Chapitre 4

LE CHRIST, SACREMENT DE DIEU

 

Dans la pensée des Pères de l’Église, Jésus-Christ est le seul et unique sacrement de Dieu. Quand ils parlent de lui, c’est naturellement à l’humanité concrète de Jésus de Nazareth qu’ils se réfèrent. C’est dans son humanité particulière que Jésus est la manifestation primordiale de la révélation du mystère de Dieu. C’est par lui et par la révélation qu’il apporte que toutes les manifestations de salut prennent leur sens.

L’événement de l’incarnation est sans conteste pour eux le plus grand sacrement, le seul sacrement chrétien. En dehors de lui, il n’y a pas d’autre mystère à strictement parler. Aucune autre réalité de l’existence humaine, ou même de l’histoire, ne peut être comparée à cette intervention unique de Dieu dans le monde des hommes.

Qui est donc ce Jésus ?

Les théologiens et les évêques, réunis en concile à Chalcédoine, ont essayé de pénétrer le mystère de Jésus-Christ, fils de Dieu et pleinement homme. Ils ont parlé d’une seule personne en deux natures. C’est la théorie de l’union hypostatique : le Christ est à la fois Dieu et homme, il est homme d’une manière divine et il est Dieu d’une manière humaine.

Ce qu’il importait de connaître pour ces pasteurs du milieu du cinquième siècle, c’était la personnalité même du Christ. Des erreurs théologiques voyaient le jour, comme le monophysisme qui enseignait qu’avant leur union dans l’incarnation la divinité et l’humanité étaient séparées, et qu’unies elles formaient une seule nature nouvelle. Ou encore, Eutychès (378-454), moine pieux mais médiocre théologien, affirmait que la chair du Christ n’était pas la même que celle des autres hommes. Dans une lettre, en date du 13 juin 449, le pape Léon le Grand expose le dogme de l’incarnation à Flavien de Constantinople, et c’est cette lettre qui inspirera le concile de Chalcédoine (8 octobre - début novembre 451).

A la suite des saints Pères, nous enseignons donc tous unanimement à confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous, sauf le péché... Il n’est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais il est un seul et même Fils unique, Dieu, Verbe, Seigneur Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes nous l’ont enseigné de lui, comme lui-même Jésus-Christ nous l’a enseigné, comme le Symbole des Pères nous l’a fait connaître...

Quand Dieu se manifeste aux hommes pour dévoiler son mystère et son identité, il ne peut disposer que des moyens accessibles à l’homme. Pour se dévoiler, Dieu est, en quelque sorte, contraint de se voiler à travers les signes mêmes de sa création, et particulièrement par l’homme. La révélation de Dieu atteint alors son point culminant dans la réalité de l’homme Jésus, par sa parole et par ses actes, et particulièrement par sa mort et sa résurrection. Tous les actes de la vie de Jésus prennent leur sens dans l’événement terminal de son existence humaine. Ces actes sont la force divine de salut qui s’opère pour tous les hommes qu’il rencontre. Dans leur rencontre avec Jésus de Nazareth, les hommes, à commencer par ceux qui furent ses disciples, ont pu saisir, dans la corporéité même de cet homme Jésus, quelque chose de Dieu que nul oeil n’a jamais vu. Et c’est ainsi que Jean peut écrire :

Ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, car la vie s’est manifestée, et nous avons vu, et nous rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui s’est manifestée à nous. Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ.        1 Jn. 1, 1-3

C’est le lien étroit entre la parole de Jésus et de ses actes qui fait de lui le sacrement de la présence de Dieu au milieu des hommes. Et cela n’a pu être reconnu par les hommes que parce que cela fut effectivement reconnu par le Père qui a exalté ce Jésus que les hommes avaient crucifié. Il s’agit d’une réalité que nous ne pouvons percevoir que par la foi, de même que les disciples immédiats de Jésus n’ont pu reconnaître en lui le Fils de Dieu qu’après sa résurrection. C’est après celle-ci que Jésus peut être dit Christ et Fils de Dieu, Sacrement de Dieu et Dieu lui-même, ce qui n’exclut pas qu’il l’était dès sa vie terrestre, au cours de laquelle il était le signe de Dieu, sous une forme cachée.

Dieu sauve

Étymologiquement, le nom de Jésus signifie : YHWH sauve. C’est Dieu qui sauve les hommes, c’est Dieu qui réconcilie les hommes avec lui dans le Christ. C’est Dieu qui sauve, mais ce salut qui vient du Dieu Trinité a été opéré par celui qui s’est fait homme. C’est lui, le Christ, qui apporte la réconciliation et qui rend manifeste aux yeux des hommes le salut de Dieu. L’hymne aux Philippiens exprimes les différentes étapes du mystère de ce salut :

Jésus-Christ, lui qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé lui-même, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et par son aspect, il était reconnu comme un homme. Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au seul nom de Jésus, tout genou fléchisse, dans les cieux, sur terre et sous la terre, et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus-Christ, à la gloire de Dieu le Père (Phi. 2, 6-11).

Cette hymne est l’un des passages du Nouveau testament qui a été le plus étudié et qui a donné lieu à des interprétations très divers, notamment au plan de sa structure. Elle tente d’exprimer ce que les premiers chrétiens percevaient dans l’existence du Christ : sa préexistence, sa condition terrestre et sa gloire pascale. Il est possible de découvrir également dans cette hymne les différents moments du salut chrétien :

Puisque les hommes ne pouvaient atteindre par leurs seules forces l’objectivité même de Dieu, le Christ Jésus a été celui qui a permis aux hommes d’approcher le mystère de ce Dieu inconnaissable : il a été le Sacrement de la rencontre de Dieu.