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Mère de Jésus et Mère de Dieu

 

Marie, la mère de Jésus de Nazareth, n’est mentionnée que de façon discrète dans la littérature néo-testamentaire. En revanche, en tant que personne faisant l’objet de culte et de vénération, elle occupe une place éminente dans la foi et la spiritualité chrétiennes. Cette constatation soulève une foule de questions qui relèvent de l’exégèse biblique et de la théologie, de l’histoire comparée des religions et de l’histoire des dogmes, de la psychologie et de la sociologie religieuses. Il est difficile, sinon impossible, de faire le départ entre les éléments qui permettent de situer Marie en tant que personnage historique et ceux qui proviennent de la légende accréditée par la prolifération des évangiles apocryphes, ou ceux qui sont le fruit de la spéculation religieuse. Les textes évangéliques témoignent de l’existence d’une tradition mariale établie dans les premières communautés. Le développement de la piété mariale populaire a précédé celui de la doctrine.

Marie dans le Nouveau Testament

Si l’on adopte l’ordre chronologique de la rédaction des textes, on constate que les grandes lettres pauliniennes (à l’exception d’une allusion indirecte, Gal. 4, 4) ignorent Marie. L’Évangile de Marc, passant sous silence les récits de la Nativité, ne mentionne la mère de Jésus et « ses frères » qu’à propos de deux incidents du ministère galiléen de Jésus, où celui-ci est contesté (Mc. 3, 31-35 et 6, 3). Quelle que soit l’interprétation donnée par la suite à la mention des « frères » de Jésus, il ne s’agit dans les deux cas que d’une relation de parenté humaine entre Jésus et sa mère. Il faut rapprocher de ces textes le logion de Luc 3, 28, où, en réponse à une allusion de quelqu’un dans la foule à la maternité physique de Marie, Jésus répond : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent. » Matthieu et Luc sont les seuls à faire place aux récits de la naissance et de l’enfance du Christ. Par rapport à Marie, ils présentent de notables différences. Dans Matthieu, la généalogie destinée à établir la filiation davidique et abrahamique de Jésus aboutit à Joseph, « l’époux de Marie de laquelle est né Jésus, appelé Christ » (Mt. 1, 16). C’est Joseph qui reçoit l’annonce de la conception et de la naissance miraculeuses. L’événement est présenté moins comme une grâce et un privilège accordés à Marie que comme l’accomplissement des prophéties messianiques en la personne de l’enfant, « conçu du Saint-Esprit », le Sauveur, « Emmanuel, Dieu avec nous ». Le chapitre 2, qui relate l’adoration des mages, la fuite en Égypte et le massacre des innocents de Bethléem, est tout entier centré sur le thème de la royauté davidique de l’enfant. C’est lui qui est l’enjeu du drame qui se joue. Il est cinq fois mentionné « avec sa mère » dont le sort est lié au sien ; mais on ne trouve aucun élément mariologique, sinon l’affirmation de la naissance virginale. L’essentiel du donné marial néotestamentaire apparaît chez Luc (1 et 2) et secondairement chez Jean, dans le récit de deux épisodes : le premier miracle, à Cana (Jn. 2, 1-12) et la crucifixion (Jn. 19, 25-27).

Luc donne à Marie la première place dans les récits de l’enfance. Elle entre en scène de façon personnelle. C’est elle qui reçoit la salutation angélique, l’annonce de la conception et de l’enfantement. Elle y répond dans la foi et l’obéissance de la servante du Seigneur à sa parole (1, 26-38). Suivent la visite chez Élisabeth, mère de Jean-Baptiste, qui l’accueille comme « la mère de son Seigneur » et la déclare « bénie entre les femmes » et « bienheureuse parce qu’elle a cru » (1, 39-45). Marie répond par le « Magnificat », qui exprime la béatitude et l’action de grâces au Dieu d’Israël dont la miséricorde envers son peuple s’accomplit en vertu de ses promesses (1, 46-55). À ces textes, il faut ajouter le récit de la Nativité (ch. 2), qui mentionne toujours le couple Marie et Joseph, mais souligne deux fois (vv. 19 et 51) que « Marie gardait ces choses dans son cœur » ; et surtout la prophétie de Siméon (2, 35) lors de la présentation au Temple : « À toi-même une épée te transpercera l’âme. » En dehors de ces passages, on ne trouve plus chez Luc que la mention de Marie priant avec les Apôtres avant la Pentecôte (Ac. 2, 14).

Les textes johanniques n’ajoutent rien à ces éléments, sinon qu’ils situent Marie comme proche de son fils à deux moments décisifs de son ministère, lors de sa première manifestation messianique et lors du sacrifice suprême de la croix. Cette proximité d’une certaine marquée par l’appellation de « femme ». À Cana, Jésus dit : « Qu’y a-t-il de toi à moi » ; et Marie se borne à se soumettre à la décision de son fils. À la croix, une sorte de détachement déchirant se produit : Jésus meurt seul, et Marie reçoit demeure terrestre et protection filiale auprès du disciple bien-aimé. La littérature johannique fournit dans l’Apocalypse (Ap. 12) l’allégorie de la femme couronnée de douze étoiles apparaissant dans le ciel, en proie aux douleurs de l’enfantement, et que la tradition interprétera dans un sens mariologique.

La tradition ecclésiastique

Historiquement, on peut caractériser trois périodes. La première, à partir du deuxième siècle, s’achève au cinquième avec les deux conciles christologiques d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). Dans la ligne des symboles trinitaires, le rôle de Marie se limite à l’Incarnation et n’est envisagé que par rapport au Christ « conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie ». À Éphèse, Marie sera proclamée « mère de Dieu » (Theotokos ) dans le contexte du dogme des deux natures dans le Christ (Jésus-Christ, vrai homme et vrai Dieu) qu’explicitera le concile de Chalcédoine. La maternité divine de Marie sert d’argument théologique. Dans la tradition patristique se développe un processus qui, prenant Marie comme objet de méditation, utilise l’interprétation allégorique de l’Écriture. Le thème essentiel en est le parallèle entre Ève et Marie. Celle-ci apparaît comme la « nouvelle Ève », réparatrice de la faute originelle de l’humanité et jouant dans l’économie du salut un rôle actif, à la fois par son obéissance de foi à la Parole de Dieu et par sa sainteté exprimée par sa virginité (dans et après l’enfantement).

En une deuxième période qui va du cinquième siècle au seizième, l’intérêt se concentre plus sur la personne, les mérites et les privilèges de Marie. La virginité perpétuelle donne lieu à maintes polémiques à travers lesquelles se formera la croyance à l’Immaculée, préservée dès sa naissance du péché originel et de ses souillures, préservée aussi de la corruption corporelle et de la mort. C’est surtout à travers la liturgie et la célébration des fêtes mariales que se développe la vénération de Marie. L’usage de l’ « Ave Maria », à côté du « Pater », encourage et justifie la croyance en l’efficacité de l’intercession de Marie.

À partir du seizième siècle, les conflits puis les ruptures de la Réforme ont pour effet de déséquilibrer la spiritualité et la théologie mariales, sur lesquelles le concile de Trente (1545-1563) ne se prononce guère. De nombreux courants de théologie mystique tendent de plus en plus à faire de la mariologie un « traité séparé », sans lien direct avec le reste de la doctrine chrétienne, la christologie en particulier, et devenant par elle-même source d’inspiration, de vie intérieure personnelle dans l’intimité avec la « médiatrice de toutes les grâces », la mère spirituelle de tous les croyants. La promulgation en 1950 par Pie XII du dogme de l’Assomption et l’institution des « années mariales » consacreront la glorification de Marie, reine du ciel et digne de recevoir le titre de « co-rédemptrice » et de « mère de tous les hommes ».

La perspective œcuménique

Le problème de Marie n’occupe pas une place centrale dans le dialogue œcuménique. Le deuxième concile du Vatican a ouvert une perspective en montrant le souci de ne pas dissocier le thème marial de l’ensemble de la réflexion sur l’Église, et d’éviter des risques de malentendus. La question mariale n’est pas secondaire ; mais elle est seconde par rapport à d’autres points plus fondamentaux du débat. Avec les Églises orthodoxes, l’amplitude prise par le culte marial ne fait pas en soi difficulté ; c’est la question du pouvoir dans l’Église qui est en cause, non celle de Marie. Du côté des Églises protestantes, les choses sont moins simples. La contestation porte sur deux points : d’une part, sur l’interprétation des textes bibliques dans un sens qui majore la gloire  de Marie, et cela pose le problème des rapports de l’Écriture et de la Tradition ; d’autre part, et plus profondément, sur la participation et la coopération  active attribuée à Marie dans la Rédemption. Certes, Marie ne joue pas un rôle passif ; elle donne à la grâce une réponse active, celle de la foi ; comme telle, elle est bien, dans son humilité de servante, figure de l’Église, premier témoin du peuple de Dieu et type de la maternité de l’Église. Mais la réponse de la foi n’ajoute rien à l’œuvre unique et universelle du Christ.