La légende des trois rois mages
Une question de définition.
Les
détails relatifs à la naissance de Jésus étaient absents des proclamations des
Églises des premiers temps et de leurs pratiques liturgiques. Ce n’est qu’une
cinquantaine d’années après le ministère de Jésus que l’on s’est interrogé à ce
sujet. Les renseignements historiques sur l’événement semblent avoir été
estompés jusqu'à ce moment-là.
Matthieu
et Luc témoignent de ce questionnement. Jean aussi, à sa manière. Alors que
l’évangile selon Marc voit en Jésus un homme comme les autres que Dieu choisit
pour une mission particulière, Matthieu et Luc font remonter l’intervention
divine dès avant la naissance de Jésus. À l’interrogation répond la confession
des Églises : Dieu est présent en Jésus. Et de la confession de foi, la
tradition postérieure va faire un événement « historique ». Un peu plus tard,
vers la fin du premier siècle et dans le milieu différent que fut celui de
l’évangile selon Jean, il est affirmé au sujet de « celui qui devait venir »
qu’il participe de l’intimité de Dieu – le « verbe » était avec Dieu, il est
même Dieu.
Lorsque
nous entendons le récit de la visite des mages à Bethléem, nous nous sentons en
contexte bien connu. Dans notre mémoire, nombre de commentaires entremêlent
leurs réflexions. Tous ces thèmes et explications sont profitables et chacun
reste libre de se sentir interpellé par l'un d'entre eux, que ce soit la marche
persévérante de la foi… le milieu d'indifférence qui demeure aujourd'hui comme
autrefois… le visage profondément humain du témoignage initial… ou l'ouverture à
tous les peuples…
Pourquoi employer le terme de légende à propos d’un texte
évangélique ? Il faut d’abord se souvenir que ce terme vient du latin
« legenda » (qui doit être lu) au même titre que le mot :
« agenda » (qui doit être fait). Dans un sens courant, notamment en
littérature, une légende est un récit fictif le plus souvent d'origine orale
faisant appel au merveilleux. Pourtant, une légende, à la différence d'un conte,
est liée à un élément précis (lieu, objet, personnage historique, etc.) et se
focalise moins sur le récit que sur l'intégration de cet élément dans l'histoire
de la communauté à laquelle la légende appartient. De cette manière, à côté de
l’histoire proprement dite existe la légende qui est un récit qui recourt à
l’imaginaire. Elle frappe ainsi l’imagination et parle à l’inconscient collectif
d’un peuple.
Le récit des mages s'inscrit dans une riche tradition indo-européenne
et sémitique qui entoure les naissances royales : ces récits ont en commun des
éléments tels que la filiation royale (puisque Jésus descend par sa mère du roi
David), la conception extraordinaire de l'enfant, le signe merveilleux de sa
prédestination (ici, l'étoile) qui accompagne tout changement de dynastie, ou
les évènements dramatiques et sanglants qui suivent la naissance (massacre des
Innocents).
En
étudiant le texte biblique relatif aux mages, il est nécessaire de faire montre
d’esprit scientifique, afin de ne pas faire sombrer « la légende »
dans le cadre du simple conte.
Il est
possible et même légitime d’appliquer ces quelques observations étymologiques au
récit des Mages, que nous lisons dans l’évangile selon saint Matthieu.
Le récit évangélique
Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que
des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi
des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous
sommes venus lui rendre hommage ». À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé,
et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes
du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître. « À
Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des
chefs-lieux de Juda : car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître
Israël, mon peuple ».
Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque
à laquelle l'astre apparaissait, et les envoya à Bethléem en disant : « Allez
vous renseigner avec précision sur l'enfant ; et, quand vous l'aurez trouvé,
avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage ». Sur ces
paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu
à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de
l'endroit où était l'enfant. À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très
grande joie. Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère,
et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui
offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Puis, divinement
avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans
leur pays par un autre chemin. (Mt. 2, 1-12).
Qui est l’évangéliste Matthieu ?
Pour l'Église, il est l'un des douze apôtres cités par les
Évangiles. Il apparaît parfois sous le nom de Lévi. Dans la tradition
chrétienne, il est souvent symbolisé par un homme (souvent ailé) parce que son
évangile commence par la généalogie du Christ.
Matthieu
était probablement Galiléen de naissance, originaire de Capharnaüm, ville située
sur une des routes principales qui reliaient Damas à la Méditerranée et à
l'Égypte. Là il exerce les fonctions de publicain : il tient le bureau de
péage, c'est-à-dire le bureau où l'on perçoit le portorium, à la fois douane,
octroi et péage entre les états du roi Hérode Antipas et de son frère, le
tétrarque Philippe.
C'était un
homme cultivé, de formation grecque. Il était à son bureau, près du lac de
Génésareth, lorsque Jésus l'aperçut et l'appela. Sa profession était méprisée
par les Juifs : le Talmud interdisait aux publicains les fonctions de juges
ou de témoins dans les procès. Les exactions et les vexations dont ils se
rendaient coupables, n'avaient fait qu'accroître cette impopularité, inhérente à
leur fonction. La place était néanmoins avantageuse, tant sur le plan financier
que que le plan relations publiques ; pourtant, à la suite de sa vocation,
aucune considération ne l'arrêta, et il se mit aussitôt à la suite Jésus.
Après
l'Ascension de Jésus, Matthieu convertit un grand nombre de fidèles en Judée ;
il passe un temps en Egypte, et part en Ethiopie. Là, il prêche et combat
l'influence de deux mages et devient populaire en opérant la résurrection du
fils du roi. Défendant une vierge consacrée au Seigneur contre l'avidité d'un
prince, Matthieu s'attire la colère du roi. Il est assassiné au cours d'une
célébration.
Le corps
de Matthieu fut d’abord conservé avec vénération dans la ville où il avait
enduré le martyre. En 956, il fut transféré à Salerne, dans le Royaume de
Naples. Comme on se trouvait alors souvent en péril de guerre et que l’on
craignait que quelqu’un s’emparât des reliques, on cacha le corps de saint
Matthieu dans un endroit secret connu seulement de quelques personnes. Près de
cent vingt ans plus tard, sous le pontificat de saint Grégoire VII, on
découvrit le caveau. De Salerne, le chef de saint Matthieu fut transporté en
France et déposé dans la cathédrale de, Beauvais ; une partie de ce chef
fut donnée au monastère de la Visitation Sainte-Marie de Chartres. La relique de
Beauvais disparut pendant la révolution française (1793).
L'Évangile selon saint Matthieu
L'évangile
attribué à Matthieu a vraisemblablement été fixé dans sa forme actuelle pour une
communauté chrétienne venue du judaïsme et vivant en Palestine, probablement
après la destruction de Jérusalem en 70. L'ouvrage de Matthieu n'est connu qu'en
grec, bien qu'une tradition ancienne lui attribue une première forme araméenne,
langue en faveur des juifs convertis à la foi en Jésus-Christ. De fait, cet
évangile atteste que l'Église, au moment de sa publication, n'a pas encore
franchi les limites de la synagogue : Matthieu s'adresserait donc à des
judéo-chrétiens..
L'évangile
débute par
une généalogie destinée à établir la descendance de Jésus, comme issu de la
famille de David ; l'évangéliste insiste particulièrement sur les
prophéties juives, et s'attache à en montrer l'accomplissement dans les faits
relatifs au prophète de Nazareth. Jésus est présenté comme le Messie qui réalise
l'espérance d'Israël et accomplit l'Alliance : il vient appeler tous les
hommes à entrer dans une réalité nouvelle et mystérieuse, le Royaume de Dieu et
enseigner à ses disciples, par sa parole et par sa vie.
Si Matthieu écrivait son texte
essentiellement pour des chrétiens issus du judaïsme, on est en droit de
s’interroger sur le fait qu’il mentionne, et il est le seul à le faire, la
présence d’étrangers au moment de la naissance de Jésus, alors que Luc, qui
écrivait son évangile pour des chrétiens issus des nations païennes, présente
des bergers juifs comme les premiers adorateurs du nouveau-né. La réponse est
simple, elle vient de la finale même du texte : le Ressuscité invite ses
disciples à évangéliser le monde entier, et Matthieu souligne ainsi que ce qui
est à faire s’est déjà produit au moment même de la naissance, tandis que Luc
qui avait une visée universelle tient à souligner que les Juifs, même s’ils ont
rejeté Jésus et son message, n’en sont pas moins appelés à entrer dans le
Royaume, et c’est la raison pour laquelle il mentionne les bergers…
Voici que des mages venus d’Orient…
Le récit relatif aux mages est donc extrait de l'évangile
selon Matthieu. Celui-ci a écrit son évangile comme on bâtit une cathédrale :
tout ce qu'il a précieusement noté se tient ensemble, chaque détail est
important, chaque image est remplie de sens, et les rappels bibliques de
l'Ancien Testament sont fréquents. Qu'est-ce que l'évangéliste veut nous
enseigner ?
Matthieu est le seul évangéliste à parler de la venue des Mages. Il ne dit pas que ces personnages sont des rois ; il ne dit pas davantage qu'ils étaient trois. Il dit : « Voici que des Mages venus d'Orient (c'est-à-dire de l'Est), arrivèrent à Jérusalem ». Ce sont des Mages, probablement de « sages astrologues », reconnaissent les exégètes. Au temps de Matthieu comme aujourd'hui, la lecture des astres n'était pas une science exacte. Ils étudiaient le ciel, le mouvement des astres pour comprendre l’univers, mais aussi pour y découvrir le sens des événements et parfois pour les prévoir. On peut dire que ces hommes étaient en quête de la vérité, en quelque sorte des chercheurs jamais installés, toujours en recherche, toujours en mouvement. En fin de compte, c’est bien d’abord de cela que nous parle l’évangile des mages. Non pas d’astrologie mais du sens de la vie et de la recherche de la vérité. Car l'astrologie est une manière obscure de conduire sa vie. Ces Mages avaient été conduits au pays d'Israël par un signe confus : une étoile, un astre.
Pour bien
comprendre ce texte, il faut se plonger dans l’Ancien Testament. Matthieu écrit
pour des lecteurs de tradition juive. Tissé d’allusions bibliques, ce texte est
une reprise originale du récit du mage païen Balaam dans le livre des Nombres.
Alors que le roi de Moab demande à Balaam de maudire Israël, celui-ci refuse. Au
contraire, il va le bénir. Balaam fait lui aussi une prophétie fameuse annonçant
la venue d’une « étoile » en Israël : « De Jacob monte une étoile, d'Israël
surgit un sceptre » Depuis longtemps, cette parole était lue comme une annonce
du futur Messie d’Israël. Matthieu joue ici avec l’idée, populaire à l’époque,
que tous les personnages importants avaient une étoile particulière qui
signalait l’importance de leur destin. Cette croyance existait aussi chez les
Juifs. Encore aujourd’hui pour dire bonne chance en hébreu, on dit « Mazal tov !
Bonne étoile ! ».
L’Évangile
n’indique pas le nombre de mages. Les traditions divergent, évoquant tous les
chiffres entre deux et douze. Finalement, c’est le chiffre de trois que l’on a
retenu. Pour deux raisons : d’une part parce que l’Évangile de saint Matthieu
évoquait trois présents offerts à l’Enfant Dieu, d’autre part parce que les
reliques des mages, conservées d’abord à Saint-Eustorge de Milan puis à Cologne,
étaient celles de trois corps.
Dans ce
récit, notre attention s'arrête à des détails comme l'or, l'encens et la myrrhe,
dont on s'amuse à dire que ce ne sont pas des cadeaux à faire à un enfant !
La Légende
dorée aborde les trois présents offerts (l’or, l’encens qui servait depuis les
temps les plus anciens dans les temples, et la myrrhe, une gomme aromatique
utilisée pour embaumer les morts) et donne leur sens symbolique : « Le
premier des Mages s’appelait Melchior, c’était un vieillard à cheveux blancs, à
la longue barbe. Il offrit l’or au Seigneur comme à son roi, l’or signifiant la
Royauté du Christ. Le second, nommé Gaspard, jeune, sans barbe, rouge de
couleur, offrit à Jésus, dans l’encens, l’hommage à sa Divinité. Le troisième,
au visage noir, portant toute sa barbe, s’appelait Balthazar ; la myrrhe qui
était entre ses mains rappelait que le Fils devait mourir ».
Nous avons vu son astre à l'Orient…
Il faut se rendre à l'évidence : ces personnages lisent dans les
étoiles - et ça réussit !
L'observation et
l'interprétation sont confiées aux spécialistes (mages, prêtres, savants…), et
le pays le plus développé en la matière est la Mésopotamie,
Babylone. Pendant des millénaires, on n'a pas dissocié l'observation objective,
scientifique, du ciel (astronomie) et son interprétation symbolique
(astrologie). C'est à
Les mages
sont donc des savants, lecteurs de vieux manuscrits historiques aussi bien
qu'interprètes de songes. Ils conseillent les rois, interprètent la marche du
monde, fixent le calendrier civil et religieux ainsi que l'appréciation des
jours fastes et néfastes. Un jour, ils interprètent une constellation revenue
trois fois en la même année (Jupiter-Saturne) par la naissance d'un nouveau roi
en Israël ! On peut supposer en tout cas que ceux-là observaient attentivement
les étoiles, et que l'une d'entre elles les a particulièrement frappés. Pourquoi
? éclat plus fort, déplacement apparent ? Planète, comète, astéroïde, étoile,
supernova ? Le texte dit : « un astre ». Ce n'est pas trop
compromettant.
Pour
certains astrologues de l'époque, Saturne était l'astre symbole d'Israël et
Jupiter une planète royale. On a découvert qu'il y a eu conjonction de Jupiter
et de Saturne à deux reprises en l'an 6 avant Jésus-Christ, ce qui aurait pu
donner lieu à cette recherche des mages. Dans le texte, en effet, l'astre
disparaît un moment…
Autres
hypothèses : Il y a eu aussi une conjonction des planètes Vénus-Jupiter en 1
avant Jésus-Christ et en 2 après Jésus-Christ, et il y a eu aussi l'éclipse de
Jupiter par la Lune en 6 avant Jésus-Christ.
On sait
que la date de naissance de Jésus est située, d'après les références
historiques, entre 6 avant Jésus-Christ et 1 après Jésus-Christ.
Il
est assez
amusant de voir combien cette histoire d'étoile des mages intéresse beaucoup
plus les astronomes que les exégètes...
Le Talmud
de Babylone rappelle que dans les derniers temps du règne d'Hérode, un grand
nombre de gentils se rendirent à Jérusalem pour voir se lever l'étoile de
Jacob, à laquelle on s'attendait. Il y a là, à la fois, une date et une
confirmation indirecte de l'Évangile.
Où est le Roi des Juifs ?
Les mages ont orienté leur voyage avec les compétences de leur métier,
c'est-à-dire le ciel étoilé. Dès qu'ils arrivent sur la terre historique du
peuple de Dieu, dès qu'ils sont en contact avec l'histoire du salut du Dieu
d'Israël, ils ont besoin de plus d'éléments, et ils accèdent à des canaux
d'information tout à fait spécifiques, à savoir les Écritures. Ces mages venus
d'Orient sont conduits au pays d'Israël par un signe confus : « Nous avons
vu se lever son astre », disent-ils. Ils vont donc trouver le roi Hérode et
s'informent auprès de lui de la tradition d'Israël : « Où est le Roi des
Juifs qui vient de naître ? » Ils ne parlent pas du
« Messie » : le mot leur est étranger. Ils ne connaissent pas la
tradition juive, dans laquelle le Messie était la grande espérance d'Israël. Ils
viennent donc s'informer sur lui auprès du roi Hérode le Grand qui règne sur le
pays.
Dans leur
manière de parler, ils cherchent un « Roi des Juifs ». Dans le récit
de
Comment ne
pas chercher le « Roi des Juifs » qui vient de naître dans le palais
royal lui-même, c’est-à-dire chez Hérode. Hérode le Grand naquit vers 73 avant
Jésus-Christ... C’était un homme politique habile, imbu d’esprit grec, il fut
surtout un constructeur de cités de type hellénistique ; il s’appuya sur le
parti pharisien à cause de leur puissance auprès du peuple ; il mourut en 4
avant Jésus-Christ, dont la naissance peut être fixée deux ans auparavant (en
fait il y a eu erreur de calendrier au sixième siècle et Jésus est né en 6 ou 7
« avant Jésus-Christ) En mettant le roi Hérode en contact avec Jésus,
Matthieu annonce le conflit qui va opposer aux autorités officielles le vrai roi
des juifs ».
Au moment
où est né Jésus, Hérode le Grand était dans les dernières années de son long
règne, il était connu pour son habileté politique, mais aussi pour sa cruauté
paranoïaque. Il avait fait tuer son
gendre et deux de ses fils Aristobule et Alexandre, et il avait égorgé sa femme
Mariamme. Quelques années plus tard, cinq jours avant sa mort, il ordonnera
qu’on assassine son fils aîné Antipater, et demandera aussi qu’on fasse périr
tous les notables de Jéricho après sa mort, afin qu’il y ait des larmes à ses
funérailles.
A ce
moment-là, le roi Hérode le Grand était donc vieillissant. Il tenait à son
pouvoir, il aimait la puissance et la splendeur. Il est donc pris d'inquiétude,
et tout Jérusalem avec lui, comme si cette naissance menaçait son règne
terrestre ! Il se sent menacé et réunit tous les spécialistes des Écritures, qui
s'appliquent à la tâche, scrutent minutieusement les Écritures et transmettent à
leurs visiteurs l'interprétation officielle : « À Bethléem de Judée, lui
dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre
de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c'est de
toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple ».
A sa
manière, Matthieu combine deux citations de l’Ancien Testament. La première du
prophète Michée 5,1-13, qui exalte Bethléem par rapport à Jérusalem, la deuxième
du livre de Samuel (2 S. 5,2) qui souligne l’importance de l’ascendance
davidique de Jésus. Si Jésus doit être berger d’Israël (un titre donné à Dieu,
Ps 80, 2) et si Jérusalem semble déjà rejeter son pasteur, comment s’accomplira
la prophétie ?
Que
Matthieu cite les Écritures n’étonne pas, il le fait souvent. Ce qui est
étonnant c'est qu'en citant cette phrase, il la transforme : quand on sait le
respect des juifs pour le texte de
Comment se
fait-il que les scribes, si connaisseurs des Écritures, ne discernent pas que la
promesse prophétique commence à se réaliser ? Ils donnent l’impression d’être
comme paralysés par leur savoir. Saint Augustin dira d’eux : « Ils sont comme
les bornes du chemin : ils indiquent la route, mais ne bougent pas… ». On devine
dans leur immobilisme un mépris, mépris pour l’inquiétude d’Hérode, cet étranger
qui doit son pouvoir aux Romains, mépris peut-être pour les Mages, ces ignorants
de
On peut
comprendre l’inquiétude d’Hérode. Cette rumeur que viennent répandre ces mages
concerne son pouvoir. Il flaire un concurrent imprévu, lui qui a déjà fait
mettre à mort trois de ses fils qu’il accusait de comploter contre lui.
L’histoire profane, et non le récit évangélique, parle de cette cruauté insensée
d’Hérode : le massacre des innocents est de la même veine, chez lui.
Matthieu
présente donc Hérode comme un hypocrite : il convoque les mages en secret pour
leur faire préciser des choses, en disant faussement qu'il voulait aussi
l'adorer. Dans un geste prophétique, Hérode a secrètement décidé de faire mourir
ce Roi des Juifs qui vient de naître. Dès sa naissance, comme l'ont annoncé les
prophètes, le Fils de Dieu doit être rejeté par les autorités civiles et
religieuses de son peuple.
Il devient
clair que ce récit a une signification autrement plus profonde que tout ce qu'en
a retenu la tradition. Pour Matthieu, Jésus est l'envoyé de Dieu, celui que les
prophètes avaient annoncé. Il est le Messie-Sauveur promis. A ses yeux, la venue
des Mages auprès de Jésus préfigure l'accès qu'auront au salut tous les peuples
de la terre, d'où qu'ils viennent. Envoyé de Dieu, Jésus rassemblera dans un
même Royaume tous ceux et celles qui croiront en Lui, juifs et païens, en somme
toute l'humanité.
Ils virent l'enfant avec Marie, sa mère
Instruits de
A
Bethléem, la question n’est pas : Qui sera cet enfant ? mais : Qui est cet
enfant devant lesquels les mages se prosternent ? La foi pousse à dire : il est
Dieu qui vient à la rencontre des hommes. Dieu, personne ne l’a jamais vu. Dans
l’Ancien Testament, on ne pouvait pas voir Dieu sans mourir. Et saint Jean le
sait, lui qui redit au début de son
évangile que nul n’a jamais vu Dieu. C’est presque une définition : Dieu est
invisible. Nous sommes des êtres finis, et lui, Dieu, est infini. Les mystiques
diront qu’il est inconnaissable. La raison peut le concevoir, mais elle ne peut
pas le voir. Dieu se révèle et prend une figure d’homme pour se donner. Il se
met à hauteur d’homme pour se faire connaître : « Nul n’a jamais vu Dieu ;
mais lui, le Fils qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître » (Jn 1,
18).
Les icônes
orientales donnent à contempler l’enfant dans un tombeau ouvert, et il est
emmailloté des linges de son ensevelissement. Car l’enfant qui naît, c’est le
Ressuscité. L’enfant qui naît, c’est le crucifié contemplé dans la lumière de
Pâques. L’enfant devant lequel se prosternent les mages est Dieu,
reconnu dans la foi à la lumière de Pâques et célébré dans chaque Eucharistie,
d’autant plus que la signification du nom du village « Bethléem »
signifie : maison du pain.
Les mages
affirment qu’ils sont venus pour adorer le Roi dont ils ont vu l’astre se lever.
Une telle affirmation évoque clairement la divinité du Nouveau-né. L’adoration,
en effet, est un culte réservé à Dieu seul. L’emploi de ce mot à propos de tout
autre objet est abusif. Le premier commandement demande de n’adorer que Dieu,
c’est-à-dire le reconnaître comme Dieu, comme Créateur et Sauveur :
« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et c’est à lui seul que tu rendras un
culte » (Lc. 4, 8) dit Jésus, citant le Deutéronome (6, 13).
Adorer, se
prosterner, c'est reconnaître le Messie de Dieu. Ils lui offrent en hommage des
présents de leur pays et de leur culture, tel que l'annonçaient le Psaume 72 et
le prophète Isaïe : « Les peuples s’inclineront devant lui, les rois de
Tarsis et des Iles apporteront des présents. Les rois de Saba
et de Séba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous
les pays le serviront. » (Ps. 72), mais aussi le prophète Isaïe :
« Des foules de chameaux t'envahiront, des dromadaires de Madiane et
d'Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l'or et l'encens et
proclamant les louanges du Seigneur. » (Is. 60). Ce texte est écrit à un
moment fondateur pour le peuple d’Israël, aussi essentiel que l’Exode avec
Moïse ; c’est l’Exil, après les guerres perdues. Une partie du peuple se
retrouve esclave, en exil à Babylone pendant des années. La force du texte
d’Isaïe, c’est que le prophète rappelle la promesse de Dieu : Dieu
reste présent avec son peuple. Et c’est Jérusalem nouvelle qui va resplendir, de
la lumière du Seigneur, au milieu de la fragilité, des ténèbres. Isaïe a la
conviction que c’est pour toutes les nations y compris les nations
ennemies : elles apporteront l’or et l’encens, insigne du pouvoir et de la
divinité ; pouvoir spirituel et temporel aux mains de la Jérusalem
nouvelle.
Il est aussi intéressant de voir de qui parle le psaume : il
s’agit du roi, du fils de roi… Le psaume donne la définition de la royauté que
veut le Seigneur : « il fait droit aux malheureux de son peuple, il sauve
les pauvres gens, écrase ce qui oppresse, il délivrera le pauvre, il a souci du
faible et du pauvre dont il sauve la vie ; il rachète à l’oppression et à
la violence, le sang des petits est précieux à ses yeux … » C’est un
roi tel que Jérusalem et tout le peuple n’a jamais connu ; on est bien loin
d’Hérode.
Pour
certains commentateurs, l’or, l’encens, la myrrhe apportés par les mages ont une
signification symbolique. L'or est considéré comme la chose de la plus grande
valeur. Les mages n'apportaient pas de dons de valeur moindre au Roi des rois ;
ils lui apportaient le meilleur de ce qu'ils possédaient. L'encens parle
d'adoration. Il est employé dans le temple lors des holocaustes, pour y répandre
une odeur agréable. La myrrhe substance odorante qui entre dans la composition
de l'huile dont on oignit Aaron et ses successeurs mais aussi servaient pour
embaumer les cadavres. Ainsi, l’or représente la royauté ; l’encens, le
culte, les prêtres, la prière, le sacrifice ; la myrrhe, l'humanité, la
souffrance et la mort. Trois signes qui indiquent que Jésus est Roi, Prêtre et
Homme, Serviteur souffrant. Pour d’autres commentateurs, l’or, l’encens, la
myrrhe, ce serait tout l’Avoir, le Pouvoir, le Savoir qui sont déposés devant
Jésus enfant. Adorer le Christ, c’est offrir tout ce qu’on a, mais encore plus
tout ce qu’on est…
Ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin
Avertis par Dieu qu’Hérode était dangereux, les Mages prirent un autre
chemin pour rentrer chez eux. Ils évitent de passer par Jérusalem, un lieu qui
sera toujours synonyme d’affrontement et de menace pour cet enfant, même devenu
homme.
De leur
côté, le roi Hérode, les chefs religieux avec les experts de
Quoi qu’il
en soit de l’importance historique de la venue des Mages à Jérusalem,
l’évangéliste a compris que cet épisode, infime au regard de l’histoire
d’Israël et du monde, était déjà l’annonce et l’esquisse du drame de
Dès lors,
Matthieu et Luc, dans les récits de l’enfance, ne racontent pas de belles
légendes, des fioretti, pour orner les origines de Jésus. C’est du salut de
l’humanité qu’il s’agit, et de la réponse que nous donnons à celui qui vient
délivrer l’humanité entière.
Jésus naît
en Israël, « le salut vient des Juifs » (Jn 4, 22), les mages, eux, païens venus
de très loin, préoccupés d’astrologie, sont le signe éclatant de ce que saint
Paul appelle « le mystère révélé par l’Esprit ». « Ce mystère, c’est que les
païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même
promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ». (Eph. 3, 6).