« Nouvelle bible » ou « nouvelle Bible » !

 

Elle était annoncée à grands renforts de publicité, et comme, chaque fois qu’il s’agit de publicité, il est question d’argent, et même si l’évangile recommande de se faire des amis avec l’argent malhonnête, la méfiance doit être de mise. Généralement, les publicitaires exploitent la Bible à des fins mercantiles. Jamais ils n’ont payé pour faire connaître la Parole de Dieu. Y aurait-il quelque chose de changé dans le monde ? Comme le souligne le Père André Manaranche, « la façon dont les promoteurs de cette Bible s'agitent et font du bruit interroge. Cette opération soulève en effet de nombreuses questions » .

Dès la couverture, il y a matière à indignation. Ce Livre, trésor religieux de générations de croyants, juifs et chrétiens, devient un livre vulgaire ; il ne se présente pas avec la majuscule d’importance qui en faisait une personne, mais avec une minuscule. Ce détail typographique est exaspérant pour un œil critique. Puis, il faut lire la note de la « Commission doctrinale des Evêques de France » . Cette appréciation est intéressante. Elle permet de savoir, avant d’ouvrir le « Livre aux pages scellées », que cette traduction ne convient pas à un usage liturgique, autant dire que le peuple chrétien qui se rassemble, dans la communion de l’Eglise pour célébrer son Seigneur, ne peut pas en bénéficier. Cette traduction ne leur est pas destinée, elle ne s’adresse qu’à une catégorie de chrétiens. Comment peut-on recommander un ouvrage en ne le réservant qu’à un nombre restreint de lecteurs ? Les évêques, du moins ceux qui, avec leurs collaborateurs, participent à la Commission, savent manier avec dextérité la diplomatie et son langage, qui permet de poser de sérieuses réserves alors que le destinataire du message pense qu’il s’agit d’un encouragement. Il est permis de s’interroger sur l’absence d’Imprimatur, contraire à la tradition ecclésiastique.

Faut-il en déduire que cette « bible » ne s’inscrit pas dans la tradition, quant à l’interprétation de la Parole de Dieu ? La presse (particulièrement le journal La Croix) avait averti que chaque livre était traduit par au moins deux personnes, l’une spécialiste de l’Ecriture, l’autre spécialiste de l’écriture. Il ne s’agit pas d’une erreur, il faut bien parler du contenu (Ecriture) et de sa forme (écriture). L’un des traducteurs est un exégète qui donne sa caution de spécialiste, l’autre est un écrivain plus habile à manier la phraséologie. Cette bipolarité est intéressante, mais peut être dangereuse, elle permet d’évacuer sans cesse sur l’autre la responsabilité du texte établi… Sauf erreur, l’écrivain précède le bibliste. De là, à supposer que l’important n’est pas le texte, mais la forme dans laquelle il peut être dit, il n’y a qu’un pas facile à franchir. Les éditeurs pouvaient se réjouir de cette nouveauté : « enfin une Bible qui n’est pas traduite d’un bout à l’autre de la même façon, dans la même langue » . La langue française est ce qu’elle est, avec ses qualités et ses imperfections, mais y aurait-il plusieurs langues françaises ?

Il serait fastidieux de prendre la plupart des textes de cette nouvelle traduction, de les analyser et de souligner leur inadéquation ou leur imperfection. Il suffira de souligner quelques curiosités qui peuvent devenir choquantes pour un lecteur moyen.

Ainsi, le mot hébreu « ruah », ou le mot grec « pneuma » est traduit par « souffle », ce qui correspond bien à l’étymologie, mais la notion d’Esprit est alors totalement évacuée. L’Esprit de Dieu, l’Esprit-Saint devient un souffle qui finit par évoquer plus ou moins le dieu Eole. Cela est sensible dès le récit sacerdotal de la création qui ouvre la Genèse. Aux regards du spécialiste en études poétiques, la version nouvelle peut sembler une tentative heureuse, tant par son rythme que par son aspect syncopé ; pour le profane, ce style est lourd, rébarbatif, et il est en droit de se demander s’il était nécessaire de rechercher la nouveauté pour la nouveauté, au risque de faire passer le locuteur de cette page pour un apprenti en langue française… La mémorisation de ce texte ne sera pas facile, cela est dommageable, d’autant plus que l’ouverture du Livre ne donne guère envie au lecteur de poursuivre sa lecture.

Que le tétragramme divin soit rendu par la translittération Yhwh est une réussite, encore aurait-il fallu le signaler dans une introduction, en début de livre… et non au terme de recherches à effectuer en fin de volume.

Autre remarque de détail, mais combien significative, le terme « christ » dans les textes évangéliques s’écrit souvent avec une minuscule. Certes, en grec, la majuscule est exclue, mais, dans la tradition, ce terme « Christ » a pris une signification telle qu’il ne désigne plus un « oint » quelconque, mais exclusivement Jésus de Nazareth, reconnu comme Fils de Dieu par les chrétiens, et à ce titre toujours mentionné avec une majuscule... Il apparaît que ce choix, loin d’être simplement typographique, peut marquer une volonté réductrice de la pensée théologique. Ce Jésus finit par n’être qu’un christ parmi d’autres, un simple prophète. De même, pour la confession de foi de Pierre : « Tu es le christ, fils du Dieu vivant » ; ce « christ » n’est qu’un « fils » parmi d’autres, il n’est pas « le » Fils unique… Dans cette confession, la réponse de Jésus surprend : « Tu es Pierre et sur cette pierre je vais établir mon Assemblée ». Si les mots ont un sens, et si le traducteur voulait être logique, il aurait écrit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je vais établir mon assemblée ». Pourquoi éprouve-t-il le besoin de la majuscule pour désigner cette Assemblée, terme qui respecte le grec, mais ne s’inscrit pas dans la tradition de l’Eglise. Et comment se fait-il que les opposants traditionnels (pharisiens) à Jésus deviennent les « Séparés » alors que les Saducéens gardent leur dénomination habituelle ? Il sera difficile de faire passer cette notion auprès des jeunes en formation catéchétique : sont-ils « séparés » de Jésus ou des autres membres du peuple juif ? En ce sens, toutes les sectes ou mouvements religieux dans le judaïsme du premier siècle peuvent revêtir ce caractère, pour la plus grande confusion des lecteurs…

Avec les meilleures intentions, les traducteurs passent parfois à côté de réalités spirituelles. Ce qui est désigné par les autres traductions comme « péché » devient : « crime » ou « égarement ». Cela traduit une réduction théologique et même sociologique. Le crime est une faute qui peut relever de la justice humaine, il peut donner lieu à une appréciation morale ; l’égarement peut être une déviation involontaire, une erreur d’interprétation. Le terme « péché » a une signification particulière, que souligne le Catéchisme de l’Eglise catholique : « Le péché est présent dans l'histoire de l'homme : il serait vain de tenter de l'ignorer ou de donner à cette obscure réalité d'autres noms. Pour essayer de comprendre ce qu'est le péché, il faut d'abord reconnaître le lien profond de l'homme avec Dieu, car en dehors de ce rapport, le mal du péché n'est pas démasqué dans sa véritable identité de refus et d'opposition face à Dieu, tout en continuant à peser sur la vie de l'homme et sur l'histoire » .

Certaines tentatives sont intéressantes et judicieuses pour exprimer les réalités du texte original, mais elles laissent le lecteur perplexe. Ainsi le verbe « baptiser » devient, pour le traducteur de Matthieu, « plonger », ce qui est correct dans le grec classique, mais ce verbe a pris un sens nouveau dans le grec biblique. Il faut s’étonner du fait que ce même traducteur ait traduit « Jean le baptiste » et non « Jean le plongeur », s’il voulait respecter pleinement sa logique de vocabulaire.

Si, dans le texte de l’hymne aux Philippiens, certains termes obtiennent une valeur plus signifiante que les traductions antérieures, l’emploi « devenu copie humaine » pour : « en devenant semblable aux hommes » risque de prêter à confusion en une époque où l’on parle de clonage d’embryon. Même si la référence à l’original paraît correcte, une telle traduction risque d’entraîner le lecteur non averti sur la pente du docétisme, ignorant l’affirmation dogmatique des deux natures. Pour la foi, il importe que Jésus soit réellement homme de même qu’il soit pleinement Dieu. Jésus est Dieu, mais il est humain aussi, et c'est très important pour l’espérance : « ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». Si le Christ n’est pas un homme semblable aux autres hommes « en toutes choses, à l’exception du péché », les hommes ne sont pas sauvés.

Pour conclure, il convient de relativiser les opinions tranchées. Qu’est-ce que relativiser ? C’est diminuer la portée, la gravité, l’incidence, les conséquences des affirmations ou des événements... Il faut donc relativiser les propos précédents, même s’il paraît légitime de s’interroger : cette nouvelle traduction ne va-t-elle pas dans le sens d’un relativisme ?

La culture contemporaine ne peut pas et ne doit pas justifier tout et n’importe quoi : nous ne pouvons pas relativiser les affirmations de la Parole de Dieu, pour les adapter aux goûts et attentes d’une époque. Les exemples sont nombreux pour lesquels l’homme est tenté de substituer ses sentiments au radicalisme de la Parole de Dieu, et cela entraîne une nouvelle traduction de la Bible… Il semble qu’à vouloir faire de la Bible une œuvre artistique on en arrive à ce relativisme : certains mots ne reçoivent plus un écho favorable et se trouvent proscrits ; il en est de même de certaines expressions…

Il faut reconnaître qu’en dehors de tout esprit prosélyte, il est nécessaire de mettre à la portée de tous les textes sacrés, et puisque peu nombreux sont ceux qui peuvent manier l’hébreu et le grec, les traductions sont très utiles. C’est le sens de tout effort missionnaire. Faire passer un texte d’une langue à une autre, sans rien en trahir, n’est pas une tâche aisée, puisque chaque langue a ses caractéristiques adaptées aux tournures conceptuelles de ceux qui l’emploient, des expressions intraduisibles, un vocabulaire particulier qui ne peut être adapté que par des équivalences, ou des jeux de mots. C’est pourquoi les traducteurs, qui veulent s’exprimer dans une langue, rencontrent des difficultés. Ils ont besoin du secours de tous les chrétiens pour accomplir leur tâche difficile, qui se trouve être une mission d’Eglise. Il est légitime de critiquer, jusque dans les détails, une traduction, pour que la vérité du message soit toujours sauve.

Des traductions différentes ont actuellement cours et elles répondent à des besoins différents. Une même traduction peut être utile dans certains cas, mais peut s’avérer nuisible dans d’autres. Certains textes peuvent être compris en lecture privée, non en lecture publique.

Une nouvelle traduction de la Bible doit correspondre à un besoin, si tel n’est pas le cas, cette traduction sera peu utilisée, elle restera inexploitée, et ne fera que garnir les rayons d’une bibliothèque, alors qu’il importe que cette traduction devienne aussi un moyen de répandre la foi. C’est la raison pour laquelle les chrétiens sont très attachés à la version qu’ils connaissent : ils se souviennent que c’est par son intermédiaire que Dieu leur a parlé, ils sont méfiants à l’endroit de toute nouvelle tentative. Si une traduction permet à beaucoup d’hommes de recevoir la Parole, il est permis de croire que l’Esprit-Saint a inspiré aussi les traducteurs. Mais si le traducteur cède à la tentation de se mettre en avant et de cacher le texte derrière sa brillante traduction, s’il veut le rendre lisible, selon les critères de la modernité, qu’en advient-il de la Parole de Dieu ? Il est recommandé aux traducteurs d’apprendre à s’effacer et à devenir de plus en plus modestes, de manière à permettre au peuple chrétien d’accéder au texte le plus assuré. C’est alors que leur travail portera pleinement ses fruits.

La Bible n’est pas une œuvre littéraire comme les autres. Elle est modestement la Parole de Dieu, elle ne doit pas devenir le texte écrit par de « grands écrivains », qui ne sont « grands » que parce qu’ils sont à la mode du moment. Elle a été inspirée par l’Esprit de Dieu à de pauvres gens, dont certains ne savaient même pas écrire. Ils se sont effacés. Ils n’ont pas fait une œuvre. Ils ont laissé parler la parole à Dieu.

Alors faut-il acheter cette nouvelle « bible » ? La réponse restera ambiguë… Si vous êtes prêts à un voyage de dépaysement, si vous gardez en mémoire la traduction qui vous a accompagnés jusqu’à présent, si vous êtes prêts à vous investir dans la lecture des textes originaux, en hébreu et en grec, avec cette nouvelle traduction comme guide du voyage, il ne faut pas hésiter. Mais si vous cherchez à vous imprégner de la Parole de Dieu, si vous voulez vivre dans le cadre d’une Eglise qui célèbre et qui prie son Seigneur, à travers des expressions qui ont fait leurs preuves, et si cette nouvelle traduction doit être votre première référence, il vaut mieux vous abstenir, ou choisir une traduction plus adaptée.