DIEU S’EST FAIT CONNAITRE

 

Dieu s’est révélé aux hommes par des actions merveilleuses en faveur de son peuple Israël, par le message des prophètes et surtout par la prédication de Jésus.

La révélation de Dieu se trouve contenue dans l’Écriture et dans l’ensemble de la Tradition de l’Église. L’Écriture, ou la Bible, est un ensemble de livres écrits par des hommes sous l’inspiration de l’Esprit. Elle comprend deux parties, habituellement appelées Ancien et Nouveau Testament. La Tradition est la transmission fidèle de la Parole de Dieu, confiée par le Christ à ses apôtres, conservée et expliquée par leurs successeurs qui l’enseignent, à travers les siècles, sous la conduite de l’Esprit-Saint.

Les chrétiens, comme les juifs, parlent de la Bible comme de la Parole de Dieu. Cela explique le respect qu’ils lui témoignent. Pourtant, à y regarder de près, la Bible n’apparaît pas comme une parole, mais comme un ensemble d’écrits, comme un recueil de livre divers, dont la composition a été fixée il y a dix-huit siècles (c’est ce que l’on appelle le Canon biblique).

Alors que renferme ce livre mystérieux ? Est-ce un traité d’histoire, la saga d’un peuple, un recueil de poésies et de légendes, un livre philosophique, le fruit de l’imagination des hommes ou celui d’une inspiration divine ? Autant de questions auxquelles il faut répondre en soulevant un coin du mystère qui nourrit les espérances les plus folles, les entreprises les plus déroutantes, les découvertes les plus extraordinaires...

La Bible, c’est la lettre, la communication que Dieu donne de lui-même en commentant l’oeuvre qu’il fait par des hommes qu’il a choisis... C’est le best-seller mondial, le texte le plus édité. Copiée, recopiée sur papyrus, elle est imprimée pour la première fois par Gutenberg en 1455. Elle est aujourd’hui traduite en plus de trois cents langues et elle est accessible à quatre-vingt-dix huit pour cent de la population mondiale.

En proposant la Bible comme livre, on se fait illusion. Ce n’est pas un livre, mais une bibliothèque. Et une bibliothèque déroutante, elle contient des récits historiques qui ne sont pas toujours intéressants pour connaître le passé de l’humanité, on y trouve aussi des récits d’une morale pas toujours très édifiante, des rapports de guerres, de meurtres, des chants de joie et des chants de peine... Tout cela est organisé dans un ordre qu’il faut connaître si l’on veut s’y retrouver dans cette bibliothèque qui appartient au patrimoine de l’humanité.

Les textes sacrés d’Israël sont devenus ceux du christianisme, lequel a enrichi la collection des livres de la collection juive. Pour distinguer ces deux collections, on parle souvent d’Ancien et de Nouveau Testament, mais ce terme est inadéquat pour exprimer toute la richesse biblique (un testament évoque toujours la mort de quelqu’un, alors que le Dieu qui parle aux hommes est le Vivant pour toujours. Le terme d’Alliance convient beaucoup mieux.

La Révélation de Dieu et l’expérience croyante

Si l’on prend les livres de l’Écriture, on n’y trouve que des paroles humaines. Le Dieu ineffable, pour se faire entendre, doit nécessairement user de mots humains. La révélation est, en quelque sorte, l’auto-manifestation de Dieu, c’est-à-dire l’acte par lequel Dieu lui-même se donne à connaître, en employant une pédagogie adaptée aux hommes.

Il n’y a pas de révélation immédiate de Dieu, au sens où il y aurait des paroles qui seraient prononcées par Dieu lui-même. Il n’y a pas de théophanies qui seraient des manifestations immédiates de Dieu, car nul ne peut voir Dieu sans mourir... En revanche, Dieu se manifeste de façon médiate, par les événements de l’histoire, et particulièrement l’histoire du salut. Ces événements sont déjà Parole de Dieu, parce qu’ils sont situés dans le contexte de l’histoire du salut : ils portent en eux-même du sens. Mais ils ne dévoilent tout leur sens que s’ils sont actualisés dans la conscience du peuple de Dieu.

Ainsi, l’événement de la Pâque ou de l’Exode, qui est la forme privilégiée de la révélation du Dieu qui veut que son peuple soit sauvé de la main de l’oppresseur, devient Parole de Dieu, dans la mesure où cet événement pénètre dans la conscience du peuple qui le réactualisé au long des générations, comme si chacun de ses membres était réellement sorti d’Égypte, avait franchi la Mer Rouge à pied sec, était lui-même entré dans la terre que Dieu avait promise à ses pères. Pour que cet événement soit Parole de Dieu, il fallait qu’il soit intériorisé par la conscience du peuple, puis proclamé par une parole d’homme. La seule histoire qui soit intéressante, c’est celle qui a été intériorisée par les hommes, celle qui a donné naissance au témoignage.

Ainsi, un événement a lieu au sein de l’histoire personnelle d’un individu, par exemple, la vocation d’un prophète, ou au cours de l’histoire collective du peuple tout entier, et la parole qui reprend cet événement singulier ou communautaire sera une réinterprétation de l’événement lui-même, qui entre dans le cadre de la révélation.

Un événement peut être incorporé à la révélation dans la mesure où il peut être exprimé dans un langage humain, et non pas se limiter à une expérience incommunicable, d’ordre affectif. De la sorte, un fait est révélant, il est Parole de Dieu, dans la mesure où il peut avoir une traduction, dans la mesure où il peut s’exprimer dans une tradition ou dans des écrits.

La révélation chrétienne consiste non pas dans le dévoilement d’un certain nombre de vérités sur Dieu ou sur l’homme, ni même dans l’attitude religieuse que l’homme doit avoir envers Dieu, mais dans l’événement historique Jésus-Christ. Or, nous ne pouvons jamais atteindre directement Jésus-Christ, mais simplement par le relais du témoignage des textes néo-testamentaires. Il faut donc comprendre ce qui s’est passés pour les premiers témoins, il faut retrouver le sens des événements pour les premiers témoins qui ont engagé leur foi. Il faut nécessairement recourir aux textes qui présentent l’histoire des origines chrétiennes. La compréhension de ces textes passe par des faits réels qu’il n’est plus possible de reconstituer, mais cette même compréhension se fait aussi en référence à la situation contemporaine : c’est l’homme aujourd’hui qui met sa foi dans ce Christ dont parlent les textes anciens.

Comprendre un texte du passé, c’est s’ouvrir soi-même à son enjeu. Il nous faut aussi le lire selon notre éclairage propre, qui peut être particulier, mais aussi selon son éclairage particulier, selon qu’il s’agit d’un texte religieux, philosophique, politique... Il s’agit donc, pour le chrétien, de redécouvrir la révélation de Dieu en interprétant les textes néo-testamentaires. Pour percevoir l’enjeu de cette réflexion, il est possible de recourir à l’interprétation musicale qui montre que comprendre une oeuvre, ce n’est pas simplement reproduire son sens primitif, mais la comprendre autrement. Ce qui juge de la qualité d’une interprétation d’une symphonie de Mozart, ce n’est pas la reproduction de l’œuvre dirigée par Mozart lui-même, c’est sa capacité à faire participer l’auditeur au message de la symphonie, de telle sorte qu’il parvienne à une nouvelle compréhension de lui-même.

Il en est de même de la Parole de Dieu, et particulièrement de l’événement Jésus-Christ. Ce qui concerne celui-ci, ce n’est pas un objet à connaître, mais un texte à interpréter par nous et pour nous aujourd’hui. Il ne suffit pas de répéter matériellement la Parole de Dieu, mais de la dire de manière à ce qu’elle devienne parlante pour l’homme d’aujourd’hui. C’est toute la tâche de la prédication, qui est révélation de Dieu pour l’homme aujourd’hui. Ce n’est donc pas la permanence d’un certain nombre de formules qui assure l’identité de la foi entre la génération présente et la première génération, celle des apôtres. Ce qui compte, en premier lieu, c’est l’identité du rapport religieux d’où ont surgi les évangiles et d’où surgit encore la prédication de l’Église

Toute la prédication de l’Église, des origines à nos jours, n’a jamais été autre que d’annoncer une manière nouvelle pour l’homme d’être en relation avec Dieu, à la manière de Jésus-Christ, qui est, pour chaque chrétien, le modèle de son « être enfant de Dieu ». Humainement Dieu, Jésus de Nazareth montre comment être divinement homme.

Dieu est autre que la Bible. Il dépasse toujours les catégories par lesquelles l’homme essaye de le cerner.

La révélation est close définitivement, comme constitution d’un texte, avec la mort du dernier apôtre. Mais son actualisation dans la conscience humaine n’est jamais achevée. La fixation du canon des Écritures s’est faite au second siècle, c’est dès cette époque que l’on a exclu les évangiles apocryphes qui circulaient au premier siècle. Et pourtant, Dieu continue de nous parler dans l’histoire qui est la nôtre. Ainsi, le pape Jean XXIII souhaitait que les chrétiens apprennent à lire les « signes des temps »... C’est aussi de cette manière que le Concile Vatican II posait les termes d’une révélation qui se poursuit encore aujourd’hui :

L’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles de l’homme sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations et son caractère souvent dramatique (Gaudium et Spes, 4).

Il y a, dans l’histoire des hommes et dans l’histoire personnelle de chaque homme, des signes des temps qui manifestent d’une manière privilégiée la présence de Dieu. Ce sont des phénomènes qui caractérisent une époque ou une vie, et par lesquels s’expriment les besoins et les aspirations de tous les hommes ou d’un individu particulier. Ces signes des temps sont, par rapport au Royaume de Dieu, des préparations de l’Évangile Et il n’est possible de les discerner qu’à la lumière de la révélation consignée dans l’Écriture

La Tradition de l’Église

La Parole de Dieu ne s’identifie pas avec la lettre de l’Écriture. Aujourd’hui, elle est l’Écriture lue avec l’aide de l’Esprit-Saint et en communion avec toute l’Église La fonction d’enseignement a été confiée par Dieu à l’Église Et cette fonction, dans l’Église post-apostolique, c’est-à-dire d’après les apôtres, est interprétative. Il n’y a pas de tradition sans une recherche d’intelligence et de compréhension de la Parole de Dieu, sans une actualisation du message qui a été transmis. Cette tradition s’exprime par des dogmes. Dogme, selon l’étymologie grecque, signifie : décret. Pourtant, chez les Pères de l’Église, ce même terme désigne l’ensemble de la doctrine de l’Écriture. C’est au Concile de Trente qu’il est employé dans le sens d’une certitude dans le domaine de la foi.

On pourrait dire que le dogme est le témoignage humain rendu à la vérité du dépôt révélé, c’est comme un témoignage historique déficient rendu à la vérité éternelle de la Parole de Dieu. C’est, en quelque sorte, un moyen économique pour expliciter la foi : il permet d’éviter de recommencer tout le parcours de l’explication de la foi, des origines à nos jours.

Ainsi, les confessions de foi, les symboles de la foi, étudiés précédemment, se présentent comme des résumés de l’enseignement chrétien antérieur et permettent de réguler l’enseignement ultérieur de l’Église

Les dogmes sont vrais, et ils réclament l’obéissance de la foi, mais ce ne sont que des moments de prise de conscience par l’Église de la vérité de l’Évangile Au cours des siècles, la formulation des dogmes peut changer, évoluer, car ils ne sont pas infaillibles ni irrévocables dans leur lettre. Ce qui est infaillible et irrévocable, c’est leur sujet, qui concerne la révélation même de Dieu. Ce que les dogmes essayent de pénétrer, c’est le mystère de Dieu auquel renvoient toujours les affirmations de l’Église Mais ce qui fait le dynamisme de la foi chrétienne au cours des siècles, ce ne sont pas les formulations, c’est Dieu lui-même. Les formules ne sont que des moyens pour exprimer ce que des hommes ont pu percevoir du mystère et de l’absolu de Dieu. Nous ne pouvons atteindre la connaissance de Dieu que par des formulations humaines. C’est la raison pour laquelle les formules dogmatiques sont toujours relatives à l’époque dans laquelle elles ont été énoncées, au contexte de leur énonciation. De la sorte, il est possible de dire que la caractéristique du dogme, c’est d’être à la fois définitif et provisoire. Il est définitif et immuable par rapport à la réalité qu’il vise, à savoir le mystère de la foi, mais il est aussi provisoire, parce qu’il est conditionné par le milieu culturel et le contexte historique. C’est d’ailleurs de cette manière que les Pères du Concile ont pu dire : Autre est le dépôt lui-même de la foi et autre est la forme dans laquelle ces vérités ont été énoncées (Gaudium et Spes, 12).