Chapitre 9

LES DISCIPLES D'EMMAUS

ET LA CELEBRATION EUCHARISTIQUE

 

 

L'eucharistie est liée à la foi pascale

Le rassemblement des chrétiens pour l'eucharistie s'enracine donc dans une longue tradition qui remonte à l'âge apostolique.

Le premier jour de la semaine (juive, c'est-à-dire le lendemain du sabbat), de grand matin, elles (les femmes) vinrent à la tombe, en apportant les aromates qu'elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau. Étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus (Lc. 24, 1-3).

Le premier jour de la semaine, le lendemain du sabbat, c'est le jour de la résurrection. Ce jour deviendra le dies Domini, le jour du Seigneur, le dimanche. L'Église reste à tout jamais marquée par son premier dimanche...

Il se passe beaucoup de choses dans la première journée de la semaine de la résurrection de Jésus. Ce même soir, selon Luc, deux hommes quittent Jérusalem pour regagner leur village d'Emmaüs. Tout le monde connaît le nom de cette cité vers laquelle marchaient ces deux disciples. Il s'agissait de Cléopas et de son compagnon, deux hommes découragés que Jésus rejoint sur le chemin de la désespérance, chemin qu'il transformera en chemin de confiance et de joie.

Et voici que, ce même jour, deux d'entre eux se rendaient à un village du nom d'Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem. Ils parlaient entre eux de tous ces événements. Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : Quels sont les propos que vous échangiez en marchant ? Alors, ils s'arrêtèrent, l'air sombre. L'un d'eux nommé Cléopas, lui répondit : Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n'ait pas appris ce qui s'y est passé ces jours-ci. Quoi donc ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié, et nous, nous espérions qu'il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus, voici le troisième jour que ces faits se sont passés. Toutefois quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés. S'étant rendues au tombeau de grand matin et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues nous dire qu'elles ont même eu une vision d'anges qui le déclarent vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau et ce qu'ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit, mais lui, ils ne l'ont pas vu. Et il leur dit : Esprits sans intelligence, coeurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? Et commençant pas Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d'aller plus loin. Ils le pressèrent en disant : Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. Et il entra pour rester avec eux. Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. Et ils se dirent l'un à l'autre : Notre coeur ne brûlait-il pas en nous tandis qu'il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ? A l'instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons qui leur dirent : C'est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. Et eux racontèrent ce qui s'était passé sur la route et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.        Lc. 24, 13-35

Luc tient à expliquer la transformation intérieure radicale de ces deux disciples, sans faire appel à des manifestations extérieures. Ce sont les mêmes yeux qui sont empêchés de reconnaître et qui finissent par s'ouvrir.

C'est dans le cadre du repas, eucharistique selon l'aspect narratif du récit, qu'il sera possible aux disciples de reconnaître le Maître. Luc veut montrer à ses auditeurs ou à ses lecteurs que l'essentiel du comportement chrétien peut et doit trouver sa place dans la pratique eucharistique. C'est dans le cadre de l'eucharistie qu'a lieu le contact authentique avec Jésus-Christ. La lecture et l'interprétation de l'Écriture n'ont pas suffi pour que les disciples reconnaissent Jésus, il faut aussi la fraction du pain.

Les disciples d'Emmaüs et la célébration eucharistique

Ces disciples, comme la plupart des chrétiens, ont entendu parler du Ressuscité, mais ils ne l'ont pas vu. Ils sont amenés à le rencontre, mais à travers un thème qui est chez à l'évangéliste Luc : la marche, la rencontre. Le Christ les rejoint sur la route comme il rejoint les chrétiens aujourd'hui encore, dans le partage de la parole et du pain.

Ces disciples savent que Jésus, grand prophète devant Dieu et devant les hommes, est mort. Pour eux, l'expérience est terminée, malgré les affirmations des femmes qui Le déclarent vivant. Ils sont écrasés par la certitude que la mort a eu définitivement raison du Juste. Ils n'ont plus d'espérance, ils quittent Jérusalem dans l'écrasement le plus complet. A notre époque, marquée par les progrès de la science, les chrétiens sont envahis par le doute et le scepticisme, l'espérance a déserté leur coeur troublé d'incertitudes. Comment peut-on reconnaître le Ressuscité ? C'est une découverte progressive que Luc a voulu décrire, en plaçant la rencontre dans le cadre d'une célébration eucharistique, même s'il est improbable que Jésus ait pu renouveler le geste qu'il avait accompli le soir de la Cène.

L'eucharistie des chrétiens reprend le schéma de ce récit de Luc.

C'est d'abord un rassemblement pour ceux qui ont cheminé pendant un certain temps sur les routes humaines et qui peuvent se trouver désemparés par les réalités de l'existence quotidienne.

Leur tristesse s'exprime à l'intérieur de la prière pénitentielle : ils n'ont pas compris toute la portée du message et ils en sont tristes.

Jésus se manifeste dans sa Parole. Par les lectures faites au début de la célébration, il amène à comprendre tout ce qui s'est passé. Ce qui Dieu veut, ce n'est pas l'éclat de la puissance, mais l'accueil de la pauvreté, dans un état d'esprit comparable à celui de Jésus, le serviteur souffrant.

Par l'homélie, le célébrant fait comprendre aux fidèles le sens des Écritures et les sens des événements présents : l'homélie devrait faire le lien entre l'Écriture et la vie actuelle, c'est-à-dire éclairer le sens des événements par la lumière de l'Écriture.

L'initiative des fidèles se traduit par la présentation des dons.

Dans ce repas eucharistique, il est fait mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur (passion et gloire). La croix n'est pas une catastrophe irrémédiable, elle est un moment nécessaire dans la vie de Jésus comme dans celle du chrétien.

L'eucharistie est, par la communion, le lieu de rencontre du croyant avec son Seigneur. Il est alors possible de le reconnaître et de découvrir qu'il invite chaque fidèle à être un témoin sur les routes humaines.

La reconnaissance du chrétien se fait toujours dans le partage eucharistique : la parole ne suffit pas, il faut l'expérience de la rencontre personnelle avec le Christ qui se donne dans l'eucharistie.

L'eucharistie est une nourriture. Les chrétiens puisent leur force dans le Corps du Christ. Parler du corps, cela signifie qu'il n'est pas question de limiter la foi simplement au sentiment, il faut des actes, du concret, on a besoin de chants, de gestes, de signes pour rendre visible ce qui se vit au fond du coeur. Célébrer l'eucharistie, c'est répondre à l'invitation du Christ : Faites ceci en mémoire de moi. Quand, à la fin de la messe, le prêtre dit : Allez dans la paix du Christ, c'est une invitation à la pratique de la semaine, pour annoncer, par sa vie, le monde de paix, de justice et d'amour dont la messe a jeté et célébré les premières semences.