La formation du Nouveau Testament

 

A une époque où les hommes savants consignaient déjà par écrit le message qu'ils voulaient transmettre aux générations ultérieures, Jésus, le prophète galiléen, n'a rien écrit : il s'est contenté de parler et de proclamer que le Royaume de Dieu était arrivé. Une telle proclamation, entendue par les foules du pays de Palestine, signifiait, pour elles, que la fin des temps était arrivée et que l'histoire allait connaître son plein achèvement. L'enthousiasme des foules devait être grand à l'écoute d'un tel message qui répondait à l'attente plus que millénaire du peuple juif ; mais les chefs religieux et les responsables du peuple ne partageaient pas cet enthousiasme : si Jésus de Nazareth était le Messie attendu, il ne répondait absolument pas aux critères messianiques énoncés par les prophètes. Les responsables religieux demeuraient sceptiques... et la suite des événements semble leur donner raison : Jésus est arrêté, sur une dénonciation de l'un de ses proches, traduit devant le tribunal religieux, qui le condamne pour des motifs religieux, et qui le renvoie devant le tribunal de droit commun dirigé par le gouverneur romain, Pilate, qui le condamnera à mort, pour tentative de sédition dans le peuple. 

La grande épopée messianique de Jésus s'achève sur la croix des suppliciés, la veille de la fête juive de la Pâque... Le message de Jésus semble donc voué à l'oubli, d'autant plus que ses disciples se sont enfuis et dispersés. Tout était rentré dans l'ordre, en quelques jours... et pourtant, cinquante jours après la mort de Jésus, les disciples de ce crucifié se manifestent à nouveau et se mettent à proclamer que celui que les chefs religieux avaient livré aux mains des exécuteurs romains est ressuscité, qu'il est de nouveau vivant, et ceux qui avaient suivi Jésus sur les routes de Palestine et qui avaient vécu avec lui pendant toute sa prédication se mettent à leur tour à proclamer la Bonne Nouvelle qu'il avait d'abord adressé au peuple juif : ils sont décidés à vivre selon l'Esprit de Jésus qui les anime. Pas plus que Jésus, les disciples immédiats de celui-ci ne livrent leur message par des écrits. 

Au jour de la Pentecôte, Pierre, au nom des apôtres, prend la parole pour exprimer le don de l'Esprit de Dieu et pour affirmer la résurrection de ce Jésus qui a été fait Seigneur et Christ par la puissance de Dieu. Et son discours n'est finalement qu'une suite de citations de ce que les chrétiens vont bientôt appeler l'Ancien Testament : Pierre, pas plus que les premiers chrétiens, ne peuvent se passer de la Bible, de l'Écriture Sainte, transmise par des générations de membres du peuple juif. C'est à la lumière de la Bible hébraïque que les apôtres vont commencer par justifier la mission, la vie et l'oeuvre de ce Jésus de Nazareth avec lequel ils avaient cheminé pendant quelques années sur les routes de Palestine. La prédication apostolique, enracinée dans la longue tradition biblique, va donc présenter Jésus comme celui qui porte à leur achèvement toutes les données scripturaires : les discours du livre des Actes des Apôtres ne feront rien d'autre que cette démonstration... 

Mais les lecteurs du vingtième siècle sont parfois bien embarrassés devant une telle pratique ; ils finissent par découvrir dans ce qu'ils appellent l'Ancien Testament le programme de l'action de Jésus, comme si celui-ci n'avait eu qu'à exécuter un plan prévu depuis longtemps, sans pouvoir exercer sa propre liberté. La prédication apostolique essayait de comprendre l'oeuvre de Jésus par Écriture, alors que le lecteur du vingtième siècle effectue la démarche inverse : il essaye de justifier toute Écriture par l'oeuvre de Jésus, ce qui entraîne une sorte de déterminisme total pour la vie de Jésus. Quand un évangéliste rapporte dans son texte une phrase telle que il fallait que Écriture s'accomplisse, il ne veut pas dire que la vie de Jésus était entièrement programmée par Dieu, mais il veut simplement interpréter son oeuvre à la lumière des Écritures.

La Bible des chrétiens

Plus qu'un livre unique, la Bible est une véritable bibliothèque : ce terme, féminin singulier dans la langue française, vient d'un pluriel grec (ta biblia, les livres) qui désignait les livres saints. Le christianisme a distingué deux grandes parties dans la Bible : l'Ancien Testament et le Nouveau Testament. Mais ce terme de 'testament' n'a pas immédiatement le sens d'une disposition écrite relative à la partition des biens de quelqu'un entre ses héritiers, après sa mort. Ce terme comporte, dans son acception latine de testamentum la notion hébraïque de Berith, d'alliance, d'accord passé entre Dieu et les hommes. Mais le judaïsme refuse cette distinction entre deux testaments, ne cessant de reconnaître en Moïse, par qui s'est effectuée l'alliance éternelle entre Dieu et son peuple...

Les livres du Nouveau Testament ont été écrits bien après la mort et la résurrection du Christ, bien après que ses premiers disciples aient également commencé leur prédication. Deux faits historiques marquent les débuts de l'Eglise, d'une part la mort de Jésus, et d'autre part la proclamation de la Bonne Nouvelle par ses disciples. Toutefois, le lien entre ces deux événements repérables historiquement ne relève pas de l'histoire, mais de la foi : les disciples découvrent que cet homme Jésus, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, ne cesse de traverser leur existence, qu'il est ressuscité, et que, par son Esprit, il leur donne de devenir les témoins de sa résurrection. Les écrits de Nouveau Testament vont alors proposer la foi de ces disciples qui proclament une 'bonne nouvelle', un 'évangile' (translittération d'un terme grec signifiant : bonne nouvelle) qui a traversé leur vie particulière. Mais de l'annonce orale à la rédaction écrite, un temps assez long s'est écoulé, celui de la naissance et de la vie de l'Eglise primitive. Avant toute rédaction, il y a la vie de l'Eglise : c'est elle qui a donné le jour aux écrits néotestamentaires, en méditant chaque jour les actions et les paroles de ce Jésus de Nazareth. Désormais, il n'est plus possible d'atteindre Jésus directement, il faut sans cesse passer par le témoignage de l'Eglise primitive et de sa foi qui, pendant une cinquantaine d'années, a mené une existence de prédication orale avant de consigner par écrit son expérience propre de la vie de Jésus, mort et ressuscité.

Quand des chrétiens abordent la lecture des écrits du Nouveau Testament, ils doivent donc se libérer préalablement d'une conception qui ferait de ces textes une sorte de reportage au jour le jour sur la vie de Jésus. L'évangile que les apôtres prêchaient n'était pas un livre, mais plutôt un témoignage qu'ils rendaient quotidiennement à la manière dont Jésus lui-même avait vécu. Aussi les apôtres ont-ils été rapidement amenés à relire leur expérience de vie avec le prophète galiléen à la lumière des événements qu'ils traversaient eux-mêmes dans leur histoire. Ainsi l'entrée des païens dans l'Eglise primitive a posé une sérieuse question aux apôtres : Jésus n'avait-il pas recommandé de ne pas se rendre chez les païens, mais auprès des brebis perdues de la maison d'Israël ? Or, le livre des Actes des Apôtres manifeste que rapidement les premiers disciples sont conduits à dépasser la parole même de leur maître et à ouvrir les portes de l'Eglise à des individus qui n'étaient pas juifs. L'évangélisation auprès des païens était la condition sans laquelle il n'était pas possible de proclamer la Bonne Nouvelle dans l'ensemble du monde connu, et particulièrement à Rome : si la capitale de l'empire pouvait recevoir cette Bonne Nouvelle, l'ensemble de monde la recevrait. La question de l'entrée des croyants non-juifs fut réglée par le 'concile de Jérusalem' et Paul fut chargé de mission auprès des nations païennes. C'est sans doute par le récit des aventures de la primitive Eglise qu'il conviendrait de commencer la lecture du Nouveau Testament. Écrivant vers les années 80, Luc retrace, en quelque sorte, le journal de l'Eglise pendant les trente premières années de son existence, montrant à quels problèmes les disciples de Jésus se trouvent affrontés, comment ils reçurent le nom de chrétiens, quelles tribulations ils durent subir pour étendre le message de l'Évangile jusqu'aux extrémités du monde. Mais, même s'il faut commencer par ce récit, il ne convient pas d'oublier que les Actes des Apôtres constituent le second livre de Luc : son évangile retrace la vie de Jésus jusqu'au jour de sa résurrection, alors que les Actes ouvrent le temps de l'Eglise. Mais la prédication apostolique concerne essentiellement la personne de Jésus, sa vie et sa mission de salut pour le monde.

Et précisément, ce Jésus n'a rien écrit. Ses disciples se sont contentés de l'écouter comme un prophète, et même plus qu'un prophète, puisque, après sa résurrection, ses disciples ont acquis la conviction qu'il était lui-même la Parole que Dieu adressait aux hommes. Et pour comprendre cette Parole définitive de Dieu, ils ont eu recours aux Écritures Saintes du peuple juif, dans lesquelles ils ont en quelque sorte glané les extraits qui leur semblaient s'appliquer le plus directement à Jésus. Les spécialistes des origines du christianisme sont souvent tentés de reconstituer ce que devait être la première Bible des chrétiens : certains textes vétéro-testamentaires annoncent et préfigurent le message de Jésus. Ce sont principalement des textes prophétiques qui situent un nouvel Israël, héritier des promesses divines alors que l'Ancien les avait délaissées (une première théologie de l'Eglise peut ainsi voir le jour), des textes qui présentent la perspective du salut à la fin des temps et qui se sont accomplis dans la résurrection de Jésus (c'est la naissance de l'eschatologie chrétienne, centrée sur le rôle prééminent du Christ dans la rédemption du monde), des textes messianiques qui présentent le Juste comme celui qui souffre à cause du péché de son peuple (et c'est la christologie chrétienne qui prend le relais du messianisme juif). 

La Bible des premiers chrétiens était donc une collection de morceaux choisis de l'Ancien Testament. Mais, dans le même temps, la prédication apostolique annonçait Jésus de Nazareth, cet homme que Dieu avait accrédité, en le dotant de pouvoirs extraordinaires, cet homme que les siens avaient fini par livrer à la mort, mais que Dieu avait ressuscité. Des récits concernant Jésus, son enseignement, ses miracles, se sont ainsi formés progressivement ; et le but de ces récits était toujours de susciter un désir chez les auditeurs, celui de mieux connaître cet homme hors du commun. Mais, parmi les auditeurs de la prédication apostolique, certains s'en prenaient directement à la nouvelle secte qui se constituait ; et pour justifier les polémiques qui opposaient les disciples aux membres les plus influents du judaïsme, les apôtres rapportaient également les différentes controverses que Jésus lui-même avait pu avoir avec ses adversaires. Les principaux éléments des récits évangéliques se sont ainsi constitués progressivement au cours des premières prédications, au milieu des foules, juives ou païennes.

Les hommes, qui entendaient cette prédication, se convertissaient et se regroupaient en communautés, principalement dans les grandes villes que visitaient les différents apôtres, accompagnés de leurs disciples. Il fallait rester en lien avec ces différentes communautés pour les aider dans leur découverte du Christ et pour les orienter dans leur vie chrétienne : les apôtres, et principalement Paul, leur écrivent des lettres afin de les soutenir et de les conforter dans leur foi naissante. Les lettres de Paul sont les premiers écrits du Nouveau Testament, puisque Paul est mort avant que le premier évangéliste, Marc, n'ait écrit son évangile. Dans ses lettres, Paul souligne généralement un aspect de la foi chrétienne qui lui paraît essentiel et que les chrétiens ont tendance à oublier, puis il tire les conséquences concrètes que la foi en Jésus Christ peut avoir dans la vie quotidienne, avant de donner de ses propres nouvelles aux communautés qu'il a lui-même fondées. Mais Paul n'est pas le seul apôtre à expédier des lettres : Jacques, chef de la communauté de Jérusalem, Pierre et Jude envoient aussi des lettres aux communautés...

Mais déjà les apôtres commencent à disparaître : Jacques a été lapidé à Jérusalem, Pierre et Paul ont connu le martyre au nom du Seigneur Jésus. Il ne faudrait pas que l'enseignement des apôtres soit définitivement perdu après leur disparition : il faut garder ce que les chrétiens savent de Jésus, toutes les traditions qui circulent à son propos, soit oralement, soit sous forme de petits billets relatant tel ou tel récit. Quatre auteurs vont donc travailler à partir des données qui avaient pris des formes diverses selon les communautés : ils recueillent et mettent par écrit, selon une perspective théologique ou historique qui leur est particulière, les enseignements transmis à propos de Jésus. Évangile, qui était une Bonne Nouvelle proclamée aux hommes, va se fixer rapidement en des 'évangiles' des textes issus des communautés chrétiennes, des textes qui répondront aux besoins principaux des communautés chrétiennes dans lesquelles ils ont été élaborés.

L'Évangile traversera les siècles en quatre petits livrets. Trois sont relativement similaires : ils sont dits 'synoptiques', du nom d'un ouvrage paru à la fin du dix-huitième siècle 'la Synopse' qui permet la lecture simultanée des évangiles de Matthieu, Marc et Luc, sur trois colonnes parallèles. Le quatrième évangile, celui de Jean, présente des originalités qui le mettent à part des autres et qui le situent dans une ''école johannique' qui a permis de classer dans le Nouveau testament des lettres attribuées à Jean, ainsi qu'un texte apocalyptique, qui clôt le canon néotestamentaire.

Le canon du Nouveau Testament

Dans la littérature chrétienne, vingt-sept livres occupent une place privilégiée, car ils constituent, en quelque sorte la norme de la foi reçue des apôtres : ces livres forment le Nouveau Testament. Ils ont tous été écrits en grec : le plus ancien manuscrit complet dont dispose le christianisme a été découvert dans le monastère sainte Catherine sur le mont Sinaï, en 1859. Il porte le nom de 'Sinaïticus'. Mais il existe de très nombreux manuscrits plus ou moins complets : à force d'être recopiés à la main, ces textes ont subi des modifications ou des altérations, certaines n'ayant trait qu'à la grammaire grecque, d'autres affectant le sens profond lui-même. Les traducteurs contemporains ne privilégient pas un texte aux dépends d'un autre, mais essayent d'établir leur texte en tenant compte des différentes leçons dont ils disposent à travers les différents manuscrits : le but idéal de la critique textuelle est de reconstituer, à partir de tous ces éléments, un texte qui se rapproche le plus possible du texte originel, tout en sachant qu'il sera impossible de remonter jusqu'à l'original lui-même.

Le Nouveau Testament comprend quatre évangiles, les Actes des apôtres, treize lettres attribuées à Paul, trois à Jean, deux à Pierre, une à Jacques, une à Jude, une lettre aux Hébreux, et l'Apocalypse.

Pour les premières générations chrétiennes, les deux pôles de l'autorité dans le domaine de la foi étaient l'Ancien Testament, compris comme la révélation de Dieu qui devait conduire à Jésus, et l'enseignement du Seigneur Jésus, tel qu'il était rapporté par les apôtres. Cet enseignement était d'abord oral, avant d'être codifié par des écrits, quand les chrétiens constatèrent qu'avec la disparition des apôtres cet enseignement oral direct allait disparaître lui aussi. Le premier recueil écrit, utilisé dans les rassemblements liturgiques, fut l'ensemble des lettres de Paul, qui ne prétendaient nullement se substituer à l'Ancien Testament, ni même constituer une sorte de supplément à Écriture sainte hébraïque. Dès le début du deuxième siècle, des auteurs chrétiens laissent entendre qu'ils connaissent la totalité des écrits pauliniens, signe que ceux-ci sont conservés précieusement et diffusés dans toutes les églises locales. Vers le milieu de ce même deuxième siècle, des témoignages certifient l'existence d'un recueil collectionnant les récits évangéliques. C'est à partir de 150 que commence une période importante pour la formation du canon - c'est-à-dire de la règle de foi - du Nouveau Testament. Dans un texte qui présente le déroulement d'une célébration eucharistique, Justin de Rome, qui s'adresse à des hommes qui ne partagent pas la foi chrétienne, explique les principes fondamentaux de la foi et souligne particulièrement :

Le jour dit du soleil, tous ceux des nôtres qui habitent dans les villes ou les champs s'assemblent en un même lieu : on lit les mémoires des apôtres et les écrits des prophètes, autant que le temps le permet... Car les apôtres, dans les mémoires qui sont d'eux et que l'on appelle : Évangiles, nous ont rapporté ce que Jésus leur avait prescrit...

Justin est le premier à signaler que les chrétiens, réunis pour l'assemblée dominicale, lisent les évangiles, qui sont considérés comme les oeuvres des apôtres ; il est le premier à signaler que les chrétiens attribuent à ces écrits une autorité semblable à celle des écrits de l'Ancien Testament, puisqu'ils sont mis sur le même plan que 'les écrits des prophètes'. L'autorité de ces textes évangéliques ne vient pas du fait qu'on les attribue aux apôtres ou à des disciples très proches des apôtres, mais au fait qu'ils retracent la vie du Seigneur Jésus, selon la tradition reçue oralement. Mais les écrits biographiques concernant Jésus proliférèrent rapidement ; leur contenu relevait parfois de la plus haute fantaisie... C'est la raison pour laquelle, dès le milieu de ce même deuxième siècle, le besoin d'une norme officiellement reconnue se fit ressentir dans toute l'Eglise. Et celle-ci s'orienta vers la collection des quatre évangiles qui s'étaient imposés en raison surtout du témoignage qu'ils rendaient unanimement au Christ Jésus, Seigneur. Ces quatre évangiles, mais aussi les autres textes du Nouveau testament, qui furent considérés comme exprimant la véritable foi catholique, constituèrent le 'canon' des Écritures chrétiennes et jouirent ainsi de la vénération des fidèles et des copistes. Ceux-ci les maintinrent aussi scrupuleusement qu'il leur était possible dans l'état reçu, jusqu'à l'époque de l'invention de l'imprimerie. Mais les autres écrits, qui remontaient également à l'époque la plus ancienne et qui ne furent pas reconnus comme établissant la règle de foi, furent écartés plus ou moins rapidement, selon qu'ils bénéficiaient de l'estime générale ou non. En tout cas, ils furent interdits de lecture publique lors des assemblées dominicales. On les appela 'apocryphes', c'est-à-dire cachés, parce qu'ils véhiculaient des idées et des doctrines qui étaient considérées comme étrangères à l'ensemble de l'Eglise, même si, pour certains d'entre eux, la lecture en était recommandée en privé, pour le bien spirituel des croyants. En règle générale, les ouvrages apocryphes du Nouveau Testament sont des compositions postérieures aux écrits canoniques, dont ils ne sont que des imitations.

A la fin du deuxième siècle, un ensemble de textes néotestamentaires étaient donc déjà considérés comme Écriture Sainte, au même titre que l'Ancien Testament, même s'il fallut encore attendre deux siècles pour avoir une recension complète des différents écrits composants le Nouveau Testament, eu égard aux hésitations sur la lettre aux Hébreux, l'Apocalypse, les lettres de Jacques et de Jude, la seconde lettre de Pierre, et les deuxième et troisième lettre de Jean. En 367, Athanase énumère les vingt-sept livres composant le canon scripturaire de l'Eglise chrétienne sans qu'il soit possible pourtant de savoir si ce nombre était universellement admis. Pourtant, en 397, un concile réuni à Carthage confirmera ce nombre.

Le contenu des écrits du Nouveau Testament

L'Évangile, c'est d'abord, selon l'étymologie même de ce terme, une Bonne Nouvelle. Et cette Nouvelle, c'est que le salut de Dieu est offert à tous les hommes en Jésus-Christ. Cette annonce de Jésus, Christ et Sauveur, s'est faite primitivement par une tradition orale, puis elle s'est fixée dans les écrits évangéliques attribués à différents rédacteurs. Chacun de ses rédacteurs a essayé d'exprimer sa relation et la relation de la communauté chrétienne dans laquelle il vivait avec ce Christ Seigneur. Ainsi, les auteurs évangéliques ont recueilli les traditions orales relatives à la vie de Jésus, à sa mort et à sa résurrection, traditions qui étaient véhiculées dans les différentes communautés fondées par l'un ou l'autre apôtre, traditions qui s'exprimaient dans le culte liturgique, dans la prédication, dans la catéchèse... Certains récits étaient déjà, semble-t-il, bien constitués avant que les évangélistes ne commencent leur travail de recension, ainsi les textes relatifs à la dernière semaine de Jésus avant sa Passion et sa Résurrection. Les évangélistes ont travaillé à partir des différentes données dont Ils disposaient, afin d'annoncer aussi aux générations chrétiennes, qui n'auraient pas connu les apôtres directement, la Bonne Nouvelle du salut apporté en Jésus-Christ. Chaque évangéliste a pour idéal le désir de répondre à la question de tout homme qui entend parler de Jésus et qui se demande : mais quel est donc cet homme ?

L'auteur du premier évangile complètement rédigé, tel qu'il est passé dans la tradition de l'Eglise, est Marc. Celui-ci s'efface complètement devant le message qu'il veut transmettre. Grâce à la tradition, on suppose qu'il s'agit du Marc, dont parlent les Actes des Apôtres, et chez qui les premiers chrétiens se réunissaient à Jérusalem. II était le cousin de Barnabé, lequel lui fit connaître Paul, dont Jean, surnommé Marc, devint le disciple, l'accompagnant dans ses voyages à Chypre, à Antioche et dans plusieurs villes de l'Asie Mineure. Mais, après une brouille, Marc quitta Paul pour retourner à Jérusalem. Plus tard, lorsque Paul sera en prison, Marc et Paul se réconcilièrent. Mais Marc fut aussi un des intimes de Pierre qui l'appelle son propre fils. Marc a donc, très tôt, participé à l'évangélisation, dans le sillage des plus grands apôtres qu'il accompagnait lors de leurs déplacements. Il les écoutait prêcher et gardait fidèlement leur enseignement. Cela devait lui permettre de savoir ce dont il parlait en écrivant son propre évangile. La tradition patristique, avec Papias, évêque de Hiéropolis, aux environs de 140, présente Marc comme l'interprète de Pierre. Et Irénée de Lyon précise que cet évangile a été écrit à Rome, d'après le témoignage de Pierre, mais après la mort de cet apôtre, c'est-à-dire après l'an 64. L'évangile selon Marc est marqué par la situation de l'Eglise romaine après la persécution de Néron, et c'est la raison pour laquelle le théologien Marc n'hésite pas à faire proclamer par un centurion romain l'identité même de Jésus, qui était demeurée caché tout au long de sa vie terrestre ; au pied de la croix, le centurion, témoin de la mort de Jésus, affirme : Vraiment, cet homme était Fils de Dieu (Mc. 15, 40).

La communauté chrétienne à Rome était essentiellement composée d'anciens païens, et l'on comprend l'importance que Marc accorde à l'évangélisation des païens, se situant ainsi d'emblée beaucoup plus dans le sillage de Paul que des autres apôtres, encore fortement enracinés dans leurs traditions juives. Toute la pensée théologique de Marc est exprimée dans la première phrase de son oeuvre : Commencement de l'Évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu.

Tout le drame, qui sera celui de l'existence de Jésus se résume dans cette phrase ; car Jésus est bien le Christ, c'est-à-dire le Messie, mais il n'apparaît pas comme celui que les juifs attendaient, et ce même Jésus est aussi le Fils de Dieu, scandale pour les juifs et folie pour les païens. Mais c'est pourtant sur le nom de Jésus que tous les hommes doivent décider du sens de leur existence. En se situant dans le présent qui est celui de la communauté romaine, Marc se tourne vers le passé pour signifier le 'commencement' de l'évangélisation, mais un commencement qui doit se poursuivre sans cesse dans la vie des communautés chrétiennes répandues à travers le monde.

L'évangile selon Matthieu, qui occupe la première place dans les livres du Nouveau testament, aurait été écrit vers les années 80, probablement en Syrie. On ne connaît pas avec certitude la personnalité de Matthieu : il semble qu'il existait, dans l'antiquité une certaine reconnaissance qui liait l'évangéliste à l'apôtre Matthieu. Disciple de Jésus, mais bien enraciné dans son judaïsme originaire, Matthieu s'adresse donc d'abord à des communautés chrétiennes venues du judaïsme ; aussi est-il l'évangéliste qui est le plus documenté sur les traditions, les lois et coutumes juives, dont il n'éprouve absolument pas le besoin de justifier l'existence (puisque ceux à qui il s'adressait les connaissaient). Mais il est aussi celui qui permet d'affirmer que la Loi de Moïse a trouvé son accomplissement dans la personne même de Jésus : il invite donc les communautés d'origine juive à se renouveler, en écartant les prescriptions trop légalistes, issues des milieux pharisiens, pour permettre l'accès des païens à la Bonne Nouvelle. Dès le deuxième siècle, cet évangile selon Matthieu est considéré comme l'évangile de l'Eglise, qui a mené à son parfait accomplissement le peuple d'Israël : l'Eglise n'est pas un nouvel Israël, elle est le véritable Israël, le véritable peuple de Dieu. Mais cette Eglise ne peut pas encore s'identifier au Royaume de Dieu, que Jésus lui-même prêchait : elle est provisoire, c'est dire qu'elle est appelée à disparaître quand s'installera le Royaume.

Le troisième évangile, celui de Luc, est le premier volet d'un diptyque, l'autre volet se présentant dans le livre des Actes des Apôtres. Luc était également un compagnon de Paul. Originaire d'Antioche en Syrie, c'était un homme très cultivé, connaissant à la perfection toutes les subtilités de la langue grecque de son époque. Il écrit son évangile vers les années 80 également mais il ne s'adresse pas à des juifs convertis, mais à des chrétiens venus du paganisme. Sans doute était-il lui-même d'origine païenne et a-t-il été converti lors du passage de Paul et de Barnabé à Antioche. Il n'a pas connu personnellement Jésus de Nazareth ; mais il est soucieux de voir les chrétiens mettre en oeuvre la parole même de ce Jésus. Plus que les autres évangélistes, il s'attarde sur les manifestations de la tendresse et de la miséricorde de Dieu, telles qu'elles ont pu être découvertes dans la personne de Jésus.

Dans la présentation de son oeuvre, Luc veut faire oeuvre d'historien, même si l'histoire qu'il va présenter est une histoire sainte qui ne peut se comprendre entièrement que dans la foi. En effet, le propos de Luc est de montrer la signification que peuvent avoir les événements de la vie de Jésus pour la foi chrétienne, de même que dans son second livre, tout en faisant oeuvre d'historien des premières communautés chrétiennes, il soulignera comment la foi pascale des disciples peut éclairer toutes les entreprises de la vie quotidienne de l'Eglise affrontée au monde.

La tradition ou école johannique rassemble toute une communauté de disciples qui prêchaient en se rattachant au témoignage de l'apôtre, qui était considéré comme le garant de leur parole. Pour répondre aux besoins des premiers chrétiens, le témoignage de Jean s'est moulé dans des structures tantôt catéchétiques, tantôt liturgiques, tantôt polémiques, mais toujours avec le souci de faire apparaître l'actualité de la vie et des paroles de Jésus. De cet enseignement oral sont nés des matériaux écrits plus ou moins élaborés. Un disciple les a recueillis et disposés dans un ensemble structuré. Ainsi la plupart des spécialistes finissent par se mettre d'accord sur l'identité de l'auteur du quatrième évangile : Jean, le fils de Zébédée, 'le disciple que Jésus aimait' serait bien la source de cet évangile, mais il ne l'aurait pas rédigé lui-même. Comment, en effet, pourrait-on expliquer qu'un simple pêcheur galiléen, sans instruction particulière, ait pu écrire un texte aussi élaboré, aussi adapté à la pensée de son auditoire de culture hellénique ? Cet évangile aurait été mis en forme dans les années 90-100, et plus que les autres, il se présente comme une méditation des paroles et des gestes de Jésus : plutôt que de retenir une multiplicité de faits, l'auteur a préféré en retenir un très petit nombre qu'il va exploiter au maximum pour manifester la progression qui existe dans la vie de Jésus jusqu'à l'heure qui sera la sienne, celle de son exaltation dans la gloire, mais aussi dans l'humiliation et la détresse de la croix. On pense généralement que la communauté dans laquelle cet évangile est la communauté d'Éphèse, qui rassemblait des juifs et des païens et dans laquelle se côtoyaient les cultures grecques et juives. Le rédacteur de ce quatrième évangile connaît très bien la géographie de la Palestine, les lieux où Jésus a exercé son ministère, et particulièrement Jérusalem, qui apparaît comme la ville qui refuse Jésus : le Temple, lieu vénérable de la présence de Dieu au milieu de son peuple, sera détruit pour faire place au seul vrai Temple de Dieu, le Corps du Christ.

Rédigé par Luc, l'auteur du troisième évangile, le livre des Actes des Apôtres se présente comme une grande fresque sur les origines de l'Eglise, depuis Jérusalem jusqu'à Rome. C'est le premier travail de l'évangélisation apostolique qui se trouve rapporté ; et le but de la prédication des apôtres c'est la conversion des auditeurs au Dieu qui a ressuscité Jésus d'entre les morts. Il ne saurait donc être question d'envisager ce livre que sous son seul aspect historique : sa visée théologique est aussi très importante, elle manifeste que l'oeuvre de Dieu, commencée en Jésus, Christ et Seigneur, ne cesse de se poursuivre dans le quotidien des communautés où la Bonne Nouvelle du salut est annoncée.

Les treize lettres attribuées à Paul, dans le corpus biblique néo-testamentaire, sont généralement classées par ordre de grandeur décroissante, les lettres aux communautés chrétiennes précédant les billets adressés à des individus : une lettre aux Romains, deux lettres aux Corinthiens, une lettre aux Galates, une aux Éphésiens, une aux Philippiens, une aux Colossiens, deux aux Thessaloniciens, et trois lettres pastorales : deux adressées à Timothée, une à Tite, et un court billet destiné à Philémon. Toutefois, afin de mieux comprendre la pensée de Paul, il convient de les resituer - autant qu'il est possible, par les indications contenues dans ces lettres ou dans les Actes des Apôtres - dans le cadre de l'histoire de l'Eglise du premier siècle. Les lettres de Paul s'échelonnent de l'année 5l, quelques mois après le concile de Jérusalem, au moment de sa mort. Durant son séjour à Corinthe, de l'hiver 50 à l'été 52, il envoie ses deux lettres aux Thessaloniciens. Pendant son séjour dans la communauté Éphèse, qui dura deux ans et trois mois, il écrivit ses deux lettres aux Corinthiens, sa lettre aux Galates et sans doute sa lettre aux Philippiens. Revenu dans la communauté de Corinthe pour l'hiver 57-58, il écrit aux Romains. Et au moment de sa captivité, ou plus exactement de sa mise en résidence surveillée à Rome, il envoie ses lettres aux Colossiens, aux Éphésiens, son billet à Philémon, et ses lettres pastorales à Timothée et à Tite.

Dans ses lettres aux Thessaloniciens, qui sont non seulement les premiers écrits pauliniens, mais aussi les premiers écrits de l'ensemble du Nouveau Testament. Paul vient de quitter une communauté qu'il a lui-même fondée et il veille à manifester les liens qui l'unissent à elle, la joie qui est la sienne de voir les Thessaloniciens répondre avec empressement à la Bonne Nouvelle du salut. Il déploie la foi qu'il a lui-même reçue du Christ et des apôtres pour entretenir ces chrétiens dans l'espérance de la venue prochaine du Royaume : le souci prioritaire de tout chrétien est de veiller dans l'attente du Jour du Seigneur.

Écrivant aux Thessaloniciens, Paul annonçait dans le même temps l'Évangile dans la ville de Corinthe où il séjourna pendant dix-huit mois et où il fonda également une communauté chrétienne. La ville de Corinthe était une cité où les populations de toutes les races et de toutes les religions se côtoyaient, mais ce qui était le plus frappant, c'était la distinction entre les classes sociales : seule, une minorité disposait de la richesse, tandis que la majorité de la population était constituée de petites gens et d'esclaves méprisés. Le visage de la communauté de Corinthe reflétait également la vie quotidienne de cette cité cosmopolite. La communauté pouvait être vivante et fervente, mais elle n'était pas à l'abri des dangers spirituels et moraux que représentaient les différents courants de pensée et de vie dans cette ville portuaire. Quand Paul quitte Corinthe, afin de poursuivre son activité missionnaire, il reste en lien avec cette communauté, qui ne cesse d'éprouver de la difficulté à vivre de l'Évangile, en se détournant des pratiques de débauche antérieures. Paul, pour faire suite aux nouvelles qu'il reçoit de Corinthe, va être amené à inventer une morale chrétienne, une manière de vivre qui corresponde à l'Évangile qu'il a lui-même annoncé et pour lequel il ne cesse de lutter. A partir des faits concrets qui agitaient l'Eglise de Corinthe, comme le scandale des oppositions entre les riches et les pauvres, comme le scandale des dissensions entre les chrétiens Paul réfléchit et fait réfléchir sur ce qui fait le coeur de la foi chrétienne : Jésus Christ, mort et ressuscité, sur qui les disciples doivent engager leur vie tout entière.

La lettre de Paul aux Galates est une sorte de circulaire qu'il adresse aux différentes communautés chrétiennes de Galatie. Paul s'était arrêté quelque temps dans leur région, en raison d'une maladie grave : les Galates, païens d'origine, l'avaient bien accueilli et soigné, ils avaient même reçu la Parole de l'Évangile avec joie et les dons spirituels n'avaient pas manqué à ces chrétiens. Mais, après le départ de Paul, des prédicateurs chrétiens certes, mais fortement judaïsants, sont venus contrecarrer la prédication de Paul, en rappelant les exigences de la Loi juive. Et les Galates se sont laissés séduire et se sont mis à observer les préceptes de la Loi juive, en particulier la circoncision, sans découvrir le danger qu'ils pouvaient ainsi courir. Car s'il faut ajouter quelque chose - la Loi juive, en l'occurrence avec la pratique particulière de la circoncision - à l'Évangile, c'est que le Christ est incapable de sauver totalement l'homme. L'objet de la lettre de Paul aux chrétiens de Galatie sera donc de leur rappeler que leur baptême a suffi pour leur donner le salut et que les pratiques juives sont définitivement abolies. Pour Paul, l'Évangile qu'il annonce est une Parole libératrice : il n'y a plus de commandement auquel il faut se soumettre, c'est pour que les hommes soient vraiment libres que le Christ les a libérés ; par lui, ils sont devenus une création nouvelle.

Dans sa lettre aux Romains, Paul reprend de manière plus systématique le message qu'il adressait avec passion aux Galates et il développe les principales préoccupations de son apostolat. Tout d'abord, il constate que tous les hommes, qu'ils soient juifs ou qu'ils soient païens, sont unis dans une même solidarité, qui est celle du péché, mais cette solidarité en appelle immédiatement une autre : tous les hommes sont également solidaires dans le salut apporté par Jésus-Christ. Lui seul apparaît alors comme le Nouvel Adam qui suscite une création nouvelle, par la foi et par le baptême : la tendresse et la miséricorde de Dieu pour tous les hommes leur ont valu une surabondance de dons spirituels. Par la mort et la résurrection du Christ, par le don de l'Esprit à tous les croyants, les hommes peuvent vivre en communion les uns avec les autres, se découvrant ainsi une filiation divine : ils peuvent appeler Dieu leur Père. La conséquence pratique qu'en tire Paul, c'est que les chrétiens doivent vivre véritablement comme des enfants de Dieu, en offrant toute leur vie dans le même Esprit qui fait vivre l'Eglise universelle.

Quand il écrit aux Philippiens, Paul indique lui-même qu'il est prisonnier, mais il n'indique pas le lieu de son incarcération. Les Actes des Apôtres ne présentent que deux captivités de Paul, l'une à Césarée, l'autre à Rome, cette dernière n'étant que le prolongement de la première. II semble difficile d'imaginer que Paul ait écrit aux Philippiens de Rome, car, dans le texte même de sa lettre, il laisse supposer de nombreux échanges entre lui et la communauté de Philippes... et la distance qui sépare les deux villes est trop importante pour laisser supposer des échanges très fréquents. D'autre part, dans cette même lettre, Paul ne semble pas croire que l'issue de cette captivité lui sera fatale. Alors, les spécialistes ont émis l'hypothèse d'une autre captivité de Paul, que les Actes n'auraient pas mentionnée, cette captivité se plaçant à Éphèse De plus, la lettre qu'il adresse aux Philippiens reprend les grands thèmes des lettres du séjour de Paul à Éphèse, et particulièrement sa certitude de savoir que tous les hommes sont sauvés en Jésus-Christ. Mais, si dans sa lettre aux Romains, il développait sa pensée, en s'imposant une discipline littéraire, dans cette lettre à ses chers Philippiens, Paul se livre tout entier en dévoilant la grande amitié qui le lie à cette communauté. Proche d'eux, il l'est, malgré sa captivité, car il vit avec eux dans la communion fraternelle avec le Christ, qui lui assure que son sort ne peut pas être indifférent aux progrès de l'évangélisation.

Pendant les quatre années qui séparent les lettres précédentes des suivantes, Paul se trouve prisonnier - deux ans, à Césarée Maritime, en Palestine, et deux ans en résidence surveillée à Rome -, pendant ces quatre années, il a le temps de réfléchir et d'élargir ses horizons. Il ne renie pas le grand intérêt qu'il porte à la croissance de l'Évangile, mais il va le centrer davantage sur la personne du Christ qui est à l'oeuvre dans la croissance de l'Eglise, par la prédication apostolique. Il en ressent d'autant plus la nécessité absolue qu'il découvre qu'une communauté qu'il n'a pas lui-même fondée, celle de Colosses, est menacée d'hérésie. C'est Epaphras, originaire de Colosses, qui a fondée cette Eglise, et c'est d'après ses informations que Paul va rédiger sa lettre. Paul écrit aux Colossiens depuis sa captivité romaine, vers l'an 63 : malgré les études importantes, faites par les spécialistes, on ne sait pas exactement quel était le risque d'hérésie que pouvait courir cette communauté, sans doute une tentation judaïsante qui finissait par ne plus considérer le Christ que comme un simple maillon entre Dieu et les hommes, une puissance céleste comparable à celle des anges ou des puissances occultes. La tendance théologique paraissait réduire le rôle éminent et particulier de Jésus, Christ, la Sagesse de Dieu incarnée : l'Évangile, prêché par les apôtres, exprime pleinement le mystère de Jésus-Christ en qui Paul découvre la tête, c'est-à-dire le chef de l'Eglise. Et par le travail que les chrétiens effectuent dans ce monde, c'est déjà au Royaume de Dieu qu'ils travaillent.

En envoyant sa lettre aux Colossiens par l'intermédiaire de Tychique, Paul adresse aussi un court billet à un chrétien de Colosses, Philémon. Dans cette lettre à Philémon, entièrement écrite de la main de l'apôtre, Paul exprime, d'une manière nouvelle pour l'époque, la qualité des relations qui doivent exister entre un maître et un esclaves chrétiens. Onésime, un des esclaves de Philémon, s'était enfui de chez son maître. La loi romaine était intransigeante pour de tels fugues : la mort était souvent le lot de l'esclave, lorsqu'il était retrouvé. Onésime a rencontré Paul, on ne sait dans quelle circonstance ; mais Paul s'est pris d'amitié pour lui, et il le renvoie chez son maître, en recommandant à ce dernier de l'accueillir non plus comme un esclave, mais comme un frère bien-aimé dans le Christ Jésus.

En écrivant aux Éphésiens, Paul s'adresse collectivement à l'ensemble des Églises d'Asie Mineure : il fait découvrir à ces chrétiens la grandeur du plan de Dieu sur le monde, qui vise à réunir l'ensemble de l'humanité sous un seul chef, le Christ. Paul qui se présente comme le prisonnier du Christ, décrit la place que le Seigneur Jésus Christ occupe dans le projet de Dieu sur l'ensemble de l'humanité : c'est par lui que peut se faire l'union entre les juifs et les païens dans une même foi au salut apporté aux hommes par la résurrection du Christ. Paul exhorte alors ces chrétiens à vivre dans l'unité de l'Eglise, qui se présente comme le Corps continué du Christ et comme son Épouse bien-aimée qu'il s'est acquise au prix de son sang. Il les invite à vivre en enfants de lumière qui renoncent aux pratiques anciennes pour se situer dans le régime de la loi d'amour et pour vivre sans cesse dans l'action de grâces. Cette lettre aux Éphésiens, par l'unité de la pensée qu'elle développe, rappelle la lettre aux Colossiens, mais elle constitue, dans le même temps, une synthèse doctrinale remarquable qui permet d'y découvrir une sorte de testament spirituel de l'apôtre, au soir de sa vie.

Trois lettres personnelles à des compagnons privilégiés de Paul viennent achever le corpus paulinien. Si l'on accepte l'origine paulinienne de ces écrits, il faut supposer que l'apôtre a été libéré de sa première captivité romaine et qu'il a repris son activité missionnaire avant de revenir dans la capitale impériale, pour y subir le martyre vers 67. Mais on peut également supposer que ces trois lettres sont le testament spirituel par lequel Paul faisait ses ultimes recommandations aux pasteurs de l'Eglise, qui allaient devoir désormais conduire la 'barque de Pierre', en particulier ceux que Paul lui-même avait institués ministres, c'est-à-dire serviteurs du Christ Jésus et de son Eglise, Timothée, que Paul appelait avec tendresse son frère et son collaborateur dans la prédication de l'Évangile du Christ, et Tite, que Paul désigne comme son véritable enfant dans la foi commune des chrétiens. La principale préoccupation que l'apôtre livre à ceux qui seront désormais ses successeurs, c'est son désir de les voir garder intact le dépôt de la foi qu'il leur a lui-même transmise, et aussi son souhait d'organiser les différentes communautés chrétiennes pour que tous ceux qui se réclament du nom de Jésus puissent continuer de communier à la louange de Dieu, telle que l'Eglise primitive le faisait, dans l'exaltation de la grandeur du Christ et de son oeuvre.

La lettre aux Hébreux n'est pas à proprement parler une lettre dans le style épistolaire d'un Paul ; c'est plutôt un grand sermon sur le sacerdoce, à la fin duquel on a ajouté un court billet d'accompagnement, avant de l'envoyer à une communauté éloignée. Et même, en poussant davantage l'analyse, ce 'sermon' n'est même pas adressé à des Hébreux : ceux-ci ne sont jamais nommés, ni même désignés sous les vocables traditionnellement employés par l'apôtre Paul dans ses lettres, 'les juifs, 'les israélites', de plus aucune mention n'est faite de la circoncision. Ainsi, il apparaît très rapidement que la lettre aux Hébreux n'est pas une lettre, et qu'elle n'est pas adressée aux Hébreux... Mais elle est destinée à des chrétiens, sans que leur origine ne soit mentionnée. Et l'auteur s'emploie à démontrer la continuité qui existe entre l'Ancien et le Nouveau testament. Il se peut donc que ces chrétiens issus du judaïsme regrettaient les cérémonies juives magnifiées par la présence des prêtres du temple. L'auteur, qui n'est pas l'apôtre Paul, mais sans doute un de ses disciples, esquisse une théologie du sacerdoce, en démontrant que le seul prêtre de la Nouvelle Alliance est Jésus-Christ. Il est encore un problème qui se pose : celui de la datation d'un tel écrit. L'auteur se réfère aux liturgies juives du Temple comme à des réalités qui ont encore leur actualité : il semble qu'il faille donc le situer avant 70, dans les années qui ont immédiatement précédé la destruction du temple de Jérusalem, auquel cas cet écrit aurait été pratiquement contemporain du martyre de Paul. Et, de fait, certains traits théologiques laissent penser à une certaine parenté entre les lettres de la captivité de Paul et ce sermon sur le sacerdoce.

L'auteur de ce sermon est le seul auteur du Nouveau Testament à appliquer au Christ les titres de prêtre et de grand-prêtre, en montrant comment ce Jésus, qui n'appartenait pas à une famille sacerdotale (telle que le judaïsme pouvait en connaître), et qui avait eu de nombreux démêlés avec toute la caste sacerdotale, avait opéré le seul véritable sacrifice qui annulait, qui réduisait à néant tous les sacrifices d'animaux opérés dans le Temple. Pour désigner Jésus comme grand prêtre, l'auteur passe donc par l'analyse du sacrifice ; les prêtres du judaïsme devaient recommencer régulièrement les sacrifices qu'ils offraient pour l'expiation des péchés du peuple, tandis que le Christ, en s'offrant lui-même comme victime, était entré, une fois pour toutes dans la proximité de Dieu, ouvrant ainsi l'accès à Dieu pour l'ensemble de l'humanité, sans qu'il lui soit jamais nécessaire de réitérer son sacrifice, Il revient donc aux chrétiens, à ceux qui se réclament du Christ, de tourner uniquement leurs regards vers ce nouveau grand-prêtre et de marcher vers lui, de la même manière que les Hébreux, dans l'Ancienne Alliance du Sinaï, avaient sans cesse cheminé vers la Terre Promise.

Dès l'époque d'Origène (185-252), ce sermon sacerdotal fut rattaché au corpus paulinien, même si l'on percevait déjà que cet écrit ne ressemblait guère aux lettres de Paul. Très rapidement, cet écrit fut réuni aux autres lettres du Nouveau Testament, que dans les années 350 on rassemblait sous le nom de lettres 'catholiques', c'est-à-dire 'ayant une dimension universelle', et non pas seulement lettres destinées à telle ou telle communauté chrétienne bien précise, désignée dans l'adresse... Ces autres lettres du Nouveau Testament sont au nombre de sept : une attribuée à Jacques, deux à Pierre, trois à Jean et une à Jude. Seules, la première lettre de Pierre et la première lettre de Jean entrèrent très rapidement dans le canon officiel des différentes Églises locales, les cinq autres n'y entrant qu'au cinquième ou au sixième siècle, c'est la raison pour laquelle elles sont parfois appelées deutérocanoniques.

Selon l'opinion traditionnelle, la lettre de Jacques a pour auteur Jacques, habituellement désigné comme le frère du Seigneur, et comme le chef de l'Eglise de Jérusalem. Mais la plupart des critiques s'accordent pour refuser une telle identification qui serait trop rapide : l'auteur serait un chrétien d'origine juive et qui appartient à la deuxième génération chrétienne ; il possédait une grande connaissance des subtilités de la langue grecque et une vaste culture aussi bien fondée sur l'hellénisme que sur la Bible, dans sa traduction grecque des Septante ; il aurait écrit sa lettre après la ruine de Jérusalem. Dans cette lettre, l'auteur veut surtout donner un enseignement moral qui ressemble parfois à s'y méprendre à certains enseignements de la morale grecque de l'époque. Mais il rappelle aussi des exigences évangéliques que Jésus lui-même avait développées dans son Sermon sur la Montagne, soulignant avec fermeté qu'il est impossible de servir Dieu et l'argent, non pas pour condamner les riches sans rémission, mais pour les inviter à méditer sur la caducité des biens terrestres et les inviter à rechercher les biens spirituels. Il n'aborde le grand thème de la foi que partiellement pour rappeler aux baptisés que la gratuité du salut qui leur a été offert en Jésus-Christ les engage à ne pas laisser vaine la grâce de Dieu déposée en eux : la foi chrétienne implique, pour rester efficace des actes concrets. Sur la fin de sa lettre, l'auteur recommande la prière pour les malades, invitant celui qui souffre à faire appel aux prêtres pour que ceux-ci prient sur lui, en lui faisant une onction d'huile, afin qu'il s'en trouve bien : cette prière, soutenue par la foi confiante, lui vaudra même, s'il est pécheur, le pardon de tous ses péchés.

La première lettre de Pierre apparaît comme une homélie sur le baptême, dans laquelle il est possible de retrouver la catéchèse de l'Eglise primitive. Pierre aurait écrit cette lettre, ou l'aurait fait écrire par un secrétaire, Sylvain, peu de temps avant la persécution de Néron, vers les années 63-64. La qualité de la langue grecque rend difficile l'attribution directe de cette lettre à l'apôtre Pierre, le pêcheur galiléen, mais le travail de Sylvain rend probable une composition remontant à l'apôtre, même si celui-ci ne fait pas d'allusion directe au Jésus terrestre, qu'il a connu sur les routes de Palestine. Pourtant, il invite son lecteur à méditer sur le mystère du Christ dans sa passion, mystère du Serviteur souffrant qui prend sur lui le péché du monde, acceptant de mourir pour la multitude et valant à celle-ci la rémission et le pardon de tous ses péchés. Pourtant si le Christ a porté toutes les souffrances, celles-ci n'en demeurent pas moins des réalités actuelles que connaissent les destinataires de cette lettre ; l'espérance n'en doit pas moins demeurer vivante, puisqu'elle est un don de ce Dieu qui a ressuscité des morts ce Jésus qui est allé prêcher l'Évangile de la libération jusqu'aux enfers et qu'elle oriente tous les hommes vers le Royaume de Dieu, malgré les épreuves au milieu desquelles vit le croyant et au milieu desquelles il doit toujours être prêt à rendre compte de son espérance. Puisque le Christ est vainqueur de toutes les limitations humaines, le chrétien lui aussi est assuré de surmonter toutes les épreuves.

La deuxième lettre attribuée à Pierre est un écrit beaucoup plus tardif, composé vraisemblablement au début du deuxième siècle de l'ère chrétienne et placé sous le patronage de 'Syméon Pierre'. L'auteur attaque directement les faux docteurs qui se sont levés pour faire apparaître la foi chrétienne comme une fable et non pas comme trouvant son origine dans le témoignage des apôtres, et il invite les chrétiens à garder le dépôt de la foi qu'ils ont reçu des véritables prophètes inspirés par l'Esprit et à demeurer fidèles à leur vocation, même si le retour du Christ tarde. Car, à cette époque, le problème de ce retard commençait à se poser avec une certaine acuité : la promesse du nouvel avènement du Christ ne se réalisait pas, et les pères dans la foi étaient morts sans connaître ce retour du Christ de gloire. L'auteur reproche alors à ses lecteurs leur manque de foi en ce Dieu qui ne mesure pas le temps à la manière des hommes et qui, pour assurer le salut de tous, est disposé à leur accorder le délai de grâce, ce délai qui leur permettra de se convertir. L'essentiel de la vie chrétienne est de vivre chaque jour l'idéal de la sainteté, en laissant Dieu lui-même agir pour le bien de tous et de chacun.

Vers les années 80-90, un auteur qui se présente comme étant Jude, le frère de Jacques, qui était aussi appelé frère du Seigneur, écrit une lettre qui peut paraître étrange, dans laquelle il utilise des textes juifs contemporains, afin de mettre en garde les chrétiens contre la menace des faux docteurs qui peuvent toujours séduire l'Eglise. Seulement, il est assez difficile de connaître ces adversaires, dont la doctrine n'est pas précisée, sinon que pour insinuer leur manque de moralité évidente, alors qu'ils prétendent être eux-mêmes inspirés par l'Esprit de Dieu. Insistant sur la menace évidente du châtiment pour les coupables, l'auteur se place dans une lignée apocalyptique, pour évoquer la punition divine qui s'exercera sur tous les méchants. A côté de la profession de foi au monothéisme le plus strict, on trouve une esquisse de théologie trinitaire ; Dieu, le Père, est celui qui châtie les impies et qui appelle à la vie éternelle les justes ; Jésus est le Maître unique qui a racheté les chrétiens pour qu'ils reçoivent la vie éternelle ; l'Esprit Saint garde constante la foi reçue des apôtres et il évite aux chrétiens les pièges des docteurs qui veulent pervertir la sainte doctrine. Cette lettre attribuée à Jude sera réutilisée dans le texte même de la seconde lettre de Pierre, ce qui suppose qu'elle avait déjà à la fin du premier siècle une certaine audience parmi le peuple chrétien. Pourtant, elle sera parfois contestée, comme n'étant pas canonique, puisque développant des doctrines exprimées par les courants non reconnus par l'Eglise primitive.

Les deux premières lettres johanniques ne contiennent aucun détail qui permette d'éclairer les circonstances de leur composition ou de se faire une idée précise sur leur auteur. Tout ce qu'il est possible de découvrir par l'analyse de ces lettres, c'est la situation dans laquelle se trouvait la communauté qui recevait de tels messages : des doctrines contraires à la foi chrétienne se répandaient et menaçaient la pureté de l'enseignement reçu des apôtres. L'auteur les présente comme des Antéchrists ces faux docteurs qui sèment le trouble par leurs mensonges et leurs erreurs doctrinales : ils prétendent vivre dans la communion divine alors que toute leur vie se pose en contradiction avec la révélation apportée en Jésus-Christ. Mais la visée ultime de l'auteur n'est pas d'entreprendre une polémique avec ces faux docteurs : il veut surtout montrer aux croyants, à ceux qui se sont engagés à la suite de Jésus-Christ, qu'ils sont déjà eux-mêmes et eux seuls entrés dans la communion avec Dieu. La deuxième et la troisième lettre présente, dès leur premier mot, un titre : 'l'Ancien' qui désigne la personnalité de l'auteur. Ce titre d'ancien ne précise pas que cet auteur soit un chef de la communauté, mais un homme qui appartenait à la première génération chrétienne et qui avait au moins vécu avec les premiers disciples du Seigneur, ce qui lui conférait une autorité considérable ; dans la première lettre, cet auteur se présente également comme un témoin oculaire de la vie de Jésus. C'est la raison pour laquelle on a facilement attribué ces trois lettres à l'apôtre Jean, et sinon à lui directement, du moins à une école qui se serait formée autour de son enseignement. Pour répondre aux besoins des premiers chrétiens, le témoignage de l'apôtre Jean se serait moulé dans des structures tantôt catéchétiques, tantôt liturgiques, tantôt polémiques, mais toujours en visant à faire apparaître l'actualité de la vie et des paroles de Jésus. De son enseignement oral seraient nés des matériaux écrits plus ou moins élaborés qu'un de ses disciples aurait alors recueillis et disposés dans des ensembles structurés, qui furent l'évangile, les lettres et même l'apocalypse. La plupart des spécialistes de l'exégèse finissent par se mettre plus ou moins d'accord sur la question de l'auteur de ces écrits : Jean, le fils de Zébédée, serait bien à la source de ceux-ci, mais il ne les aurait pas rédigés lui-même. Comment, en effet, pourrait-on expliquer qu'un pêcheur galiléen, totalement dépourvu d'instruction, ait pu composer des textes aussi élaborés, aussi adaptés à la mentalité d'un auditoire de culture hellénique très élevé ?

La première lettre de Jean se présente comme une exhortation d'un homme, qui possédait une véritable autorité religieuse sur ceux qu'il appelle 'ses petits enfants', pour que ces chrétiens demeurent fidèles à la foi commune reçue par le témoignage apostolique : c'est une lettre pastorale visant à soutenir la foi dans les combats qu'elle est amenée à livrer contre toutes les tentations d'erreur et d'égarement. L'auteur veut montrer aux chrétiens à qui il s'adresse qu'ils possèdent la véritable foi et qu'ils sont par là déjà engagés dans la vie éternelle : sa certitude première est que Dieu a aimé les hommes en premier, et par suite, c'est par l'amour que les chrétiens se manifestent les uns aux autres qu'ils entrent dans la véritable communion avec Dieu. Aimer ses frères est le signe manifeste, tangible, perceptible de l'amour porté à Dieu. La preuve que le chrétien peut donner de sa foi en Dieu par le Christ Jésus, c'est l'amour qu'il porte à ses frères.

La deuxième lettre de Jean est un court billet adressé à 'la Dame élue et à ses enfants', c'est-à-dire à une Eglise et aux membres qui composent la communauté. Cette Eglise demeure fidèle à la foi chrétienne, mais elle est aussi menacée par la présence de faux docteurs qui ne reconnaissent pas la réalité de l'incarnation, et qui, en conséquence ne sont pas fidèles à la véritable foi reçue des apôtres. Le but de cette courte lettre, qui se présente également comme un condensé de la première, est d'insister sur la nécessité de l'attachement à la foi et à la vie fraternelle qui permettront de se préserver de l'enseignement dangereux des faux docteurs.

La troisième lettre est adressée à un certain Gaïus que l'auteur de ce billet félicite parce qu'il reste fidèle à la vérité de la foi. Mais elle concerne un conflit qui oppose le chef d'une communauté à l'auteur des billets qu'il lui avait adressés par des messagers, Diotréphès, ce chef de la communauté, a refusé de recevoir les porteurs de ses lettres, et il a même expulsé de la communauté les chrétiens qui avaient accepté de les recevoir. Mais Gaïus ne s'est pas laissé entraîner. Aussi reçoit-il les éloges de l'auteur de la lettre qui le presse à continuer son oeuvre de soutien à ses émissaires et missionnaires. Sans que cette lettre porte une dimension pastorale importante, puisqu'elle ne souligne pas une hérésie du chef de la communauté, mais plutôt une conduite inhospitalière indigne pour une véritable Eglise chrétienne, cette lettre indique que l'amour chrétien trouve son origine dans la vérité révélée en Jésus-Christ.

Le terme d'apocalypse, qui est le nom attribué au dernier livre canonique du Nouveau Testament, et donc de l'ensemble de la Bible chrétienne, est une transcription littérale d'un mot grec, qui signifie : lever le voile, dévoiler ce qui était caché ; par suite, le terme d'apocalypse a signifié la révélation faite par Dieu à des hommes des mystères cachés que lui seul connaissait. La Bible chrétienne s'achève ainsi de la même manière que s'ouvrait l'Ancien Testament, par une sorte de vision ; mais elle ne décrit plus, sous une forme poétique, les origines du monde, ainsi que le faisait le livre de la Genèse, elle présente ce qu'un demi-siècle de vie et d'expérience chrétienne a permis aux chrétiens de découvrir, le projet de Dieu sur le monde et sur l'humanité en vue d'établir un monde nouveau et une humanité nouvelle, au jour de la venue de son Royaume. L'apocalypse de Jean est le seul livre biblique à porter ce titre, bien que d'autres livres, inspirés par les prophètes, pourraient le revendiquer également, car le genre littéraire de la 'révélation' était très courant dans le judaïsme, et de nombreuses 'apocalypses' existaient dans la littérature extra-biblique dans le premier siècle avant Jésus-Christ comme dans le siècle qui le suivit. C'est donc dans un courant littéraire bien défini que s'inscrit l'apocalypse de Jean, mais, puisque c'est une oeuvre chrétienne, elle prend une dimension différente des écrits juifs de la même époque.

L'auteur de l'apocalypse donne lui-même son nom : il s'appelle Jean, et il se désigne comme 'prophète' et comme témoin du Christ vivant. La première tradition chrétienne, qui attribuait directement la composition de ce livre de révélation à l'apôtre Jean, a été rapidement contestée ; et il est très vraisemblable qu'elle est l'oeuvre d'une école se rattachant directement à l'enseignement oral de l'apôtre, cette école se situant à Éphèse après l'année 70 mais avant la fin du premier siècle de l'ère chrétienne. Dans ce livre, unique en son genre dans le Nouveau Testament, tout semble étrange, et l'on comprend pourquoi il fut souvent sujet à de vives discussions relatives à sa canonicité. Le symbolisme y prend une place considérable, permettant d'évoquer sous les aspects les plus directement perceptibles des réalités spirituelles ou abstraites, l'auteur se présentant alors comme le prophète, c'est-à-dire comme le héraut, le porte-parole de Dieu qui interprète tout ce que Dieu peut dévoiler de lui-même, de sa vie intime et de son projet sur l'ensemble du monde et de l'humanité, mais aussi comme le 'voyant', celui qui reçoit des visions de la part de Dieu avec lequel il entretient des relations mystiques qui lui permettent de parvenir à une connaissance de Dieu qui dépasse toutes les données sensibles. Il n'est alors pas possible de comprendre directement les images symboliques que le Voyant propose à la manière des réalités physiques : il convient de découvrir progressivement le symbolisme sans se laisser dérouter par les particularités qui peuvent paraître étonnantes. Il ne faudrait pas davantage essayer de chercher à comprendre ce que pourra être l'avenir de l'Eglise à travers les présentations qui sont faites dans ce livre ; il s'agit peut-être simplement de découvrir la réalité de la vie quotidienne des chrétiens de la fin du premier siècle, qui étaient affrontés à une persécution sanglante et à qui l'auteur de ce livre veut adresser un message de consolation et d'espérance. Car ces chrétiens connaissaient un moment de désarroi profond : la foi qu'ils avaient reçue de la tradition apostolique leur enseignait que la résurrection du Christ marquait le début d'un monde nouveau, que le Royaume de Dieu allait survenir avec toute sa gloire, que le retour du Christ était imminent, puisque Jésus, vainqueur de la mort, avait définitivement vaincu le monde... et voici que la persécution la plus violente s'abattait sur ceux qui avaient mis leur foi en ce Jésus, mort et ressuscité. La persécution semblait être le signe de la ruine de tout le message chrétien. Alors l'auteur de l'apocalypse veut redonner confiance aux chrétiens, en reprenant les grandes lignes de l'argumentation prophétique de l'Ancien Testament : la persécution n'aura qu'un temps, il faut garder l'espérance, Dieu interviendra lui-même au moment où il le voudra pour faire triompher définitivement ceux qui ont mis leur confiance dans la parole de Jésus-Christ. Sans souligner ce désir de l'auteur qui veut redonner confiance et espérance à ses lecteurs le message de l'apocalypse n'est guère compréhensible.

A une Eglise universelle, répartie en communautés locales, qui est ainsi profondément enracinée dans des réalités humaines, le Voyant propose de faire un véritable examen de conscience à partir des réalités concrètes que les 'sept Églises vivent En effet, pour ce visionnaire, c'est dans la vie même des communautés que le Christ intervient pour adresser son appel particulier à chaque chrétien, comme à chaque communauté. Le Royaume que le Christ peut établir sur le monde n'est pas une réalité de pure fiction, mais une réalité présente qui se construit dans les différentes communautés : la parole prophétique du Voyant invite alors chaque croyant à se situer en vérité devant les expériences concrètes et à découvrir que le Jour même du Seigneur ne se trouve pas dans un avenir lointain ; l'instant présent est le moment même de la révélation de Dieu. Cette Eglise, incarnés dans le monde, est aussi une Eglise engagée, affrontée aux problèmes de son époque, se détachant et rompant définitivement avec le monde juif qui n'a pas reconnu celui qui lui était envoyé comme Christ et Sauveur, mais aussi rencontrant un monde païen qui lui est hostile et qui la persécute. Les chrétiens vont être contraints de choisir entre le culte du Christ et celui de l'empereur ; malgré le martyre qu'ils seront certainement appelés à connaître pour avoir voulu rester fidèles au Christ, les chrétiens ne doivent pas perdre confiance : le Voyant de l'apocalypse leur annonce que Dieu lui-même interviendra pour renverser les puissances qui s'opposent à la foi chrétienne, qu'il jugera et condamnera les persécuteurs de l'Eglise. Ceux qui reconnaissent en Jésus Christ le Sauveur du monde seront associés à son triomphe, tandis que ceux qui ne le reconnaissent pas et qui demeurent, par le fait même, en situation d'opposition avec Dieu, seront voués à la condamnation définitive, suivant dans sa ruine Satan, l'auteur du péché du monde, tel qu'il pouvait déjà être dépeint dans le livre de la Genèse qui ouvrait la Bible. Dans le monde présent, qui est pétri des contradictions, conséquences du péché, l'Eglise est sans cesse appelée à poursuivre l'oeuvre du Christ, en la menant jusqu'à son plein accomplissement : l'Eglise sera transfigurée avec la venue du monde nouveau, elle descendra du ciel, véritable paradis pour les hommes qui l'ont cherché tout au long de leur existence. Ce paradis est l'objet de toute l'espérance chrétienne, mais il ne doit pourtant pas faire oublier la réalité de l'histoire : la cité terrestre est une préparation de la cité éternelle, et le croyant découvre que l'histoire humaine dans son ensemble n'est pas dépourvue de sens. Le monde présent est certainement appelé à disparaître, à cause de sa perversité, mais cette disparition permettra l'avènement du monde nouveau, qui marquera le triomphe final de Dieu, lors de la Parousie, c'est-à-dire lors du retour glorieux du Christ, qui viendra rétablir toutes choses selon la justice de Dieu.

La numérotation en chapitres et versets

Comme l'Ancien Testament, le Nouveau Testament est divisé en ouvrages différents : évangiles, actes des apôtres, lettres des apôtres, apocalypse. Et, afin de pouvoir repérer très facilement un passage à l'intérieur de ces livres, l'ensemble du texte a lui aussi été subdivisé en chapitres, eux-mêmes divisés en versets : ainsi chaque phrase est numérotée. De plus, pour désigner les livres, on utilise des abréviations, dont le tableau suivant donne la liste alphabétique.

Ac         Actes des Apôtres 

Ap         Apocalypse 

1 Co      1° lettre aux Corinthiens

2 Co      2° lettre aux Corinthiens 

Col        Lettre aux Colossiens 

Ep         Lettre aux Éphésiens 

Ga         Lettre aux Galates 

He         Lettre aux Hébreux 

Jac         Lettre de Jacques 

Jn          Évangile de Jean 

1 Jn       1° lettre de Jean 

2 Jn       2° lettre de Jean 

3 Jn       3° lettre de Jean 

Jude       Lettre à Jude

Lc        Évangile de Luc

Mc       Évangile de Marc

Mt        Évangile de Matthieu

1 P       1° lettre de Pierre

Col       Lettre aux Colossiens 

Ph        Lettre aux Philippiens

Phil       Lettre à Philémon

Rm       Lettre aux Romains

1 Thes  1° lettre aux Thessaloniciens

2 Thes  2° lettre aux Thessaloniciens

1 Tim   1° lettre à Timothée

2 Tim   2° lettre à Timothée

Tit        Lettre à Tite

 

 

Ainsi, comme pour l'Ancien Testament, ce système d'abréviations et de références est de plus en plus utilisé, pour que le lecteur de travaux spécialisés sur le Nouveau Testament puisse très rapidement retrouver le texte auquel il est fait allusion en telle ou telle circonstance : de la sorte, Ep. 5, 15 désigne la lettre de Paul aux Éphésiens, chapitre 5, verset 15.

Cette classification est une découverte relativement tardive dans l'histoire de la 'littérature'. En effet, c'est pour se retrouver facilement dons la Bible qu'un certain Etienne Langton eut l'idée de diviser chaque livre en chapitres numérotés : cette première classification fut faite en 1226. Plus de trois siècles plus tard, en 1551, l'imprimeur Robert Estienne, voyageant en diligence entre Lyon et Paris, subdivisa les chapitres en versets. Certes, cette subdivision n'apporte pas d'éléments permettant de mieux comprendre le texte, et même elle ne tient pas toujours compte du sens précis du texte biblique ; mais, elle a l'immense avantage d'être pratique, c'est la raison pour laquelle toutes les bibles l'ont rapidement adoptée...