Ils sont très bien élevés

 

Ils sont très bien élevés,

les gosses qui meurent de faim,

Ils ne parlent pas la bouche pleine,

ne gâchent pas leur pain,

Ne jouent pas avec la mie

pour en faire des boulettes,

Ne font pas de caprices,

ne disent pas " j’aime pas ça ",

Ne font pas la grimace quand on enlève un plat.

Eux, ils ne trépignent pas pour avoir des bonbons,

Ne courent pas dans vos jambes, ne grimpent pas partout,

Ils ont le coeur si lourd... qu’ils vivent à genoux.

Pour avoir leur repas, ils attendent sagement,

Ils pleurent quelquefois quand ça dure trop longtemps.

Non, non, rassurez-vous, ils ne vont pas crier !

Ces petits enfants-là, ils sont trop bien élevés.

Eux, ils pleurent sans bruit, on ne les entend pas,

Ils savent qu’ils ne peuvent rien attendre de leur mère,

Ils cherchent stoïquement du riz dans la poussière...

Mais ils ferment les yeux quand l’estomac se tord,

Quand la douleur atroce irradie tout le corps.

Non, non, soyez tranquilles, ils ne vont pas crier !

Ils n’en ont pas la force, seuls leurs yeux peuvent parler.

Ils vont prendre la pose pour faire un bon cliché,

Ils vont croiser leurs bras sur leur ventre gonflé,

Ils mourront doucement, sans bruit, sans déranger,

Ces petits enfants-là, ils sont si bien élevés.

Denise Roux