Chapitre 7
L’EUCHARISTIE AUX PREMIERS SIECLES
Dans
les premières communautés chrétiennes,
l’eucharistie est partagée au cours d’un repas. C’est ce
que l’on peut constater en lisant le livre des Actes des apôtres
: Unanimement, ils se rendaient chaque jour assidûment au
Temple, ils rompaient le pain à domicile, prenant leur
nourriture dans l’allégresse et la simplicité de cœur
(Ac. 2, 46).
Ce repas du Seigneur, appelé « fraction du pain », en souvenir de ce geste de Jésus, aussi bien lors de la multiplication des pains que lors de la Cène ou à l’auberge d’Emmaüs... Nous ne savons pas exactement comment se déroulait ce repas dans les premières communautés, mais le livre des Actes signale quelques éléments principaux : l’enseignement des apôtres, l’action de grâce, la fraction du pain, le partage du pain et du vin consacrés, des psaumes de louange... La langue qui était employée était l’araméen pour les communautés de Palestine, et, dans les autres Églises, d’origine païenne, c’était le grec, langue la plus connue par ceux qui s’étaient convertis au message évangélique.
Pour connaître le déroulement précis d’une célébration eucharistique, il faut attendre le témoignage de Justin de Rome, aux environs de l’an 150. S’adressant à ceux qui ne partageaient pas la foi chrétienne, il explique, dans une Apologie, les principes fondamentaux de la foi, et à propos de l’eucharistie, il donne une description complète :
Le jour dit du soleil, ceux des nôtres qui habitent les villes ou les champs se rassemblent en un même lieu. On lit les Mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes, autant que le temps le permet. La lecture terminée, celui qui préside prend la parole pour avertir les participants et les exhorter à imiter de si beaux enseignements.
Ensuite, nous nous levons et nous adressons ensemble, à haute voix, des prières à Dieu, pour nous, pour les nouveaux baptisés et pour tous les chrétiens qui sont partout dans le monde. Puis nous nous embrassons les uns les autres, en suspendant les prières.
Alors est présenté à celui qui préside les frères du pain et une coupe d’eau et de vin trempé. Il les prend et exprime louange et gloire au Père de l’univers par le nom du Fils et de l’Esprit Saint, il fait une action de grâce, abondamment, autant qu’il a de forces pour ce que Dieu a daigné nous donner ces choses. Celui qui préside ayant achevé les prières et l’action de grâce, tout le peuple présent acclame, en disant : Amen.
Celui qui préside ayant rendu grâce et tout le peuple ayant acclamé, ceux qui sont chez nous appelés diacres donnent à chacun des assistants une part du pain eucharistie et du vin mêlé d’eau et ils en portent aux absents.
Cet aliment est appelé chez nous eucharistie. Nous ne le prenons pas comme du pain ou un breuvage ordinaires. L’aliment eucharistié par un discours de prière qui vient de Jésus-Christ notre Sauveur est la chair et le sang de ce Jésus fait chair. Car les apôtres, dans les mémoires qui sont d’eux et qu’on appelle Évangiles, nous ont rapporté ce qu’il leur avait ainsi prescrit : Jésus, ayant pris du pain, avait rendu grâce en disant : Faîtes ceci en mémoire de moi, ceci est mon corps. Et ayant pris la coupe semblablement, il avait rendu grâce, en disant : Ceci est mon sang.
Ceux qui sont dans l’abondance et qui veulent donner donnent librement, chacun ce qu’il entend. Ce qu’on recueille est ainsi porté à celui qui préside, et il secourt les orphelins et les veuves et ceux qui sont dans l’indigence par suite de maladie ou pour toute autre cause et ceux qui sont de passage. Bref, il a cure de quiconque est dans le besoin.
Nous nous rassemblons tous le jour du soleil, parce que c’est le premier jour où Dieu, tirant des ténèbres la matière, fit le monde, et que Jésus-Christ, notre Sauveur, ce même jour, ressuscita des morts.
Le plus ancien canevas de prière eucharistique que nous possédions remonte au troisième siècle, il a été composé par saint Hippolyte de Rome. Ce dernier l’écrivit en grec parce que tout le peuple, à Rome même, parlait cette langue. Il fut taxé d’intégrisme par le pape qui voulait faire virer la langue liturgique au latin... Le pape Paul VI a rendu à l’Église cette prière eucharistique (c’est la deuxième formule du canon romain actuel). Voici le texte d’Hippolyte, dans la Tradition apostolique. Il s’agit d’une eucharistie célébrée après le sacre épiscopal d’un nouvel évêque :
Quand il a été fait évêque, que tous lui offrent le baiser de paix, le saluant parce qu’il est devenu digne. Que les diacres lui présentent l’oblation et que lui, en imposant les mains sur elles avec tout le presbyterium, dise en rendant grâce : Le Seigneur soit avec vous ! et que tous disent : Et avec ton Esprit. - Élevez vos coeurs. - Nous les tenons vers le Seigneur. - Rendons grâce au Seigneur. - C’est digne et juste. Et qu’il continue ainsi : Nous te rendons grâce, ô Dieu, par ton enfant bien-aimé Jésus-Christ, que tu nous as envoyé en ces derniers temps comme sauveur, rédempteur et messager de ton dessein, lui qui est ton Verbe inséparable, par qui tu as créé toutes choses, et que, dans ton bon plaisir, tu as envoyé dans le sein d’une vierge, et qui, ayant été conçu, s’est incarné et s’est manifesté comme ton Fils, né de l’Esprit-Saint et de la Vierge. C’est lui qui, accomplissant ta volonté et t’acquérant un peuple saint, a étendu les mains, tandis qu’il souffrait pour délivrer de la souffrance ceux qui ont confiance en toi. Tandis qu’il se livrait à la souffrance volontaire, pour détruire la mort et rompre les chaînes du diable, fouler aux pieds l’enfer, fixer la règle de la foi et manifester la résurrection, prenant du pain, il te rendit grâce et dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps rompu pour vous. De même, le calice, en disant : Ceci est mon sang qui est répandu pour vous. Quand vous faites cela, faites-le en mémoire de moi. Nous souvenant donc de sa mort et de sa résurrection, nous t’offrons ce pain et ce calice, en te rendant grâce de ce que tu nous as jugés dignes de nous tenir devant toi et de te servir comme prêtres. Et nous te demandons d’envoyer ton Esprit-Saint sur l’oblation de la sainte Église. En les rassemblant, donne à ceux qui participent à tes saints mystères, d’y participer pour être remplis de l’Esprit-Saint, pour l’affermissement de leur foi dans la vérité, afin que nous te louions et glorifions par ton enfant, Jésus-Christ, par qui sont à toi gloire et honneur avec le Saint-Esprit, dans la sainte Église, maintenant et dans les siècles des siècles. AMEN.
On trouve déjà dans ce textes les grands moments qui composent les prières eucharistiques de l’Église :
l’action de grâce
Le Christ a rendu grâce sur le pain et le vin. Ceux qui obéissent à son commandement doivent faire comme lui.
le récit de l’institution
l’anamnèse
On donne ce nom à la prière qui s’enchaîne au récit de l’institution de l’eucharistie : c’est le rappel de ce qui est accompli, en mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus-Christ.
l’épiclèse
Ce terme, qui signifie invocation, est appliqué à la prière dans laquelle on demande la venue de l’Esprit-Saint à la fois sur les offrandes et sur les participants aux mystères de la foi chrétienne, pour qu’ils soient affermis dans leur foi.
la doxologie
La prière eucharistique se conclut toujours par la louange de Dieu : les fidèles rendent grâce au Père, par le Fils, dans l’Esprit et dans la communion de toute l’Église.