LES GRANDES FIGURES DE LA BIBLE

 

 

Toute l'histoire du peuple élu peut se retracer dans l'étude de quelques personnages qui ont laissé une trace déterminante au coeur de chaque croyant. A l'origine de l'histoire religieuse de l'humanité se trouve la migration d'une tribu sumérienne

Abraham, le père des croyants

L'histoire d'Abraham est racontée dans la Genèse, et elle est le résultat d'une compilation de différentes traditions orales, c'est ce qui permet d'expliquer les discontinuités ou les incohérences du récit. Toute l'histoire d'Abraham sera une longue marche, et particulièrement une marche spirituelle à la découverte du Dieu unique, au cours de la longue migration qui le conduisit d'Ur en Chaldée, à proximité du Golfe Persique, pour s'installer dans le pays choisi par Dieu pour ce qui allait devenir son peuple, au pays dans la région d'Hébron, près de la Mer Morte.

Le père d'Abraham, Térah, était un descendant du fils aîné de Noé, Sem, d'où le nom attribué à son clan, les Sémites. Il émigra à la suite de la chute de la ville d'Ur entre les mains des Élamites. Il prit donc la tête d'un groupe de réfugiés : Il prit son fils Abram, son petit-fils Loth, fils de Hâran, et sa bru Saraï, femme de son fils Abram, qui sortirent avec eux d'Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan. Ils gagnèrent Harran où ils habitèrent (Gen. 11, 31).

Térah mourut à Harran, et la position de chef de la tribu revint naturellement à son fils aîné, Abram. Celui-ci avait des idées différentes de celles de son père. Si Térah, comme la plupart des hommes de son temps, adorait une pluralité de dieux, parmi lesquels très certainement Sin, le dieu lunaire d'Ur et Harran, il n'est était pas de même pour son fils qui brisa avec l'idolâtrie, en s'installant au pays de Canaan et en se mettant d'abord au service du dieu local El. Puisque ce dieu lui avait donné un pays, Abram pensait qu'il serait capable de résoudre son problème crucial : sa femme était stérile. Aussi lui offrit-il, selon le rituel mésopotamien, un sacrifice de fécondité en vue d'obtenir une descendance.

Mais Dieu transforme ce sacrifice de fécondité en sacrifice d'alliance, par lequel Dieu lui-même s'engage dans une double promesse, celle de la possession d'une terre liée à celle d'une descendance pour le patriarche. Le Dieu d'Abram est personnel, il a des relations d'intimité avec son fidèle à qui il donne un nouveau nom : Abraham, père d'une multitude. Ce n'est plus une divinité locale ou un dieu qui aurait une supériorité sur les autres divinités des différentes cités, ce n'est pas davantage une divinité de la nature comme Shemesh, le dieu du soleil à Babylone, ou comme Sin le dieu lunaire.

Abram avait quatre-vingt-dix-neuf ans quand le Seigneur lui apparut et lui dit : C'est moi, le Dieu puissant. Marche en ma présence et sois intègre. Je veux te faire don de mon alliance entre toi et moi, je te ferai profiter à l'extrême. Abram tomba la face contre terre. Dieu parla avec lui et dit : Pour moi, voici mon alliance avec toi, tu deviendras le père d'une multitude de nations. On ne t'appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te donnerai de devenir le père d'une multitude de nations et je te rendrai fécond à l'extrême, je ferai que tu donnes naissance à des nations et des rois sortiront de toi. J'établirai mon alliance entre moi, toi et après toi les générations qui descendront de toi, cette alliance perpétuelle fera de moi ton Dieu et celui de ta descendance après toi. Je donnerai en propriété personnelle à toi et à ta descendance après toi le pays de tes migrations, tout le pays de Canaan. Je serai leur Dieu.        Gen. 17, 1-8

Abraham s'est donc arraché du milieu païen d'Harran pour reprendre la migration entreprise par son père, il partit donc vers Canaan et traversa le Jourdain. C'est là qu'il reçut le nom d'Hébreu, car il venait "de l'autre côté du fleuve", selon une étymologie populaire. Mais il est également possible de faire dériver ce terme de la tribu nomade des Habiru qui apparurent en Asie occidentale au cours du deuxième millénaire. Abraham s'installa à Hébron dans la plaine de Mambré. Dieu fit de nouveau alliance avec lui, celle-ci s'accompagna d'un signe inscrit dans la chair, la circoncision des mâles.

Dieu dit à Abraham : Toi, tu garderas mon alliance, et après toi, les générations qui descendront de toi. Voici mon alliance que vous garderez entre moi et vous, c'est-à-dire ta descendance après toi : tous vos mâles seront circoncis, vous aurez la chair de votre prépuce circoncise, ce qui deviendra le signe de l'alliance entre moi et vous. Seront circoncis à l'âge de huit jours tous vos mâles de chaque génération ainsi que les esclaves nés dans la maison ou acquis à prix d'argent d'origine étrangère, quelle qu'elle soit, qui ne sont pas de ta descendance. l'esclave né dans la maison ou acquis à prix d'argent devra être circoncis. Mon alliance deviendra dans votre chair une alliance perpétuelle, mais l'incirconcis, le mâle qui n'aura pas été circoncis de la chair de son prépuce, celui-ci sera retranché d'entre les siens. Il a rompu mon alliance.        Gen. 17, 9-14

Pour répondre à l'appel de Dieu, Abraham a quitté son pays, s'est installé dans le pays choisi par Dieu pour ce qui deviendra son peuple. Mais Abraham s'interroge légitimement sur l'existence de ce peuple, puisqu'il n'a pas de descendance. Sur les conseils de sa femme, Sara, il eut un fils, Ismaël, de sa servante Agar. Mais ce n'était pas lui qui devait succéder à son père, et devenir l'héritier de la promesse divine. Ce sera l'autre, le fils de sa femme Sara, Isaac qui devait poursuivre son oeuvre. L'annonce de sa naissance fut faite aux chênes de Mambré :

Le Seigneur apparut à Abraham aux chênes de Mambré, alors qu'il était assis à l'entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. Il leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui. A leur vue, il courut de l'entrée de la tente à leur rencontre, se prosterna à terre et dit : Mon Seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, veuille ne pas passer loin de ton serviteur. Qu'on apporte un peu d'eau pour vous laver les pieds, et reposez-vous sous cet arbre. Je vais apporter un morceau de pain pour vous réconfortez avant que vous alliez plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur. Ils répondirent : Fais comme tu l'as dit. Abraham se hâta vers la Tente pour dire à Sara : Vite ! Pétris trois mesures de fleur de farine et fais des galettes. Et il courut au troupeau en prendre un veau bien tendre. Il le donna au garçon qui se hâta de l'apprêter. Il prit du caillé, du lait et le veau préparé qu'il plaça devant eux. Il se tenait sous l'arbre, debout près d'eux. Ils mangèrent et lui dirent : Où est Sara, ta femme ? Il répondit : Là, sous la tente. Le Seigneur reprit : Je dois revenir au temps du renouveau, et voici que ta femme aura un fils.        Gen. 18, 1-14

Abraham et Sara auront un fils qu'ils nommeront Isaac, dont le nom signifie : Dieu a souri.

Le Seigneur intervint en faveur de Sara comme il l'avait dit, il agit envers elle selon sa parole. Elle devint enceinte et donna un fils à Abraham en sa vieillesse à la date que Dieu lui avait dite. Abraham appela Isaac le fils qui lui était né, celui que Sara avait enfanté. Il circoncit son fils Isaac à l'âge de huit jours, comme Dieu le lui avait prescrit. Abraham avait cent ans quand lui naquit son fils Isaac. Sara s'écria : Dieu m'a donné sujet de rire ! Quiconque l'apprendra rira à mon sujet. Elle reprit : Qui aurait dit à Abraham que Sara allaiterait des fils ? Et j'ai donné un fils à sa vieillesse.       Gen. 21, 1-7

L'avenir semblait assuré pour la descendance d'Abraham, mais celui-ci croit comprendre que Dieu lui demande de lui sacrifier son fils sur le mont Moriah...

Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il dit : Abraham ! Celui-ci répondit : Me voici ! Dieu dit : Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et tu l'offriras en sacrifice sur la montagne que je t'indiquerai. Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois pour le sacrifice et se mit en route vers le pays que Dieu lui avait indiqué. Le troisième jour, Abraham, levant la tête, vit l'endroit de loin. Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne. moi et l'enfant nous irons jusque là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous. Abraham prit le bois pour le sacrifice et le chargea sur Isaac, il prit le feu et le couteau, et tous deux s'en allèrent ensemble. Isaac interrogea soin père Abraham : Mon père ! Eh bien, mon fils ? Isaac reprit : Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? Abraham répondit : Dieu saura bien trouver l'agneau pour l'holocauste, mon fils. Ils arrivèrent à l'endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y éleva l'autel et disposa le bois, lia son fils et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. L'ange du Seigneur l'appela du haut du ciel et dit : Abraham ! Il répondit : Me voici ! L'ange dit : Ne porte pas la main sur l'enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu, tu ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique. Abraham leva les yeux et vit un bélier qui s'était pris les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils. Du ciel, l'ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham : Je le jure par moi-même, déclare le Seigneur, parce que tu as fait cela, parce que tu ne m'a pas refusé ton fils, ton fils unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance tiendra les places fortes de tes ennemis.        Gen. 22, 1-17

La tradition veut donc que ce sacrifice eut lieu au sommet du mont Moriah, au lieu même où Dieu modela l'homme avec la poussière du sol. Ce serait le centre de la terre, le nombril du monde. Et c'est en direction de ce mont que pendant des milliers d'années les juifs, quelle que soit leur résidence, se tournaient pour prier.

Le Dieu qui fait alliance avec Abraham n'est pas semblable aux autres dieux fabriqués de mains d'hommes. Il refuse les sacrifices humains et n'accepte pas que son fidèle lui immole son fils. L'image qu'il est possible de se faire d'Abraham est sans doute celui d'un cheikh oriental, traversant l'ensemble du pays de Canaan avec l'ensemble de ses biens, tentes, troupeaux, bergers, épouse et concubines. La famine le poussa en Égypte pour un court séjour, mais il revint au pays de Canaan, car ce pays l'avait séduit, il y avait fait l'expérience d'un Dieu fidèle. Mais il estimait sa culture supérieure à celle des Cananéens, aussi envoya-t-il son serviteur dans son pays d'origine pour prendre une femme pour son fils Isaac. Au pays de Mambré, Abraham acheta une concession funéraire à Ephron le Hittite, afin d'y enterrer son épouse :

La vie de Sara dura cent vingt sept ans. Sara mourut au pays de Canaan, à Qiryath-Arba, c'est-à-dire Hébron. Abraham vint célébrer les funérailles de Sara et la pleurer. Puis il se releva et s'éloigna d'elle pour parler aux fils de Heth : Je vis avec vous comme un émigré et un hôte. Cédez-moi une propriété funéraire parmi vous pour que j'enterre la morte qui m'a quitté. Ephron était assis parmi les fils de Heth et il dit : Non, mon seigneur, écoute-moi, le champ, je te le donne, la caverne qui s'y trouve, je te la donne... Abraham se prosterna devant le peuple du pays et dit à Ephron : Si tu voulais m'écouter, je te donnerais le prix du champ. Reçois-le de moi... Abraham s'entendit avec Ephron, il lui pesa le prix que les fils l'avaient entendu déclarer, quatre cents sicles d'argent... Après quoi, Abraham enterra sa femme Sara dans la caverne du champ de Makpéla devant Mambré, c'est Hébron au pays de Canaan.        Gen. 23, 1...19

Isaac, à quarante ans, prit pour femme Rébecca...

Il implora le Seigneur pour sa femme car elle était stérile. Le Seigneur eut pitié de lui, sa femme Rébecca devint enceinte, mais ses fils se heurtaient en son sein, elle s'écria : S'il en est ainsi, à quoi suis-je bonne ? Elle alla consulter le Seigneur qui lui répondit : Deux nations sont en ton sein, deux peuples se détacheront de tes entrailles, l'un sera plus fort de l'autre et le grand servira le petit. Quand furent accomplis les temps où elle devait enfanter, des jumeaux se trouvaient en son sein. le premier qui sortit était roux, tout velu comme une fourrure de bête, on l'appela Ésaü. Son frère sortit ensuite, la main agrippée au talon Ésaü, on l'appela Jacob.        Gen. 25, 20-26

En hébreu, les noms Ésaü et de Jacob évoquent des jeux de mots. Ésaü est un jeu de mots avec roux, tandis que Jacob traduit également un jeu de mots avec talon d'une part et avec le verbe supplanter de l'autre. A sa naissance, Jacob s'est agrippé au talon de son frère qu'il supplantera dans son droit d'aînesse et dans la bénédiction paternelle.

A la mort d'Abraham, Isaac devint le chef de la tribu, mais sa personnalité est moins marquante que celle de son père, dont il continua pourtant l'oeuvre. Dieu lui renouvela son alliance inscrite dans la chair par la circoncision, signe rituel de consécration à Dieu et aussi signe de l'appartenance à la nation abrahamique. Après Isaac, ce fut Jacob qui hérita de la promesse faite à Abraham. Il dut s'expatrier pour avoir extorqué la bénédiction paternelle à son aîné Ésaü En quittant le pays d'Abraham et d'Isaac, pour partir vers Harran, il passa une nuit à Louz et il eut la vision de Dieu dans un songe et le pressentiment que cette terre appartenait à Dieu, d'où le nom qu'il donna à cet endroit : Béthel, Maison de Dieu.

Jacob était partit de Beersheba et se dirigeait vers Harran. Surpris par le coucher du soleil, il s'arrêta à l'endroit où il était pour passer la nuit, il prit une pierre pour la mettre sous sa tête, et c'est là qu'il dormit. Il eut un songe : une échelle était dressée sur la terre et son sommet touchait le ciel. Des anges de Dieu montaient et descendaient. Le Seigneur se tenait près de lui. Il lui dit : Je suis le Seigneur, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je te la donne à toi et à tes descendants. Tes descendants seront nombreux comme la poussière du sol, ils se répandront à l'orient et à l'occident, au nord et au midi. En toi et en ta descendance seront bénies toutes les nations de la terre. Voici que je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et je te ramènerai sur cette terre, car je ne t'abandonnerai pas avant d'avoir accompli ce que j'ai promis. Jacob sortit de son sommeil et s'écria : Vraiment, le Seigneur est en ce lieu ! Et je ne le savais pas. Saisi par la crainte, il disait : Que ce lieu est redoutable ! Il est la maison de Dieu, la porte du ciel ! Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, il la dressa pour en faire une stèle, il la consacra en versant de l'huile sur le sommet. A ce lieu qui s'appelait Louz, il donna le nom de Béthel, c'est-à-dire : Maison de Dieu. Puis Jacob fit ce voeu : Si Dieu est avec moi et me garde dans le voyage que je poursuis, s'il me donne du pain à manger et des habits à revêtir, si je reviens sain et sauf à la maison de mon père, le Seigneur deviendra mon Dieu. Cette pierre que j'ai érigée en stèle sera une maison de Dieu et de tout ce que tu me donneras, je te compterais la dîme.        Gen. 28, 10-22

Après avoir vécu auprès de son oncle Laban et épousé Léa puis Rachel, Jacob décide de rentrer au pays de ses pères. Avant de franchir les frontières de ce pays, il dut lutter toute une nuit contre un ange. C'est alors que Jacob reçut un nouveau nom, celui d'Israël, dont l'étymologie signifie : il a été fort contre Dieu.

Cette nuit-là, Jacob se leva, il prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabboq. Il leur fit traverser le torrent et il fit aussi passer tout ce qui lui appartenait. Jacob resta seul. Or quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. L'homme voyant qu'il ne pouvait le vaincre, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat. L'homme dit : Lâche-moi, car l'aurore est levée. Jacob répondit : Je ne te lâcherai que si tu me bénis. L'homme lui demanda : Quel est ton nom ? - Je m'appelle Jacob. - On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël parce que tu as lutté contre Dieu comme on lutte contre les hommes, et tu as vaincu. Jacob lui fit cette demande : Révèle-moi ton nom, je t'en prie. Il répondit : Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Et, à cet endroit, il le bénit. Jacob appela ce lieu Penouel, ce qui signifie : Face de Dieu, car il disait : J'ai vu Dieu face à face et j'ai eu la vie sauve. Au lever du soleil, il traversa le torrent à Penouel. Il resta boiteux de la hanche.        Gen. 32, 23-32

Ce nom d'Israël devait remplacer progressivement celui d'Hébreux par lequel était désignés les descendants d'Abraham. Jacob-Israël eut douze fils qui furent les ancêtres des douze tribus d'Israël. Avec l'un des plus jeunes, Joseph, le destin de la tribu des descendants d'Abraham allait prendre une dimension nouvelle en entrant dans l'histoire de l'Égypte

Benjamin était le dernier des fils de Jacob-Israël, il est le seul à être né en Terre promise.

Ils (Jacob et son clan) quittèrent Béthel. Il y avait encore une certaine distance avant d'arriver à Ephrata quand Rachel enfanta. Ses couches furent pénibles. Comme elle accouchait difficilement, la sage-femme lui dit : Ne crains pas, car tu as un fils de plus. Dans son dernier souffle, au moment de mourir, elle l'appela Ben-Oni, c'est-à-dire : Fils du Deuil, mais son père l'appela Benjamin, c'est-à-dire : Fils de la Droite. Rachel mourut et fut enterrée sur la route d'Ephrata, c'est-à-dire Bethléem. Jacob érigea une stèle sur sa tombe. C'est la stèle de la tombe de Rachel, aujourd'hui encore.        Gen. 35, 16-20

Après les cycles d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob-Israël, s'inaugure dans la Genèse le cycle de Joseph qui conduira ce clan en Égypte Joseph, fils tardif de Rachel, l'épouse préférée de Jacob, était aussi le fils préféré de son père, ce qui lui valut l'inimitié de ses frères.

Tout commence par un cadeau somptueux (une longue tunique) fait par Jacob à Joseph. La jalousie des frères est excitée par le récit des rêves de Joseph, qui traduisent son orgueil et sa prétention. Jacob aurait pu faire passer tout cela pour des enfantillages, mais les reproches qu'il adresse à Joseph sont modérés, et il attendait la réalisation de ces rêves. Les frères complotent de faire mourir le gêneur. Jeté dans une citerne, il en est retiré pour être livré à des marchands de passage qui le vendent comme esclave en Égypte au chef des gardes de Pharaon, Potiphar. Joseph ne tarde pas à devenir l'homme de confiance de celui-ci parce que le Seigneur était avec lui, faisant de lui un homme efficace. Mais la femme de Potiphar jette son dévolu sur Joseph et lui fait des avances pressantes.

Le refus catégorique de Joseph et sa fuite après une entreprise hardie de celle femme mettent celle-ci dans l'embarras. Elle ne s'en tire que par une calomnie, accusant le jeune homme devant Potiphar qui fait jeter Joseph en prison. Mais la grâce de Dieu demeurait sur Joseph qui gagne la confiance du chef de prison, qui en fait vraisemblablement son esclave personnel, l'employant au service des prisonniers. Grâce aux relations qu'il se fait en prison, Joseph est amener à devenir l'interprète d'un rêve de Pharaon, qui lui confie alors le gouvernement économique de l'Égypte Joseph, vendu comme esclave par ses frères, passe ainsi de la servitude à la position de vice-roi d'Égypte, grâce à son talent d'interprétation des songes.

L'Égypte était alors sous la domination des Hyksos (entre 1750 et 1580), qui étaient également d'origine sémite, comme Joseph, ce qui lui permit de faire rapidement carrière dans les milieux de la cour royale. Joseph parvient à juguler une famine qui s'abattait sur le pays grâce aux réserves abondantes qu'il avait faites. Mais la famine s'abat aussi hors d'Égypte Et Jacob, ayant appris qu'il y avait du grain en Égypte, y envoie ses fils, sauf Benjamin. Les frères ne reconnaissent pas Joseph qui les accuse d'être des espions. Joseph exige que leur plus jeune frère lui soit présenté et garde en otage Siméon.

Après de longues hésitations, mais poussé par la faim, Jacob décide une nouvelle fois d'envoyer ses fils en Égypte avec Benjamin. Joseph les accueille et soigne une mise en scène pour faire accuser de vol Benjamin, dans le sac duquel il fait placer sa coupe d'argent, qui lui servait pour la divination. Arrêtés alors qu'ils regagnaient leur pays, les frères sont ramenés en Égypte. Malgré leurs protestations, Joseph entend faire de Benjamin son esclave. Après une longue plaidoirie de Juda qui évoque le chagrin de leur père si Benjamin ne revenait pas, Joseph, ne pouvant plus se contenir, se fait reconnaître par ses frères.

Jacob n'ose croire à un dénouement aussi extraordinaire, et se décide à partir pour l'Égypte Le clan d'Israël vient donc s'installer au pays de Goshen, un des meilleurs endroits d'Égypte Ce clan connaît la prospérité. Avant sa mort, Jacob demande à Joseph d'être enterré en Canaan, près de Mambré, dans la caverne de Makpéla, lieu de la sépulture de Sara, Abraham, Isaac, Rébecca et Léa.

Et voici les noms des fils d'Israël venus en Égypte Ils étaient venus avec Jacob, chacun avec sa famille : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issakar, Zabulon et Benjamin, Dan et Nephtali, Gad et Asher. Les descendants de Jacob étaient, en tout, soixante-douze personnes. Joseph, lui, était déjà en Égypte Puis Joseph mourut, ainsi que ses frères et toute cette génération-là. Les fils d'Israël fructifièrent, pullulèrent, se multiplièrent et devinrent de plus en plus forts : le pays en était rempli.        Ex. 1, 1-7

Moïse, le libérateur et le législateur

Depuis Joseph, Israël est devenue une nation puissante au coeur d'une autre. Les princes de l'Égypte ont pris ombrage de sa puissance, même s'ils avaient d'abord apprécié cette main d'oeuvre active. Inquiets de l'explosion démographique, ils décrétèrent des mesures de rétorsion. C'est un changement politique qui en est l'origine.

Vers 1580 avant Jésus-Christ, la monarchie des Hyksos fut renversée, ce qui entraîna un changement de situation pour les Israélites soupçonnés de sympathie pour le précédent régime politique, en raison de leurs affinités raciales. Les descendants de Jacob avaient plus ou moins collaboré avec la dynastie précédente, les Hyksos, d'origine sémite. Ceux-ci étaient venus du Nord, sans doute de Syrie, à la fin du dix-huitième siècle, les Égyptiens étaient alors divisés en rivalités dynastiques, ce dont profitèrent les envahisseurs.

Les Hyksos gouvernèrent non seulement l'Égypte, mais aussi un empire considérable en Asie occidentale pendant plus d'un siècle. C'est alors que les Égyptiens commencèrent à se battre pour se libérer. Dès que la politique changea sous l'influence des prêtres égyptiens, l'attitude de la nouvelle dynastie changea à l'égard d'Israël et des tribus étrangères qui avaient collaboré avec les envahisseurs. Les enfants d'Israël devinrent une réserve royale d'esclaves, mais, malgré cela, ils continuaient à se multiplier et à devenir puissants, ce qui exacerba la xénophobie des Égyptiens

Alors un nouveau roi (les savants croient que ce pharaon fut Séti Ier, de 1309 à 1290, fondateur de la dix-neuvième dynastie et père de Ramsès II), qui n'avait pas connu Joseph, se leva sur l'Égypte Il dit à son peuple : Voici que le peuple des fils d'Israël est trop nombreux et trop fort pour nous. Prenons donc de sages mesures contre lui pour qu'il cesse de se multiplier. En cas de guerre, il se joindrait lui aussi à nos ennemis, il se battrait contre nous et il sortirait du pays. On lui imposa donc des chefs de corvée pour le réduire par des travaux forcés, et il bâtit pour Pharaon des villes-entrepôts, Pitôm et Ramsès. Mais plus on voulait le réduire, plus il se multipliait et plus il éclatait, on vivait dans la hantise des fils d'Israël. Alors les Égyptiens asservirent les fils d'Israël avec brutalité et leur rendirent la vie amère par une dure servitude : mortier, briques, tous travaux des champs, bref toutes les servitudes qu'ils leur imposèrent avec brutalité.        Ex. 1, 8-14

C'est dans un contexte de racisme et d'antisémitisme que se pose la question de la survie du peuple de Dieu, d'autant plus que les mesures de rétorsion du pharaon deviennent de plus en plus sévères. Ces Hébreux étaient une source de profit, il eut été de bonne politique de conserver en vie cette main d'oeuvre bon marché. Mais la xénophobie est souvent pleine de contradictions et irrationnelle. Non content de réduire Israël à l'esclavage, un nouveau pharaon veut en plus exterminer la race en faisant supprimer les enfants mâles...

Le roi d'Égypte dit aux sages-femmes des Hébreux, dont l'une s'appelait Shifra et l'autre Poua : Quand vous accouchez les femmes des Hébreux, regardez le sexe de l'enfant. Si c'est un garçon, faites-le mourir. Si c'est une fille, qu'elle vive. Mais les sages-femmes craignaient Dieu... et le peuple se multiplia et devint très fort. Pharaon ordonna à tout son peuple : Tout garçon nouveau-né, jetez-le au fleuve ! Toute fille, laissez-la vivre !     Ex. 1, 15-21

La disposition visant à faire mourir les nouveaux-nés est en contradiction avec l'économie sociale fondée sur l'esclavage, celle-ci devant plutôt favoriser l'explosion démographique pour augmenter la main d'oeuvre masculine au lieu de la supprimer. A un moment critique de son histoire, le peuple, qui s'était plus ou moins détourné du Dieu de ses pères pour ne plus se soucier que de sa seule croissance et de son pouvoir, se retourne vers son Dieu qui, seul, pouvait le sauver de l'oppression et de la servitude en Égypte.

C'est dans ce climat dramatique que vient au monde Moïse, descendant de Lévi par son père et par sa mère. Il sera choisi par Dieu pour prendre la tête du peuple. Il est d'abord sauvé au moment de sa naissance, puis adopté comme fils par une princesse égyptienne. Mais il est surtout le fils d'une femme des Hébreux qui, pour le sauver de la condamnation à mort qui pesait sur chaque enfant mâle, décida de l'exposer sur le fleuve dans une corbeille de roseaux, espérant qu'il obtiendrait la faveur de la princesse qui se baignait régulièrement à cet endroit.

Un homme de la famille de Lévi avait épousé une fille de Lévi. La femme conçut, enfanta un fils, vit qu'il était beau et le cacha pendant trois mois. Ne pouvant le cacher plus longtemps, elle lui trouva une caisse en papyrus, l'enduisit de bitume et de poix, y mit l'enfant et le déposa dans les joncs sur les bords du Fleuve. La soeur de l'enfant se posta à distance pour voir ce qui lui adviendrait. Or, la fille de Pharaon descendit se laver au Fleuve. Elle vit la caisse parmi les joncs et envoya sa servante le prendre. Elle ouvrit et regarda l'enfant, c'était un garçon qui pleurait. Elle eut pitié de lui : C'est un enfant des Hébreux, dit-elle. Sa soeur dit à la fille de Pharaon : Veux-tu que j'aille appeler une nourrice chez les femmes des Hébreux ? Elle pourrait allaiter l'enfant pour toi. Va, lui dit la fille de Pharaon. Et la jeune fille appela la mère de l'enfant. Emmène cet enfant et allaite-le moi, lui dit la fille de Pharaon, et c'est moi qui te donnerai un salaire. La femme prit l'enfant et l'allaita. L'enfant grandit, elle l'amena à la fille de Pharaon, il devint pour elle un fils et elle lui donna le nom de Moïse, car, dit-elle, je l'ai tiré des eaux        Ex. 2, 1-10

Moïse est élevé à la cour du Pharaon, il reçoit l'éducation d'un véritable prince de l'Égypte, mais il découvre aussi son appartenance à la nation des Hébreux. Il prend le parti d'un des esclaves et tue un chef de corvée égyptien.

Contraint à l'exil, il s'enfuit dans le désert où il devient berger pour le compte de Jéthro, prêtre de Madian, dont il épousera une des sept filles. Il réfléchissait sans doute beaucoup tandis qu'il parcourait avec ses moutons les vastes étendues du Sinaï, il pouvait comprendre peu à peu le mystère qu'il n'avait pas saisi lors de sa jeunesse au milieu des Égyptiens polythéistes. Un jour, alors qu'il faisait paître le troupeau de son beau-père, il parvient au mont Horeb (autre nom pour désigner le Sinaï), c'est là qu'il eut une vision sous la forme d'un buisson qui brûlait sans se consumer. Dieu lui donne alors l'ordre de libérer le peuple hébreu et de le conduire vers un bon pays.

L'ange du Seigneur apparut à Moïse dans une flamme de feu au milieu du buisson. Moïse regarda, le buisson était en feu, et le buisson n'était pas dévoré. Moïse dit : Je vais faire un détour pour voir cette grande vision, pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ? Le Seigneur vit qu'il avait fait un détour pour voir, et Dieu l'appela du milieu du buisson : Moïse ! Moïse ! Il dit : Me voici ! Il dit : N'approche pas d'ici ! Retire de tes pieds tes sandales, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. Il dit : Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. Moïse se voila la face car il craignait de regarder Dieu. Le Seigneur dit : J'ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses gardes-chiourmes. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel. Va maintenant, je t'envoie vers Pharaon, fais sortir d'Égypte mon peuple, les fils d'Israël... Moïse dit à Dieu : Voici ! Je vais aller vers les fils d'Israël et je leur dirai : le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. S'ils me disent : Quel est son nom ? que leur dirai-je ? Dieu dit à Moïse : Je suis qui je serai. Il dit encore : Tu parleras ainsi aux fils d'Israël : Je suis m'a envoyé vers vous... Le Seigneur, Dieu de vos pères, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, m'a envoyé vers vous. C'est là mon nom à jamais, c'est ainsi qu'on m'invoquera d'âge en âge.        Ex. 3, 13-14

Après avoir reçu son ordre de mission, Moïse repart en Égypte, alerte ses frères, mais Pharaon refuse de les laisser partir. Et c'est l'affrontement de Dieu et de Pharaon qui commence par les dix plaies qui s'abattent sur l'Égypte, dix catastrophes qui vont finir par faire plier l'orgueil de Pharaon :

d'abord, les eaux du Nil furent changées en sang,

puis vint la plaie des grenouilles,

puis les moustiques attaquèrent bêtes et gens,

puis la vermine et les taons envahirent les demeures égyptiennes,

la peste s'abattit sur le bétail des Égyptiens,

puis les furoncles couvrirent les personnes,

la grêle tomba sur les sols égyptiens,

les sauterelles poursuivirent l'aridité du sol,

les ténèbres recouvrirent le pays.

Ces catastrophes qui semblent naturelles, le peuple d'Israël considère qu'elle ont été voulues par Dieu pour frapper le Pharaon au coeur même de sa puissance et de sa prétention à la divinité. Les premières plaies qui frappaient l'Égypte étaient des catastrophes aptes à mettre en question les choix du Pharaon. La composition littéraire de ces récits permet de voir dans ces plaies, qui semblent des phénomènes naturels courants dans la région du Nil, une série de châtiments destinés à punir l'obstination du Pharaon et des miracles voulant montrer la puissance de Dieu. Même s'il s'agit de phénomènes naturels, comme le fait que les eaux du Nil deviennent rouge-sang après la décomposition de certains champignons, ou comme le fait que le vent brûlant du désert amène des nuées de poussière qui obscurcissent le ciel plusieurs jours, il est certain que Moïse interprète des faits comme des signes de la puissance de Dieu qui se manifeste. Dieu est le maître de l'histoire et des événements, il combat victorieusement pour son peuple.

C'est la dixième plaie, la mort des premiers-nés, qui est la plus cruelle et la plus particulièrement horrible. Elle permettra de venir à bout de la résistance du Pharaon, après l'extermination des premiers-nés de l'Égypte Les enfants d'Israël ont été protégés par un signe en liaison avec le repas de la Pâque. Car la Pâque comportait deux éléments : la protection d'Israël par le sang de l'agneau qui est répandu sur les montants et le linteau des portes, et le repas composé de l'agneau immolé, rôti, mangé avec des herbes amères (laitues, chicorées...) et des pains azymes (sans levain). Ce repas est appelé à marquer le passage, la Pâque du Seigneur au-dessus des enfants d'Israël pour les épargner, tout comme il anticipe le passage de la Mer Rouge qui va se produire.

Dans le pays d'Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera le commencement de l'année. Parlez ainsi à toute la communauté d'Israël : le dix de ce mois, que l'on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle prendra avec elle son voisin le plus proche, selon le nombre de personnes. Vous choisirez l'agneau d'après ce que chacun peut manger. Ce sera un agneau sans défaut, un mâle, âgé d'un an. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu'au quatorzième jour du mois. Dans toute l'assemblée de la communauté d'Israël, on l'égorgera au coucher du soleil. On prendra du sang que l'on mettra sur les deux montants et le linteau des maisons où on le mangera.

On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds. Vous mangerez en toute hâte : c'est la Pâque du Seigneur. Cette nuit-là, je traverserai le pays d'Égypte, je frapperai tout premier-né au pays d'Égypte, depuis les hommes jusqu'au bétail. Contre tous les dieux de l'Égypte, j'exercerai mes jugements : je suis le Seigneur. le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous serez. je verrai le sang et je passerai : vous ne serez pas atteint par le fléau dont je frapperai le pays d'Égypte Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C'est une loi perpétuelle : d'âge en âge, vous la fêterez.        Ex. 12, 1-14

Vient alors le jour du départ, la Pâque, fête du printemps, qui prendra alors un sens nouveau, celui du passage de Dieu libérant son peuple. Au milieu de la nuit, le Seigneur frappa donc l'Égypte en ses premiers-nés. Une clameur monta dans tout le pays. Pharaon convoqua Moïse et Aaron et leur donna l'ordre du départ, les Égyptiens pressèrent les Israélites à partir au plus vite en leur offrant des bijoux et des objets précieux pour hâter leur départ.

Après le départ du peuple d'Israël, tribu par tribu, clan par clan, soit six cent mille hommes de pied, sans compter leur famille, Pharaon change d'avis : les premiers-nés étaient enterrés, la vie commençait à redevenir normale dans tout le pays. Rien ne manquait plus à l'économie du pays, sinon la présence des esclaves. Le Pharaon et ses ministres, qui n'étaient déjà plus sous le coup des catastrophes, décident de se lancer à la poursuite des fuyards. l'armée égyptienne les rejoint au bord de la mer. La panique s'installe alors chez les Israélites (ainsi que vraisemblablement un nombre important Égyptiens qui s'étaient joints à la colonne des fuyards), coincés entre la mer et leurs ennemis. Mais Dieu combat pour son peuple.

Les fils d'Israël, voyant les Égyptiens lancés à leur poursuite, étaient effrayés. Le Seigneur dit à Moïse : Pourquoi crier vers moi ? Ordonne aux fils d'Israël de se mettre en route. Toi, lève ton bâton, étends le bras contre la mer, fends-la en deux, et que les fils d'Israël pénètrent dans la mer à pied sec. Et moi, je vais endurcir le coeur des Égyptiens, ils pénétreront derrière eux dans la mer, je triompherai pour ma gloire de Pharaon et de toute son armée, de ses chars et de ses guerriers. Les Égyptiens sauront que je suis le Seigneur quand j'aurai triomphe pour ma gloire de Pharaon, de ses chars et de ses guerriers. Moïse étendit la main sur la mer. Le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d'est puissant et il mit la mer à sec. Les eaux se fendirent et les fils d'Israël pénétrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche. Les Égyptiens les poursuivirent et pénétrèrent derrière eux jusqu'au milieu de la mer. Aux dernières heures de la nuit, le Seigneur observa l'armée des Égyptiens, et il la mit en déroute. Il faussa les roues de leurs chars et ils eurent beaucoup de peine à les conduire. Les Égyptiens s'écrièrent : Fuyons devant Israël, car c'est le Seigneur qui combat pour eux contre nous. Le Seigneur dit à Moïse : Étends la main, que les eaux reviennent sur l'Égypte, sur ses chars et ses cavaliers. Moïse étendit la main sur la mer. A l'approche du matin, la mer revint à sa place habituelle, tandis que les Égyptiens fuyaient à sa rencontre. Et le Seigneur se débarrassa des Égyptiens au milieu de la mer. Les eaux refluèrent et recouvrirent toute l'armée de Pharaon, ses chars et ses guerriers, qui avaient pénétré dans la mer à la poursuite d'Israël. Il n'en resta pas un seul. Mais les fils d'Israël avaient marché à pied sec au milieu de la mer, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche. Ce jour-là, le Seigneur sauva Israël de la main de l'Égypte et Israël vit sur le bord de la mer les cadavres des Égyptiens Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur avait agi contre l'Égypte Le peuple craignit le Seigneur, il mit sa foi dans le Seigneur et dans son serviteur Moïse, et les fils d'Israël chantèrent un cantique au Seigneur.        Ex. 14, 10 - 15, 1

Où cette rencontre eut-elle lieu ? Il existe des théories diverses quant à l'emplacement exact de cette mer des Roseaux franchie par le peuple en exode. Chaque théorie est liée à une hypothèse particulière concernant l'itinéraire général de l'exode. Certains savants penchent pour un itinéraire vers le nord, d'autres pour un itinéraire vers le sud. Les uns et les autres ne manquent pas d'arguments pour étayer leur thèse à la lumière des références bibliques et des découvertes archéologiques. Actuellement, la plupart des érudits sont en faveur de l'itinéraire sud.

Dans ce passage de la mer, comme dans le cadre des plaies, un phénomène naturel se mêle étroitement à l'action de Dieu, mais ce qui importe, c'est que l'événement soit compris comme voulu par Dieu : il y a miracle quand l'événement rencontre des hommes qui acceptent de l'accueillir comment venant de Dieu. La sortie d'Égypte est un événement qui situe Israël sur un plan différent des autres nations. Le peuple existait avec Abraham à l'état de promesse. Et l'exode est le moment où il est créé en tant que peuple. C'est la raison pour laquelle chaque membre du peuple se découvre comme sorti personnellement d'Égypte et se le rappelle liturgiquement, lors de la célébration pascale :

Chacun doit se considérer, de génération en génération, comme étant lui-même sorti d'Égypte, car il est écrit : En ce jour-là, dis à ton fils : C'est pour cela que le Seigneur est intervenu pour moi quand je sortis d'Égypte

Ayant fait sortir Israël du pays d'Égypte, Moïse le conduisit vers le Sinaï, où il lui donna une constitution législative, une Loi, la Torah. Celle-ci est un enseignement qui concerne toute la vie du peuple, dans sa religion comme dans sa politique, dans la vie collective comme dans l'existence individuelle. Elle vise à faire d'Israël un peuple saint, c'est-à-dire consacré à Dieu et mis à part des autres nations qui étaient vouées à l'idolâtrie et aux pratiques dégradantes, comme les sacrifices humains.

Il ne faut pas considérer le don de la Loi comme une obligation : il ne s'agit pas pour le peuple d'être soumis à la tutelle de Dieu après avoir connu la servitude en Égypte Dieu propose une alliance, il ne l'impose pas. Mais il ne suffit pas  d'écouter ce que dit le Seigneur, il faut le mettre en pratique et l'annoncer aux générations futures, ainsi le propre de la tradition d'Israël ne se trouve pas simplement situé dans un code législatif, mais bien davantage dans la lecture des événements de l'histoire du peuple comme l'accomplissement du dessein de Dieu dans le cadre de son alliance...

Les pérégrinations des Israélites dans le désert vont durer quarante ans, qui seront marqués par des événements dont rend compte le livre des Nombres. Ce qui est toujours souligné, c'est la difficulté éprouvée par le peuple à obéir à la Parole de Dieu, comme en témoigne déjà l'épisode du veau d'or, alors que Moïse est monté dans le Sinaï pour rencontre Dieu.

C'est au bout de quarante jours et de quarante nuits que le Seigneur m'a donné les deux tables de pierre, les tables de l'alliance. Alors le Seigneur m'a dit : Lève-toi, descends tout de suite d'ici, car ton peuple s'est corrompu, ce peuple que tu as fait sortir d'Égypte, ils n'ont pas tardé à s'écarter du chemin que je leur avais prescrit, ils se sont fabriqué une statue de métal fondu. Et le Seigneur m'a dit : Je vois ce peuple, eh bien ! c'est un peuple à la nuque raide. Laisse-moi faire, je vais les exterminer, mais je ferai sortir de toi une nation plus puissante et plus nombreuse qu'eux.

Je me suis tourné pour descendre de la montagne, cette montagne tout embrasée, en tenant de mes deux mains les deux tables de l'alliance, et j'ai vu : vous aviez péché contre le Seigneur votre Dieu en fabriquant un veau de métal fondu. Vous n'aviez pas tardé à vous écarter du chemin que le Seigneur vous avait prescrit. Alors, j'ai saisi les deux tables, je les ai jetées de mes deux mains, et je les ai brisées sous vos yeux... Je suis tombé la face à terre devant le Seigneur, car le Seigneur avait parlé de vous exterminer et j'ai dit : Seigneur Dieu, ne détruis pas ton peuple, ton héritage que tu as racheté dans ta grandeur et que tu as fait sortir d'Égypte par la force de ta main. Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob, ne fais pas attention à l'obstination de ce peuple, à son impiété, à son péché. Qu'on ne dise pas dans le pays dont tu nous as fait sortir : le Seigneur n'était pas capable de les faire entrer dans le pays qu'il leur avait promis et il les haïssait, c'est pourquoi il les a fait sortir pour les faire mourir au désert. C'est pourtant ton peuple, ton héritage que tu as fait sortir par ta grande force et ton bras étendu.        Dt. 9, 11-20

Il faudra beaucoup de temps à Moïse pour amener ces tribus qu'il avait fait sortir d'Égypte à être prêtes pour l'action. Il ne lui suffisait pas d'avoir écrit une Loi, il fallait apprendre à ce peuple à l'accepter et à la respecter. Cela ne pouvait pas se faire en quelques jours, ni en quelques semaines : le peuple devait apprendre à changer ses manières de vivre et prendre de nouvelles habitudes. Moïse entreprit alors de transformer la fédération des tribus en une communauté beaucoup plus étroitement unie. Pour ce faire, il employa son temps à guider ceux qui devaient lui succéder, et particulièrement Josué, en déléguant de plus en plus son autorité. Il en profita pour préciser le code religieux, les devoirs spécifiques de chaque tribu, notamment celle des fils de Lévi qui devait se charger du culte.

Moïse comprit que le plan qu'il avait conçu d'envahir rapidement le pays de Canaan ne pourrait jamais être réalisé. Canaan n'était pas prêt à recevoir des hommes libérés, le pays était encore sous l'influence de l'Égypte Aussi Israël vécut-il longuement dans le désert, le temps qu'il fallut à la génération sortie d'Égypte pour disparaître. C'est un peuple nouveau qui devait entrer dans le Terre Promise : les enfants qui étaient nés dans le désert étaient devenus des hommes, ils n'avaient jamais connu la servitude, ils avaient vraisemblablement suivi un enseignement guerrier, ils étaient alors prêts à prendre part aux combats d'Israël pour entrer en Terre Promise. l'heure approchait de l'entrée en possession de l'héritage divin. La population n'a guère augmenté depuis la sortie d'Égypte, mais c'est un peuple nouveau qui s'apprête à franchir la dernière étape dont la longue marche au désert n'avait été que la préparation : l'entrée dans la Terre de Canaan. L'événement dominant cette dernière étape sera la mort de Moïse qui désigne son successeur en la personne de Josué.

Le Seigneur dit à Moïse : Monte sur cette montagne de la chaîne des Avirim (à l'est de la Mer Morte) et regarde le pays que je donne aux fils d'Israël. Tu le verras, puis tu seras enlevé toi aussi pour rejoindre ta parenté, comme l'a été ton frère Aaron... Moïse dit alors au Seigneur : Que le Seigneur, le Dieu qui dispose du souffle de toute créature, désigne un homme qui sera à la tête de la communauté, qui sortira et rentrera avec eux, et qui les fera sortir et les fera rentrer, ainsi la communauté du Seigneur ne sera pas comme des moutons sans berger. Le Seigneur répondit à Moïse : Prends Josué, le fils de Noun, c'est un homme qui est inspiré. Tu lui imposeras les mains, et tu le présenteras au prêtre Eléazar ainsi qu'à toute la communauté et tu l'établiras dans sa charge sous leurs yeux. Tu lui donneras une part de ta puissance, afin que toute la communauté des fils d'Israël lui obéisse.        Nb. 27, 12-20

La tâche de Moïse était désormais accomplie, il avait vécu longtemps, il pouvait jeter un regard en arrière sur toute son existence et sur l'action qu'il avait menée sur les conseils de Dieu. Aux descendants de ceux qui avaient fui l'Égypte, il pouvait raconter la sortie d'Égypte, en les exhortant à ne jamais oublier les drames traversés par leur peuple, il leur rappela les commandements de Dieu et l'ensemble du Code de l'alliance. Tout cela est rapporté dans le livre du Deutéronome qui se présente comme le discours d'adieu de Moïse, au moment de l'entrée dans la terre de Canaan.

Moïse monta des steppes de Moab vers le mont Nébo qui est en face de Jéricho, et le Seigneur lui fit voir tout le pays, le Galaad jusqu'à Dan, tout Nephtali, le pays d'Éphraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu'à la Mer occidentale, le Néguev et le District, la vallée de Jéricho, ville des palmiers, jusqu'à Tsoar. Et le Seigneur lui dit : C'est là le pays que j'ai promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob en leur disant : C'est à ta descendance que je le donne. Je te l'ai fait voir de tes propres yeux, mais tu n'y entreras pas. Et Moïse le serviteur de Dieu mourut là, dans le pays de Moab, selon la déclaration du Seigneur. Il l'enterra dans la vallée, au pays de Moab, en face de Beth-Phéor, et personne n'a jamais connu son tombeau jusqu'à ce jour. Moïse avait cent vingt ans quand il mourut, sa vue n'avait pas baissé, sa vitalité ne l'avait pas quitté. Les fils d'Israël pleurèrent Moïse dans les steppes de Moab pendant trente jours. Puis les jours pour le deuil de Moïse s'achevèrent. Josué, fils de Noun, était rempli d'un esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains, et les fils d'Israël l'écoutèrent pour agir suivant les ordres que le Seigneur avait donnés à Moïse. Plus jamais en Israël ne s'est levé un prophète comme Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face, lui que le Seigneur avait envoyé accomplir tous ces signes et tous ces prodiges dans le pays d'Égypte devant le Pharaon, tous ses serviteur et tout son pays, ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant toute cette grande terreur, sous les yeux de tout Israël.        Dt. 34, 1-12

Les rois

Le livre des Juges présente l'histoire des personnages importants selon un schéma cyclique : les fils d'Israël font ce qui déplaît à YHWH, alors sa colère s'enflamme contre eux, Israël tombe en décadence et, dans sa misère, il crie vers YHWH qui lui envoie un sauveur, un juge, mais à la mort de celui-ci, les fils d'Israël retombent dans leurs fautes. Ce livre mentionne douze juges auxquels il faut adjoindre le prêtre Eli, et le "dernier des Juges en Israël", Samuel qui fut chargé de dénouer la série des crises nationales en instaurant la royauté.

Comme pour beaucoup de personnages bibliques, la naissance de Samuel est miraculeuse. Sa mère Anne était stérile. Un jour, en prière dans le temple du Seigneur des armées (YHWH sabaoth, dont c'est la première mention dans la Bible), Anne fait le voeu de consacrer comme nazir le fils que Dieu lui accordera. Sa prière est exaucée. Après son sevrage, vers deux-trois ans, Samuel est placé au service de Dieu. Considéré comme juge par l'ensemble d'Israël, il sera surtout un prophète, un homme à qui Dieu parle et qui parle au nom de Dieu.

Devenu vieux, il constatent que ses fils ne le suivent pas, les anciens lui demande d'établir un roi comme les autres nations, avec droit de vie et de mort sur ses sujets. Peu enthousiasmé par cette demande, et sur le conseil de Dieu, il propose une constitution démocratique, avec un roi dont il trace le portrait en termes peu flatteurs.

Pendant quatre siècles, l'histoire d'Israël sera donc guidée par des rois. Les trois premiers, Saül, David et Salomon, manifestent l'aventure politique et spirituel d'Israël avant le schisme et la rupture en deux royaumes.

Après la mort de Saül, dont le règne fut assez bref et tragique, les tribus viennent trouver David à Hébron pour lui offrir le trône. David a trente ans quand il devient roi. A travers son règne, le projet de Dieu se réalise et s'achève. Il inaugure son règne personnel par la prise de Jérusalem dont il fait sa capitale, alors que cette ville n'avait encore joué aucun rôle dans l'histoire d'Israël. Il y organise le culte divin en même temps qu'il crée un début d'organisation administrative centralisée. Avec les prêtres, il embellit le culte en lui donnant des psaumes et des chants sacrés.

A l'apogée de son règne, il reçoit du prophète Nathan une promesse de la part de YHWH, qui contracte une alliance avec toute la dynastie davidique. Cette promesse est liée à l'espérance messianique pour le peuple que Dieu s'est choisi. Malheureusement, la fin du règne ne sera pas aussi brillante, car il arrive à David d'utiliser à son profit le pouvoir que Dieu lui a confié, il se sert de sa puissance pour lui-même au lieu de s'en servir pour le bien du peuple et le service de Dieu.

La politique de centralisation civile et religieuse, entreprise par David, sera poursuivie par son fils Salomon. Il fit construire un Temple splendide à Jérusalem, pour éclipser tous les autres lieux de culte du pays. Profitant de l'affaiblissement de ses voisins puissants, l'Égypte et l'Assyrie, Salomon fit régner une pays durable sur Israël, dotant le pays d'une civilisation exceptionnelle : sa sagesse et son intelligence étaient réputées hors des frontières du royaume. Il établit avec ses voisins de relations commerciales et culturelles.

Mais ses mariages avec des princesses étrangères le conduisirent rapidement à faire édifier des temples païens pour celles-ci, ce qui entraîna une dégradation du culte du Dieu unique, altérant ainsi la pureté du culte et de la religion d'Israël. YHWH ne devenait plus qu'un Dieu national, un dieu parmi les autres. La conséquence directe fut la destruction de l'unité religieuse suivie, à la mort de Salomon, par la perte de l'unité nationale.

La place éminente du roi se marque dans la pensée religieuse du peuple. Dès son intronisation, le roi est oint d'huile. Cette huile pénètre profondément dans le corps pour lui donner force, santé et beauté. C'est pourquoi, sur le plan religieux, les onctions sont utilisées pour consacrer des personnages qui doivent marquer toute la vie de la communauté.

L'onction royale était conférée par un prêtre ou par un prophète pour signifier que tel homme était réellement choisi par Dieu, qu'il était mandaté par lui pour gouverner son peuple. Par cette onction, le roi était habilité à exercer sa fonction et il était reconnu comme adopté par YHWH : Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils (2 S. 7, 14), ce qui est souligné avec une force plus grande dans certains psaumes :

Moi, j'ai sacré mon roi, sur Sion, ma montagne sainte.

Je publierai le décret.

Le Seigneur m'a dit : Tu es mon fils, moi aujourd'hui, je t'ai engendré.

Demande-moi, et je te donne les nations en héritage, 

en propriété les extrémités de la terre        Ps. 2, 6-8

 

Oracle du Seigneur à mon seigneur : Siège à ma droite,

que je fasse de tes ennemis l'escabeau de tes pieds !

Que le Seigneur étende de Sion la puissance de ton sceptre !

Domine au milieu de tes ennemis !

Le Seigneur l'a juré, il ne s'en repentira pas :

Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédech.        Ps. 110, 1-4

Le roi est donc présenté comme fils de Dieu et il peut dominer sur le monde. Cette idée de filiation divine et de domination universelle fait partie des doctrines de l'Orient Ancien sur la condition royale et son caractère sacré. Et, en même temps, le roi exerce une fonction cultuelle, il est prêtre pour toujours à la manière de Melchisédech. Autrement dit, il participe à la condition de ce prêtre-roi qui vint à la rencontre d'Abraham, parce que tous deux adoraient le Dieu unique. Le nom de ce prêtre-roi de Jérusalem (à l'époque patriarcale) signifie : mon roi est justice... Le roi prend dont la tête du clergé de Jérusalem et son rôle sera également de rendre la justice sur l'ensemble de la communauté, en tant qu'il est l'héritier légitime d'une tradition qui remonte à l'époque des patriarches. La sagesse est aussi considérée comme un attribut royal : le roi participe à la sagesse de Dieu dont il est le serviteur.

Les trois siècles qui suivent la mort de Salomon sont marqués par la décadence des royaumes d'Israël et de Juda qui se sont séparés, puis par la chute de leurs capitales aux mains des Babyloniens. C'est dans ce contexte troublé politiquement et religieusement que se lèvent les prophètes. Ceux-ci ont sans cesse rappelé à l'ensemble du peuple les exigences de l'alliance avec Dieu.

Les prophètes de la nouvelle alliance

L'histoire du peuple de Dieu divisé prend tout son relief par la présence des prophètes. Tout d'abord, il importe de souligner le sens de ce mot. En hébreu, Nabi signifie surtout l'homme qui parle. C'est en passant dans la langue grecque qu'il est devenu 'prophétès', prenant alors le sens de : l'homme qui dit une chose avant qu'elle n'arrive, l'homme qui prédit. Ce sens a prévalu dans la tradition occidentale...

De longue date, les cultes de l'Ancien Orient avaient leurs voyants et leurs devins. En Canaan, en Syrie se développaient des confréries de dévots qui se livraient en public à des transes dont on retrouve des traces dans les récits bibliques.

Toujours et partout, les religions ont connu ces pratiques selon lesquelles des hommes sont sensés parler au nom de leur dieu. Pour lutter contre l'idolâtrie de ses voisins, Israël eut ses visionnaires que chacun pouvait consulter en vue de connaître la volonté de YHWH et d'être éclairé dans ses affaires.

Des confréries se créent près des sanctuaires dès le onzième siècle. Un autre prophétisme, moins institutionnel, a vu le jour également : des hommes ont reçu une vocation de Dieu qui les place directement dans la ligne d'Abraham ou de Moïse. Des hommes, comme Élie ou Élisée, qui étaient en relation avec des confréries prophétiques, ont reçu une mission personnelle venant de l'initiative divine.

En parlant de prophétisme biblique, il convient de distinguer les deux sens du terme : d'une part, les confréries prophétiques qui ont pu maintenir le sentiment religieux, et d'autre part, les hommes investis d'une mission divine, inspirés par l'Esprit de Dieu, et qui viennent de différents milieux sociaux : Amos était berger, Isaïe était membre de l'aristocratie, Jérémie était prêtre...

Le prophète, le Nabi, est un prédicateur et non pas un écrivain. Chargé de dire ce que Dieu dit maintenant, il vit et parle au présent, mais il lit le présent en fonction de la continuité de Dieu et de son action. Il éclaire le présent par la relecture du passé et l'ouvre sur un avenir assez proche pour que les signes de l'action de Dieu y soient déjà lisibles et viennent soutenir l'espérance.

Le prophète se caractérise par l'actualisation de la Parole, la mise à jour (et la mise au jour) de la communication entre Dieu et son peuple. Le prophète est homme d'aujourd'hui, porteur de la Parole que Dieu adresse aux siens. L'autorité de la Parole est liée à son unicité : très souvent, la date et les circonstances des oracles sont soigneusement notés. La première référence que donne le prophète, c'est d'affirmer que Dieu parle par sa bouche : Ainsi parle le Seigneur, et il maintient cette affirmation au péril de sa vie.

Cette fonction d'actualisation est mise en oeuvre par ceux qu'on appelle parfois les prophètes-successeurs, ceux qui ont transmis, recopié, complété les recueils par lesquels la parole prophétique est arrivée jusqu'à nous. Ils interprètent la parole de leurs prédécesseurs comme parole unique de Dieu pour aujourd'hui et s'effacent derrière cette parole redite et réactualisée, ce qui est une autre manière d'indiquer que Dieu continue de parler.

Il y a chez tous les prophètes une référence au passé qui donne au présent son contenu et son épaisseur. Du point de vue de l'action de Dieu, le présente est dense parce qu'en lui c'est le passé qui passe à l'avenir. Si le prophète est l'homme du passé parce qu'il est d'abord l'homme du présent, il en est de même pour l'avenir : c'est parce qu'il est l'homme du présent que le prophète est l'homme de l'avenir. Il n'est pas comme tel l'homme de l'avenir le plus lointain, sinon en fonction de la continuité de Dieu et de son action qui dépasse le prophète. parce qu'il est l'homme de l'aujourd'hui de Dieu, la visée du prophète concerne l'avenir immédiat, celui de sa génération où s'inscrit une action de Dieu qui pourra être reconnue : les signes qu'il donne sont à courte portée, quelques années au maximum, de telle sorte que les événements annoncés vont confirmer l'authenticité de sa parole. Quand ces signes sont donnés, ce n'est pourtant pas l'aspect de prédiction qui importe.

Le prophète ne lit pas l'avenir comme un devin ou un astrologue. Ce qui importe, c'est l'affirmation vérifiable au niveau du signe que Dieu agit et agira encore. La vérification du signe se fait dans la foi, car la lecture des événements n'est jamais évidente, on peut toujours discuter la réalisation d'un oracle ou interpréter autrement un événement, et il serait possible de montrer que, dans plus d'un cas, les choses ne se sont pas passées comme le prophète s'y attendait.

Le prophète est un homme de Dieu, il est celui que Dieu a choisi et par qui Dieu se rend témoignage, celui qui a découvert que Dieu est méconnu et qui va rappeler le Dieu fidèle en face de l'infidélité du peuple. On ne se constitue pas prophète, on n'est pas institué prophète comme on est sacré roi ou prêtre : on est prophète su Dieu le veut et quand il le veut. Le prophète est un homme par qui Dieu se fait reconnaître, en particulier dans les moments de crise, quand la médiation royale ne joue plus son rôle, quand la médiation liturgique ne donne plus accès au Dieu vivant. Dieu intervient alors par un don gratuit et imprévisible, en vue du salut de tous. Ainsi, le prophète manifeste la liberté de Dieu par rapport aux médiations instituées et à l'intérieur d'elles. Le prophétisme n'est pas une qualification personnelle, car la qualification vient de Dieu seul.

Inlassablement, le prophète proclame la fidélité de Dieu en réaction contre l'infidélité du peuple. Au nom de Dieu dont il est le porte-parole, il n'a qu'une mission, mais elle est redoutable : convertir ses contemporains. C'est une mission qu'il assume péniblement, la contradiction (parfois et même souvent violente) fait partie de son expérience. Cela provoque chez lui des tentations et des doutes, il n'est pas sûr d'avoir raison, il peut éprouver de l'inquiétude dans le discernement de sa mission, il peut être persécuté, signe par excellence de l'authenticité de sa vocation.

Le Dieu des prophètes n'est autre que celui des patriarches et de Moïse, non seulement le créateur du monde et le législateur suprême, mais surtout celui qui parle sans cesse aux hommes par ses envoyés. Le souci des prophètes sera de ramener au coeur de la pensée d'Israël que YHWH est le seul et unique vrai Dieu. Pour ce faire, ils approfondissent la doctrine fondamentale de l'alliance sans cesse à renouveler. la nouvelle alliance que Dieu établit, après avoir pardonné la rupture de l'ancienne, ne diffère pas de celle transmise par Moïse, mais elle ne consiste plus en une série de prescriptions extérieures, elle s'inscrira au plus intime de l'homme :

Des jours viennent, oracle du Seigneur, où je conclurai avec la communauté d'Israël et la communauté de Juda une alliance nouvelle. Elle sera différente de l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères, quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d'Égypte Eux, ils ont rompu mon alliance, mais moi, je reste le maître chez eux. Voici donc l'alliance que je conclurai avec la communauté d'Israël après ces jours-là - oracle du Seigneur - je déposerai mes directives au fond d'eux-mêmes, les inscrivant dans leur être, je deviendra Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. Ils ne s'instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant : Apprenez à connaître le Seigneur ! car ils me connaîtront tous, petits et grands - oracle du Seigneur. Je pardonnerai leur crime, leur faute, je n'en parle plus.        Jér. 31, 31-34

En faisant sortir Israël d'Égypte, Dieu était intervenu en faveur de son peuple, sans se soucier de la réalité même des hommes : YHWH les prends par la main, non pas tels qu'ils sont, mais tels qu'il voudrait qu'ils soient, et il leur enseigne sa Loi. Mais les hommes la perçoivent comme un joug qui pèse sur leurs épaules, ils ne tardent pas à se détourner de Dieu. La perspective de la nouvelle alliance est celle du renoncement de la part de YHWH à se conduire comme un Dieu qui imposerait sa loi.

C'est un changement radical : la nouvelle alliance va succéder à l'ancienne, il n'y aura pas de comparaison possible entre les deux. Pourtant, il n'y aura pas abolition de l'ancienne, mais plutôt un changement de mentalité : YHWH changera son attitude à l'égard de son peuple. Les directives restent les mêmes mais elles sont intériorisées et ne seront plus perçues comme une contrainte. A cette annonce de l'inscription dans les entrailles et dans le coeur de l'homme, il n'y a pas de parallèle strict dans la Bible hébraïque, qui perçoit plus volontiers la Loi comme une obligation située hors de l'homme : ne faut-il pas que le juif pieux porte toujours devant les yeux comme un bandeau les préceptes que Dieu lui avait imposés ? Jérémie ne renonce pas à l'ancienne Loi, mais il souligne qu'il ne suffit pas d'accomplir les commandements pour être justifié devant Dieu. Ce qui compte, c'est la disposition du coeur.

Le dernier mot du prophétisme reste au Dieu fidèle qui ne renonce jamais à manifester son amour et sa présence aux hommes. Le ministère prophétique s'inscrit dans l'espérance et débouche sur elle, car elle est signe de la victoire sur l'infidélité démasquée. le prophète témoigne du Dieu dont la fidélité ne peut pas être vaincue par l'infidélité des hommes.

Le Messie, inaugurateur du Royaume de Dieu

L'annonce des "jours du Messie" est une des idées forces de tout le prophétisme biblique. La nouvelle alliance est une préparation qui vise, à plus ou moins longue échéance, l'instauration du Royaume de Dieu sur la terre, royaume qui prendra la succession davidique. Contrairement à la conception chrétienne qui spiritualisera ce Royaume, pour le judaïsme, la construction du Royaume doit se faire ici-bas, sous la direction de Dieu, par la main des hommes. Il n'est pas repoussé dans un au-delà céleste, où seront abolis tous les problèmes inhérents à la condition humaine, ses luttes, ses espoirs, ses aspirations.

Pour le judaïsme, le Royaume de Dieu sera inauguré par le Messie, ce personnage qui ouvrira une époque de justice et de paix sur la terre : les nations qui lui résisteront seront réduites à néant, le règne de Dieu s'établira sur tout l'univers. En examinant le cours des événements qui marquent l'histoire, les prophètes comprennent que YHWH est le maître de l'histoire du monde, qu'il exerce son jugement en raison du péché de l'homme. Le passé en apporte des exemples éblouissant : YHWH a réduit la puissance de l'Égypte en permettant à son peuple de fuir le joug qui pesait sur lui, et, dans l'histoire récente, les chutes des royaumes de Samarie, puis de Juda, montrent que son jugement s'exerce aussi sur le peuple qu'il s'est choisi parmi toutes les nations.

Les prophètes déchiffrent dans tous ces événements les intentions de Dieu qui peut à tout moment exercer son jugement sur l'homme pécheur, au coeur endurci. Les prophètes ont d'abord parlé pour leurs contemporains, leur message était relatif aux problèmes qui se posaient à leur époque. Mais, dans leur vision du monde, ils englobaient le passé et l'avenir. Leur idée directrice était que le dessein de Dieu se développe dans le courant de l'histoire des hommes : les promesses que YHWH avaient faites jadis se réalisent progressivement, dans l'attente de leur plein achèvement au jour de Dieu. Leur conception de l'histoire n'étaient donc pas cyclique, elle visait une fin : les hommes marchent vers un but fixé dès l'origine par Dieu, vers une fin dernière, qui est l'objet de l'espérance croyante.

Contrairement à une opinion très souvent répandue, l'objet de la promesse de Dieu n'est pas la venue d'un sauveur particulier, le Messie, mais bien l'avènement du Royaume de YHWH. Dieu, créateur et maître du monde, n'a choisi Israël qu'en vue du salut final de tous les peuples, et ses fidèles connaîtront le bonheur. Pourtant, le jour de Dieu auquel les membres du peuple aspirent ne sera pas un jour de consolation, mais un jour de colère et de châtiment : le péché des hommes implique en lui-même une sanction. Dieu rémunère les hommes selon leur conduite dans le monde présent. A l'heure de son jour, il sera exalté et tout orgueil humain sera abattu. La victoire du Dieu d'Israël sur tous ses opposants aboutira à la conversion des nations païennes : ce triomphe permettra le retour des exilés sur la terre des ancêtres et la reconstruction du Temple de Jérusalem.

Mais la déception fut grande après le retour d'exil... Toutefois l'attente du Jour de YHWH ne s'acheva pas avec cette déception. Les promesses que Dieu avaient faites par la bouche des prophètes constituaient une certitude que rien ne pouvait ébranler. Si le salut tarde, c'est que la conversion du peuple est encore insuffisante, qu'elle manque de profondeur. Isaïe et les prophètes post-exiliques vont mettre l'accent sur l'aspect spirituel de cette venue du Royaume de Dieu, avec l'instauration des cieux nouveaux et d'une terre nouvelle.

On imagine l'existence nouvelle comme un prolongement de l'existence présente, avec le triomphe national du peuple fidèle à YHWH. L'idée d'une restauration de la dynastie issue de David reprend ses droits pour le monde actuel : le Fils de Dieu, l'Élu de Dieu, le Serviteur du Seigneur qui inaugurera l'avènement du Royaume, le Messie est toujours un homme qui appartient à ce monde, même si ses qualités sont exceptionnelles, même s'il gouverne le peuple avec justice et droiture, avec sagesse et puissance : il rétablira solidement le trône de David son père. Mais son rôle ne s'achève pas dans cette seule restauration, il doit faire advenir le Royaume de Dieu sur cette terre. Ce qu'il va accomplir, c'est le rétablissement de l'alliance entre YHWH et son peuple. Le domaine politique est intimement lié à la pensée religieuse des prophètes.

L'annonce par le prophète Isaïe d'un enfant manifeste que le Messie, s'il est parfois considéré comme une descendance suscité dans la dynastie davidique, sera aussi l'homme d'une alliance nouvelle. Son nom sera Emmanuel, c'est-à-dire : Dieu avec nous, il occupera dans la société la place du roi, car il sera le seul capable de faire comprendre que le seul roi possible pour Israël, c'est le Seigneur Dieu lui-même :

Le Seigneur parla encore à Achaz en ces termes : Demande un signe pour toi au Seigneur ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut. Achaz répondit : Je n'en demanderai pas et je ne mettrai pas le Seigneur à l'épreuve. Il dit alors : Écoutez donc, maison de David ! Est-ce trop peu pour vous que vous fatiguiez les hommes que vous fatiguiez aussi mon Dieu ? Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe : Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel.        Is. 7, 10-14

Pour Isaïe, le Messie libérateur surgira de la famille de David. Son messianisme est essentiellement royal : la dynastie de David est établie à Jérusalem qui est non seulement la capitale de Juda, le centre de l'empire de David et de Salomon, mais aussi et surtout le centre du monde vers lequel convergent toutes les nations de la terre.

L'école prophétique, née d'Isaïe, reprendra dans les siècles suivants cette annonce messianique : Dieu va venir lui-même pour sauver son peuple. L'image du roi-messie va se transformer pour exprimer la sollicitude de Dieu pour son peuple : le roi-messie prendra la figure du Serviteur de Dieu, parfaitement juste, dont la mort apportera la réconciliation définitive avec YHWH, et qui connaîtra une postérité après sa mort.

Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l'on cache son visage, ou, méprisé, nous ne l'estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu'il a portées, ce sont nos douleurs qu'il a supportées, et nous, nous l'estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités ; la caution, gage de paix pour nous, était sur lui et dans ses plaie se trouvait notre guérison. Nous tous, comme du petit bétail, nous étions errants, nous nous tournions chacun vers son chemin, et le Seigneur a fait retomber sur lui la perversité de nous tous. Brutalisé, il s'humilie, il n'ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l'abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette, lui n'ouvre pas la bouche. Sous la contrainte, sous le jugement, il a été enlevé, les gens de sa génération, qui se préoccupe d'eux ? Oui, il a été retranché de la terre des vivants, à cause de la révolte de son peuple, le coup est sur lui. On a mis chez les méchants son sépulcre, chez les riches son tombeau, bien qu'il n'ait pas commis de violence et qu'il n'y eût pas de fraude dans sa bouche. Mais, Seigneur, que, broyé par la souffrance, il te plaise ; daigne faire de sa personne un sacrifice d'expiation, qu'il voie une descendance, qu'il prolonge ses jours et que le bon plaisir du Seigneur par sa main aboutisse. Ayant payé de sa personne, il verra une descendance, sitôt connu juste, il dispensera la justice, lui, mon Serviteur, au profit des foules, du fait que lui-même supporte leurs perversités. Dès lors, je lui taillerai sa part dans les foules, et c'est avec des myriades qu'il constituera sa part de butin, puisqu'il s'est dépouillé lui-même jusqu'à la mort et qu'avec les pécheurs il s'est laissé recenser, puisqu'il a porté, lui, les fautes des foules et que pour les pécheurs, il vient s'interposer.        Es. 53, 3-12

L'annonce de ce messie-serviteur, qui ne se manifestera pas aux hommes sous des aspects les contraignant à la conversion et au retour à la fidélité au Dieu d'Israël, Créateur et Seigneur du monde, cette annonce reste ouverte sur l'avenir. les réalisation qui ont pu être accomplie dans la suite des temps, par un individu ou par un groupe, ont toujours été partielles, elles n'ont jamais épuisé la mission universelle dont était investi le Serviteur de YHWH. La tradition chrétienne a cependant identifié ce dernier à Jésus et à son oeuvre de réconciliation avec Dieu.

Le fils de l'homme

Le livre du prophète Daniel est unique en son genre dans la tradition scripturaire, c'est un livre tardif et son genre littéraire le situe davantage comme un écrit apocalyptique que prophétique. A près l'exil à Babylone, la réflexion des prophètes a été marquée par le souci du jugement que Dieu peut opérer sur son peuple et sur le salut qu'il lui réserve. Les hommes cherchent à comprendre quel sera cet avenir que Dieu ouvre à l'homme dans son aspect le plus lointain, quel sera le jugement qu'il va exercer sur toute l'humanité.

On se tourne vers la fin des temps, vers l'eschatologie. Pour exprimer l'action future de YHWH, les prophètes, particulièrement Daniel, se situent dans un contexte de révélation, c'est le sens premier du terme d'origine grecque : apocalypse. Les desseins secrets de Dieu sont révélés dans des visions, dans des songes qui, éclairés par l'ensemble de la prédication prophétique, peuvent permettre aux hommes un changement de conduite dans l'attente du jugement de Dieu.

Le titre de "Fils de l'homme" est un titre qui vient d'une des visions du prophètes Daniel :

Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec les nuées du ciel venait comme un Fils d'homme, il arriva jusqu'au vieillard, on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté une royauté qui ne sera jamais détruite.        Dn. 7, 13-15

L'expression Fils de l'homme a un sens faible, elle désigne un être humain dans sa simplicité naturelle, elle devient alors synonyme de l'homme, soulignant la précarité de la condition humaine vouée à la mort.

Mais cette expression, dans la littérature apocalyptique, prend un sens plus fort, elle désigne un personnage céleste qui apparaîtra à la fin des temps et qui jugera tous les hommes. ce personnage céleste a des prérogatives divines : il séjourne auprès de Dieu et n'a plus rien de commun avec la condition mortelle des hommes. C'est lui qui, après son jugement à la fin des temps, pourra rétablir définitivement le Royaume de Dieu.

Les commentaires du livre de Daniel lui ont attribué également des caractéristiques de Messie royal (mais ce Fils de l'homme n'a pas d'origine terrestre) et de Serviteur de YHWH (mais il ne connaît pas la souffrance et la mort). La tradition chrétienne, issue du judaïsme, reprendra également ce titre de Fils de l'homme pour l'appliquer à Jésus.

Toutes ces grandes figures de la Bible (Abraham, Moïse, les rois David et Salomon, les prophètes, le Messie, le Serviteur de YHWH, le Fils de l'homme) sont comme autant de symboles pour exprimer ce que doit être l'attitude de tout croyant devant son Dieu.

Ces figures permettent aux croyants de comprendre l'évolution des desseins de Dieu tout au long de l'histoire du salut. Dieu se donne progressivement à connaître comme une personne agissant en vue du bonheur de l'homme dans la terre qu'il avait promis de donner en héritage aux patriarches, en vue du bonheur de l'homme après sa destinée terrestre.

Les actes de Dieu, comme les personnages par lesquels il manifeste son attachement et sa fidélité aux hommes, peuvent nourrir la foi des croyants dans l'attachement et la fidélité qu'ils doivent témoigner à leur tour au Dieu unique et vivant.