La prière du Seigneur

 

Jésus n’a pas seulement prié, il a aussi enseigné à ses disciples la manière de prier, ainsi qu’il a été souligné précédemment. La prière qu’il a apprise à ses disciples exprime certainement le programme de toute son existence ainsi que sa relation personnelle au Père. Il est alors possible de trouver les fondements de la prière du Seigneur dans son existence et dans les paroles qui expriment directement son enseignement. De plus, il semble même que ces paroles exprimant les idées-forces de Jésus puissent être concentrée dans les derniers jours de sa vie terrestre.

Notre Père qui es aux cieux

Cette parole reprend tout l’enseignement de Jésus sur la paternité absolue de Dieu : N’appelez personne : Père, sur la terre, car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste (Mt. 22, 8). Il faudrait aussi souligner que le nom de Père est répété plus de cinquante fois dans les discours de Jésus après la Cène (Jn. 14 à 17).

Que ton Nom soit sanctifié

La sanctification du Nom de Dieu est une très grande marque de la prière juive. Ce Nom ne pouvait pas être prononcé par les lèvres humaines, et les fidèles pieux cherchaient toujours des synonymes ou des expressions détournées pour parler de Dieu, tant était grand le respect que les juifs avaient pour ce Nom, considéré comme imprononçable. Glorifie ton Nom (Jn. 12, 28). Garde-les dans ton Nom (Jn. 17, 11).

Que ton Règne vienne

La prédication de Jésus a été orientée entièrement vers la venue du Royaume de Dieu : jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu (Lc. 22, 18) affirme Jésus après la bénédiction de la coupe de vin, signifiant l’espérance qui doit demeurer au coeur de chaque eucharistie, célébrée en mémoire de lui.

Que ta volonté soit faite

Toute l’oeuvre que Jésus a accomplie, il a voulu la faire dans le sens de l’obéissance à la volonté de son Père, et ses dernières paroles au mont des Oliviers traduisent encore ce même désir : Père, si tu veux écarter de moi cette coupe... Pourtant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne, qui se réalise (Lc. 22, 42).

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

Il n’existe pas de texte absolument correspondant à cette demande de la prière du Seigneur. Mais, après l’institution de l’eucharistie, la réalité même n’est plus à demander : celui qui la désire peut l’obtenir chaque jour, en mémoire de la Passion et de la Résurrection du Christ Jésus, dans l’attente du Royaume et de l’avènement du Christ dans la gloire.

Pardonne-nous nos offenses...

Le pardon des offenses trouve aussi sa place privilégiée dans les derniers moments de la vie de Jésus, puisque, sur la croix, il implore le pardon de Dieu pour les hommes : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc. 23, 34).

... comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés

Cette correspondance du pardon venu de Dieu et du pardon que les hommes doivent également s’accorder les uns aux autres trouve sa place dans l’enseignement de Jésus : Quand vous serez debout, en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes (Mc. 11, 25), ce verset est prolongé dans certains manuscrits par cette autre parole :mais si vous ne pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.

Et ne nous soumets pas à la tentation

C’est dans l’avertissement adressé à Pierre et aux autres disciples, sur le mont des Oliviers, qu’il est possible de trouver la trace de cette demande : Veillez, priez pour ne pas tomber au pouvoir de la tentation (Mt. 26, 41).

Mais délivre-nous du Mal

C’est au cours de la prière sacerdotale, au soir de la Cène, que l’on trouve cette demande adressée au Père en faveur des disciples : Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais (Jn. 17, 15).

"Notre Père" : un programme de vie

La prière, laissée par Jésus à ses disciples, consacre non seulement sa propre existence, mais aussi devient un programme de vie pour chacun des disciples. Elle est un idéal à réaliser pour la marche des hommes vers le Père. Et cet idéal de vie est déjà contenu dans les deux premiers mots de la prière.

Appeler Dieu "Père", c’est accomplir, par le fait même, le premier commandement, celui de l’amour de Dieu. Dire "Notre" Père, avec ce sentiment identique de l’amour, c’est aussi reconnaître, dans le même mouvement, qu’il est le Père commun à tous les hommes, et donc qu’il invite et appelle tous les hommes à vivre en frères, en s’aimant les uns les autres. Cela conduit aussitôt les hommes à réaliser cet autre commandement laissé par Jésus, et qui est immédiatement contenu dans le premier : celui qui aime son frère aime Dieu. C’est en vivant ce qui nous est demandé par le Père que nous pouvons nous approcher de lui, qui s’est approché de nous, en nous invitant à la conversion. La première manière par laquelle l’homme peut découvrir cet amour et cette tendresse de Dieu, se traduit par une prière qui demande à Dieu de purifier le coeur de l’individu. A la limite, cette première forme de prière, de genre purgatif ou purificatoire, s’exprime dans une sorte de monologue avec Dieu. Elle se manifeste dans les dernières demandes de la prière du Seigneur : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal.

Délivre-nous du mal

C’est la prière même de supplication qui s’exprime souvent dans les récits évangéliques. C’est l’aveugle qui crie : Seigneur, que je voie ! C’est le sourd : Seigneur, fais que j’entende ! C’est le lépreux : Purifie-moi ! C’est aussi la prière de celui qui s’engage sur le chemin de la volonté divine : elle est celle du débutant qui prie du bout des lèvres, quand il est dans l’angoisse, même si ses paroles ne sont pas nécessairement en harmonie avec son coeur. Une fois qu’il a obtenu satisfaction, il oublie Dieu et s’en retourne facilement vers les plaisirs de ce monde. Cette attitude a été stigmatisée par Jésus, lors de la guérison des dix lépreux :

Comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée. A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à bonne distance et élevèrent la voix pour lui dire : Jésus, Maître, aie pitié de nous ! Les voyant, Jésus leur dit : Allez vous montrer aux prêtres. Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés. L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus dit : Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu, il n’y a que cet étranger !        Lc. 17, 11-18

Au fond, le but recherché par l’homme, c’est d’échapper à la souffrance, et il n’est poussé que par ses désirs charnels. A la limite, un tel homme est resté à l’état animal. Mais Dieu accepte quand même de s’adapter à l’homme charnel pour l’éveiller progressivement au surnaturel. Partant des réalités sensibles, il va l’élever progressivement aux réalités invisibles. C’est tout le sens de l’entretien avec la Samaritaine :

Jésus parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C’était environ la sixième heure. Arrive une femme de Samarie pour puiser de l’eau. Jésus lui dit : Donne-moi à boire. Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger. Mais cette femme, cette Samaritaine, lui dit : Comment ? Toi, un juif, tu me demandes à boire à moi, une femme samaritaine ! Les juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains. Jésus lui répondit : Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné l’eau vive. La femme lui dit : Seigneur, tu n’as même pas un seau et le puits est profond, d’où la tiens-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits et qui, lui-même, y a bu ainsi que ses fils et ses bêtes ? Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau-ci aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle. La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau pour que je n’aie plus soif et que je n’aie plus à venir puiser ici. Jésus lui dit : Va, appelle ton mari et reviens ici. La femme lui répondit : Je n’ai pas de mari. Jésus lui dit : Tu dis bien : je n’ai pas de mari, tu en as eu cinq et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu dis vrai. Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu’à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. Jésus lui dit : Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient - et maintenant, elle est là - où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père. Dieu est Esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité. La femme lui dit : Je sais qu’un Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses. Jésus lui dit : Je le suis, moi qui te parle.        Jn. 4, 5-26

Toute la démarche de Jésus, dans cet entretien, c’est de créer le désir. Le but ultime de la première forme de prière n’est pas indifférent : dans le monologue de l’homme en face de Dieu, voici que se crée un besoin impérieux, celui d’une communication authentique.

Ne nous soumets pas à la tentation

A peine l’homme a-t-il commencé à prendre le chemin voulu par Dieu qu’il est aussitôt assailli par des tentations diverses qu’il ignorait jusque là, bien qu’elles soient toujours présentés. Seulement, il n’y prêtait pas attention. Et l’homme se découvre comme un être faible et impuissant en face de toutes les sollicitations de la chair et du monde. Le peuple hébreu, dès qu’il eut quitté la terre d’Egypte, regrettait de s’être laissé emporter et conduire par la main de Moïse : Ah ! si nous étions morts de la main du Seigneur, au pays d’Egypte, quand nous étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim cette assemblée (Ex. 16, 3).

Au fond, dans sa condition de captivité et d’esclavage, le peuple hébreu ne se trouvait pas en aussi mauvaise condition que n’avait réussi à le faire croire Moïse. Il se considérait même comme beaucoup plus libre que dans le désert où il est amené à souffrir de la faim et de la soif.

Le mal dont le chrétien doit se libérer, la tentation qu’il peut connaître, c’est le désir de s’en retourner loin de Dieu, c’est la fuite pour pouvoir faire ce qui lui plaît, pour ne plus avoir à se soumettre à la volonté divine. De la sorte, le chemin du débutant dans la prière se voit devenir, comme toute la vie chrétienne d’ailleurs, un véritable combat pour entrer dans un dialogue authentique avec Dieu. La prière devient alors plus vraie, elle cessera d’être simplement un monologue, même si elle reste encore quelque peu superficielle. Il convient au chrétien de ne jamais se lasser dans son exercice de prière. Autrement, les tentations les plus diverses le reconduisent vers les attraits de ce monde présent, et elles l’enfoncent encore davantage dans sa faiblesse. Les chutes répétées font aussi découvrir au chrétien sa condition de coupable, de pécheur qui s’enferme dans les ténèbres.

Pardonne-nous nos offenses... comme nous pardonnons...

A la manière d’un pédagogue, Dieu permet à l’homme de connaître la tentation. C’est ce qui est présenté dans le livre de Job, quand celui qui est appelé " le satan " ou " l’adversaire " se présente devant Dieu afin d’obtenir de lui l’accord tacite de soumettre Job à toutes les formes de tentation :

Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas protégé d’un enclos, lui, sa maison et tout ce qu’il possède ? Tu as béni ses entreprises, et ses troupeaux pullulent dans le pays. Mais veuille étendre la main et toucher à tout ce qu’il possède. Je parie qu’il te maudira en face. Alors, le Seigneur dit à l’adversaire : Soit ! Tous ses biens sont en ton pouvoir. Évite seulement de porter la main sur lui.        Jb. 1, 9-12

Malgré les premiers malheurs qui s’abattent sur lui, Job ne cède pas à la tentation, alors l’adversaire vient demander à Dieu l’autorisation de le soumettre à une nouvelle forme de tentation :

Peau pour peau ! Tout ce que l’homme possède, il le donne pour sa vie. Mais veuille étendre la main, touche à ses os et à sa chair. Je parie qu’il te maudira en face. Alors, le Seigneur dit à l’adversaire : Soit ! Il est en ton pouvoir. Respecte seulement sa vie.        Jb. 2, 4-6

Si Dieu permet la tentation, s’il permet aussi la chute de l’homme, c’est pour que l’homme lui-même croisse dans l’humilité et qu’il ne compte plus sur ses seules forces pour connaître l’avènement du Royaume. Le fait de succomber à la tentation permet aussi à l’homme de se découvrir dans un face à face avec Dieu. La prière cesse alors d’être un simple monologue, puisque l’homme est, en quelque sorte, conduit à discuter avec Dieu pour se justifier. Ce raisonnement de justification cherche d’abord à montrer que l’homme a raison contre Dieu, de même que les pharisiens et les scribes entendaient la parole de Jésus et voulaient avoir raison contre elle. Accepter de donner raison à Jésus, leur adversaire, c’était pour eux perdre totalement la face et reconnaître qu’ils avaient tort... Tant que l’homme refuse de pardonner, il ne connaît pas la paix, l’Esprit de Dieu n’habite pas en lui. Accueillir la Parole de Dieu, selon cet Esprit qui conduit au pardon, c’est se décider à changer en coeur de chair son coeur de pierre, c’est aussi reconnaître sa condition de pécheur en face de Dieu, c’est lui demander également son pardon, car l’homme découvre alors que Dieu ne veut rien d’autre que le bonheur de l’homme.

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

Il semble bien que la première forme du bonheur de l’homme, c’est son bien-être, et particulièrement sa nourriture. En insistant sur l’aspect communautaire, dans la prière qu’il enseigne à ses disciples, Jésus leur apprend à ne pas regarder simplement leurs propres besoins, mais aussi et surtout les besoins de tous les hommes. Dès lors, la prière peut prendre une dimension vraiment universelle : les chrétiens sont-ils réellement attentifs à tous ceux qui ont faim dans le monde ? Sont-ils également attentifs à tous les nécessiteux qui se trouvent près d’eux ? Il ne saurait être question de ne penser qu’aux pays en voie de développement, parce qu’ils sont loin, sans se soucier des individus qui sont plus proches et qui dérangent davantage les habitudes... La prière du Seigneur invite alors à une charité plus grande, et sans cette charité, il n’est pas de vraie prière. Ce n’est pas celui qui dit : Seigneur ! Seigneur ! qui entrera dans le Royaume, mais celui qui fait la volonté du Père. Mais il faut découvrir que dans ce pain que le chrétien est appelé à partager avec tous les hommes, il ne s’agit pas seulement du pain du boulanger, car ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra (Lc. 4, 4), parole prolongée, notamment dans l’évangile selon saint Matthieu : mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu (Mt. 4, 4).

La Parole de Dieu est la nourriture spirituelle quotidienne pour le chrétien, elle est contenue dans la Bible, qu’il peut et doit lire, en l’accueillant dans son coeur, en la ruminant sans cesse, afin de l’assimiler et de l’incarner de sorte que l’incarnation du Fils se prolonge en lui.

En découvrant que le Père qui pardonne les offenses est aussi celui qui donne le pain dont nous avons besoin pour chaque jour, nous franchissons une nouvelle étape dans la prière. Elle n’est plus un monologue, elle dépasse même le dialogue, car Dieu se fait intime au coeur de l’homme. Dieu n’est pas extérieur à l’homme, mais il est au plus intime de lui-même, et il lui manifeste son amour, notamment par le sacrement de l’eucharistie qui assure la présence du Christ au milieu des hommes pour la suite des siècles. Par l’eucharistie, Jésus-Christ, pain rompu pour un monde nouveau, se donne véritablement en nourriture. En mangeant ce pain, les chrétiens sont réellement divinisés, puisque ce sacrement fait l’unité avec Dieu et avec tous les hommes, en les établissant dans la communion parfaite, ce qui permet aussi aux chrétiens de prier et d’espérer que la volonté divine s’accomplisse aussi bien sur la terre qu’au ciel.

Que ta volonté soit faite sur terre comme au ciel

Il ne s’agit pas d’accomplir n’importe comment la volonté du Père, mais de l’accomplir "comme au ciel", c’est-à-dire en suivant l’exemple de celui qui est descendu du ciel pour nous dire et nous montrer comment l’accomplir. Tout au long de son existence, Jésus n’a pas cherché à accomplir sa propre volonté, mais celle du Père : Mon jugement est juste parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (Jn. 5, 30).

La manière dont le Fils accomplit la volonté du Père est le modèle de la manière dont les chrétiens, les fils dans le Fils, sont appelés à la réaliser également. Jésus a aimé le Père de tout son être, et le Père répond à cet amour en étant toujours avec lui : Celui qui m’a envoyé est avec moi, il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît (Jn. 8, 29).

Faire la volonté du Père, c’est suivre le premier commandement, celui de l’amour de Dieu : aimer Dieu de tout son coeur, de toute sa force, telle est la volonté du Père pour tous les hommes. En effet, cette volonté paternelle ne saurait être qu’une volonté d’amour. Celui qui aime Dieu, Dieu demeure en lui, et celui qui aime fait l’expérience de Dieu réellement présent en lui.

Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. Celui qui ne m’aime pas n’observe pas mes paroles, or cette parole que vous entendez ne vient pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé.        Jn. 14, 23

La prière devient non plus seulement un dialogue qui pose Dieu à l’extérieur de l’homme, elle devient un dialogue avec le Dieu qui habite le coeur de l’homme, et ce dialogue devient continuel, incessant. Dans sa vie de prière, le chrétien effectue alors la même expérience que les disciples après la Pentecôte. Pendant les trois années de la vie publique de Jésus, ses disciples l’accompagnaient sur les routes comme quelqu’un qui était encore comme étranger par rapport à eux. De même, après sa résurrection, lors des différentes apparitions, il continue à les instruire en étant extérieur à eux. Mais au moment de la Pentecôte, ils font une expérience intérieure : c’est l’Esprit qui leur permet de découvrir que le ressuscité est devenu aussi plus intime à eux-mêmes que tout ce qu’ils pensaient être. Dans sa prière, le chrétien commence une expérience comparable, lorsqu’il unit sa volonté à celle de Dieu en laissant agir l’Esprit en lui :

Vous n’êtes plus sous l’emprise de la chair, mais de l’Esprit, puisque l’Esprit habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. Si le Christ est en vous, votre corps, il est vrai, est voué à la mort à cause du péché, mais votre vie c’est l’Esprit, à cause de la justice. Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son esprit qui habite en vous         Ro. 8, 9-11

La volonté du Père est beaucoup plus qu’une simple volonté de bonheur pour l’homme, elle est une volonté de vie, et de vie éternelle, puisque, si le chrétien se découvre bien comme le fils dans le Fils, grâce à l’Esprit de Dieu répandu en lui comme dans les disciples au jour de la Pentecôte. Il est aussi promis à la résurrection et à la vie que Jésus-Christ lui-même a connues et connaît auprès de son Père. Le chrétien peut ainsi entrer dans la prière contemplative : elle ne dépend plus de ce qu’il fait, mais de ce qu’il est en face de son Père, c’est-à-dire un fils qui cherche à vivre en vérité, en harmonie avec Dieu, de manière à être capable d’affirmer la sainteté de Dieu au milieu du monde. C’est l’Esprit qui le pousse à agir, c’est par lui que s’effectue la recréation du monde par Dieu : les hommes deviennent alors les coopérateurs de Dieu dans la construction du monde nouveau dont ils espèrent et attendent la venue.

Que ton Règne vienne

Ce monde nouveau qui doit advenir, c’est le Royaume de Dieu. Mais celui-ci n’est pas seulement le règne du Père sur les autres hommes, sur ceux qui ne sont pas encore appelés chrétiens, c’est aussi et surtout l’instauration du Règne du Père sur le coeur même des croyants. Et cette installation du Royaume à venir s’effectue par la manifestation du Père que les chrétiens eux-mêmes peuvent faire en se donnant les uns aux autres et en donnant aux autres hommes le témoignage d’une existence conduite par l’esprit même qui animait Jésus aux jours de son existence terrestre.

Si, comme le Christ, les chrétiens accomplissent la volonté du Père, s’ils laissent sa lumière transparaître à travers leur existence, alors celle-ci devient une véritable prédication qui s’oublie elle-même pour être tout entière tournée vers la contemplation de Dieu. De la même manière que le Christ est l’image du Dieu invisible (Col. 1, 15), le chrétien devient l’image du Christ ressuscité, il est un homme nouveau créé dans le Christ pour être porteur de sa lumière au milieu des hommes. Dès lors, la prière se présente comme une relation affective avec le Père : c’est l’amour qui est appelé à régner sur tous les hommes.

Que ton Nom soit sanctifié

Le dialogue qui prend place à ce moment de la prière devient entièrement louange du Père pour toutes les merveilles qu’il a accomplies, non seulement en Jésus-Christ, mais aussi dans l’ensemble de l’univers naturel.

Tout ce qui pouvait détourner l’homme de la contemplation de Dieu est, en quelque sorte, réduit à rien puisque l’homme n’a d’autre tâche à effectuer que de sanctifier le Nom de Dieu, de ce Dieu qui l’a libéré de toutes ses idoles et qui l’habite au plus intime de lui-même, pour le maintenir dans sa paix et dans sa présence continuelle. Ce n’est plus l’homme qui parle, c’est l’Esprit qui parle à travers l’homme, comme l’indiquait l’apôtre Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Rome :

L’Esprit vient au secours de notre faiblesse car nous ne savons pas prier comme il faut. Mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en gémissements inexprimables, et Celui qui scrute les coeurs sait quelle est l’intention de l’Esprit. C’est selon Dieu en effet que l’Esprit intercède pour les saints. Nous savons d’autre part que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, qui sont appelés selon son dessein. Ceux que d’avance il a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que Celui-ci soit le premier-né d’une multitude de frères, ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés, ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Ro. 8, 26-30).

Sous l’action de l’Esprit de Dieu, la prière des chrétiens correspond entièrement aux vues de Dieu, elle est devenue un coeur à coeur avec Dieu, et cette intimité de l’homme avec Dieu et de Dieu avec l’homme est encore plus parfaite que l’intimité d’un homme et d’une femme, puisque Dieu habite alors le coeur de l’homme et le divinise entièrement. L’homme est devenu véritablement l’enfant de Dieu, il peut lui dire en toute confiance : Abba ! Père !