Chapitre 21

LE SACERDOCE CHRETIEN

 

 

Le sacerdoce, qu'il soit chrétien ou qu'il soit païen, peut se définir en tenant compte de deux caractères principaux : la représentation (de la divinité et de la collectivité), et la médiation entre la divinité et la collectivité. Cette médiation est à la fois rituelle (par la présentation de sacrifices), magique (par la conjuration du sort et par l'assurance de bienfaits) et prophétique (par la divination). Le sacerdoce assure une méditation religieuse qui permet à la société humaine d'entrer en relation avec les forces qui la dépassent ou qui la dominent. Pour définir le sacerdoce chrétien, il faut se référer à Jésus-Christ, et à lui seul. Il est le seul prêtre de la foi chrétienne, même s'il existe de nombreux ministres de cet unique sacerdoce depuis les premiers temps de l'Église jusqu'à aujourd'hui.

De l'existence de Jésus de Nazareth, il convient de retenir qu'il a été un laïc, il n'appartenait pas à une famille, à une caste sacerdotale, il n'a jamais accompli de fonction cultuelle de la religion juive, il n'a jamais revendiqué le titre de prêtre, d'homme mis à part du reste de la communauté juive pour exercer les fonctions sacrificielles du Temple de Jérusalem, car il faut se souvenir que les prêtres juifs n'exerçaient leurs fonctions qu'au seul Temple. A part la lettre aux Hébreux, aucun écrit du Nouveau Testament ne parle de Jésus comme d'un prêtre. Et pourtant, Jésus est le seul prêtre, comme le présente cette même lettre aux Hébreux :

Si on était parvenu à un parfait accomplissement par le sacerdoce lévitique - car il était la base de la législation donnée au peuple - quel besoin y aurait-il encore de susciter un autre prêtre, dans la lignée de Melchisédech, au lieu de le désigner dans la lignée d'Aaron ? Car un changement de sacerdoce entraîne forcément un changement de loi. Et celui que vise le texte cité fait partie d'une tribu dont aucun membre n'a été affecté au service de l'autel. Il est notoire, en effet, que notre Seigneur est issu de Juda, d'une tribu pour laquelle Moïse n'a rien dit dans ses textes sur les prêtres. Et l'évidence est encore plus grande si l'autre prêtre suscité ressemble à Melchisédech et n'accède pas à la prêtrise en vertu d'une loi de filiation humaine, mais en vertu de la puissance d'une vie indestructible. Ce témoignage, en effet, lui est rendu : Tu es prêtre pour l'éternité à la manière des Melchisédech.        Heb. 7, 11-17

Melchisédech, roi de Salem, est présenté, dans le livre de la Genèse, comme le prêtre du Dieu Trés-Haut, il vint au-devant d'Abraham, comme quelqu'un qui n'a pas d'ascendant ni de descendants, comme un personnage céleste (c'est dans ce sens que le comprennent la plupart des écrits rabbiniques, mais aussi dans les textes qui ont été retrouvés dans les grottes de Qumran). Le sacerdoce de Melchisédech ne connaît aucune limitation temporelle : il est prêtre pour l'éternité, alors que la fonction des prêtres juifs cessaient avec leur mort. Le Christ ressuscité recouvre les fonctions sacerdotales qui étaient celles de Melchisédech.

Le sacerdoce en Israël

Melchisédech n'appartenait pas au peuple d'Israël, même si c'est bien à ce prêtre du Dieu Trés-Haut qu'Abraham remit la dîme de tous ses biens. Dans le peuple d'Israël, le sacerdoce naturel précéda le sacerdoce fonctionnel. Les patriarches, en même temps qu'ils exerçaient les fonctions de chefs de clan, exerçaient aussi des fonctions sacerdotales, ainsi Abraham, Jacob, Jéthro et même Moïse (qui n'était pas de la tribu de Lévi, mais qui agissait en qualité de chef du peuple). C'est au temps des Juges, après l'installation en Terre Promise, que les deux types de sacerdoces interviennent : les rois, ensuite, exerceront aussi les fonctions sacerdotales, puisque le roi était alors considéré comme le représentant d'Israël devant YHWH et comme le lieu-tenant de YHWH en face des hommes. Mais à côté de ce sacerdoce royal, la tribu de Lévi s'organise en une caste sacerdotale, chargée d'offrir des sacrifices pour l'expiation des péchés d'Israël.

Toutefois, le culte demeure l'affaire du peuple de Dieu tout entier :

Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte (Ex. 19, 5-6). Le fait que la tribu de Lévi soit séparée des autres tribus et ne reçoive aucun territoire dans la répartition de la Terre Promise n'a d'autre but que de signifier que la visée du sacerdoce est d'offrir à Dieu un culte qui soit digne de lui, dans une société où la conversion des coeurs reste l'élément personnel le plus important.

Le sacerdoce de Jésus-Christ ne s'inscrit pas dans la ligne du sacerdoce lévitique, mais plutôt dans la ligne de celui de Moïse. Comme ce dernier, Jésus est porteur de la Parole de Dieu et législateur d'une alliance entre Dieu et les hommes. Comme dans l'Ancien Testament, Jésus-Christ accomplira plusieurs formes de la médiation : il est prêtre, prophète et roi, ou encore il est présenté comme docteur, pasteur et prêtres. Les apôtres de Jésus et les ministres du sacerdoce chrétien continuent d'exercer ces fonctions, par l'annonce de la Parole (ministère prophétique ou d'enseignement), par les tâches de gouvernement ou d'assistance (ministère royal ou pastoral), par la célébration de l'eucharistie (ministère sacerdotal). Le peuple des baptisés est le nouvel Israël, il est tout entier peuple sacerdotal : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal (1 P. 2, 9), Tu as fait de nous, pour notre Dieu, un royaume de prêtres, et ils règneront sur la terre (Ap. 5, 10).

Le sacerdoce chrétien est l'affaire de tous les fidèles qui offrent à Dieu un culte spirituel. Ces fidèles participent tous à la dignité et aux fonctions du Christ, leur chef et leur pasteur. Toute la méditation entre Dieu et les hommes a été accomplie en Jésus-Christ. Il est donc impensable d'imaginer une médiation comparable à celle du sacerdoce juif dans la conception du sacerdoce chrétien. Tout chrétien entre par son baptême dans le sacerdoce chrétien. D'ailleurs, dans la célébration du baptême, il est rappelé qu'en devenant chrétien, le baptisé participe aux fonctions sacerdotale, prophétique et royale du Christ. Le sacerdoce ministériel, celui des évêques, des prêtres et des diacres, s'inscrit d'abord dans le sacerdoce commun de tous les fidèles. Le sacerdoce chrétien n'est pas une mise à part pour rendre un culte digne de Dieu, il est commun à tous. Et les ministères ordonnés sont placés au service du sacerdoce commun des fidèles. Les ministres ordonnés se doivent de veiller à la promotion et au respect du sacerdoce commun de tous les fidèles. Ceux-ci sont prêtres par leur baptême, ils ont tous la même dignité, même si tous n'exercent pas la même fonction.

Différentes approches du ministère

Quand on fait une approche analytique, on fait l'inventaire de ce qui pourrait être la conscience du prêtre pour essayer de découvrir son identité. C'est une méthode qui relève de la psychologie sinon de la psychanalyse, à partir des données de la foi chrétienne. C'est une recherche de l'être du prêtre, sur ce qui lui est spécifique... Mais à trop chercher, on ne trouve plus rien : le prêtre n'est pas différent des autres chrétiens.

Si l'on fait une approche génétique, sur la base du sacerdoce lévitique, sacerdoce qui, dans le judaïsme, est une institution très élaborée et très riche, mais en réaction contre le sacerdoce païen, on recherche, depuis les origines de l'Église, comment le sacerdoce chrétien, et sa ministérialité, se manifeste dans la continuité du monde juif.

Dans une approche théologique, on part du Christ et de ses trois grands titres (prêtre, prophète et roi), et on regarde les ministres pour pouvoir se demander en quoi les différents ministères ordonnés poursuivent l'oeuvre du Christ.

Dans une approche ecclésiologique, il s'agit, en priorité, d'examiner les relations entre l'Église et le monde. Quel service l'Église doit-elle au monde dans lequel elle se trouve et dont elle doit être solidaire pour l'évangéliser et pour faire de lui une communauté de louange à la gloire du seul vrai Dieu ? Les moyens dont l'Église dispose reposent sur l'ensemble du peuple sacerdotal : quel est le témoignage donné par ce peuple ? Quels sont ses rôles, ses fonctions, ses charismes particuliers ? C'est dans cet ensemble que l'on peut s'interroger sur le prêtre comme ministre ordonné au service de tout le peuple sacerdotal.

Qu'est-ce qu'un prêtre ?

Il ne faut certes pas faire la nomenclature de ses activités, comme si le prêtre était le spécialiste d'une activité ecclésiale, le prêtre étant alors une sorte de permanent de la communauté chrétienne. Le prêtre n'est pas et ne peut pas être un laïc plus conscient que les autres... Il faut définir le prêtre dans ses relations et ses collaborations, et non pas seulement dans son unique rapport à Jésus-Christ : le prêtre n'est pas davantage un autre Christ. Les prêtres sont des membres du peuple de Dieu et ils sont dans ce peuple pour que ce peuple soit entièrement sacerdotal, pour permettre à l'Église d'être véritablement l'Église : ils sont les intendants des mystères de Dieu. Dans le Nouveau Testament, un terme revient souvent pour indiquer la fonction des ministres du Christ. Ce terme, c'est celui de service. la fonction des apôtres est souvent exprimée en termes ministériels, pratiquement jamais sacerdotaux, sauf dans le cas de la lettre aux Hébreux. En tout cas, le terme prêtre ne désigne jamais une fonction chrétienne : être prêtre, c'est simplement un service, une manière d'être chrétien. Certes, les prêtres exercent facilement une fonction de leader, mais il faut qu'ils soient effacés devant le Christ, notamment dans le domaine cultuel, mais aussi dans le domaine proprement social, dans la vie profane : il ne convient pas que les prêtres fassent un usage abusif de leur titre presbytéral.

Jusqu'au pontificat de Pie XII, l'Église fonctionnait bien, tout était structuré, hiérarchisé. Seuls (ou presque), les ennemis de l'Église dénonçaient une certaine sclérose que la fin du pontificat de Pie XII n'a fait que confirmer. A l'intérieur de l'Église pourtant, des voix prophétiques (Suhard, Chenu, Ancel) s'étaient levées, mais n'avaient pas retenu l'attention de leur temps, sinon pour être ramenées au silence. Vatican II a marqué la fin du triomphalisme. De même que la terre n'est pas le centre du monde, de même l'Église n'est pas le centre du monde des hommes. L'Église ne se présente plus comme "mater et magistra", mais comme "servante et pauvre". Elle a découvert qu'elle ne détenait pas la vérité sur Dieu, sur le monde, sur l'homme, mais qu'elle était engagée dans la recherche de Dieu. De même qu'elle n'est pas supérieure au monde, de même le prêtre n'est pas supérieur aux autres hommes.

Le prêtre est un homme, un chrétien. Il n'est pas un sur-homme ni un super-chrétien. Il éprouve les mêmes difficultés que les autres. Son ordination ne le met pas à l'abri, elle ne lui assure aucun privilège naturel ou spirituel, elle le désigne simplement pour une fonction de service. Il n'y a pas si longtemps, on reconnaissait le prêtre par le port de la soutane, qui le mettait souvent à l'écart des autres hommes. C'était une marque distinctive qui permettait peut-être de reconnaître une certaine supériorité dans la connaissance de vérités dogmatiques : le prêtre était le régulateur dans le domaine de la foi et même dans certaines affaires sociales ou politiques. Ayant revêtu vestimentairement l'identité des autres hommes, le prêtre reconnaît son identité fondamentale avec les autres : comme chacun d'eux, il est soumis à des contingences matérielles, à des exigences socio-politiques. Des définitions du ministère comme état de vie supérieur ne peuvent plus être de mise dans les engagements du prêtre dans la construction de la cité humaine.

Le prêtre est chrétien, il est homme. La fin de la supériorité du sacerdoce marque également la fin de l'âge de la sacralisation. Le prêtre appartenait pratiquement à une caste, chargée spécialement des fonctions sacrées. Il était enfermé dans un monde séparé, sans lien avec le monde réel des hommes. Ce monde ecclésiastique fonctionnait selon ses propres lois, voire sa propre langue... Sa fonction était garantie pour l'éternité (Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech) et par l'identification au Christ (Le prêtre est un autre Christ). L'identité du prêtre, c'était d'être un autre Christ sur la terre, et pratiquement d'assurer dans le temps l'éternité du Christ. Ramener le prêtre sur la terre est certainement une bonne chose : il n'est pas un sur-homme, ni un super-chrétien, il éprouve les mêmes difficultés que tout homme. Son ordination ne le met pas à l'abri, elle ne lui assure aucun privilège naturel ou spirituel. L'ordination le marque d'une fonction de service, sans lui conférer une nouvelle identité.

Au milieu des hommes, le prêtre, comme tout chrétien, exprime que tout n'est pas achevé dans l'existence de ce monde, que les compromissions qu'il accepte ou qu'il subit, comme tout autre chrétien, le renvoient à autre chose. Par toute sa vie, le prêtre signifie qu'il y a une possibilité d'avenir dans des situations qui peuvent sembler irrémédiables, il montre que la foi est toujours possible. Croire, c'est alors refuser l'installation pour accepter d'aller toujours plus loin, un peu comme Abraham est parti sans connaître d'avance le lieu de son installation et pour découvrir que Dieu est celui qui marche avec l'homme et non pas celui qui est le but de la marche de l'homme.

Au milieu des chrétiens, le prêtre a une fonction de signification particulière. sa fonction première est de convoquer le peuple chrétien, de le rassembler tout d'abord pour célébrer son Seigneur et pour le renvoyer accomplir sa tâche dans le monde, au milieu des autres hommes. Dans la communauté rassemblée, le prêtre permet de signifier la non-identité du Christ et de son Église, il signifie l'altérité du Christ, sa non-présence matérielle. Il signifie que la communauté elle-même est incapable de rendre entièrement compte du Christ Seigneur : le Christ n'est pas la communauté, le Christ n'est pas le prêtre, mais le prêtre est celui qui signifie le Christ. Ce langage de la signification est complexe, mais il permet d'éviter toute identification abusive. Et le prêtre n'est pas situé en dehors de la communauté, il fait corps avec elle, en réalisant d'une manière symbolique l'unité de la communauté en face de son Seigneur. Autrement dit, le prêtre se trouve au confluent de deux signifiances. Il signifie d'une part l'altérité du Christ par rapport à la communauté qui se réunit en son Nom, et il signifie d'autre part l'unité de la communauté dans son rapport avec le Christ, même si cette unité n'est pas encore pleinement réalisée, mais en construction.

La déstructuration du ministère presbytéral

Les fonctions du prêtre ne se limitent pas seulement au rôle qu'il joue dans l'Église, devant la communauté qu'il rassemble, ses fonctions principales sont de signifier. Mais, précisément en raison de la communauté, il peut arriver un manque de concordance entre ce que le prêtre est appelé à être et ce que la communauté lui accorde d'être. Il importe avant tout qu'il soit le signe du Royaume à venir.

D'où vient le phénomène de déstructuration ? Cela vient d'abord du style de vie du prêtre, qui ne lui permet pas toujours d'avoir une bonne intégration sociale. Cela commence par la question du salaire. Celui-ci est sans conteste un facteur d'intégration dans les sociétés occidentales. Le fait de n'être pas salarié entraîne une marginalisation effective. Cela se poursuit par la question du célibat. On a souvent du mal à dire en quoi le célibat est relatif au ministère presbytéral : tous les argumentés présentés oscillent entre la plus haute mystique et l'utilité. Dans l'aspect de mystique, on affirme que le prêtre est le responsable de la communauté céleste dès ici-bas, et qu'il y a une sorte de convenance entre le fait de célébrer l'eucharistie et la virginité. Dans l'aspect d'utilité, on affirme que le prêtre doit toujours demeurer disponible à toute la communauté chrétienne. Ensuite, le phénomène de déstructuration vient également des activités, des rôles que le prêtre est appelé à exercer. Ses activités peuvent être désignées d'après la finale de l'Évangile selon saint Matthieu :

Quant aux Onze, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes. Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles : Tout pouvoir m'a été remis au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Et moi, je suis avec vous jusqu'à la fin des temps.    Mt. 28, 16-20

Le prêtre doit évangéliser, mais les prêtres disent qu'ils ne sont pas en situation pour évangéliser. Il leur faut baptiser et administrer les sacrements, mais les prêtres ne sont pas mieux équipés, et il y a des prêtres qui refusent de baptiser et d'administrer certains sacrements. Il leur faut enseigner et assurer la catéchèse, mais les prêtres, dans leur vieillissement, reconnaissent ne plus être capables de suivre le langage chrétien. Il n'y a pas si longtemps, on affirmait qu'il était impossible d'évangéliser avec l'ancienne théologie issue de saint Thomas, actuellement, avec le renouveau biblique, on éprouve de la difficulté à exprimer les réalités évangéliques. La question de l'identité du prêtre ne cesse donc de se poser dans des termes qui imposent au prêtre de se trouver une certaine cohérence entre ce qu'il est lui-même et ce que l'on attend de lui. Quand il fait la somme de tous ces éléments, le prêtre se trouve souvent totalement dépourvu, et il ne lui reste pas grand-chose pour contre-balancer le déséquilibre qu'il ressent.

Comment remédier à cette déstructuration ? Tout d'abord, il faut retenir que le prêtre se trouve engagé dans une histoire d'Église et qu'il est toujours très difficile de prendre une décision de changement. Entre ordonné prêtre n'est plus considéré comme une consécration personnelle, comme une sacralisation : le prêtre n'est pas prêtre pour lui-même, et il n'est pas prêtre tout seul, mais prêtre dans un peuple tout entier sacerdotal. L'ordination se fait par l'imposition des mains, geste qui vient de la tradition apostolique et qui renvoie à un autre que l'individu ordonné. Ce geste montre le lien qui existe entre ceux qui sont chargés d'une même mission de service. Le prêtre n'est pas prêtre pour lui-même : il n'y a pas d'ordination sans une mission conséquente, même si celle-ci n'est pas définie explicitement au moment même de l'ordination. Le prêtre est envoyé à un peuple, à une partie du peuple chrétien sans lequel l'ordination ne serait qu'un leurre.

Dans le peuple chrétien, tous les membres sont égaux. C'est la grande découverte du Concile Vatican II : il n'y a pas un pouvoir que l'on pourrait se disputer, mais un service à assurer fraternellement.

La tâche du prêtre : sa fonction de présidence

Toutefois, il ne faudrait pas concevoir l'Église comme un ensemble indifférencié. Dans un corps humain, si les cellules sont indifférenciées, la médecine a tôt fait de déceler la présence d'une généralisation cancéreuse. Il en est de même dans l'Église ! Jadis, à force de dissocier le prêtre du laïc, on en arrivait à disloquer l'unique Corps du Christ, aujourd'hui, à force de vouloir tout unifier, on risque de paralyser ce même Corps du Christ. Il revient à chaque chrétien d'occuper la place qui est la sienne et d'exercer la fonction qui lui est propre.

Le prêtre enracine l'Église dans l'existence des hommes. C'est dans celle-ci que continue de se produire l'action de Dieu, une action qu'il faut dire explicitement. Ce travail est exigeant. Le prêtre ne peut le mener seul. C'est toute la communauté chrétienne qui l'entreprend pour être signe et témoin de l'action de Dieu dans le monde.

Le prêtre rend possible la foi. Croire ne va pas de soi : il n'y a pas que les dogmes à admettre. Croire, c'est engager toute sa vie dans la réalité de l'espérance, celle qui fait des chrétiens des artisans de Dieu dans le monde et des artisans du monde pour Dieu. Rendre la foi possible, c'est l'affermir, la fortifier. Le prêtre doit fortifier les hommes dans la foi pour que chaque croyant le soit encore davantage.

Le prêtre préside l'assemblée chrétienne. Cela suppose qu'il rassemble les chrétiens, qu'il les anime, qu'il coordonne les efforts de la communauté, qu'il veille, avec un souci pastoral, au bien de tous. Le prêtre est le responsable de la responsabilité de tous. En employant cette expression, on s'interdit toute passivité de la part du peuple chrétien, comme si le prêtre était le seul responsable devant Dieu. C'est la communauté tout entière qui est responsable d'elle-même devant son Seigneur, elle est aussi responsable des prêtres qui sont à son service.

Le prêtre enfin est celui qui assure la communion entre les différentes communautés locales, non pas parce qu'il serait mieux informé des activités des autres communautés d'Église, mais parce que sa mission ne lui permet pas simplement d'être assimilé à une seule communauté. Jamais, dans toute l'histoire de l'Église, une communauté chrétienne n'a ordonné ses propres prêtres, elle les a toujours reçus d'un ailleurs, même si parfois elle intervenait dans le choix des prêtres.

L'ordre des évêques

Jésus s'est choisi douze apôtres pour continuer son oeuvre sur la terre. Douze, c'est le nombre des tribus d'Israël, et c'est déjà le nouveau peuple de Dieu qui s'inaugure, c'est l'Église qui commence à naître dès l'appel des douze. Ces douze forment un "collège" autour de Jésus, un groupement organisé autour de sa personne. Par la suite, le ministère des évêques sera de constituer un collège autour du Christ. Plus tard, Jésus envoie ses douze en mission, en leur demandant de prêcher la Bonne Nouvelle et de chasser les démons. C'est en tant qu'ils sont envoyés qu'ils deviennent, à proprement parler, des apôtres, des hommes qui ont pris part au ministère de Jésus. Au soir de la Cène, Jésus rassemble les douze et eux seuls, en leur demandant de faire à leur tour ce qu'il a fait lui-même une fois pour toutes. Dans l'Église, Jésus n'a rien institué d'autre que les douze, avec une certaine primauté accordée à Pierre dans ce collège.

Mais ces douze qui reçoivent, au moment de l'Ascension, l'ordre de mission d'évangéliser toute la terre seront rapidement appelés à intégrer dans leur groupe d'abord un remplaçant de Judas, en demandant qu'il soit un véritable témoin de toute la vie publique de Jésus. Les disciples présentèrent deux hommes, mais c'est le Seigneur lui-même qui choisira, par l'intermédiaire du sort, Mattias qui sera incorporé au groupe apostolique. Mais le Seigneur se choisira un autre "douzième" en la personne de Saul de Tarse, signe que le nombre de la plénitude (12) est appelé à être dépassé mathématiquement : il n'est qu'un symbole. Et dès le début du deuxième siècle, les communautés se sont organisées autour de responsables, les épiscopes (episcopos, terme qui signifie : surveillant) qui sont eux-mêmes entourés d'un collège de prêtres et de diacres. Ainsi, très rapidement, les premières communautés se sont structurées hiérarchiquement autour des évêques qui reçoivent la charge qui était celle des apôtres.

Vatican II allait infléchir la théologie de l'ordre. Avant ce concile, on estimait facilement que l'épiscopat était la consécration d'un prêtre, l'évêque étant doté simplement de pouvoirs juridiques supérieurs à ceux des simples prêtres. Le concile allait prendre une position différente, en spécifiant que l'épiscopat était un sacrement :

Le saint concile enseigne donc que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l'ordre, le sacerdoce suprême, la réalité totale du ministère sacré. La consécration épiscopale confère les charges de sanctifier, d'enseigner et de gouverner, en communion avec le chef du collège des évêques et ses autres membres. Chaque évêque n'exerce son autorité pastorale que sur son Église particulière. Mais il est d'abord membre du collège épiscopal et légitime successeur des apôtres. A ce titre, de par l'institution et le précepte du Christ, il est tenu d'avoir souci de l'Église universelle. Il doit donc être partie prenante dans toute entreprise commune à l'ensemble de l'Église, surtout en vue du progrès de la foi et pour que la lumière de la pleine vérité se lève sur tous les hommes.

L'ordre des prêtres

Dès la fin du premier siècle, au témoignage des lettres de l'apôtre Paul, chaque Église locale est dirigée par un épiscope assisté d'un collège des presbytres, d'anciens, le presbyterium, le collège des prêtres. Cela implique que les prêtres sont déjà les collaborateurs des évêques, leurs coopérateurs, qui reçoivent la charge d'annoncer la Bonne Nouvelle, de rassembler le peuple chrétien et de le sanctifier.

L'ordre des diacres

Le concile Vatican II a aussi renoué avec une tradition très ancienne, en reprenant l'ordre du diaconat permanent (auparavant, le diaconat était seulement conféré aux candidats-prêtres). L'étymologie de ce terme (diakonos) indique qu'il s'agit d'un service, mais il convient de préciser de quel service il s'agit, car tout chrétien est un serviteur, comme le Christ lui-même s'est fait le serviteur de tous. Le Nouveau testament ne nous révèle rien d'important sur le diaconat, l'institution des Sept ne précisant pas qu'il s'agissait de diacres, les lettres pauliniennes présentant le diaconat comme un ordre inférieur, sans grande précision des fonctions. Aux deuxième et troisième siècles, les diacres sont les serviteurs immédiats des évêques, et, encore aujourd'hui, dans l'ordination diaconale, l'évêque seul impose les mains aux diacres. Au quatrième siècle, les diacres ont plutôt une fonction financière, ils sont responsables de la caisse commune, notamment en veillant à l'attribution des secours aux pauvres et aux veuves. Vatican II a défini les différentes fonctions des diacres : administrer le baptême, conserver et distribuer l'eucharistie, assister au mariage au nom de l'Église, porter le viatique aux mourants, proclamer la Parole, instruire le peuple chrétien, présider au culte et à la prière des fidèles.