LE DECALOGUE

 

La notion d'alliance

La notion la plus caractéristique de la pensée biblique est celle de l'alliance qui est présentée comme le lieu de la rencontre de Dieu avec l'homme. La découverte en 1901 du code de Hammourabi, roi de Babylone vers 1750 avant Jésus-Christ, a permis de comprendre de manière plus précise la structure de l'alliance dans le Proche-Orient, particulièrement en Israël.

Une comparaison de pactes de l'ancien Orient, en particulier hittites des quatorzième et treizième siècles, avec les textes de l'Ancien Testament, a mis en lumière tant de similitudes qu'il doit exister une parenté entre les traités d'un grand roi avec ses vassaux d'une part et les explication que l'alliance de YHWH avec Israël rencontre dans certains textes de l'Ancien Testament d'autre part. Il est permis de parler de formules d'alliance, dans lesquelles les éléments de ces traités reparaissent trait pour trait ou ont été librement appliquées aux conditions israélites. Le schéma de ces traités consistes en :

- un préambule

- une préhistoire

- une déclaration fondamentale

- des dispositions de détail

- une invocation des dieux comme témoins (dans les textes de l'Ancien Testament, c'est le point le plus profondément modifié)

- une série de bénédictions et de malédictions.

Le terme d'alliance avait une signification politico-religieuse : engagement pris entre deux personnes ou deux groupes humains, représentés par leurs chefs. Il y a alliance quand il faut renouer ou asseoir une relation entre deux personnes ou deux groupes après une période d'hostilité. Ainsi, parler d'alliance, c'est déjà supposer qu'on peut la rompre ou qu'elle a été rompue, c'est aussi poser la possibilité d'un renouvellement de l'accord entre les deux parties.

Le code de Hammourabi est un texte gravé sur un bloc de pierre d'une hauteur de deux mètres vingt cinq, conservé au musée du Louvre. Sur la partie supérieure de cette stèle, le roi se tient devant le dieu de justice, Shamash. Celui-ci, assis sur un trône, dicte ses lois au roi. Le souverain devra faire se lever le soleil de justice, en supprimant le méchant et le pervers, en empêchant le fort d'écraser le faible.

Ce code comporte deux cent quatre vingts articles qui définissent les règles de vie pour les grandes classes de la société, à savoir les nobles, les roturiers et les esclaves. Cependant, l'état babylonien était organisé avant Hammourabi, il était régi par le droit coutumier. Ce roi n'a fait que regrouper toutes les lois du droit coutumier, en les révisant et en les améliorant. Si ces règles sont gravées sur la pierre, c'est pour que chacun, et en particulier le juge, puisse savoir quels sont les droits des uns et des autres. Ce code est constitué comme un recueil d'arrêts de justice dont les juges pouvaient s'inspirer librement, en respectant les traditions locales de telle ou telle partie de l'empire unifié par ce souverain.

La conclusion du traité se fait par le serment du vassal et parfois celui du suzerain. Les contractants se retrouvent autour d'un repas de paix. Ces éléments des codes législatifs se retrouvent dans les alliances entre Dieu et son peuple. Dieu se présente toujours avec ses titres au moment de conclure une alliance, avec Abraham, avec Moïse... Un résumé de l'histoire des relations entre Dieu et son serviteur ou son peuple est présenté. Des décisions sont prises par Dieu dans le domaine de la conduite morale ou religieuse de son peuple, avec aussi parfois l'indication de la manière de se souvenir de l'alliance.

Pour l'ancêtre Noé, le signe de l'alliance sera l'arc-en-ciel, pour Abraham, la circoncision des mâles, pour le peuple en exode dans le désert du Sinaï, le signe des tables de la Loi sera conservé dans l'arche d'alliance.

Il est pratiquement impossible d'attribuer un date historique à la conclusion de l'alliance entre Dieu et son peuple, car l'alliance se répète et doit se renouveler régulièrement dans toute l'histoire du peuple, même si celui-ci se réfère toujours à une alliance unique. La Bible présente une pluralité d'alliances bâties sur le modèle d'une alliance unique, attestant l'unicité de celle-ci dans la pluralité. C'est la lecture des textes bibliques qui peut permettre de saisir l'importance de la notion d'alliance depuis l'époque des patriarches jusqu'à la nouvelle alliance en Jésus-Christ.

Le type de l'alliance réside certainement dans le Décalogue. Ayant fait sortir Israël d'Égypte, Moïse le conduisit au Sinaï, où il lui donna une constitution législative, la Torah. C'est un enseignement qui concerne toute la vie du peuple, dans sa religion comme dans sa politique, dans la vie collective comme dans l'existence individuelle. Elle vise à faire d'Israël un peuple saint, consacré à Dieu et mis à part des autres qui étaient voués à l'idolâtrie et aux pratiques dégradantes, comme les sacrifices humains.

Il ne faudrait cependant pas considérer le don de la Loi comme une obligation : il ne s'agit pas pour le peuple d'être soumis à la tutelle de Dieu après avoir connu la servitude en Égypte. Dieu ne fait que proposer son alliance à son peuple.

Voici le commandement, les lois, les coutumes que le Seigneur votre Dieu a ordonné de vous apprendre. Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force. Les paroles des commandements que je te donne aujourd'hui seront présentes à ton coeur, tu les apprendras à tes fils, tu les leur diras quand tu resteras chez toi, et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout.

Tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux. Tu les inscriras sur les montants de porte de ta maison et à l'entrée de ta ville... Garde-toi bien d'oublier le Seigneur qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.

C'est le Seigneur que tu craindras, c'est lui que tu serviras, c'est par son nom que tu prêteras serment. Vous ne suivrez pas d'autres dieux parmi ceux des peuples qui vous entourent, car le Seigneur est un Dieu jaloux au milieu de toi (Dt. 6, 1-15).

La Loi échappe au caractère juridique pour expliquer quelque chose de l'amour de Dieu, un amour qui se marque par la jalousie. C'est "un coup de foudre'' qui a fait que YHWH a choisi Israël pour son peuple et qu'Israël a répondu en choisissant le Seigneur pour son Dieu.

Ce Dieu est l'Unique comme l'exprime l'antique profession de foi contenue dans la plus importante prière de la liturgie juive : Écoute, Israël ! La première recommandation faite au peuple, c'est d'écouter, et cette exigence trouve son explication dans les différentes paroles que Dieu adresse à son peuple. La parole réellement fondatrice de l'alliance, c'est l'affirmation de l'unicité absolue de Dieu. C'est d'elle que peut et doit découler la vie du peuple, en commençant par le respect de toute parole venant de la bouche de Dieu, par le respect de l'alliance et par le culte unique à rendre au seul Dieu.

L'alliance est marquée jusque dans la chair par la circoncision, pratiquée le huitième jour après la naissance pour tous les garçons. Cette alliance se traduit également par un contrat, que l'on appelle à tort les dix commandements. Il vaudrait sans doute mieux dire : les dix paroles de Dieu, le Décalogue, que Dieu a transmis à son peuple par l'intermédiaire de Moïse.

On est frappé par le caractère négatif de la presque totalité des commandements. Il faut néanmoins remarquer que la formulation négative est peut-être plus positive qu'il n'y paraît au premier abord : elle est plus universelle qu'une simple affirmation. Quand on donne un ordre, toutes les autres possibilités sont exclues, tandis que lorsque l'on pose une interdiction, toutes les autres possibilités sont ouvertes. Pourtant, c'est une déclaration positive qui ouvre le Décalogue, conservé dans le livre de l'Exode et celui du Deutéronome, sous des formes légèrement différentes.

1. L'unicité absolue de Dieu

C'est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir Égypte, de la maison de servitude.

C'est le Seigneur Dieu qui parle, celui qui a délivré Israël de la captivité en Égypte et qui s'est manifesté par ses actions. Il rappelle sa présence au milieu de son peuple. Cela conduit pratiquement à refuser le don du Décalogue comme l'octroi pur et simple d'une charte juridique. Tous les commandements découlent presque nécessairement de cette affirmation du préambule du Décalogue.

Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi.

Cette formule ne semble pourtant pas indiquer la négation des autres dieux, au contraire, elle paraît même impliquer l'existence des autres dieux. Dieu ne tolère cependant aucun rival en face de lui. Toute l'histoire d'Israël montre la tentation toujours renouvelée, du peuple à se détourner de l'unique Dieu pour se tourner vers d'autres dieux.

2. L'interdiction des idoles

Tu ne te feras pas d'idoles... Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c'est moi le Seigneur ton Dieu...

L'interdiction porte sur les images ou les représentations que l'homme peut se faire de Dieu à partir des éléments de la nature. Dieu peut très bien se manifester par des phénomènes naturels, mais il n'appartient pas à l'homme de le représenter d'une manière ou d'une autre à partir des objets de la nature.

De même, il est interdit au peuple d'Israël de vénérer les dieux étrangers. C'est le caractère de jalousie de Dieu qui punit les pères sur leurs descendants, mais aussi qui pardonne. La grâce de Dieu ne peut pas se mesurer par rapport à la puissance limitée du péché.

3. Le respect du nom de Dieu

Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu, car le Seigneur n'acquitte pas celui qui prononce son nom à tort.

Prononcer ou prendre le nom de quelqu'un, dans la pensée sémitique, c'est littéralement s'emparer de sa personne afin d'en faire ce que l'on veut.

Le nom de Dieu ne doit pas être invoqué de manière magique ou dans des formules de malédiction, mais il est possible de faire usage du nom de Dieu dans les bénédictions.

4. L'obligation du sabbat

L'ordre de respecter le sabbat a un caractère rituel qui n'apparaît dans aucun autre commandement. C'est la seule fête religieuse d'obligation. Sanctifier le sabbat, c'est le mettre à part, c'est le consacrer à Dieu à qui tout appartient.

Les motivations du respect de ce jour son différentes dans l'Exode et dans le Deutéronome. Mais l'ordre s'applique à tous, y compris au bétail et à l'étranger qui est admis dans la communauté du peuple : tous doivent avoir la possibilité de célébrer ce jour.

Que le jour du sabbat on fasse un mémorial

en le tenant pour sacré 

comme le Seigneur ton Dieu te l'a ordonné.

Tu travailleras six jours 

faisant tout ton ouvrage 

mais le septième jour

c'est le sabbat 

du Seigneur ton Dieu 

Tu ne feras aucun ouvrage

ni toi, ni ton fils, ni ta fille 

pas plus que ton serviteur, ta servante 

tes bêtes 

ou l'émigré que tu as dans tes villes 

 

Car en six jours le Seigneur a fait le ciel et la terre, 

la mer et tout ce qu'ils contiennent

mais il s'est reposé le septième jour.

 

 

 

 

C'est pourquoi le Seigneur a béni 

le jour du sabbat le jour du sabbat

et l'a consacré.

Qu'on garde le jour du sabbat

en le tenant pour sacré

 

Tu travailleras six jours

faisant tout ton ouvrage

mais le septième jour

c'est le sabbat

du Seigneur ton Dieu

Tu ne feras aucun ouvrage

ni toi, ni ton fils, ni ta fille ni toi

ni ton serviteur, ni ta servante 

ni ton boeuf, ni ton âne ni aucune de tes bêtes

ou l'émigré que tu as dans tes villes

afin que ton serviteur et ta servante

se reposent comme toi.

 

 

 

Tu te souviendras qu'au pays Égypte tu étais esclave

et que le Seigneur, ton Dieu, 

t'a fait sortir de là

d'une main forte et d'un bras étendu

C'est pourquoi le Seigneur ton Dieu t'a ordonné 

de pratiquer le jour du sabbat

 

 

5. Le respect des parents

Honore ton père et ta mère 

comme le Seigneur ton Dieu

te l'a ordonné

afin que tes jours 

se prolongent

 

sur la terre que te donne

le Seigneur, ton Dieu

Honore ton père et ta mère 

 

 

afin que tes jours

se prolongent

et que tu sois heureux

sur la terre que te donne

le Seigneur, ton Dieu

 

Le verbe qui indique l'honneur à accorder aux parents implique, en hébreu, l'idée de poids, il signifie : donner de l'importance, glorifier de la gloire qui revient à Dieu. Il s'agit plus que d'un simple devoir d'assistance envers les parents : ils ont une situation privilégiée d'instruments et d'images de Dieu. Dieu est père du peuple, mais il a pour ce peuple un coeur de mère, comme le souligneront les prophètes.

Pour donner davantage de poids à cette parole, c'est le seul commandement qui est assorti d'une promesse, celle d'avoir de longs jours et d'être heureux sur la terre promise.

6. L'interdiction du meurtre

Tu ne commettras pas de meurtre

Ce commandement garantit la vie des membres de la communauté des enfants d'Israël contre toutes les atteintes illégale, mais son caractère absolu n'exclut cependant pas des châtiments exemplaires, comme la peine de mort ou la guerre. Le respect dû à la vie humaine vient du fait que toute vie est une image de la vie de Dieu.

7. L'interdiction de l'adultère

Tu ne commettras pas d'adultère

Cet ordre est valable quelle que soit la législation matrimoniale, y compris les cas de polygamie reconnus dans la pratique de l'Ancien Testament. L'adultère était puni de mort.

8. L'interdiction du vol

Tu ne commettras pas de rapt.

Cette interdiction porte aussi bien sur les personnes que sur les biens, ce en quoi elle revêt un caractère absolu qui s'exprime alors dans des règles sociales : honnêteté du commerce, équité dans le salaire à verser aux ouvriers et dans le prêt à intérêt.

Cette règle a un fondement théologique très important : Dieu est le seul vrai propriétaire de tous les biens du monde, et l'homme n'est qu'un gérant. En conséquence, porter atteinte aux biens des autres, c'est s'attaquer aux biens mêmes de Dieu.

9. L'interdiction du faux témoignage

Tu ne témoigneras pas faussement (à tort) contre ton prochain.

Au sens premier, cette interdiction vise le témoignage devant les tribunaux : il est lié à la vie sociale du peuple, notamment dans ses actions de justice pour la défense de l'honneur de chaque membre du peuple, bien avant que dans un second sens il vise à la condamnation directe du mensonge.

10. L'interdiction de la convoitise

Tu n'auras pas de visées 

sur la maison de ton prochain 

Tu n'auras pas de visées 

sur la femme de ton prochain 

ni sur son serviteur, sa servante 

son boeuf ou son âne

ni sur rien qui appartienne à ton prochain

Tu n'auras pas de visées

sur la femme de ton prochain

Tu ne convoiteras

ni la maison de ton prochain ni ses champs

son serviteur, sa servante 

son boeuf ou son âne

ni rien qui appartienne à ton prochain 

 

Ce dixième commandement présente des nuances selon les deux lectures proposées par les livres de l'Exode et du Deutéronome. Tandis que les autres commandements visent des actes précis dirigés contre les autres, celui-ci vise uniquement les intentions de la conscience personnelle : c'est l'attitude elle-même qui est condamnée bien avant les actes concrets.

La convoitise, telle qu'elle est pensée par le terme hébreu, suppose déjà l'accomplissement de l'acte lui-même. Le péché commence par le désir, dans la disposition spirituelle à l'égard du prochain.

En observant les commandements, Israël se constitue comme un peuple consacré à Dieu qui restera fidèle. Dieu nourrit son peuple dans la traversée du désert, par la manne, preuve qu'il est un Dieu qui s'intéresse à ce qui fait le coeur de l'existence. Mais l'alliance de Dieu avec son peuple n'est pas un phénomène unique dans l'histoire d'Israël : elle sera sans cesse renouvelée, et il est même fait mention du caractère obligatoire de ce renouvellement, dès le texte du Deutéronome : chaque fidèle doit être conscient que c'est avec lui personnellement que Dieu fait alliance.

Chaque père de famille doit alors transmettre l'intégralité des paroles de Dieu aux générations qui le suivent pour que ces paroles soient vivantes dans le coeur et dans l'esprit de ses enfants et petits-enfants après lui.

Aucune tradition antique n'a insisté sur la relation de Dieu avec l'homme autant qu'Israël. Dieu n'est plus l'inaccessible, mais celui avec qui l'homme peut travailler. Dès lors, l'homme devient celui qui achève la création divine, en suivant son alliance et sa Loi.

Pour des hommes libérés de la servitude, il ne s'agit pas seulement de pratiquer des actes de justice, il s'agit surtout de participer à l'oeuvre de Dieu dans le monde. Puisque Dieu a libéré son peuple, il revient à ce dernier de faire connaître tout ce que YHWH a fait.

L'enseignement des merveilles de Dieu est la condition du renouvellement de l'alliance d'une génération à l'autre. Le but de l'éducation, c'est d'instituer un rapport entre l'homme et la sainteté de Dieu, afin de faire comprendre à l'homme pécheur qu'il n'est vraiment libre, vraiment autonome que parce qu'il est soumis à son Créateur.