Recherche sur la foi

 

La foi a toujours été associée aux pactes, aux serments, aux promesses de l’amitié ; elle est parfois requise dans les cours de justice (« déclarer sous la foi du serment ») et aux pieds des autels (« confesser sa foi »). Le mot « foi » s’emploie de deux manières différentes pour souligner tantôt le rapport à autrui, tantôt le rapport à soi-même. La foi est d’abord ce qui nous rend crédibles au regard d’autrui. Ainsi, un homme de foi est un homme fidèle à ses engagements ; ses actes en témoignent. Est de bonne foi celui qui n’a pas l’intention de tromper, même si par mégarde il se trompe. Inversement, considérée comme un engagement personnel, la foi fait de nous des croyants.

Ce n’est pas n’importe quelle croyance qui peut être appelée « une foi », mais seulement une croyance pour laquelle nous sommes prêts à témoigner ; ou bien une croyance que nous avons accueillie sur la foi d’un témoignage. Ainsi, la foi chrétienne repose sur le témoignage des Apôtres ; le croyant la reçoit comme un « dépôt », dont il doit témoigner à son tour ; de là l’idée d’une tradition, d’une série de témoins. La foi chrétienne est le lien de ces témoignages reçus et donnés. Pour comprendre la nature de la foi, il faut partir de la relation que le témoignage instaure entre les hommes. Cette relation est un lien de fidélité et de sincérité qui peut s’accompagner d’espérance divine. La foi est la vertu du témoignage, le poids de la parole donnée. La crédibilité d’un témoignage dépend des preuves qui peuvent le confirmer ou l’infirmer. Le témoignage ne dispense pas de la preuve. Mais, la preuve ne remplace pas la fonction du témoignage.

La distinction entre preuve et témoignage fait partie de notre héritage . Historiquement, le sens premier du mot « foi » est celui légué par la civilisation romaine : la bonne foi. L’idée religieuse de la foi - croyance fut introduite par le christianisme. Nos contemporains discutent de la foi en terme de croyance, alors que les anciens concevaient la croyance en terme de fidélité. Dans les deux cas, on emploie le verbe « croire », mais il n’est plus associé aux mêmes préoccupations. Nous distinguons « les croyants » et « les incroyants », alors que le vocabulaire ecclésiastique oppose « les fidèles » et « les infidèles ».

Origine et sens du mot « foi »

Les mots latins fides (foi) et foedus (pacte, accord, alliance) proviennent d’une même racine indo-européenne, qui a suggère de manière générale l’idée de confiance. La foi est engagement de la confiance, suivant des formes variables telles que : parole donnée, promesse, profession de foi, serment, contrat, traité, alliance. Du fait que la confiance se donne et se reçoit, la valeur du mot « foi » oscille entre le sens actif de « faire confiance » (avoir foi, avoir la foi) et le sens passif d’ « inspirer confiance » (faire foi, être digne de foi, être fiable). La foi ne se réduit pas à la confiance ; elle l’oriente. Elle peut l’orienter en deux directions complémentaires : la foi que nous accordons à la parole d’autrui ou à son témoignage oriente vers lui notre confiance ; la bonne foi, l’intention droite, oriente vers nous la confiance. Sous ces deux directions (la foi qui rend confiants, la foi qui rend fiables), on reconnaît l’exigence d’une relation entre les personnes concernées par la foi. La parole donnée engage une relation entre la loyauté de l’un et la confiance de l’autre. En donnant sa foi, on se donne soi-même à reconnaître. Tu ne peux avoir qu’une parole ; il y va de toi. La foi est distincte de la croyance ; elle est un pacte que l’on fait avec soi-même ou avec autrui, elle implique la loyauté dans les conventions et la fidélité aux engagements pris.

L’enseignement biblique ne contient aucune injonction à croire, aucune prescription de ce que le christianisme appelle « la foi ». On peut trouver dans la Bible des injonctions à croire, mais il s’agit d’injonctions à demeurer fidèle à l’Alliance que Dieu a conclue avec Israël ; la fidélité d’Israël est l’expression d’un loyalisme ethnique, qui consiste à observer la Loi que Dieu a révélée à son peuple. C’est pourquoi les théologiens chrétiens ont distingué Loi de l’Ancien Testament et Foi du Nouveau. L’histoire des origines chrétiennes est l’histoire d’une transformation du concept de fidélité : la Bonne Nouvelle de l’avènement messianique, n’ayant pas été reçue par le peuple d’Israël va devenir le point de départ d’une nouvelle religion dans laquelle on entre par conversion individuelle. La forme de la religion a changé : elle n’est pas nationale mais « congrégationnelle » (une assemblée de croyants, l’Église).

Au cours du premier siècle après Jésus-Christ, la langue grecque est devenue la langue dans laquelle s’est diffusé le christianisme. Le mot grec pistis a servi à exprimer la foi messianique, qui s’est distinguée de la fidélité à la Loi juive. Ainsi s’est formée « la tradition apostolique » reconnue comme la source de la prédication et de la discipline dans l’Église. Le christianisme a transformé l’idée de foi ; il en a fait une croyance pour laquelle on témoigne, alors qu’originellement la foi était la rectitude qui conditionne la validité morale d’un témoignage.

Alliance et fidélité dans la Bible

Nous parlons de « foi biblique », de « foi chrétienne », de « foi juive » en pensant que la « foi » résume la totalité du rapport de l’homme à Dieu. Il n’existe pas de mot hébreu qui corresponde à cette acception.

L’Écriture s’organise autour d’une idée centrale : l’alliance de Dieu avec le peuple élu. Le mot hébreu berith peut se traduire « pacte d’alliance » (foedus ) ou « serment » (sacramentum ), avec cependant une nuance importante qui met l’accent sur les obligations résultant des engagements pris. Cette nuance est évoquée par les traductions grecque (diathékè ) et latine (testamentum ), qui soulignent que l’Écriture, à la manière d’un Testament, est le décret définitif, l’expression dernière de la volonté divine, car c’est Dieu qui a engagé la véracité de sa parole dans l’élection d’Abraham et dans la loi de l’alliance promulguée par Moïse.

Croyance et confiance

« Foi » et « croyance religieuse » ne sont pas synonymes. L’ambiguïté vient de ce que le verbe « croire » peut s’employer dans deux sens. Soit dans un sens déclaratif : « Je crois que..., je tiens pour vraie une déclaration. » Soit dans un sens performatif : « Je vous crois, je crois en vous, je crois en Dieu. » Dans ce cas, la parole vaut acte ; elle nous engage dans un lien de confiance à l’égard d’un autre. On a là deux idées emmêlées mais distinctes : l’idée de croyance et l’idée de confiance. La croyance peut prendre des formes différentes (opinion, persuasion, idéologie, conviction). Elle a deux caractéristiques. D’une part, elle comporte un jugement : croire, c’est tenir pour vraie une proposition. En cela, on peut se tromper. D’autre part, la croyance est un guide du comportement. Elle ne se traduit pas seulement dans ce que je dis, mais dans ce que je fais. Dans mon attitude s’opposent, acceptation ou refus. Une croyance est soumise à deux conditions : des conditions de vérité (l’opposition du vrai et du faux ne dépend pas de nous, mais de ce qui existe indépendamment de nous) ; des conditions d’acceptabilité (l’opposition du « oui » et du « non » dépend de nous).

La confiance est une relation qui peut s’orienter dans deux sens complémentaires, actif ou passif (avoir confiance, être fiable). Alors que la croyance est une affaire individuelle, un jugement personnel, la foi implique une reconnaissance entre personnes, entre celui qui donne sa parole (ou inspire confiance) et celui qui la reçoit (ou fait confiance). Quand nous accordons notre confiance, c’est toujours en admettant que certaines conditions sont réalisées. Si ces conditions ne sont pas réalisées, nous admettons que notre confiance a été trompée. La foi oriente la confiance, mais elle l’oriente sur la base de croyances qui peuvent être vraies ou fausses. Leur valeur de vérité ne dépend pas de ce que nous savons, mais de ce qui existe et qui peut contredire ce que nous pensons. La confiance en Dieu a pour fondement l’autorité de la révélation. La foi religieuse n’est pas seulement confiance, mais aussi obéissance à l’autorité divine.

Comment distinguer la foi de l’idéologie ? L’idéologie a un objet fascinant ; elle est tendue vers un but, source d’espoir et de crainte. La foi (indépendamment de la croyance religieuse) a un sens moral ; elle est une vertu qui a pour principe la reconnaissance entre les hommes. La foi a un principe, mais elle n’a pas d’objet, sinon de nous faire exister moralement les uns pour les autres, de faire que chacun trouve en l’autre le témoignage de sa propre humanité. La science conduit-elle à la foi ? Comment y conduirait-elle, si elle n’en vient pas ? La foi a un principe ; elle n’a pas d’objet. On l’accepte ou on ne l’accepte pas, là où l’on est, où que l’on soit. La rectitude de l’esprit conditionne la science. L’esprit scientifique n’est pas la neutralité affective, l’indifférence ; l’esprit scientifique est une passion ; il est l’amour intellectuel de ce qui existe, et qui ne se réduit pas à ce que nous croyons. La science est l’ensemble des croyances pour lesquelles nous avons des preuves, c’est-à-dire des motifs raisonnables de crédibilité. La foi, la bonne foi, n’est pas un savoir, elle est l’acceptation d’un principe dont chacun témoigne à l’égard de l’autre, même sans le savoir.