L'IDENTITE DU CHRETIEN

 

Les chrétiens s'appellent ainsi parce qu'ils croyant en Jésus-Christ et qu'ils veulent vivre, avec son aide, selon sa Parole et selon son exemple.

Qu'est-ce qui fait l'identité du chrétien ? On peut appeler chrétien tout homme qui, dans sa pensée et dans son action, se réfère directement et explicitement à Jésus-Christ, non pas comme à une personne du passé historique, mais comme à une personne toujours agissante, comme à une personne susceptible d'apporter une lumière définitive sur le sens de la vie, sur le sens de la mort.

Quand on interroge les chrétiens sur leur identité, ils répondent souvent d'une manière banale, vague ou sentimentale. Est chrétien celui qui veut l'amour, la justice, le bien... mais c'est aussi ce que veulent beaucoup de non-chrétiens. Et il arrive même que, dans la pratique, ces derniers soient beaucoup plus efficaces que les chrétiens...

Le terme de chrétien n'est pas un terme d'origine chrétienne. Les disciples se désignaient entre eux sous le nom de "frères", de "disciples", de "ceux qui suivent la Voie", de "saints". Mais c'est dans les milieux non-chrétiens que le concept de chrétien a été formé. Est chrétien le partisan, l'adepte du Christ. C'est à Antioche que "pour la première fois, le nom de chrétiens fut donné aux disciples" (Ac. 11, 26). L'apparition de ce terme manifeste que la communauté, l'Eglise d'Antioche, n'est plus considérée comme une sorte de secte juive, mais comme un groupe religieux nouveau qui se réclame explicitement et définitivement du Christ.

Mais il faut aussi se rappeler que ce terme n'est pas, à l'origine, un terme honorifique. C'est un sobriquet insultant envers ceux qui considèrent que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. Accepter d'être reconnu comme chrétien, c'était accepter le mépris, l'insulte, la persécution et même la mort... Aujourd'hui, le terme de chrétien n'est plus aussi méprisé, du moins dans la civilisation occidentale. Mais il convient toujours de le rattacher étroitement à la personne de Jésus-Christ, mort et ressuscité. Ne peut être chrétien que celui qui accepter de parcourir totalement le même chemin que Jésus, en allant donc aussi jusqu'à accepter la mort.

Le premier commandement

Le chrétien manifeste sa foi particulièrement en aimant Dieu et le prochain, à l'exemple du Christ Jésus.

Dans la suite des controverses qui opposent Jésus à ses adversaires, c'est un scribe, vraisemblablement du parti des pharisiens qui intervient pour demander à Jésus quel est le premier de tous les commandements. Ce scribe, expert dans les questions relatives à la Loi, semble porter, quant à lui, quelque intérêt pour la doctrine de Jésus, puisque celui-ci conclura en affirmant qu'il n'est pas éloigné du Royaume.

Un scribe s'avança. Il les avait entendu discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda : Quel est le premier de tous les commandements ? Jésus répondit : Le premier c'est : Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là. Le scribe lui dit : Très bien, Maître, tu as dit vrai : Il est unique et il n'y en a pas d'autre que lui, et l'aimer de tout son coeur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices. Jésus, voyant qu'il avait répondu avec sagesse, lui dit : Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu. Et personne n'osait plus l'interroger.            Mc. 12, 28-34

A l'époque de Jésus, les maîtres de la Loi avaient établi des classifications dans la Loi juive, dénombrant 613 préceptes ou commandements, dont 365 étaient négatifs, les interdictions, et 248 positifs, les obligations. Parmi ces commandements, les uns étaient déclarés grands et les autres petits. C'est dans ce contexte de commandement qu'il est possible de comprendre la question "quel est le plus grand commandement ?", mais aussi "quel est le premier ?", celui qui a le plus d'importance, celui qui peut résumer à lui seul toute la Loi, celui qui peut rassembler toutes les recommandations, non seulement de la Loi juive, mais aussi de la simple loi humaine, car il ne faut pas oublier que Marc écrit son évangile pour un public qui ne connaît pas toutes les obligations législatives juives. L'évangéliste Marc se soucie davantage de la priorité que de la grandeur : qu'est-ce qui est primordial ? Déjà le Talmud avait essayé de répondre à cette question. D'ailleurs, de grands passages de la littérature juive essayaient de répondre à cette préoccupation : prohibition de l'idolâtrie, défense de verser le sang, interdiction de profaner le nom de Dieu, défense de violer le sabbat... En vingt ans avant Jésus-Christ, le rabbi Hillel prescrivait l'amour du prochain comme le premier des commandements : "Ce qui ne te plaît pas à toi, ne le fais pas à ton prochain, c'est là toute la Loi, le reste est explication".

Pour répondre à celui qui représente aussi un groupe d'adversaires, Jésus emploie les mêmes armes que les Pharisiens, il s'appuie sur les Ecritures qui leur sont familières, il semble même réciter une parfaite leçon de catéchisme juif, en citant la profession de foi d'Israël : "Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur", c'est l'affirmation du monothéisme absolu qui préside à la réponse de Jésus, qui emploie à dessein cette parole du Deutéronome, parce que c'est dans ce seul livre qu'il est question de l'amour de Dieu, beaucoup plus que de la crainte de Dieu. Il n'y a qu'une obligation, celle d'aimer Dieu sans réserve : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force". Et le second commandement découle presque nécessairement du premier : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Il ne s'agit pas de faire à autrui ce que l'on fait à soi-même, il s'agit de le traiter avec le même amour. Certes l'amour du prochain se traduit dans des réalisations pratiques, mais il ne s'agit pas d'une pratique simplement sociale. Il n'y a pas d'exigence divine qui aille à l'encontre de l'intérêt pour le prochain. Il n'y a pas de devoir plus fondamental pour l'homme que de respecter et d'aimer l'autre. Toute la théologie de l'Eglise primitive sera de montrer que celui qui dit aimer Dieu sans aimer son frère n'est qu'un menteur. Etre chrétien, ce n'est pas seulement aimer Dieu, c'est aussi aimer l'homme, mais pas simplement à la manière des philanthropes. Le chrétien se montre tel en prenant pour ligne de conduite celle de Jésus-Christ, celle du don total de soi : "Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit" (Jn. 12, 24). Cette parole sur le grain de blé est très éclairante pour celui qui veut suivre le Christ. La vie du grain de blé semble s'achever quand il est mis en terre, alors que c'est à ce moment précis qu'il prend sa véritable dimension, c'est à ce moment-là qu'il existe vraiment. Exister, c'est sortir de soi pour devenir autre. Selon l'étymologie, exister, c'est précisément se situer hors de soi-même. L'existence véritable est sortie de soi pour devenir autre. A la suite du Christ, comme le grain de blé, le chrétien est celui qui accepte de mourir à soi-même pour devenir autre et porter du fruit.

Le christianisme veut que toute action charitable ou sociale soit inspirée par le don de soi : nous connaissons l'amour quand nous acceptons de donner notre vie pour nos frères, expliquera la première lettre de saint Jean. Le commandement nouveau, c'est d'accepter d'aimer les autres au point de donner sa vie pour eux, c'est aimer comme le Christ qui aima les siens jusqu'au bout...

Le scribe constate que Jésus a bien répondu, en soulignant que le seul commandement ne s'attache pas à l'objet de l'amour, mais à l'acte d'aimer. Il découvre ainsi que Jésus est celui qui pose les fondements qu'une religion nouvelle qui vaut mieux que tous les sacrifices. Et Jésus constate que son interlocuteur n'est pas loin du Royaume de Dieu, bien qu'il n'y soit pas encore entré, car il y a une grande marge entre comprendre une doctrine et la mettre en pratique.

Le signe de la croix, signe du chrétien

Il convient, dès l'abord, de se souvenir que la croix est, avant tout, le signe de l'ignominie, le signe du supplice. La croix, c'est l'instrument du supplice réservé aux esclaves rebelles. Ce n'est pas une mort digne d'un citoyen romain (celui-ci, en cas de condamnation capitale, était décapité, comme le sera l'apôtre Paul), ce n'est pas la mort réservée aux membres du peuple juif (qui étaient lapidés). La mort sur la croix, c'est la mort du paria, de l'individu qui est rejeté par la société, qui est refusé par ses contemporains.

La croix que les chrétiens vénèrent, c'est le signe de leur refus, du "non" qu'ils opposent, avec tous les hommes, à la volonté du Dieu-Père. La croix est le signe du "non" des hommes, et la résurrection du Christ, au matin de Pâques, ne sera pas autre chose que la réponse, le "oui" de Dieu à ce refus humain.

Manifester un attachement à la croix peut apparaître facilement comme une pure folie. Les chrétiens ne sont pas des hommes ordinaires. Viendrait-il à l'idée d'un citoyen français de manifester un attachement comparable pour la guillotine ? à celle d'un américain pour la chaise électrique ? A une époque où l'on veut supprimer toute idée de la mort, l'attachement des chrétiens à la croix peut paraître scandaleux. C'est pourtant dans la croix de Jésus que se trouve le point "crucial" de la foi chrétienne.

Au cours de son existence humaine, Jésus n'a jamais cesse d'appeler Dieu son Père, au grand scandale des chefs religieux de son époque. Il revendiquait même une égalité avec Dieu quand il pardonnait les péchés, puisque le pardon était réservé à Dieu seul. On peut comprendre l'exaspération des chefs des prêtres qui l'ont condamné pour des motifs religieux, on comprend qu'ils voulaient se débarrasser de ce gêneur qui troublait la tradition, qui se plaçait au-dessus de la Loi mosaïque et qui se plaçait, d'autre part, au-dessus de la loi de Rome, la puissance d'occupation. Tout un ensemble qui a conduit Jésus à la mort, la mort sur une croix, supplice des esclaves révoltés contre la puissance de leur maître.

Et alors même que Jésus comptait sur Dieu, Dieu se tait, il n'intervient pas au moment de la mort de Jésus, et c'est pour ce dernier l'angoisse de l'agonie, de la souffrance et la solitude de l'homme face à la mort : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" (Mc. 15, 34) Dieu serait-il toujours l'absent ? celui qui abandonne l'homme à son triste sort ? Tout semble confirmer cette hypothèse dans l'abaissement du Christ jusqu'à la mort sur la croix. Mais à cause précisément de cet abaissement, Dieu intervient pour confirmer ce que Jésus prétendait. Par la résurrection, Dieu manifeste que Jésus est vraiment son Fils, et il lui donne le nom qui est au-dessus de tout nom, c'est-à-dire celui de Dieu lui-même, dont Jésus est l'égal. Dieu fait de Jésus le Seigneur dans la gloire.

Si, dans un raisonnement par l'absurde, on supprimait la croix, il ne resterait plus rien : tout ce qui précède aurait été inutile, tout ce qui suit n'existerait pas. La croix est le signe de la foi chrétienne, elle marque chaque instant de la vie chrétienne. Le premier signe tracé sur le front de l'enfant, lors de son baptême, n'est autre que ce signe de la croix qui va marquer le reste de sa vie. Toute existence humaine, dans ses épreuves, dans ses renoncements, dans ses doutes, apparaît comme une participation à la croix du Christ. Comme le disait l'apôtre Paul, "nous achevons dans notre corps présent ce qui manque aux souffrances du Christ".

La croix n'est pas un symbole du passé, un pieux souvenir de la mort de Jésus, elle est même plus que le signe de ralliement des chrétiens, elle est la réalité même de leur existence. En dehors de l'abaissement de la croix, pas d'espérance en une exaltation, en une résurrection. En dehors de la mort, pas d'espérance en la vie.

Ce qu'il importe au chrétien de réaliser, c'est de calquer son existence sur le modèle de l'existence de Jésus, lui qui n'a pas cherché à faire sa propre volonté, mais qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Au jour du baptême, le nouveau chrétien est plongé dans la mort avec le Christ pour ressusciter avec lui dans une vie nouvelle. Mais ce qui est alors donné, c'est le gage d'une promesse : le chrétien doit réaliser ce qu'il est appelé à devenir. Et ce qu'il lui faut vivre, c'est d'effectuer chaque jour le passage de la mort à la vie. Ce passage, le chrétien le manifeste et le rappelle dans le signe de la croix