Chapitre 5

L’Église, Sacrement du Christ

 

Une communauté de rassemblement

Le terme « Église » est un mot emprunté au vocabulaire grec profane pour exprimer un terme hébreu (qahal) signifiant la convocation. Ecclésia avait deux sens : d’abord, rassemblement d’hommes sur convocation personnelle, ensuite, peuple organisé par cette démarche commune du rassemblement. Ces deux sens conviennent à ce que peut et doit être l’Église de Jésus-Christ.

Le chrétien est celui qui répond à une invitation, à un appel de Dieu, et qui se retrouve ainsi en Église. En ce sens, on ne se rallie pas à l’Église comme on se rallie à un parti politique, mais on se rallie à Dieu en réponse à son appel, par la médiation de l’institution ecclésiale.

Quand le chrétien proclame qu’il croit à l’Église, il ne fait rien d’autre que de reconnaître la dimension sociale et visible du rassemblement proposé par le Dieu invisible. Mais il sait, dans le même acte de foi, que cette réalité à la fois empirique et spirituelle qu’est l’Église n’a pas sa propre fin en elle-même, l’Église n’est pas un but, elle est appelée à disparaître lorsque prendra corps le Royaume de Dieu dans son achèvement, tel qu’il a été promis par Jésus-Christ.

L’Église est, avant tout et par-dessus tout, une communauté de foi, elle doit donc sans cesse lutter contre elle-même, lutter contre tout ce qui pourrait la faire stagner dans une représentation étriquée de ce Royaume, elle doit se réformer sans relâche pour attester qu’elle accompagne l’homme dans chacune de ses démarches. Elle prend ainsi le relais du Seigneur qui était aux côtés d’Abraham dans ses pérégrinations jusqu’au pays de Mambré, elle prend le relais de la Shékina, de la Présence divine, manifestée dans une colonne de nuée qui précédait le peuple d’Israël dans sa marche à travers le désert, elle prend aussi le relais de Jésus qui accompagnait ses disciples, d’une manière visible sur les routes de Palestine, ou d’une manière invisible, par son Esprit, depuis sa résurrection d’entre les morts, au matin de Pâques.

L’Église est donc une communauté d’hommes, et cette communauté affirmer que son origine se trouve dans la mort et la résurrection du Seigneur, celui qui représente la totalité de l’humanité déchue pour la sauver dans sa totalité. Cependant, même si elle prend le relais du Seigneur d’une manière visible, il ne faudrait pas penser qu’elle constitue une sorte de prolongement plus ou moins artificiel de l’existence de Jésus. L’Église est un peuple de témoins, témoins qui ont vu les actes de Dieu manifestés en Jésus-Christ, témoins qui ont entendu sa Parole, le message de l’Envoyé du Père.

La manifestation du salut

Peuple de témoins, l’Église est la manifestation visible du salut opéré par Dieu en Jésus-Christ. Elle est le Corps mystique de son Seigneur, elle n’est donc pas un moyen de salut, elle est le salut lui-même.

Toute la vie de l’Église repose sur son activité, et particulièrement sur l’action de ses ministres, action verbale dans la prédication, dans la proclamation de la Bonne Nouvelle, action gestuelle dans les divers sacrements. C’est dans cette double activité que la foi est annoncée, communiquée, entretenue et développée. Cependant, l’Église dans son activité présente, ne remplace pas l’action invisible de son Seigneur. Le rôle privilégié de l’Église est d’attester, dans la visibilité qui est la sienne, la gloire invisible de Dieu, la grâce et le don qu’il communique à chaque personne.

La sacramentalité de l’Église ne peut se comprendre qu’en posant la différence fondamentale du Christ et de son Église. Celle-ci est la manifestation présente du Christ, et on lui donne alors les titres de Corps du Christ et d’Épouse du Christ. Mais elle n’est pas assimilée à son Seigneur. L’unité du Christ et de son Église s’exprime par la différence.

En parlant de l’Église comme Sacrement, on met l’accent sur la manifestation du salut et non plus simplement sur le moyen du salut. En utilisant ce terme de sacrement pour désigner l’Église, le concile Vatican II a voulu insister sur la manière dont elle envisage sa mission dans le monde :

Qu’elle aide le monde ou qu’elle reçoive de lui, l’Église tend vers un but unique : que vienne le règne de Dieu et que s’établisse le salut du genre humain. D’ailleurs, tout le bien que le peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine découle de cette réalité que l’Église est le sacrement universel de salut, manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme.        Gaudium et Spes, 45

Le Christ, élevé de terre, a tiré à lui tous les hommes ; ressuscité des morts, il a envoyé sur ses apôtres son Esprit de vie et, par lui, a constitué son Corps qui est l’Église comme le sacrement universel de salut ; assis à la droite du Père, il exerce continuellement son action dans le monde pour conduire les hommes vers l’Église, se les unir par elle plus étroitement et leur faire part de sa vie glorieuse en leur donnant pour nourriture son propre Corps et son Sang.        Lumen Gentium, 48

Et l’assemblée épiscopale française de Lourdes, en 1971, insistait sur cette définition de l’Église :

Il ne semble pas que nous soyons prêts à comprendre une telle définition de l’Église. Le mot, en effet, a subi une double réduction : d’une part, il en est venu à ne désigner que les sept sacrements, d’autre part, malgré tous les efforts accomplis, les sacrements demeurent des être physiques, des entités en soi qui contiennent la grâce et qui la donnent dès qu’ils sont correctement constitués. Il faut le reconnaître, nous sommes conditionnés par des définitions du sacrement qui, par leur concision même, enferment dans des limites étroites les richesses du mystère sacramentel. Elles tendent à présenter la grâce comme une chose produite par les sacrements. Elle ne montrent ni les rapports sacrements-Christ, ni les rapports sacrements-Église, ni les rapports sacrements-histoire.         Rapport de Robert Coffy, Église, signe de salut au milieu des hommes, pp. 31-32.