Chapitre 14

LE DON DE L’ESPRIT AUX HOMMES

 

Tout d’abord, il convient d’éviter une fausse idée du sacrement de confirmation : il n’est pas le seul à communiquer la vie selon l’Esprit de Dieu, comme si les autres sacrements n’étaient pas aussi l’oeuvre de l’Esprit dans le coeur des hommes. Le baptême était déjà une entrée dans la famille de Dieu : Je te baptise, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Par là, il fondait une communion de vie avec les trois personnes divines. Et le concile Vatican II, dans sa Constitution dogmatique, s’il insiste sur le fait que, par le baptême, le nouveau chrétien devient membre du Corps du Christ, souligne également que l’Esprit associe le baptisé à l’oeuvre sacerdotale, royale et prophétique du Christ.

La confirmation apparaît comme le sacrement qui donne au baptisé la force de l’Esprit : celui-ci permet alors de porter au monde le témoignage du Christ ressuscité.

La confirmation, sacrement de Pentecôte

De même que l’événement de la Pentecôte était une confirmation pour la communauté chrétienne née de l’expérience pascale, de même la confirmation est le sacrement qui confirme la fondation de l’Église dans le monde de notre temps. Ce sacrement est une nouvelle Pentecôte pour toute l’Église qui est, depuis ses origines, l’Église de la Pentecôte. En effet, c’est toute l’Église, signifiée dans la première communauté priante de Jérusalem, qui a reçu l’Esprit de Dieu, et non pas seulement quelques individus. Mais, de même que l’eucharistie est mémorial de la Pâque du Seigneur, de même la confirmation est mémorial de la Pentecôte pour les chrétiens. Et dans la célébration de ce sacrement, l’Église veut signifier qu’elle n’est pas une société humaine ordinaire, qu’elle n’est même pas une société religieuse particulière : elle signifie qu’elle est LE peuple de Dieu, né au jour de la Pentecôte :

L’ensemble de ceux qui regardent vers Jésus, en croyant en lui comme l’auteur du salut et le principe de l’unité et de la paix, Dieu les a convoqués pour en faire son Église, afin qu’elle soit, pour tous et pour chacun, le sacrement visible de cette unité porteuse de salut         Lumen Gentium, 9

Tout baptisé, quel qu’il soit, est membre de plein droit, de cette Église de Pentecôte, car il n’est pas d’autre Église que celle qui est née de la venue de l’Esprit sur la communauté des croyants. Et, comme membre de cette Église, le baptisé participe réellement à la mission complète de l’Église.

Les questions posées par l’administration de la confirmation

Depuis les années 1960, le sacrement de la confirmation a suscité de nombreuses réflexions dans les différents diocèses du monde. C’est en effet à cette époque que l’on s’est posé la question de sa signification, de sa valeur de signe pour l’ensemble de la communauté chrétienne. Jusqu’alors, les chrétiens vivaient dans un monde, qualifié par un régime de chrétienté. Or, le monde a changé et le régime de chrétienté a été sérieusement bousculé. Les théologiens, comme les pasteurs, se sont légitimement interrogés sur les différents aspects de ce sacrement.

Est-il le complément indispensable du baptême ? Auquel cas, il faudrait l’administrer le plus rapidement possible après le baptême, ainsi que le fait l’Église d’Orient. L’orthodoxie, en effet, pratique « la chrismation » au moment même du baptême. Ou, est-il le sacrement de l’âge adulte, comme le préconisait saint Thomas d’Aquin ? La confirmation serait alors au baptême ce que la croissance est à la naissance.

Est-il le renouvellement des dons reçus au baptême ? Sans être un second baptême, la confirmation serait le renouvellement de toutes les promesses du baptême. La position protestante est alors plus explicite, puisqu’elle préconise, dans une confirmation, le renforcement, à l’âge pleinement conscient, des engagements pris, à la fois par Dieu et par l’individu, lors du baptême.

Est-il, comme le monde catholique le pensait, dans les années 1930-1940, le sacrement de l’apostolat ? Le chrétien confirmé deviendrait alors véritablement le soldat du Christ, capable de défendre sa foi et son attachement au Christ, même au péril de sa vie, comme c’était le cas dans les premiers siècles de l’Église, pendant les persécutions.

Est-il le sacrement de l’Esprit-Saint, le don de Dieu ? Mais alors ce serait une manière de penser qui ferait que le don de l’Esprit au baptême est incomplet. Ou alors, il faut penser que le baptême donne déjà l’Esprit et que la confirmation le donne en plénitude. Baptême et confirmation seraient alors deux étapes inséparables d’une même initiation chrétienne.

Est-il le sacrement de la communion ecclésiale ? Ce caractère serait alors souligné par la présence de l’évêque qui est le garant de l’identité chrétienne de toute la communauté. Mais ne serait-ce pas oublier que le baptisé participe, du fait même de son baptême, à la communion de l’Église, et de l’Église de la Pentecôte ?

Toutes ces questions précisent la richesse du sacrement de confirmation et impliquent des pratiques très diverses, selon les réponses que l’on peut donner dans une pastorale concrète...

Le sacrement, signe efficace

Dans un régime de chrétienté, c’est toute la communauté qui est signe de Jésus-Christ, et il est alors légitime de dire que tel ou tel sacrement produit tel ou tel effet chez celui qui le reçoit, sans se soucier de sa valeur de signe pour les autres, puisque personne ne se trouve présent pour découvrir un signe de Jésus-Christ. Alors les chrétiens ne se définissaient pas par le signe qu’ils pouvaient donner aux autres, mais bien plus par les sacrements qu’ils recevaient. Était considéré comme chrétien celui qui était baptisé, confirmé, celui qui pratiquait la religion du groupe auquel il appartenait.

Aujourd’hui, dans un régime qui n’est plus de chrétienté, sauf en de rares endroits, le chrétien ne se définit plus par sa pratique sacramentelle, mais bien par le témoignage qu’il peut donner avec ceux de sa communauté aux hommes qui ne partagent pas sa foi. Le chrétien doit devenir lui-même « signe » pour les autres, non plus seulement par la fréquentation des sacrements, mais aussi et surtout par le témoignage de toute sa vie. Et c’est ainsi qu’il est possible de retrouver la dimension missionnaire de tout sacrement. L’Église qui célèbre les sacrements particuliers se doit d’être elle-même tout entière « Sacrement de Jésus-Christ », c’est-à-dire porter le témoignage de son action et de sa présence dans le monde contemporain. C’est en ces termes que s’exprimait encore la Constitution dogmatique sur l’Église, à Vatican II :

Les fidèles, incorporés à l’Église par le baptême, ont reçu un caractère qui les délègue pour le culte religieux chrétien ; devenus fils de Dieu par une régénération, ils sont tenus de professer devant les hommes la foi que, par l’Église, ils ont reçue de Dieu. par le sacrement de confirmation, leur lien avec l’Église est rendu plus parfait, ils sont enrichis d’une force spéciale de l’Esprit-Saint et obligés ainsi plus strictement tout à la fois à répandre et à défendre la foi par la parole et par l’action en véritables témoins du Christ     Lumen Gentium, 11

Il s’agit de définir ce que peut signifier (au sens fort) le sacrement de confirmation, et cette signification, cette valeur de signe pour le monde ne peut se trouver que dans une Église qui est tout entière l’Église de la Pentecôte. C’est la plénitude de l’Esprit qui est donnée à la plénitude de l’Église. En faisant l’exégèse de l’événement même de Pentecôte, Pierre expliquait à tous les résidents de Jérusalem que le don de l’Esprit, qui était perçu comme un don eschatologique, s’est effectué dans l’histoire des hommes. Ce qui était perçu comme une réalité devant se réaliser à la fin des temps, « dans les derniers jours », a été signifié dans le temps de l’humanité. Le signe que Dieu a donné à certains hommes dans la résurrection du Christ est devenu pleinement efficace pour tous les hommes dans l’événement de la Pentecôte. L’Esprit de Dieu a été répandu sur toute chair, sur tout homme qui devient alors prophète, c’est-à-dire porte-Parole de Dieu.

Dans toute la littérature biblique, chaque fois que l’Esprit de Dieu investit un homme, c’est pour en faire un témoin, un envoyé de Dieu parmi les hommes. la mission de celui qui reçoit l’Esprit peut se situer sur une échelle humaine, son pouvoir se situe alors dans les domaines de la connaissance des réalités matérielles ou des réalités spirituelle : Il l’a rempli de l’Esprit de Dieu pour qu’il ait sagesse, intelligence, connaissance et savoir-faire universel : création artistique, travail de l’or et de l’argent, du bronze, ciselure des pierres de garnitures, sculpture sur bois et toutes sortes de travaux artistiques. Il a mis en lui le don d’enseigner...         Ex. 35, 31-34

Cette mission peut aussi se situer à l’échelle du gouvernement du peuple. Ainsi l’idéologie royale présente le souverain comme possédant l’Esprit de Dieu et exerçant son pouvoir royal animé par cet Esprit. Le roi-messie, annoncé par Isaïe, est présenté de la sorte : Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur (Is. 11, 1-2).

De même, le prophète était également considéré comme envoyé de Dieu, rempli de son Esprit : L’Esprit du Seigneur est sur moi. Le Seigneur, en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter un joyeux message aux humiliés, panser ceux qui ont le coeur briser, proclamer aux captifs l’évasion, aux prisonniers l’éblouissement, proclamer l’année de la faveur du Seigneur, le jour de la vengeance de notre Dieu, réconforter tous les endeuillés (Is. 61, 1-2).

C’est cette même parole de l’Ancien Testament que Jésus invoquera lorsqu’il prendra la parole dans la synagogue de Nazareth : L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur (Lc. 4, 18-19).

L’homme investi de la puissance de l’Esprit de Dieu devient un homme nouveau. il existe une sorte d’engendrement spirituel par l’action de l’Esprit. Et c’est dans cette ligne de l’engendrement que l’on peut lire différents récits du Nouveau testament. Ainsi, l’annonce de la naissance de Jésus à Marie : L’Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Trés-Haut te couvrira de son ombre, c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu (Lc. 1, 35).

L’Esprit de Dieu opère une oeuvre créatrice et vivifiante, de même qu’à la création, il vivifiait le monde. De même, au commencement de la vie publique de Jésus, lors de son baptême : Comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait. Alors le ciel s’ouvrir, l’Esprit-Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré (Lc. 3, 21-22).

Recevant l’Esprit de Dieu au jour de son baptême, Jésus devient alors, pour ainsi dire, l’instigateur d’une nouvelle communauté. Des disciples vont le suivre, à qui il révélera sa condition filiale avec Dieu, dans l’Esprit. la Pentecôte peut aussi être lue dans cette perspective, comme le certificat de naissance d’une communauté nouvelle, l’Église, qui, elle aussi, sera envoyée en mission et qui recevra pour tâche de faire naître à la foi en Jésus, et au nom de Jésus, des hommes de toutes les nationalités de la terre.

Le signe efficace de l’action de l’Esprit est toujours une naissance à un monde nouveau, à une nouvelle manière de vivre la relation avec Dieu. Le signe efficace d’un sacrement, tel celui de la confirmation, peut alors se trouver dans la naissance, ou du moins dans la proposition d’une naissance, d’autres hommes à la foi de l’Église. de cette manière, l’Église qui célèbre la confirmation, cette Église en laquelle l’Esprit agit, s’ouvre à une dimension d’avenir puisqu’elle marque la croissance du Royaume et puisqu’elle invite les hommes à découvrir, dans cette croissance, le signe de l’amour de Dieu qui les rejoint dans leur vie quotidienne, pour les faire participer au salut apporté en Jésus-Christ et confirmé par le don de l’Esprit. Il apparaît donc que célébrer la confirmation est une nécessité vitale pour l’Église, non seulement parce que c’est dans cette célébration que certains individus de la communauté chrétienne reçoivent en plénitude le don gratuit de Dieu, mais aussi et surtout parce que c’est dans cette célébration qu’elle fait mémoire de l’événement qui l’a fondée. Elle célèbre celui qui la fait naître, celui qui la maintient dans l’existence, en la faisant croître, celui qui lui garde son unité (malgré ses diversités), celui qui fonde son témoignage, celui qui lui donne toute sa vitalité.