Lourdes - Le chemin de croix

Le chemin de croix de Lourdes raconte l’amour triomphant de la haine, cette mère de la mort, l’amour plus fort que la mort. Chemin de croix, chemin de compassion, " souffrir avec ", sympathie. Pour les uns, c’est une histoire de mort, pour d’autres, c’est une histoire morale, une histoire de droits de l’homme bafoués, une histoire de philosophe assez révolutionnaire, pour les chrétiens, c’est une histoire d’amour.

Amour, le mot clé qu’il faut comprendre : mourir à ses égoïsmes et vivre pour les autres. Le chemin de croix est l’illustration d’un événement unique accompli une fois pour toutes et qui a valeur d’éternité.

Près de mille ans avant qu’il ne se déroule, les prophètes annoncent l’événement en des termes étonnamment précis :

Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, et nous l’avons méprisé, compté pour rien. Pourtant, c’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était châtié, frappé par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos fautes qu’il a été transpercé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris.

Depuis des siècles, les psaumes d’Israël précisent jusqu’au moindre détail : Une bande de scélérats rôde autour de moi, ils ont percé mes mains et mes pieds. Ils se partagent mes vêtements, ils tirent au sort ma tunique.

Première station : Jésus est condamné à mort.

Je ne trouve rien de coupable en cet homme. Ecce homo : voilà l’homme !

Le pouvoir, l’ordre, ils l’ont bien arrangé, lui, l’innocent, le voilà ligoté, flagellé, couronné d’épines, mais digne. Voilà l’homme. Pilate n’a pas de haine mais de l’indifférence. Le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence. Ce charpentier qui joue au prophète, c’est un agitateur ou c’est un Dieu. Nous avons trouvé cet homme mettant le trouble dans notre nation.

C’est un gêneur. C’est un contestataire, un rêveur, un marginal, un innocent condamné.

A Jérusalem, ce jour-là, combien sont-ils autour de Pilate ? Et aujourd’hui ? Il y a ceux qui ne s’engagent jamais, il y a ceux qui condamnent, il y a ceux que la maladie condamne, ceux que l’opinion accable, ils sont tous présents.

Je ne veux pas le savoir, c’est leur problème. Oh ! Les droits de l’homme ! Sil fallait s’occuper de tout ! Mais je risque ma place dans cette affaire !

Oui, il est condamné, il a le sida, mais il l’a bien cherché. Il est de gauche, c’est tout dire ! Il est de droite, méfiez-vous !

Il est homosexuel, rendez vous compte !

C’est un émigré, soyez prudent !

Ils sont tous là ceux que l’on condamne, ceux que l’on soupçonne, ceux que l’on fiche, ceux que l’on catalogue. Et nous, de quel côté sommes-nous face à tous les pouvoirs ? Pouvoir de la force, pouvoir de la science, de l’opinion publique, de l’argent. Mais la morale n’est pas écrite, elle est amour spontanément vécu.

Tu fus conduit prisonnier, tu nous as libérés.

Deuxième station : Jésus est chargé de sa croix.

Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et me suive !

Cela va être dur. Bientôt cette énorme croix va être sur ses épaules, il va tituber. Son souffle va se faire haletant, et une sueur glacée va se mêler au sang de son front. La foule crie déjà, et quelqu’un brandit un écriteau : Jésus de Nazareth, le roi des Juifs.

Un roi, ça ? Couronné d’épines, injurié, en tout cas, il n’a pas l’air d’un libérateur. Un dieu, ça ? Il n’a rien de puissant ni de terrible. Mais regarder son geste : quel calme ! Regarder son regard sur cette croix ! Pour supporter tout cela, il ne peut y avoir que l’amour.

Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne.

Ce jour-là, combien sont-ils au palais de Pilate pour le charge de sa croix ? Et aujourd’hui ?

Il y a ceux qui acceptent les responsabilités et ceux qui les refusent. Il y a ceux dont le quotidien est insupportable, broyés par un environnement invivable, écrasés de rythmes de travail accablants. Il y a ceux qui ployent sous la maladie, et ceux que la vieillesse accable et que l’on abandonne. L’alcoolisme de ma femme, c’est une croix, vous savez ! Mon fils se drogue, et j’ai peur tous les jours. Cent personnes à diriger, c’est souvent difficile, si on veut être équitable. Oui, je souffre depuis des années, mais ce qui est horrible, ce n’est pas la souffrance, c’est la souffrance sans l’amour. Pas la souffrance masochiste que l’on s’impose, mais celle qui s’impose dans les faits quand il faut préférer ce qui est difficilement aux manquements à l’amour. Un regard d’amour et des vies sont transfigurées. Il a gardé le silence et il nous a instruits.

Troisième station : Jésus tombe pour la première fois.

Il est épuisé : le poids de la croix l’écrase. Il va tomber à trois reprises. Les évangélistes ne disent rien de ces trois chutes symboliques, mais qui furent bien réelles. Trois chutes comme les trois reniements de saint Pierre, comme les trois tentations de Jésus dans le désert : Dis à ces pierres de devenir du pain ! L’homme ne vit pas seulement de pain.

Trois chutes tout comme les hommes sont soumis à trois terribles tentations : posséder les biens, posséder les hommes, posséder Dieu. Mais la charge est trop pesante, le soleil trop brûlant, le chemin trop dur. Le voilà à terre, les cris redoublent, on entend même des rires, et les soldats en rajoutent : Allez ! On n’a pas que ça à faire, avance ! Alors, il se relève, il reprend le chemin. Ce n’est pas de tomber qui est grave, c’est de ne pas se relever.

Ce jour-là, combien sont-ils dans cette foule hurlante ? Et aujourd’hui ? Il y a ceux que tout accable et qui reprennent quand même la route. Il y a ceux qui sont sans espérance, il y a ceux qui se suicident. Il y a les écrasés de solitude. Il y a les malades guéris qui rechutent. Il y a ceux qui savent accepter l’échec avec humilité. Il y a ceux qui tombent pour la première fois dans la délinquance. Il y a les faibles déjà à terre, en raison de leur faiblesse. Il y a ceux qu’un regard d’amour aide à repartir. Il y a ceux qui se relèvent, ceux que l’épreuve renforce et qui disent : Courage quand même.

Tu as été chargé d’une croix tel un esclave et tu nous affranchis.

Quatrième station : Marie rejoint Jésus sur le chemin de la croix.

Et toi, un glaive de douleurs te transpercera l’âme, afin que se révèlent les pensées intimes d’un grand nombre.

C’est la mère du condamné. Ils ne se disent pas un mot. Leurs regards se rejoignent. Ce sont les coeurs qui parlent. Mais la foule l’empêche de l’approcher, de l’embrasser. Elle avait dit : Voici la servante du Seigneur. Il avait dit : Oui, me voici, je viens.

Ce jour-là, combien sont-ils à poser leurs regards sur Jésus, sur Marie ? Et aujourd’hui ?

Il y a ceux qui savent vraiment regarder et voir. Il y a ceux qui savent dire : je suis là. Il y a ceux qui sont seuls dans la souffrance. Il y a toutes les mères de ceux qu’on condamne, les femmes de ceux qu’on méprise, toutes celles qui adoptent un enfant et toutes celles qui avortent, celles qui maltraitent leur enfant et les coeurs maternels. Il y a les mères qui pleurent et ceux qui font pleurer leur mère.

Tu as dit : Oui. Pouvons-nous continuer à dire non ?

Cinquième station : Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix.

Alors, les soldats réquisitionnent Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs, pour porter la croix.

C’est un étranger, un ouvrier agricole, un immigré de Libye à Jérusalem. Qu’a-t-il à voir avec cette histoire ? Il n’arrivera jamais au bout. Eh toi, là-bas, tu as l’air fort ! Allez, aide-le ! Dieu a besoin des hommes. Jésus n’est pas un surhomme. Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi accomplissez la Loi du Christ.

Ce jour-là, combien sont-ils avec Simon pour porter la croix ? Et aujourd’hui ? Il y a tous ceux qui aident, qui écoutent, qui soignent, qui agissent pour aider à supporter une douleur, tous ceux qui vont au devant des isolés, des voisins inconnus, des compagnons de travail ignorés. Il y a ceux qui ne se raidissent pas orgueilleusement, qui ne se ferment pas sur eux-mêmes, sur leur peine et qui acceptent d’être aidés. Il y a tous ceux qui acceptent des tâches dans la vie sociale, tous ceux qui savent reconnaître les bienfaits dont on les comble, ceux qui sont bénévoles, qui partagent, qui sourient, qui respectent les autres.

Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.

Tu nous as invités à prendre ta croix, tu nous as tirés de notre suffisance.

Sixième station : Une femme essuie le visage de Jésus.

Celui qui prétend aimer Dieu qu’il ne voit pas et n’aime pas son frère qu’il voit est un menteur.

Il paraît qu’elle s’appelle Véronique. Il n’avait plus figure humaine, il fallait faire quelque chose. C’est un geste spontané, un geste qu’aucun évangéliste pourtant n’a mentionné.

Ce jour-là, combien sont-ils avec Véronique pour essuyer combien de visages défigurés ? Et aujourd’hui ?

Qu’est-ce qui défigure vraiment l’homme ? Il y a des visages si beaux et les visages que la maladie déforme. Il y a les lumineux sourires et les visages que l’alcool ravage, que la drogue torture. Il y a tous les visages où se lisent d’immenses détresses, visages des banlieues, des camps de réfugiés, des mouroirs. Ils sont là près de Véronique, près de tous ceux qui tendent les mains, de tous ceux qui tendent le coeur.

Un geste d’amour et le mal ne défigure plus un visage.

Tu es couronné d’épines et tu nous as fait rois.

Septième station : Jésus tombe pour la seconde fois.

Et nous qui croyions qu’il allait libérer le peuple !Allez, avance ! Les deux autres-là, personne ne les aide. Ne complique pas le travail ! Relève-toi !

Un Dieu, ça ? En tout cas, il n’est pas là pour être servi ou pour se servir de nous. Il est là pour servir. Trois chutes comme les trois tentations du désert. Mais si tu t’inclines devant moi, je te donnerai l’empire du monde. Adorer le mal, s’aplatir devant lui et s’en servir avec tout ce qu’il propose : mensonge, flatterie, menace, violence, argent pour arriver. Quelle tentation !

Tu adoreras Dieu seul. Trois chutes tout comme les hommes sont soumis à trois terribles tentations : posséder les biens, posséder les hommes, posséder Dieu. Combien sont-ils ce jour-là sur le chemin ? Et aujourd’hui ? Il y a ceux que tout accable et qu’on laisse en arrière, les oubliés de la croissance, les pays en voie de développement, le Tiers-Monde, le Quart-Monde. Il y a tous ceux qui se découragent. Il y a tous ceux dont le foyer se brise. Il y a tous ceux qui se relèveront. Les chutes peuvent devenir des appels. Les chutes sont des élans nouveaux.

Tu es tombé. Tu nous as relevés.

Huitième station : Jésus rencontre les femmes de Jérusalem.

Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants. Il a pleuré, lui, sur Jérusalem, en descendant vers la ville, au jour des rameaux. Mais où sont ses disciples, où sont ses apôtres ? Ils se sont sauvés, ils l’ont abandonné. Il ne suffit pas de pleurer, il faut s’interroger pour savoir si la vie que l’on mène est bonne. Il faut agir. On pleure sur les conséquences, et l’on oublie de s’interroger sur les causes.

Pleurez sur vos enfants ! Quel avenir leur préparons-nous ? Dans quelle société de consommation, dans quel monde d’égoïsme collectif, d’égoïsme individuel ? Quinze millions d’enfants meurent dans les pays pauvres ? Combien n’ont-ils pas le droit de vivre dans nos pays riches ?

Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Ce jour-là, combien sont-ils auprès de ces femmes en pleurs ? Et aujourd’hui ? Il y a tous ceux qui s’apitoient sans rien faire, les spécialistes de la charité tapageuse. Il y a ceux qui s’interrogent sur le racisme, le chômage, la violence, la famine, l’exploitation des autres, et qui s’engagent vraiment auprès de ceux qui sont injustement traités. Il y a ceux qui savent être proches et qui savent soulager.

Ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur qui entreront dans le Royaume de Dieu, ce sont ceux qui font la volonté de mon Père.

Tu as parlé sévèrement, tu as sauvé l’avenir.

Neuvième station : Jésus tombe une troisième fois.

Vous voyez bien qu’il est à bout de force. Il va tomber forcément. Ne comptez plus les chutes. Trois chutes comme les trois tentations au désert. Jette-toi en bas ! Les anges te porteront. Tu ne tenteras pas Dieu. Les hommes vont tomber forcément. Ne comptez plus les chutes. Posséder les biens, posséder les hommes, posséder Dieu, qu’est-ce que c’est ? C’est croire que l’on peut se ménager sa bienveillance par la pratique quasiment administrative de dévotions, d’assistance à des cérémonies. Elle est toujours là la tentation de refuser un Dieu humble et doux. Ce jour-là combien sont-ils à chuter avec lui ? Et aujourd’hui ?

Il y a ceux qui tombent et retombent encore. Il y a ceux qui doutent de la vie, de l’amour, de l’amitié. Il y a ceux qui cherchent pour ne rien trouver, ceux dont les silences sont des appels, ceux dont les blasphèmes mêmes sont des prières. Il y a ceux qui chutent et qui se relèvent. Ce qu’il faut d’amour et de confiance malgré les faux pas pour repartir sur la route ! Trois fois, tu es tombé. Trois fois, tu nous dis : M’aimes-tu ?

Dixième station : Jésus est dépouillé de ses vêtements.

Ils se partagèrent ses vêtements, ils les tirèrent au sort. On l’a livré aux Romains, ces païens, ces occupants maudits, et les Romains le traitent ainsi. Il a été mis au rang des malfaiteurs.

Les voilà ! Les voilà ! Ils arrivent au Golgotha. La foule va se taire. Maintenant, elle regarde, la foule. Il va y avoir du sang et de l’humiliation, et elle adore cela, la foule. Ici mène l’inconscience, ici mène le fanatisme, ici mène l’esprit de domination.

Ce jour-là, combien sont-ils pour arracher ses vêtements ? Et aujourd’hui ?

Il y a ceux que l’on dépouille de tout, jusqu’à leur coeur, voire leur esprit. Il y a ceux qui n’ont pas accès à la culture, ceux qui n’ont pas le droit au respect, ceux à qui on prend leur travail, leur logement. Il y a ceux qui se contentent des apparences pourvu qu’elles soient clinquantes. Il y a ceux qui préfèrent paraître et non pas être. Il y a ceux qui vendent leur corps, il y a ceux qui vendent leur esprit ou leur coeur. Il y a les méprisés, les exclus, les écrasés.

Il n’a pas gardé jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.

Tu fus dépouillé de tes vêtements et tu nous as revêtu des vêtements de fête du fils prodigue retrouvé.

Onzième station : Jésus est cloué sur la croix.

C’était la troisième heure lorsqu’ils le crucifièrent. L’inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. Avec lui on crucifie deux bandits, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.

Oh ! la, la ! quel sale boulot ! Mais ce sont les ordres ! Les os du poignet de disloquent, les muscles se déchirent, le sang coule. Tout cela est répugnant. Les honnêtes gens s’en vont. Ce jour-là, combien sont-ils à enfoncer les clous, à détourner la tête ? Et aujourd’hui ?

Il y a ceux qui ferment les yeux sur le mal, et détournent l’esprit et détournent le coeur. Il y a ceux qui ne veulent pas voir l’injustice, la misère, la famine, la torture. Il y a ceux qui font le mal sans même s’en apercevoir. Il y a ceux qui sont à jamais cloués par la maladie, par l’infirmité. Il y a ceux qui disent : Mais pourquoi le malheur innocent ? Il y a ceux qui se détournent quand tout va mal. Il y a ceux qui sont attentifs aux souffrances des autres. A Lourdes, combien sont-ils cloués sur d’autres croix ? Lourdes de l’espoir de guérison des corps, de guérison des coeurs. Lourdes des courages nouveaux et de la dignité retrouvée ? Tu fus crucifié et tu nous as sauvés.

Douzième station : Jésus meurt sur la croix.

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.Il l’avait dit, maintenant il le fait. Il est là, crucifié entre deux malfaiteurs. Les apôtres l’ont abandonné, il n’y a plus que Jean, quelques femmes, et sa mère. Marie est debout au pied de la croix. Jésus va mourir, non pas d’une mort lamentable d’un corps épuisé. C’est un amour impressionnant d’attention et de tendresse qui s’exprime alors dans les huit paroles.

• Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font !Amour de pardon offert à tous, sans réticence.

• Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis. Amour de pardon personnalisé pour le malfaiteur repenti.

• Femme, voici ton fils. Et Marie devient à cet instant, la Mère de tous les vivants. 

• Voici ta Mère. Et Jean, à qui le chagrin semble fermer pour l’avenir tout espoir et toute foi, va attendre auprès de Marie le matin de Pâques pour voir et croire.

• Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Jésus reprend les paroles du psaume 21, où sa Passion est décrite de façon saisissante, où la résurrection est annoncée, où l’Eglise est annoncée. C’est la montée du peuple nouveau. La génération future annonce sa justice, elle annoncera son oeuvre aux peuples nouveau-nés.

• J’ai soif ! On lui tend une éponge imbibée de la boisson des soldats, de l’eau mêlée de vinaigre. Mais plus que l’ardente soif de l’agonisant, Jésus exprime là son passage vers Dieu. Dieu seul capable d’apaiser toutes les soifs. Mon âme a soif du Dieu vivant, quand le verrai-je face à face ? C’était presque la troisième heure quand l’obscurité se fit sur le pays tout entier.

• Tout est accompli. Alors, dans la paix qui entoure toutes les agonies humaines, Jésus dit vers qui il va, quel chemin il ouvre.

• Père, entre tes mains, je remets mon esprit. Dieu meurt crucifié par ses créatures. Quelle énigme effroyable ! Et si la vraie puissance, c’était cela ? Ce jour-là, combien sont-ils au pied de la croix ? Et aujourd’hui ?

Il y a tous ceux qui donnent leur vie pour que règne plus de justice. Il y a ceux qui meurent à tous les égoïsmes. Il y a ceux qui pardonnent aux heures les plus graves. Il y a ceux qui voient mourir un être qu’ils aiment et qui vont se reprocher de ne pas l’avoir aimé suffisamment.

Il y a ceux qui vont mourir dans de grandes douleurs et ceux qui sont prêts à une mort sans effroi. Tu mourus et tu nous fais vivre. La puissance de Dieu, c’est la croix.

Treizième station : Jésus est déposé dans les bras de sa mère.

Tout est accompli.

Les soldats virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté, il en sortit aussitôt du sang et de l’eau.

C’est de son côté percé que coule l’eau qui donne la vie. Sang versé, corps livré. Marie est là, elle tient entre ses bras son enfant comme elle le tenait à Bethléem. Geste de mère, douleur de mère et Marie se rappelle tout, et elle va continuer son rôle de mère auprès de la nouvelle famille, les disciples et l’Eglise qui va se lever demain. Magnificat anima mea Dominum. Il renverse les puissants de leurs trônes ; mais où est la vraie puissance ? La vraie puissance, chez les bourreaux, chez les victimes ?

Voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : Voici ta Mère.

Ce jour-là, combien sont-ils avec Marie et l’apôtre, avec Nicodème, le pharisien, le notable qui comprend enfin à cet instant ses discussions avec Jésus, et avec Joseph d’Arimathie, cet homme riche qui se sépare des siens à cause du juste ? Et aujourd’hui ? Il y a ceux qui sont présents aux heures du don total. Il y a ceux qui donnent le coup de lance de l’autorité brutale et aveugle. Il y a ceux qui reçoivent Dieu et qui l’utilisent pour dominer ou pour tromper. Il y a ceux qui viennent d’apprendre la mort de leur enfant. Il y a ceux qui vont mourir seuls et qui appellent leur mère une dernière fois.

Tout est accompli, tout commence.

Quatorzième station : le corps est déposé au tombeau.

Le soir venu, arriva un homme riche d’Arimathie, nommé Joseph, qui lui aussi était devenu disciple de Jésus. Cet homme alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna de le lui remettre. Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans une pièce de lin pur et le déposa dans un tombeau tout neuf qu’il s’était fait creuser dans le rocher, puis il roula une grosse pierre à l’entrée du tombeau, et il s’en alla.

Le corps livide s’abandonne, dérisoire. Il faut faire vite, c’est le sabbat. Le fait divers se termine dans la hâte.

Il est descendu aux enfers. Non pas l’enfer, refus de Dieu, mais le séjour de la mort humaine. Ce n’était pas pour faire un mort de plus dans la foule des innocents assassinés et jetés en terre. L’amour ainsi vécu jusqu’au bout ne peut aboutir au néant. Il est allé ouvrir les portes du séjour des morts où tous ceux qui ne désespèrent pas de l’amour de Dieu l’attendent.

Ce jour-là, combien sont-ils avec Joseph d’Arimathie ? Et aujourd’hui ? Il y a ceux qui s’effondrent lorsque triomphe la haine. Il y a ceux qui s’ensevelissent dans des égoïsmes, ceux qui vivent sans espérance, ceux qui ressuscitent à l’amour, ceux qui inventent des mondes nouveaux. Tu fus mis au tombeau et tu nous as réveillés.

Quinzième station : le tombeau est vide.

Ne vous effrayez pas ! C’est Jésus le Nazaréen, crucifié que vous cherchez ! Il est ressuscité.

L’amour plus fort que la vie, c’est le sacrifice. L’amour plus fort que la mort, c’est la résurrection. Dieu est le maître de l’impossible. Le don de Dieu révèle une lumière nouvelle qui traverse la mort. La pierre qui emprisonnait l’espérance est roulée. Là est illustrée la différence affirmée par tous les chrétiens : l’amour a vaincu et le mal et la mort. Et Jésus est vivant, et nous sommes appelés à vivre Dieu ensemble.

Et je serai avec vous jusqu’à la fin du monde. Combien de fois donc recommence la Passion ? Ai-je jeté une pierre ? Ai-je essuyé son visage ? Et l’homme pitoyable essaye de se survivre en ses réalisations, en ses enfants qui le prolongent. Mais tout ceci est mortel. Seul l’amour suscite un nouvel homme, l’homme spirituel ressuscité. L’amour, c’est mourir à soi-même et vivre pour les autres.

Et ce chemin de croix devient chemin d’amour, chemin de Bonne Nouvelle. C’est à une ancienne prostituée, Marie-Madeleine, que Jésus s’adresse. Il l’appelle comme sa mère : Marie. Marie, va dire à Pierre et aux apôtres que je les attends. Et le péché de la vieille Eve est oublié.

Et par la femme, l’évangile est relancé. Une espérance se lève de la terre : l’amour.