manifesté que le cosmos tout entier était sacrement, dans l'Hymne de l'Univers et dans la Messe sur le Monde. Cette dernière se présente comme une messe cosmique où Teilhard contemple le Christ en genèse dès le monde minéral. La caractéristique de cette sacramentalité est d'être immédiatement perceptible, mais la question qui se pose est de savoir où se trouve le peuple chrétien.

Yves Congar parle du sacrement du prochain. Hans Urs von Balthasar parle du sacrement du frère. Edouard Schillebeckx parle du sacrement de l'existence chrétienne... Ce sont naturellement des thèmes chrétiens mais qu'il n'est pas possible d'accaparer au titre de sacrements, pour justifier l'action de tel ou tel mouvement, ou pour justifier n'importe quelle entreprise des chrétiens... Et surtout le danger est grand de "réifier", de transformer en matière concrète la réalité même du sacrement, de localiser le Christ dans tel ou tel acte, dans telle ou telle pratique.

D'autre part, nous sommes facilement tentés de trouver dans l'histoire des hommes une dimension sacramentelle. L'histoire devient ainsi une histoire sainte, mais il existe des simplifications abusives dont il faudrait se méfier. Jean XXIII a parlé de la lecture des signes des temps, mais cette expression s'est parfois dégradée en une mystique de l'événement. Or, un événement ne peut être sacramentel, car nous ne disposons pas des clefs de l'histoire. Tout ce qu'il est possible de faire, c'est une lecture comparée de l'histoire biblique dans laquelle Jésus-Christ a été inséré et une séquence quelconque de notre propre histoire.

Organisation des médiations sacramentelles

Il y a une sorte de concurrence entre tout ce qui précède et les sept sacrements, qui sont alors doublés par de telles médiations. Il importe de réorganiser l'ensemble de l'ordre sacramentel afin de mettre ces différents éléments en place.

Une dimension verticale peut être repérée dans l'exercice de la sacramentalité du Christ et de l'Église qui continue son ministère par les sept sacrements.

Les gestes concrets de ces derniers peuvent être inclus dans une sacramentalité sociale (le frère, le prochain...), celle-ci étant elle-même incorporé dans une sacramentalité cosmique. Et l'ensemble se trouve dynamisé par la dimension historique de la sacramentalité (lecture de l'histoire présente à la lumière de l'histoire biblique).

Le Christ

      L'Église

               Les sept sacrements

  La sacramentalité sociale

                  La sacramentalité cosmique

                                   La sacramentalité historique

Les personnes dans le salut sacramentel

L'Église est constituée de membres consacrés au Seigneur, et ces membres ont une identité spirituelle qui est de nature sacramentelle. Il est possible de noter l'appartenance à l'Église en faisant appel aux deux notions de la grâce et du caractère.

Le caractère, c'est la qualité de membre de l'Église, par exemple : je suis baptisé, je suis prêtre. La grâce exprime la vie du membre de l'Église : j'ai une vie baptismale, j'ai une vie sacerdotale, j'essaye chaque jour de faire l'expérience du don gratuit de Dieu.

On peut avoir le caractère sans avoir la vie de la grâce : des hommes peuvent avoir été baptisés, et donc avoir le caractère du baptisé, la marque d'appartenance au Christ et à son Église, tout en négligeant de mener une vie selon la grâce baptismale. Le caractère ne peut pas s'effacer. Ainsi, dans les premiers temps de l'Église, on ne rebaptisait pas celui qui avait failli à la vie de la grâce. On ne rebaptise pas, parce que c'est le Christ lui-même qui baptise et il ne peut pas défaire ce qu'il a fait.

En revanche, il est possible d'avoir la vie de la grâce sans avoir reçu le caractère. Par exemple, un catéchumène peut mener une vie authentiquement baptismale et chrétienne sans avoir reçu le sacrement du baptême. Il faut quand même le baptiser.

Le Christ est la grâce capitale, il est la source de toute grâce. Mais d'où lui vient cette grâce ? Elle lui vient de son caractère particulier : il intervient dans la vie de la grâce au titre de son identité, de son caractère de Fils de Dieu et de son caractère d'homme. C'est ce qu'on appelle en langage théologique : l'union hypostatique. Tout en étant Dieu et homme, le Christ ne connaît pas un dédoublement de personnalité, il n'y a qu'un seul "je", un seul sujet dans le Christ.

Pour l'Église, si on ne parle que de la grâce, on se fait une idée tronquée de l'Église : elle deviendrait le monopole des parfaits. A quel titre intervient-elle dans la vie sacramentelle et dans l'économie du salut ? Elle intervient au titre de l'Épouse du Christ, purifiée par le bain d'eau qui la rend sainte et qui fait d'elle le peuple de Dieu. Pour comprendre cette notion d'Épouse du Christ, il faut se placer dans le contexte du bain nuptial, dans les religions des premiers siècles de l'ère chrétienne : l'épouse n'appartient plus à sa famille, ni aux dieux de sa famille, mais elle est consacrée à la famille de son époux et à ses dieux. Le bain nuptial est en quelque sorte créateur de l'épouse en tant que telle, c'est ce bain qui la fait exister comme épouse.

Pour le chrétien, la notion de grâce apparaît à cause de son existence d'homme libre : il est l'homme de la grâce, mais il lui est toujours possible de la refuser et d'être pécheur. Tout n'est donc pas dit lorsqu'on définit le chrétien comme l'homme de la grâce. D'ailleurs, celle-ci est commune à tous les hommes, c'est la raison pour laquelle il y a eu des "justes" dans l'Ancien Testament, et qu'il y a encore beaucoup d'hommes qui vivent de la grâce sans pour autant participer à la vie de l'Église L'identité du chrétien doit alors se définir non pas simplement en terme de grâce, mais en termes de participation à l'identité du Christ et à celle de l'Église L'identité du chrétien, c'est de participer au "je" de Jésus-Christ, c'est de participer à l'identité sponsale de l'Église Être chrétien, c'est participer à la vie divine (ce qui constitue l'originalité chrétienne), au titre d'une participation à l'onction royale, sacerdotale et prophétique du Christ.

 

 

Le Christ 

Église 

Le chrétien

grâce    

grâce capitale   

vie sainte des communautés

peuple de Dieu

homme de la grâce

 

d'où vient-il ?

quel est de peuple ?

participant de la nature divine

caractère

Fils par nature

union hypostatique 

Corps du Christ 

Épouse du Christ

caractère conforme à l'image du Christ

 

Heb. 1, 3 

Eph. 5, 25

Ro. 8, 28-30

Thème biblique

l'onction 

le bain nuptial 

le baptême est une onction dans l'Esprit