DIEU NOUS REVELE SES MYSTERES



Le mystère, dans le sens chrétien du terme, n’est pas quelque chose qu’il est impossible à l’homme de connaître, une sorte d’énigme indéchiffrable. Le mystère est une ouverture vers la réalité de Dieu, vers son amour, et particulièrement son amour envers les hommes.

Les principaux mystères de la foi chrétienne sont qu’il n’y a qu’un seul Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (la Trinité), que le Fils de Dieu s’est fait homme (l’Incarnation), qu’il a souffert, qu’il est mort et ressuscité afin de sauver tous les hommes de la mort.

La Trinité

En théologie, on ne peut parler de la révélation trinitaire qu’à partir du moment et dans la mesure où la Trinité s’est elle-même effectivement révélée. Jésus-Christ seul nous révèle le secret de l’unique Dieu des deux Testaments. Se demander si la révélation de la Trinité a été préparée dans l’Ancien Testament n’est possible qu’à partir d’un donné réalisé. Puisque la révélation de la Trinité a été faite, le théologien peut alors se demander si elle a bien été préparée. Cette révélation a été faite en Jésus-Christ, qui a dévoilé aux hommes qu’il n’existait pas un Dieu en soi, mais un Dieu qui s’est fait proche des hommes. Parole personnelle de Dieu, le Christ n’annonce pas la Trinité, alors qu’il est la clef pour que l’homme puisse accéder à la connaissance de Dieu. Il ne prêche pas la Trinité, il révèle plutôt le Dieu unique d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, qu’il présente comme son Père, comme le Père de ses disciples, comme le Père de tous les hommes, il promet et il envoie son Esprit qui permet aux hommes de dire : Abba ! Père !

La doctrine trinitaire est un document de la théologie de l’Église, un document de sa foi, et c’est comme tel que ce document constitue une révélation, mais de manière indirecte. La doctrine trinitaire ne se borne pas à répéter l’Écriture, mais à l’expliquer par des concepts qui ne sont pas contenus dans Écriture Déjà, dans l’Église ancienne, cette doctrine a été fortement critiquée sous prétexte qu’elle n’était pas biblique, c’est-à-dire qu’elle ne se trouvait nulle part explicitement dans la Bible. Mais la Bible ne saurait davantage contenir ce dogme que n’importe quel autre dogme, car son témoignage participe aussi de la faillibilité humaine.

Le monothéisme biblique

Le monothéisme est la conviction qu’il n’existe pas plusieurs divinités, mais un Dieu unique. Seulement, ce monothéisme n’est pas une donnée immédiate de la tradition biblique. Pour les patriarches, il s’agit d’un monothéisme très relatif : les autres dieux sont pratiquement inexistants. La Bible dit bien quel est le Dieu dont elle atteste la révélation, elle le décrit comme Élohim, YHWH, El Shaddaï, El Roy, mais devant la multiplicité de ces nominations initiales, il n’est même pas possible de dire avec certitude si la révélation mosaïque était celle d’un Dieu unique : le « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi » (Ex. 20, 3) ne dit rien quant à l’inexistence des autres dieux. La révélation du Dieu unique ne semble pas encore faite avec Moïse. Ce sont les prophètes qui vont pousser plus loin le monothéisme absolu :

C’est le développement ultérieur de la révélation qui va montrer que le Dieu d’Israël est le seul Dieu, que les dieux des nations sont des néants. Ce même développement ultérieur va aussi montrer que le premier commandement se fondait déjà sur un monothéisme absolu. Ce ne fut pas une tâche facile pour les prophètes que de le manifester à un peuple naturellement enclin au polythéisme, par ses relations avec les habitants des régions voisines, qu’ils soient Cananéens ou Babyloniens... D’ailleurs, le Dieu d’Israël n’est pas sans analogie avec le grand dieu du panthéon cananéen, El, et les luttes entre YHWH et Baal sont constantes à l’époque Élie La poursuite du judaïsme introduira progressivement le monothéisme absolu, avec notamment la prière quotidienne du Shema Israël : « Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un » (Dt. 6, 4). Apparemment, le monothéisme est un principe de l’alliance du Sinaï, mais le premier précepte ne nie pas de façon nette les autres dieux : « Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi » n’exclut nullement la possibilité d’existence pour les autres dieux. Et, dans toute l’histoire du peuple, il se trouvera toujours une certaine ambivalence entre le Dieu de l’alliance et les autres dieux.

Pourtant, contrairement aux dieux païens, YHWH ne connaît aucune limitation territoriale. Les sanctuaires sont des lieux où il apparaît et non des lieux où il séjourne. Il est indépendant du cosmos dont il est le maître, parce que le créateur. Les prophètes montreront cette supériorité de Dieu sur le cosmos, en affirmant qu’il n’y a aucune place au monde où se cacher de son regard. YHWH est le Seigneur des armées, c’est-à-dire qu’il est le maître absolu de toute la création. Le temps ne peut pas davantage le contenir : la Bible ne présente aucune théogonie, aucun engendrement du monde des dieux. YHWH est le Dieu éternel, en tant qu’il est le Vivant, l’absolue plénitude de vie. Il est le Tout-Autre et aucune mesure humaine ne peut le définir : la vie de Dieu transcende la mesure terrestre du temps. YHWH est le Dieu saint. La sainteté désigne ce qui est séparé, mis à part. Son Nom lui-même est saint, il n’est pas prononçable, malgré quelques six cent quatre vingts mentions scripturaires. Les théophanies ne sont pas des apparitions véritables de Dieu : nul ne peut voir la face de Dieu, même Moïse n’a pas vu Dieu face à face, elles sont plutôt des manifestations de sa présence, de sa sainteté, de sa clémence. En fait, YHWH n’est jamais vu, mais il fait voir quelque chose...

La transcendance de Dieu est manifestée dans son ipséité, c’est-à-dire dans sa personnalité absolue : Dieu existe en lui-même, il n’a aucun égal, mais il possède une personnalité propre qui existe par elle-même. Cette personnalité fortement affirmée de Dieu est manifestée très souvent dans Écriture, quand l’auteur biblique fait parler Dieu : « Moi, YHWH... ». Il n’a pas besoin des hommes pour subsister. Il manifeste sa personnalité sans égale par sa Parole qui est la médiation fondamentale. La Parole de Dieu est l’expression biblique qui désigne toute son activité quand il se fait proche des hommes, par l’entremise des prophètes par exemple. Les prophètes n’ont pas à disposer de la Parole de YHWH, mais ils se mettent à son service. Par sa Parole, Dieu prend des initiatives dans le monde des hommes. Il est d’abord le Seigneur et le partenaire de l’alliance. Sa Parole, dans le Décalogue, est constitutive du peuple avec lequel YHWH conclut son alliance : la Parole de Dieu est une Parole pour l’homme, elle est en relation avec la révélation du Dieu vivant et unique qui est à l’oeuvre dans l’histoire d’Israël. La gloire de Dieu se manifeste dans sa Parole, car elle est créatrice et salvatrice.

Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un

La doctrine trinitaire ne se trouve donc jamais dans la Bible. D’ailleurs, la Bible ne parle jamais de Dieu, elle laisse Dieu parler à l’homme. Et c’est dans ce rapport à l’homme que Dieu se dévoile peu à peu, qu’il se révèle. Même dans le Nouveau Testament, on ne trouve pas la notion de la Trinité. La définition dogmatique, le dogme, ne viendra que bien plus tard, il sera exprimé progressivement entre le troisième et le quatrième siècles, sous la forme de termes philosophiques de cette époque : « Une seule nature divine, trois personnes distinctes, unies par leurs relations réciproques ». Malgré cette précision dans l’emploi des termes de la philosophie de cette période, il ne faudrait pas se faire illusion : cette formulation est impropre à exprimer correctement la réalité de Dieu, car on parle toujours de Dieu de manière incorrecte. La meilleure façon de parler de Dieu, c’est de parler de lui d’une manière négative : la Trinité est toujours autre chose que ce que l’on peut dire d’elle. Ainsi, en parlant de manière négative, il serait possible de dire : « il n’y a pas trois dieux, mais Dieu n’a pas qu’un seul visage ».

Le point de départ de la foi en Dieu, c’est l’affirmation de son unicité. Le Seigneur Dieu est unique, ainsi que le proclamaient unanimement les prophètes. Contrairement aux dieux païens, YHWH n’a ni femmes, ni enfants, ni ancêtres... De plus, il n’a même pas besoin de recevoir un culte ou des sacrifices : ce qui fait la gloire de Dieu, c’est la grandeur de l’homme.

Le vrai nom de Dieu, YHWH, « Je suis », « Je serai avec toi », est un nom imprononçable, mais c’est le seul que le peuple juif lui reconnaisse en vérité. Le nom de Père ne lui était attribué qu’avec beaucoup de précautions, afin d’éviter les malentendus avec les religions païennes. Le pharaon, par exemple, se considérait et était considéré comme le fils du dieu : Ramsès ne signifie rien d’autre que Râ, le dieu-soleil, est né. On pensait alors que les rois étaient engendrés par les dieux eux-mêmes. Et il n’y a pas longtemps que l’empereur Hiro-Hito du Japon a proclamé qu’il était un homme comme les autres, qu’il n’était pas de descendance divine... C’est la raison pour laquelle, en Israël, on emploie avec précaution le terme « fils de Dieu » pour désigner le roi. Cette nomination ne signifie rien de plus que : cet homme particulier qu’est le roi jouit d’une faveur particulière de Dieu. Et même dans le Nouveau Testament, ce terme signifie la plupart du temps « envoyé de Dieu » sans plus, et certainement pas comme portant tout le poids de réalité que les chrétiens lui ont donné quand ils ont parlé du Fils engendré du Père avant tous les siècles.

Dieu est Dieu par lui-même (ipséité), mais il parle aux hommes. C’est cela la grande révélation de l’Ancien Testament. La Parole de Dieu, mais aussi la Sagesse de Dieu, va prendre une place de plus en plus importante dans la pensée religieuse juive. Dieu se donne à connaître aux hommes, il leur donne part à son Esprit : « L’Esprit de Dieu repose sur moi, il m’a envoyé proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres ». La Parole de Dieu et l’Esprit de Dieu sont des notions qui se font jour dès l’Ancien Testament, sans pour autant avoir une existence particulière indépendante.

Dieu est Amour

La question actuelle sur la Trinité ne s’exprime plus en des termes philosophiques comme au troisième siècle. Nous ne sommes plus prêts à nous disputer, comme le faisaient nos ancêtres dans la foi, sur les docks d’Alexandrie ou même chez leur barbier, pour affirmer ou nier que le Fils est l’égal du Père.

A vrai dire, pour les chrétiens, il ne semble pas que la doctrine trinitaire soit quelque chose d’absurde ou du moins de défi à la raison humaine. Nous comprendrions très mal que Dieu puisse rester absolument solitaire, s’il est amour. L’amour est échange, partage, don et accueil : il est aussi divin de donner que de recevoir. Mais l’amour ne peut pas s’enfermer dans le simple dialogue, il est aussi ouverture sur l’autre : l’amour n’est pas seulement don et accueil, il est aussi communion et lien. La triade humaine (homme, femme, enfant) apparaît comme un reflet du mystère divin. Et pourtant si cette image permet de percer un peu le mystère de Dieu, elle n’est pas suffisante pour exprimer toute la réalité de l’union intime qui existe en Dieu. Toute parole humaine ne pourra jamais exprimer Dieu dans son indicible Trinité.

Le terme « amour » dit tout ce que l’on peut exprimer de Dieu. Mais il dit en réalité peu de choses, car un terme humain est incapable de saisir entièrement le mystère de Dieu. C’est la vie trinitaire qui nous apprend en fait ce qu’est le véritable amour, et non l’inverse. La vie trinitaire ne consiste ni dans l’enfermement d’une plénitude sur elle-même, ni dans la satisfaction mutuelle à deux, mais dans la circulation éternelle de vie entre trois personnes. Le Père, dans son débordement d’amour, engendre le Fils et lui fait partager la plénitude de sa divinité. Le Fils se reçoit tout entier du Père et se livre tout entier en retour à son Père, pour vivre avec lui dans une communion totale, communion si intense que le Père, source de toute divinité, donne même à son Fils de faire advenir, par leur échange, la personne de l’Esprit.

Pourquoi sont-ils plus que deux ? Dans l’amour mutuel, dans l’amour brûlant, rien n’est plus rare, ni plus admirable que ceci : vouloir que l’être que l’on aime suprêmement et dont on est suprêmement aimé en aime un autre d’un égal amour... Si une personne divine était associée à une autre personne seulement, elle aurait bien à qui faire part des richesses de sa grandeur, toutefois elle n’aurait pas à qui communiquer les délices de la charité... Il n’y aurait pas quelqu’un qui puisse goûter avec elle les délices de l’amour dont elle est comblée (Richard de Saint-Victor).

Comme il n’est guère possible de figurer la Trinité, puisqu’il est impossible de représenter le Père, que nul oeil n’a jamais vu, ou l’Esprit qui est une réalité purement spirituelle, les artistes ont souvent eu recours à ce qui peut être considéré comme une préfiguration de la Trinité dans l’Ancien Testament. Il s’agit du récit d’une apparition du Seigneur à Abraham, sous la forme de trois êtres humains, dans le livre de la Genèse (Gn. 18, 1-5). Pour plus d’explications, on se reportera au chapitre consacré à l’icône de la Trinité d’Andréï Roublev, qui donnera toutes les précisions utiles à ce sujet...

Dieu, le Père Créateur

En affirmant leur foi, les chrétiens ne disent pas : Je crois en Dieu créateur, mais : Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Cela signifie que Dieu n’est pas un être lointain, mais qu’il déborde de tendresse comme un Père aime son Fils, avec lequel il vit dans l’intimité et la communion de l’Esprit. C’est déjà dire que, pour les chrétiens, la création est, à tout jamais, indissociable de la naissance et de la vie de Jésus-Christ.

La nouvelle création explique la première création

Pour comprendre la création, nous ne pouvons pas nous dispenser de considérer l’événement essentiel de la foi chrétienne, la résurrection du Christ, qui est l’achèvement de toute la création et qui en donne le sens définitif. C’est par cet événement que les chrétiens peuvent donner une lumière sur les problèmes de ce monde. Mais il est toujours difficile à l’homme contemporain de faire cet acte de foi. Jean ROSTAND, le biologiste français, disait souvent à ses visiteurs croyants : « Comme vous avez de la chance de croire ! » Il passait des jours et de nuits à s’interroger sur l’origine de l’univers, et il disait : « Je ne peux admettre qu’un être ait créé tout cela et, d’autre part, j’ai peine à admettre que cela se soit fait tout seul, par la vertu du hasard. Alors, je suis écartelé ».

L’homme, par son activité, mais aussi par son intelligence, se présente comme créateur, il étend son pouvoir sur le monde et il agit sur les choses. Et, dans le même mouvement, l’homme est très sensible au caractère aliénant, dépersonnalisant du travail. Une tâche où n’intervient pas une activité créatrice ne lui semble pas être une tâche humaine : quand l’homme n’a pas une part d’initiative dans le travail qu’il accomplit, ce travail lui paraît déshumanisant. D’où l’attitude de certains en face de Dieu qui imposerait des limites à la liberté créatrice de l’homme. Pour eux, admettre que Dieu a créé le monde, c’est établir entre Dieu et l’homme un lien de dépendance tel qu’il n’y a plus aucune place pour l’exercice de la liberté humaine.

L’athéisme, le refus de Dieu et de la religion, a sans doute ses origines dans une mauvaise présentation de l’oeuvre du Dieu Père. On projette sur l’activité créatrice de Dieu une expérience humaine, artisanale. Mais la relation entre Dieu et l’homme n’a rien à voir avec une relation un fabricant et un objet fabriqué. La création, dont parle la Bible, concerne l’homme qui est au coeur de l’univers. La création, c’est le sens que prend le monde quand on découvre que c’est le lieu où se jouent l’histoire de Dieu avec l’homme et l’histoire de l’homme avec Dieu.

Il importe alors de savoir que le récit de la création qui ouvre la Bible n’a pas été le premier texte écrit, c’est un texte très tardif dans l’histoire du peuple juif, il remonte seulement au sixième siècle avant l’ère chrétienne. Ce qui a été premier, dans l’histoire du peuple, c’est de constater qu’il s’est d’abord formé comme un peuple, comme une nation au milieu des autres. Ce peuple est sorti de la captivité en Égypte. La première expérience qu’Israël fait de Dieu, c’est l’expérience d’un Dieu qui sauve son peuple, qui le libère de la servitude. Dieu crée son peuple en le libérant. Le vocabulaire de création est avant tout un vocabulaire de salut. La Bible, comme le Credo, débute par la création, mais, en fait, dans la conscience d’Israël, la foi en un Dieu créateur n’est venue qu’après une longue maturation.

Que veut dire la foi au Créateur ?

Croire au Dieu Créateur, c’est croire que Dieu ne cesse de faire vivre son peuple, en le maintenant dans la liberté, celle d’une alliance entre Dieu et l’homme.

C’est dans cette lumière que le peuple relit son histoire, l’histoire de ses ancêtres. Il se souvient de la migration de la famille ou du clan d’Abraham, et il l’interprète comme une étape et un signe de la présence de Dieu qui libère son peuple. Mais Abraham n’est pas le tout premier commencement. C’est en remontant encore plus loin dans le temps que le peuple affirme qu’à l’origine de tout, il y a le même amour, la même volonté de libération qui existe et qui constitue l’expérience fondamentale de la vie d’Israël. Alors, les récits de création, et il y en a plusieurs dans l’ensemble de la Bible, sont construits de telle manière que l’homme y apparaisse comme celui qui doit poursuivre l’oeuvre entreprise par son Dieu. Dieu inaugure son oeuvre et l’homme, sommet de la création, est associé à cette oeuvre. Dès lors, la relation entre l’homme et Dieu n’est pas et ne peut pas être une relation de dépendance, mais une relation d’amour.

Il est possible alors également de découvrir la place de l’homme dans la création : il est le maître de toutes choses. C’est lui qui doit faire passer l’univers de l’état de chaos à celui de monde habitable, et par suite de monde fraternel. C’est lui qui doit faire de l’histoire un chemin de liberté et non de dépendance des hommes entre eux. C’est lui qui doit travailler au développement de l’homme, à son plein épanouissement. C’est lui encore qui doit travailler à faire que l’humanité soit unie.

En conséquence, la foi en la création prend la forme de l’espérance. Il appartient à l’homme de préparer une création entièrement nouvelle.

Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur

Tout au long de son existence, Jésus de Nazareth n’a jamais fait un exposé systématique de ce que l’on pourrait appeler une nouvelle doctrine sur Dieu, sur sa nature ou sur le salut du monde. De plus, les évangiles montrent qu’il n’a jamais revendiqué l’identité avec Celui qu’il appelle son Père, pas plus qu’il ne s’est prévalu du titre de « Fils de Dieu ».

Après une trentaine d’années de vie cachée à Nazareth, Jésus commence sa prédication sur les routes de Palestine. Et des hommes, qui deviendront ses disciples, s’attachent à lui. Mais il ne leur demande jamais rien d’autre que de le suivre. Parmi eux, il constituera un groupe privilégié de douze hommes, à la formation desquels il va apporter de plus en plus d’attention. En leur demandant de le suivre, d’une manière pressante et presque inconditionnelle : « celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas digne du Royaume de Dieu », Jésus fait comprendre à ses disciples qu’avec lui le Royaume entre dans une phase décisive. Et c’est la raison qui motive son comportement très particulier en face de la Loi juive, c’est-à-dire pratiquement en face de la Loi de Dieu. Il se permet de pardonner les péchés, privilège réservé à Dieu. Il place sa relation à Dieu sur un tout autre plan que celle que les autres hommes pouvaient avoir envers YHWH. Il va jusqu’à lui donner le nom de « Abba », terme familier par lequel, dans l’intimité familiale, les enfants désignent leur père.

L’évangile selon saint Marc, en particulier, montre très bien la montée de l’interrogation parmi les disciples : quel est donc cet homme qu’ils fréquentent ? d’où lui vient son autorité ? qu’est-ce qui l’autorise à parler et à agir de la sorte ? qui est-il donc celui-là à qui les vents et la mer obéissent ? Et ce n’est qu’après sa mort, qui les a d’abord laissés dans le plus grand désarroi, que le voile va se lever sur le mystère de Jésus. Ses disciples découvrent qu’il n’est pas resté prisonnier de la mort, qu’il est ressuscité. Alors, ils peuvent relire toute l’histoire qu’ils ont vécue avec ce Jésus de Nazareth : ils perçoivent ainsi que les promesses de Dieu se sont réalisées avec Jésus. Ils découvrent que Dieu était non seulement avec lui, mais aussi en lui. Dieu était, par lui, venu dans le monde et dans l’histoire pour réconcilier les hommes avec lui.

L’appartenance de Jésus à Dieu

Les écrits néotestamentaires explicitent progressivement l’appartenance de Jésus à Dieu lui-même. Ils le présentent comme Emmanuel, Dieu-avec-nous. Mais ils insistent toutefois sur le fait que Jésus n’est pas Dieu purement et simplement. Certes, Jésus est Dieu, mais il est toujours référé à cet « autre » divin, que lui-même appelait Père. Bref, Jésus est Dieu en position de Fils. Les derniers écrits du Nouveau testament pousseront plus loin encore leur définition de la personne et du mystère de Jésus, en l’appelant « propre Fils », ou encore « Image substantielle », « Verbe de Dieu ». Jésus est finalement considéré comme l’incarnation même de Dieu, comme celui en qui a résidé corporellement toute la plénitude de la divinité. Un texte de saint Paul est assez éclairant pour percer le mystère même de la personne de Jésus :

Jésus, lui qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, par son aspect, il était reconnu comme un homme. Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus-Christ, à la gloire de Dieu le Père (Phi. 2, 6-11).

Le Christ Jésus a vécu une solidarité radicale avec les hommes, avec leur chair, avec leur destin, « sauf le péché » précisera la lettre aux Hébreux (Héb. 4, 15). Sauf le péché, mais non pas sans l’expérience de toute ce qui accompagne le péché, sans l’expérience de tout ce qui constitue la condition de l’homme pécheur, c’est-à-dire la mort dans le coeur, l’obscurité de la conscience...

Le Christ, dont la préexistence est affirmée dans ce texte, était de condition divine. Son droit le plus strict, au niveau de ce qui peut être perçu comme une justice, aurait été de revendiquer une condition humaine glorieuse, telle qu’il la possédera après la résurrection. Mais il n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu, de se prévaloir de l’égalité avec le Père. Il ne s’agit pas d’une revendication de justice, mais bien d’un renoncement. Jésus a renoncé au rayonnement de la gloire vine, et il s’est volontairement anéanti, à l’inverse du premier homme, qui avait voulu être l’égal de Dieu. Au lieu de faire éclater dans son humanité la gloire divine qui était la sienne, lui qui était le Fils a pris la condition de l’esclave, du serviteur assujetti à toutes les limitations de la nature humaine, y compris la souffrance et la mort. Les théologiens ont appelé « kénose » cet abaissement du Fils (du verbe grec, ekenosen : il s’est dépouillé). L’incarnation est le premier aspect de la kénose, l’obéissance jusqu’à la mort en est la deuxième manifestation. Et c’est parce qu’il s’est abaissé jusqu’au bout que Dieu l’a élevé souverainement.

La théologie de la kénose vient confirmer le fait que Jésus ne s’est jamais prétendu le Fils de Dieu, au sens où les chrétiens comprennent ce terme depuis les origines de l’Église Il n’a pas revendique un titre qui eut pu faire de lui l’égal de Dieu, dans la mentalité juive. Il ne semble même pas qu’il ait revendiqué le titre de « fils de Dieu » au sens où cette expression était fréquemment employée dans l’Ancien Testament. Le roi, le prophète, le sage, le peuple d’Israël tout entier étaient considérés comme des fils de Dieu, comme ceux sur qui reposait la faveur de Dieu. Le Christ, au cours de son existence temporelle, a préféré l’abjection à la faveur. Et cette abjection passe naturellement par l’assujettissement à la loi, non seulement la Loi juive, mais aussi et surtout la loi humaine, qui conduit chaque homme jusqu’à la mort. La mort même de Jésus le présente comme celui qui est rejeté définitivement par Dieu : le supplice de la croix, réservé aux esclaves romains et à ceux qui se rebellaient contre la puissance romaine, était considéré comme le plus infamant des supplices et comme la marque de la malédiction divine.

Le « c’est pourquoi » illustre le fait que l’élévation de Jésus sur la croix est déjà le signe de la suprême élévation. Le Christ a été élevé au-dessus de toute créature, il reçoit le nom qui est au-dessus de tout nom, c’est-à-dire le Nom même de Dieu. Retrouvant alors l’aspect de sa divinité, demeurée cachée aux jours de son existence mortelle, il peut recevoir l’adoration (que tout genou fléchisse) de tous les être vivants qui le proclament (que toute langue confesse) Seigneur, c’est-à-dire Dieu.

Le Christ est HUMAINEMENT Dieu

Jésus, bien qu’il soit Dieu, a connu toutes les limitations et toutes les caractéristiques de l’existence humaine. Il a réellement assumé la nature de l’homme. Ce serait se faire illusion que de croire à trop de privilèges pour Jésus. C’est véritablement qu’il a grandi, qu’il a progressé en intelligence et en sagesse, c’est véritablement qu’il a ignoré certaines choses, c’est véritablement qu’il a pu être fatigué corporellement, qu’il a pu être agacé de l’inintelligence de ses disciples, c’est véritablement qu’il a été tenté, c’est véritablement qu’il a craint la souffrance et la mort. Un Père de l’Église soulignait ce fait, en disant simplement : « Ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ».

Mourir s’inscrit dans la ligne de la vérité humaine. Et c’est en raison de cette logique même de l’existence humaine que Jésus est réellement mort. Il est mort, abandonné de tous, et même, semble-t-il, de Dieu. Son cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (ce qui est une citation du psaume 22) est bien un cri de détresse, mais pourtant pas un cri de désespoir, puisque Jésus cite encore Écriture

Le Christ est humainement DIEU

En Jésus-Christ, Dieu s’est, en quelque sorte, logé à l’enseigne de l’humanité. Par lui, Dieu s’est soumis au temps. Éternel, il entre dans le temps ; immortel, il connaît la mort. C’est par cette soumission absolue à la volonté du Père que Jésus révèle aux hommes l’identité profonde de Dieu. C’est au moment où tout semble perdu que cette révélation s’accomplit dans toute sa plénitude : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous saurez que Je suis ». L’expression « Je suis » est la traduction grecque du terme hébreu qui désigne le nom propre de Dieu, YHWH.

Dire que Jésus est humainement Dieu signifie qu’il n’est pas Dieu absolument, mais Dieu en relation avec un « Autre » divin. Puisqu’il est homme, c’est dans une situation de dépendance qu’il est situé, temporellement, par rapport à Dieu. C’est dans son humanité que l’on découvre que le Christ est Dieu, mais Dieu en tant que Fils.

Le Christ est DIVINEMENT homme

Le fait, pour Jésus, d’être homme, ne l’a pas fait passer dans une condition d’existence telle qu’il soit devenu extérieur à Dieu. Il s’est rendu en tout semblable aux hommes, hormis le péché. Ce n’est pas le fait d’être homme qui pose l’homme dans une situation d’extériorité à Dieu ou dans une situation d’adversité. C’est le péché qui sépare l’homme de Dieu. Pourtant, s’il n’a pas connu le péché, s’il n’a pas commis d’actes de péché, Jésus-Christ a connu toutes les conséquences du péché, dans la mesure où elles affectent et touchent la réalité humaine.

Le Christ est divinement HOMME

A l’inverse d’Adam, qui avait revendiqué l’identité avec Dieu, ou du moins une certaine égalité avec lui, tout au long de son humanité, Jésus a montré comment vivre réellement en homme. Et c’est en des termes de comparaison et de distinction que saint Paul établit un parallèle entre Adam et Jésus :

Il n’en va pas du don de la grâce comme de la faute. Car, si par la faute d’un seul, la multitude a subi la mort, à plus forte raison, la grâce de Dieu accordée en un seul homme, Jésus Christ, s’est elle répandue en abondance sur la multitude (Rom. 5, 15).

Par Jésus-Christ, nous pouvons connaître la véritable nature de l’homme, destiné à être l’image de Dieu. C’est lui qui instaure l’humanité dans son authentique vérité, qui est d’être en relation avec Dieu. Et c’est ainsi que nous pouvons participer à la nature même de Dieu : nous sommes fils dans le Fils.

Les évêques français, dans une déclaration « Il est grand, le mystère de la foi, à Lourdes, en Octobre 1978, reprenaient cette même perspective :

Sa vie en Palestine n’a rien à voir avec les apparitions des dieux dont parlent les mythologies païennes. Pour nous, les hommes, et pour notre salut, il fut homme de chair et de sang, de coeur et d’esprit. C’est le mystère de l’Incarnation. On ne saurait dire simplement qu’il est l’homme le plus proche de Dieu, le plus grand des saints, le plus puissant des prophètes. Il n’est pas un homme divinisé, mais Dieu fait homme. Il n’a pas commencé à être Fils en naissant de la Vierge Marie, ni au moment de son baptême par Jean, ni lorsqu’il est ressuscité des morts, il n’est pas Fils de Dieu en ce sens qu’il le serait devenu seulement dans l’esprit ou dans l’action des gens qui crurent en lui. Tout ce qu’il a vécu dans son histoire terrestre, nous croyons qu’il l’a vécu en Fils de Dieu, et non pas pour mériter de le devenir. C’est pourquoi, dès avant sa mort, il pouvait dire : « Qui me voit, voit le Père » (Jn. 14, 9), « Le Père et moi, nous sommes un » (Jn. 10, 30). Pleinement chez lui de toute éternité dans le sein de son Père, il est pleinement chez lui parmi les hommes, mais il est chez nous comme celui qui est venu d’ailleurs, et qui viendra dans sa gloire à la fin des temps.

Le paradoxe du titre « Fils de Dieu »

Alors que les chrétiens reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, l’historien ne peut être assuré que Jésus se soit proclamé tel. La tradition juive connaissait l’expression « fils de Dieu » qu’elle appliquait aux rois, aux prophètes, au peuple tout entier, au Messie qui devait venir... Être fils de Dieu, c’est être aimé, favorisé de Dieu, protégé et envoyé par lui d’une manière particulière. Reconnu comme Messie, il semblerait normal que Jésus bénéficie, lui aussi, de ce titre. Seulement, cette expression a pris un sens nouveau dans la tradition chrétienne.

Il ne semble même pas que Jésus se soit présenté comme Fils de Dieu, au sens de l’expression chrétienne actuelle. Si Jésus s’était présenté comme tel, la portée de ce titre en aurait certainement été affaiblie. Ses contemporains l’auraient compris dans le sens de la tradition juive. Aussi n’a-t-il jamais employé cette expression pour se désigner lui-même. En revanche, il est certain qu’il s’est appelé lui même « le Fils », et de cela, nous en avons des traces dans les évangiles, par des paroles que les disciples n’auraient pas pu mettre dans sa bouche : Quant à la date de ce jour ou à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père (Mc. 13, 32).

Jésus préférait employer à son propos l’expression « Fils de l’homme ». C’est le seul titre que l’on trouve assez fréquemment dans sa bouche, même si cette expression n’est plus très parlante aujourd’hui. Ce titre apparaît environ cinquante fois dans les récits évangéliques, alors même que les communautés chrétiennes ne s’en servaient plus pour désigner Jésus. Cela prouve que cette désignation remonte bien au Jésus historique. Le « Fils de l’homme » est un titre qui vient de la vision de Daniel (Dan. 7), il a un sens faible quand il désigne un être humain dans sa simplicité naturelle, mais il possède un sens fort et il désigne alors un personnage céleste qui apparaîtra à la fin des temps et qui jugera les hommes. Et ce titre, au temps de Jésus, était chargé de plus d’importance que celui de « Fils de Dieu ». C’était le Fils de l’homme qui devait instaurer définitivement le Royaume de Dieu. Et, à plusieurs reprises, Jésus parle de ce personnage qui viendra sur les nuées du ciel, qui siégera sur son trône de gloire pour juger tous les hommes. Et c’est par ce titre qu’il méritera la condamnation du grand-prêtre : Je vous le déclare, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel. Siéger à la droite de Dieu était le privilège du Messie, et venir sur les nuées signifiait une identification de rang divin. Jésus ne pouvait qu’être accusé de blasphème... 

C’est par le sacerdoce officiel que fut fomenté le complot contre Jésus, d’abord à cause de ce nom qu’il acceptait de s’attribuer, ensuite - et peut-être surtout - parce qu’il menaçait l’ordre établi par le sacerdoce. Annoncer la destruction du Temple remettait en cause le système même qui faisait vivre les prêtres. Le rôle de Judas, l’un des disciples, ne fut sans doute pas aussi important qu’on veut le faire croire : il se contenta d’indiquer le lieu où l’on pouvait trouver Jésus pour s’emparer de lui, car beaucoup de pèlerins campaient sur les pentes du Mont des Oliviers durant les fêtes de la Pâque juive, et il aurait été difficile de reconnaître Jésus durant la nuit...

Dieu, l’Esprit-Saint

Nous ne pouvons pas nous déclarer chrétiens, disciple de Jésus-Christ, sans croire en même temps au Père et à l’Esprit, et cela se fait dans le même mouvement. C’est ce que le Credo affirme avec netteté : « Je crois en Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint ». Si l’on peut développer très facilement les aspects relatifs au Fils - puisqu’il a été homme, il est plus aisément connaissable -, puis les aspects concernant le Père, que nous atteignons en et à travers Jésus-Christ, il est beaucoup plus difficile de saisir toute la réalité personnelle de l’Esprit-Saint. Pour le connaître, nous sommes toujours renvoyés à ce qu’en dit la Bible et à ce qu’en dit la tradition de l’Église, quand elle lit et commente Écriture, la Parole que Dieu ne cesse de lui adresser.

L’Esprit dans l’Ancien Testament

Dans la Bible, le terme qui indique l’Esprit de Dieu (Ruah) désigne également le vent (qui souffle à la surface des eaux), le souffle vital de l’homme, son haleine, ce qui lui permet de vivre. Appliqué à Dieu, ce terme le désigne concrètement par l’action qu’il entreprend et qu’il mène à bien. L’Esprit de Dieu, c’est Dieu lui-même qui est à l’oeuvre. Israël, tout au long de son histoire, a fait l’expérience de l’activité de Dieu en sa faveur. De plus, le don de l’Esprit de Dieu a tous les fils et filles d’Israël marquera la venue de temps messianiques. C’est ce que rappellent les prophètes et, en dernier lieu, Pierre, dans son discours, au jour de la Pentecôte : Il arrivera, dans les derniers jours, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes. Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, en ces jours-là, je répandrai de mon Esprit (Ac. 2, 17-18).

C’est dont l’Esprit de Dieu qui va renouveler intérieurement tous les hommes, ils deviendront prophètes, c’est-à-dire qu’ils seront inspirés par Dieu lui-même, aussi bien dans leurs paroles que dans leurs actes. Ce sera une nouvelle création. Dans l’Ancien Testament, l’Esprit de Dieu n’est pas considéré comme une personne ayant une existence propre, mais comme l’acte de Dieu qui donne sa vie, son souffle aux hommes. Il n’y a pas lieu de s’étonner du fait que l’Ancien Testament, et même le Nouveau, ne nous fait connaître l’intimité divine que d’une manière imparfaite, fragmentaire, comme le dit l’apôtre Paul, « à travers un miroir » (1 Co. 13, 12). La Bible n’envisage pas de décrire l’Esprit dans sa personnalité, mais elle décrit d’une manière très intense son activité, qui est une volonté de salut et de vie pour tous les hommes. L’Esprit de Dieu est toujours comparé à un vent puissant, tel celui qui souffle sur les eaux (Gen. 1, 2), tel celui qui prend possession des grands hommes (Moïse, les Juges, les Rois, les Prophètes). Et, puisque cette force, cet Esprit, vient de Dieu pour rendre l’homme conforme à la volonté divine, cet Esprit est appelé Saint.

L’Esprit de Jésus dans le Nouveau Testament

Si l’on y regarde de près, on ne trouve, dans la tradition des évangiles synoptiques, qu’une seule phrase de Jésus relative à l’Esprit-Saint :

En vérité, je vous déclare que tout sera pardonné aux fils des hommes, les péchés et les blasphèmes, aussi nombreux qu’ils en auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit-Saint, il reste sans pardon à jamais, il est coupable de péché pour toujours. Cela parce qu’ils disaient : Il a un esprit impur (Mc. 3, 28-30).

Ainsi, tous les péchés seront pardonnés aux hommes, tous sauf un : le blasphème contre l’Esprit Saint. On peut s’interroger longuement sur la nature de ce péché. La première évidence, soulignée par cette courte phrase, c’est qu’il s’agit d’un péché d’homme. La seconde évidence est soulignée par Marc : Cela parce qu’ils disaient.... Ce n’est donc pas n’importe qui qui peut commettre ce blasphème contre l’Esprit. D’après le contexte immédiat, ce blasphème consiste à constater l’existence de signes inexplicables par la raison humaine et de refuser d’attribuer la puissance de ce signe à Dieu pour l’accorder à Satan. C’est se fermer définitivement au salut offert par Dieu. Si on refuse de croire en Jésus en donnant à une possession satanique l’origine de son autorité sur les démons, alors on s’exclut soi-même du salut.

Selon les exégètes, les autres paroles de Jésus relatives à l’Esprit-Saint portent en elles-mêmes la trace des réinterprétations des évangélistes. Mais, en tout état de cause, il apparaît clairement que Jésus n’a pratiquement jamais parlé de l’Esprit, alors que les évangélistes le présentent comme un homme investi de la puissance de l’Esprit de Dieu, comme un charismatique, comme un prédicateur et un thaumaturge rempli de l’Esprit. De plus, au moment même du baptême de Jésus, rien n’autorise à dire que c’est « la troisième personne de la Trinité » qui descend sur Jésus : c’est l’Esprit de Dieu en tant que puissance divine qui investit Jésus au commencement de son activité. Pourtant, l’Église est arrivée progressivement à exprimer la Trinité des personnes alors que le Nouveau Testament ne permettait pas de le dire explicitement.

La prédication de l’Église naissante

Les événements de Pâques ont amené les apôtres à croire que le crucifié était ressuscité des morts et qu’il avait été enlevé auprès de Dieu. Une des plus anciennes formules décrivant les rapports du Ressuscité avec Dieu est l’image empruntée au Psaume 110 : « assis à la droite de Dieu ». Cette image veut dire que Jésus a été enlevé près de Dieu et qu’il partage sa souveraineté sur le monde, la force et le pouvoir divins lui ayant été transmis.

L’Église primitive est marquée non seulement par les apparitions du Ressuscité, mais aussi par les témoignages de l’Esprit, il ne faut pas confondre les apparitions avec ces témoignages. D’ailleurs, dans la description des dons de l’Esprit, les apparitions ne sont jamais mentionnées comme un effet de l’Esprit de Dieu. Le récit de la Pentecôte qui ouvre le livre des Actes des apôtres décrit la première expérience de l’Esprit, expérience extraordinaire sans doute, mais expérience faite par toute la communauté, grâce à la résurrection de Jésus. Le vent et le feu sont les symboles de la force de l’Esprit que le Christ communique à ses disciples. Et, pour ceux-ci, c’est un monde nouveau qui commence. Jésus, transfiguré par l’Esprit, est lui-même le commencement d’une nouvelle création à laquelle il invite tous les hommes à participer. La puissance de son esprit transforme le groupe des individus en une communauté unie. Chacun entend parler de Dieu dans sa langue maternelle, c’est-à-dire que chacun comprend tout de suite. C’est donc qu’il y a plusieurs façons de comprendre Dieu. Les chrétiens, même les premiers disciples, ne parlent pas tous le même langage pour exprimer leur foi, ils n’adoptent pas tous le même comportement. Et les apôtres invitent à reconnaître la diversité, même si eux qui ont cheminé sur les routes de Palestine avec Jésus, avec qui ils ne voulaient faire qu’un, veulent maintenant ne plus faire qu’un avec tous ceux qui sont venus d’ailleurs. Chacun, quel que soit sa condition, peut chanter les merveilles de Dieu, reconnaître que l’Esprit de Jésus ressuscité est à l’oeuvre. Les apôtres sont pris, par certains témoins, comme des hommes en état d’ivresse : ils sont tellement saisis par la puissance de l’Esprit de Jésus qu’ils sont comme hors d’eux-mêmes. Le centre de leur vie n’est plus en eux, mais en Jésus-Christ, par l’action de l’Esprit. Cet Esprit rend « excentrique », il les fait sortir d’eux-mêmes, ils ne s’appartiennent plus, ils sont dépossédés d’eux-mêmes pour être possédés par l’Esprit qu’ils vont manifester au monde entier. L’Esprit était sorti de Dieu à la création du monde, il avait déterminé les étapes décisives de l’histoire du peuple juif, il avait rempli la personne et l’oeuvre de Jésus. Depuis la Pentecôte, il est répandu dans l’univers pour transformer toutes choses et les mener jusqu’à leur plein épanouissement en Dieu.

Sans l’Esprit répandu sur tous les croyants, l’oeuvre de Jésus serait terminée, elle s’éloignerait toujours davantage de nous en raison de l’éloignement temporel toujours croissant. Son oeuvre serait vouée à un oubli progressif, puisque toute action humaine s’efface avec le temps.

Ce qui est accompli en Jésus, c’est-à-dire notre propre salut, peut encore nous atteindre aujourd’hui, se répandant dans le temps comme dans l’espace, grâce à Celui qui porte jusqu’à son achèvement définitif le projet libérateur et sauveur du Dieu Père, projet qu’il a inauguré dans la mort et la résurrection de Jésus.

Il procède du Père et du Fils

Le don que le Père fait de lui-même par son Fils, c’est l’Esprit du Père et du Fils. L’Esprit est Dieu, comme le Père et le Fils, tout en étant distinct de l’un et de l’autre. Et l’Esprit vient du Père par le Fils.

La communication que le Père fait de lui-même dans l’Esprit ne peut pas être appelée « génération », cela donnerait à penser qu’il y a deux Fils : le Fils est engendré du Père. Pourtant, l’Esprit a aussi son origine dans le Père, source de toute divinité. La théologie chrétienne, après avoir parlé de l’Esprit sous forme négative : « il n’est pas engendré », « il n’est pas une manière de se communiquer », a fini par adopter le vocabulaire de la « procession », pour signifier que l’Esprit vient du Père. La théologie catholique, depuis le neuvième siècle, a souligné cette procession en ajoutant au Credo de Nicée-Constantinople la mention « et du Fils » (Filioque).

L’Esprit de Jésus est Dieu avec nous, mais il n’est nullement Dieu à notre disposition. Il agit dans l’Église, à travers la Parole et les sacrements, mais il est aussi libre de « souffler où il veut » sans se laisser emprisonner ou récupérer par un groupe, une institution, une idéologie...